Vu la procédure suivante :
Par un arrêt n°s 15LY02475, 15LY03278 du 30 novembre 2017, la cour, avant de statuer sur la requête d'appel de l'EURL Recyclage Pièces Pots Métaux (RPPM) et le recours du ministre des finances et des comptes publics, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'État la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 76 B et L. 103 du livre des procédures fiscales.
Par une décision n° 416152, 416699 du 14 février 2018 le Conseil d'État a décidé qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'EURL RPPM.
Par un mémoire enregistré le 19 mars 2018, présenté pour l'EURL RPPM, elle maintient ses conclusions initiales.
Par un mémoire, enregistré le 19 avril 2018, présenté par le ministre de l'action et des comptes publics, il maintient ses conclusions pour les mêmes motifs.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Seillet, président assesseur,
- les conclusions de Mme Bourion, rapporteur public,
- les observations de Me Planchat, avocat de l'EURL RPPM ;
1. Considérant que l'EURL Recyclage Pièces Pots Métaux (RPPM), dont l'activité principale était le recyclage de pots catalytiques en vue de la revente des métaux qu'ils contiennent, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur ses exercices clos les 30 septembre 2010 et 2011 en matière d'impôt sur les sociétés, et sur la période du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2012 en matière de taxe sur la valeur ajoutée ; qu'au cours de ce contrôle le vérificateur a notamment refusé d'admettre en charges des factures établies par la SARL JHR au nom de l'EURL RPPM, au motif que M. A... B..., gérant et associé de l'EURL RPPM, avait reconnu au cours d'une procédure pénale que ces factures étaient fictives ; que le vérificateur a également refusé d'admettre en charges des factures établies par d'autres fournisseurs, au motif que la livraison et le transport des produits n'étaient pas établis ; qu'à l'issue de ce contrôle, l'EURL RPPM a été assujettie, au titre des années 2010 et 2011, à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés assorties des intérêts de retard et de la majoration de 40 % prévue à l'article 1729 du code général des impôts ; que des amendes lui ont en outre été infligées sur le fondement de l'article 1840 J du code général des impôts ; que l'EURL RPPM a demandé au tribunal administratif de Dijon la décharge de ces droits et pénalités ; que l'administration fiscale a prononcé un dégrèvement d'un montant de 19 203 euros correspondant aux amendes infligées sur le fondement de l'article 1840 J du code général des impôts ; que le tribunal administratif de Dijon a constaté un non-lieu à statuer à concurrence de ce dégrèvement par l'article 1er de son jugement n° 1402341 du 23 mai 2015 ; qu'il a réduit les bases d'imposition de l'EURL RPPM à l'impôt sur les sociétés du montant des factures établies à son nom par la SARL JHR au titre des années 2010 et 2011, pour des montants respectifs de 301 182 euros et 190 541 euros, par l'article 2 du même jugement, et déchargé l'EURL RPPM des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et pénalités correspondant à ces réductions, par l'article 3 de ce jugement ; qu'après avoir mis à la charge de l'État le versement à l'EURL RPPM d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par l'article 4 de ce jugement, le tribunal a rejeté, par l'article 5 dudit jugement, le surplus des conclusions de la demande de l'EURL RPPM ; que l'EURL RPPM relève appel de ce jugement par la requête enregistrée sous le n° 15LY02475, alors que le ministre des finances et des comptes publics relève appel des articles 2, 3 et 4 du même jugement par le recours enregistré sous le n° 15LY03278 ;
2. Considérant que la requête de l'EURL RPPM et le recours du ministre des finances et des comptes publics étant dirigés contre le même jugement, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 82 C du livre des procédures fiscales : " A l'occasion de toute instance devant les juridictions civiles ou criminelles, le ministère public peut communiquer les dossiers à l'administration des finances " et qu'aux termes de l'article L. 101 du même livre, dans sa rédaction alors applicable : " L'autorité judiciaire doit communiquer à l'administration des finances toute indication qu'elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manoeuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant eu pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt, qu'il s'agisse d'une instance civile ou commerciale ou d'une information criminelle ou correctionnelle même terminée par un non-lieu " ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le procureur de la République adjoint près le tribunal de grande instance de Dijon a procédé, le 19 octobre 2012, au signalement, sur le fondement des dispositions de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales, de faits concernant l'EURL RPPM ; que l'administration fiscale a demandé communication, le 17 janvier 2013, des pièces des procédures éventuellement engagées à l'encontre de l'EURL RPPM en se fondant sur les dispositions de l'article L. 82 C du livre des procédures fiscales ; que le procureur de la République adjoint l'a autorisée à prendre connaissance et copie des pièces du dossier et à les communiquer à l'intéressée en cas de demande de sa part le 31 janvier 2013 ; que l'administration fiscale a ainsi obtenu communication de plusieurs procès-verbaux d'audition ; que la circonstance qu'aucune instance n'aurait été engagée à la date du signalement opéré le 19 octobre 2012 est sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition, aucune communication de pièces utilisées par l'administration pour établir les impositions en litige n'ayant été effectuée à cette date ; que s'il n'est pas établi qu'une instance ou une information correctionnelle concernant la requérante a été engagée avant le 28 mai 2013, il résulte des mentions du jugement correctionnel du tribunal de grande instance de Dijon qu'une instance a été engagée à l'encontre de M. A... B... et de son épouse dès le 14 novembre 2012, date de leur convocation à l'audience du tribunal correctionnel, initialement fixée au 25 mars 2013 ; que les dispositions des articles L. 82 C et L. 101 du livre des procédures fiscales ne limitant pas la nature des instances ou des informations criminelles ou correctionnelles qu'elles mentionnent aux seules procédures concernant directement les contribuables qui en font l'objet, le moyen tiré de ce que les dispositions des articles L. 82 C et L. 101 du livre des procédures fiscales n'auraient pas été applicables lorsque l'administration fiscale a exercé son droit de communication, par lettre du 17 janvier 2013 et a été autorisée à prendre connaissance du dossier, le 31 janvier 2013, doit être écarté ; que, dès lors, c'est à tort que le tribunal administratif de Dijon s'est fondé sur le motif tiré de l'utilisation de documents communiqués par le procureur de la République adjoint pour prononcer la réduction des impositions en litige et l'EURL RPPM n'est pas fondée à soutenir que ce motif devait conduire à la décharge de l'intégralité des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2010 et 2011 ;
