Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme C... F...D..., épouse E..., a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler les décisions du préfet de l'Yonne du 22 mai 2017 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et désignant le pays à destination duquel elle pourrait être reconduite d'office.
Par un jugement n° 1701569 du 28 août 2017, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 21 septembre 2017, Mme E..., représentée par la SCP Gaborit-Rücker-Savignat-Valent et Associés, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 28 août 2017 ;
2°) d'annuler les décisions susmentionnées pour excès de pouvoir ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Yonne de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors d'une part, que son état de santé nécessite des soins dont l'absence pourrait avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'elle ne peut bénéficier de ces soins à Madagascar ; que d'autre part, elle ne peut pas voyager sans risque vers son pays d'origine ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 février 2018, le préfet de l'Yonne conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun moyen n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Carrier,
- et les observations de Me Marsaut, avocat du préfet de l'Yonne.
1. Considérant que Mme E..., ressortissante malgache née le 16 mai 1946, est entrée sur le territoire français le 19 janvier 2016, munie d'un visa de court séjour ; que, le 29 février 2016, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour pour raisons de santé ; que, par arrêté du 22 mai 2017, le préfet de l'Yonne lui a opposé un refus, assorti de décisions l'obligeant à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et désignant le pays de renvoi ; que Mme E... fait appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction applicable aux demandes déposées avant le 1er janvier 2017 : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général de l'agence, ou, à Paris, du médecin, chef du service médical de la préfecture de police. Le médecin de l'agence régionale de santé ou, à Paris, le chef du service médical de la préfecture de police peut convoquer le demandeur pour une consultation médicale devant une commission médicale régionale dont la composition est fixée par décret en Conseil d'Etat. (...) " ;
3. Considérant que sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle ;
4. Considérant que la partie qui justifie d'un avis du médecin de l'agence régionale de santé conforme à ses dires doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour ; que, dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires ; qu'en cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;
5. Considérant qu'il ressort du certificat médical établi le 25 février 2016 par le chef du service de néphrologie du centre hospitalier de Melun, que la requérante, qui souffre d'hypertension artérielle et de diabète de typer II insulino traité ayant entraîné une rétinopathie et une neuropathie, présente une insuffisance rénale chronique arrivant au stade terminal, nécessitant une prise en charge en épuration extra-rénale ; que, par avis rendu le 28 octobre 2016, le médecin de l'agence régionale de santé a estimé que l'état de santé de Mme E... nécessite une prise en charge médicale d'une durée de douze mois, dont le défaut aurait pour l'intéressée des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'un traitement approprié n'est pas disponible dans son pays d'origine, vers lequel il existait, à la date de cet avis, une contre-indication médicale momentanée au voyage ; que, toutefois, le préfet de l'Yonne a refusé à Mme E... la délivrance du titre de séjour sollicité sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11, au motif que l'intéressée pouvait bénéficier à Madagascar d'un suivi médical approprié ; que, pour remettre en cause l'avis du médecin de l'agence régionale de santé sur l'absence de traitement approprié à l'état de santé de l'intéressée à Madagascar, le préfet s'est borné à produire un courriel du consulat général de France à Madagascar, rédigé le 2 mai 2017 par le service des visas, affirmant, sans autre précision ni référence médicale, que " les insuffisances rénales sont traitées " dans ce pays et que " la France a financé ce type de soins " ; que ce seul document non circonstancié et émanant d'une autorité non médicale ne permet pas d'établir que Mme E... pourrait bénéficier à Madagascar d'une prise en charge médicale appropriée à son état de santé, alors que le défaut d'un tel suivi médical pourrait entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité ; qu'en tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier, qu'à la date de la décision attaquée, le préfet ait examiné la capacité de Mme E... à voyager sans risque à destination de Madagascar alors que le 28 octobre 2016, le médecin de l'agence régionale de santé avait conclu à une impossibilité momentanée de l'intéressée au voyage et qu'il incombe au préfet de prendre en considération les modalités d'exécution d'une éventuelle mesure d'éloignement dès le stade de l'examen d'une demande de titre de séjour "vie privée et familiale" présentée sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile afin de disposer d'une information complète sur l'état de santé de l'étranger, y compris sur sa capacité à voyager sans risque à destination de son pays d'origine ; que, par suite, la requérante est fondée à soutenir que la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et doit pour ce motif être annulée ; que les décisions portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et désignation du pays de renvoi doivent être annulées par voie de conséquence ;
6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, Mme E... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
7. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution " ; que le juge de l'injonction, saisi de conclusions présentées au titre de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, est tenu de statuer sur ces conclusions en tenant compte de la situation de droit et de fait existant à la date de son arrêt ;
8. Considérant que le présent arrêt, qui annule la décision de refus de titre de séjour du 22 mai 2017 du préfet de l'Yonne et les décisions subséquentes, implique nécessairement, eu égard au motif sur lequel il se fonde, que le préfet de l'Yonne délivre le titre sollicité à la requérante ; que, par suite, il y a lieu d'enjoindre audit préfet de délivrer à Mme E... une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la requête tendant à ce que cette injonction soit assortie d'une astreinte ;
Sur les frais liés au litige :
9. Considérant qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en mettant à la charge de l'Etat, partie perdante à la présente instance, la somme de 1 000 (mille) euros au titre des frais exposés par la requérante devant la cour et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1701569 du 28 août 2017 du tribunal administratif de Dijon est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 22 mai 2017 par lequel le préfet de l'Yonne a refusé de délivrer un titre de séjour à Mme E..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a désigné le pays à destination duquel elle pouvait être éloignée d'office est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Yonne de délivrer à Mme E... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Mme E... la somme de 1 000 (mille) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme E...est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... F...E..., au préfet de l'Yonne et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Auxerre en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.
Délibéré après l'audience du 8 mars 2018 à laquelle siégeaient :
M. Carrier, président,
Mme B...et MmeA..., premiers conseillers.
Lu en audience publique, le 12 avril 2018.
1
2
N° 17LY03445