5. Considérant toutefois qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens relatifs à la procédure d'imposition présentés par l'EURL RPPM ;
6. Considérant, en premier lieu, que les documents comptables de la requérante ont été consultés dans les locaux du cabinet de son expert comptable, où le vérificateur a rencontré à plusieurs reprises le gérant de l'EURL RPPM ; que les documents communiqués par l'autorité judiciaire, à savoir des procès-verbaux d'audition, n'étant pas des pièces comptables, ils n'avaient pas à être soumis au débat oral et contradictoire ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance du droit de la requérante à un débat oral et contradictoire doit être écarté ;
7. Considérant, en deuxième lieu, qu'il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en oeuvre et à tout moment avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des renseignements obtenus auprès de tiers qu'elle a utilisés pour établir les impositions, avec une précision suffisante pour permettre à l'intéressé, notamment, de discuter utilement leur provenance ou de demander, avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent, que les documents qui, le cas échéant, contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition ;
8. Considérant que les procès-verbaux d'audition sur lesquels s'est fondée l'administration sont mentionnés dans la proposition de rectification du 10 juin 2013 et ont été communiqués, en tant qu'ils contiennent des mentions utiles à l'établissement des impositions en litige, à l'EURL RPPM en annexe à la réponse du 16 septembre 2013 à ses observations ; qu'ils ont été versés au dossier dans les mêmes limites ; que, si l'administration fiscale n'a pas procédé à la communication de l'intégralité de ces procès-verbaux, il ne résulte pas de l'instruction que les impositions en litige aient été fondées, ne serait-ce que partiellement, sur des éléments occultés de ces procès-verbaux ; que, dès lors, les moyens tirés de ce que l'administration aurait fondé les impositions en litige sur des pièces de la procédure pénale qui n'auraient pas été produites devant le juge de l'impôt et de l'atteinte au principe d'égalité des armes reconnu à l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au motif que le contribuable n'aurait pas eu accès aux pièces sur lesquelles l'administration s'est fondée, doivent être écartés ;
9. Considérant, en troisième et dernier lieu, que, si l'EURL RPPM soutient qu'elle n'a pas pu répondre à la proposition de rectification, en méconnaissance du respect des droits de la défense, il résulte de l'instruction qu'elle a présenté ses observations le 12 juillet 2013 sur cette proposition de rectification, datée du 10 juin 2013, et que ses observations ont été rejetées par une décision du 16 septembre 2013 ; que, par suite, ce moyen manque en fait ;
Sur le bien-fondé des impositions :
10. Considérant qu'aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges (...) " ; que si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci ; qu'il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité ; que le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée ; que dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive ;
11. Considérant que, si l'EURL RPPM a comptabilisé en charges des factures présentées comme ayant été établies par la SARL JHR, d'une part, et les fournisseurs PJP, Chaïb, Gamil Ali et Gamil Yacine, d'autre part, l'administration fiscale apporte la preuve de ce que ces factures ne sont pas déductibles en faisant valoir qu'il ressort des extraits de procès-verbaux d'audition versés au dossier que les factures établies par la SARL JHR sont des factures fictives, comme l'a retenu un arrêt de la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Dijon du 18 décembre 2014, que celles établies par la société PJP l'ont été postérieurement à la radiation de cette entreprise dont la gérante, mère de M. A... B..., était déjà décédée à la date de leur établissement, et en soutenant sans être contredite que les autres factures produites lors de la vérification de comptabilité, réglées en espèces, ne sont appuyées d'aucun justificatif de transport ou de livraison et ne contiennent pas les mentions nécessaires permettant d'identifier les fournisseurs concernés ;
12. Considérant, enfin, que les impositions en litige sont fondées sur la remise en cause par l'administration fiscale de la déductibilité de certaines charges ; que, contrairement à ce que soutient la requérante, en remettant en cause cette déductibilité, l'administration n'a pas méconnu les constatations de fait, qui sont le support nécessaire de l'arrêt de la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Dijon du 18 décembre 2014, selon lesquelles le gérant de la société a réglé des fournisseurs en espèces et a utilisé la trésorerie de la société à des fins personnelles pour un montant de 150 000 euros ; que, par suite, l'administration n'a pas porté atteinte à l'autorité de la chose jugée par l'arrêt précité de la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Dijon ;
Sur la majoration prévue à l'article 1729 du code général des impôts :
13. Considérant qu'aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) " ;
14. Considérant, en premier lieu, que le moyen tiré de ce que la société requérante n'aurait pas eu accès au dossier pénal à l'origine des poursuites fiscales, en méconnaissance du principe de l'égalité des armes, doit, comme il a été indiqué au point 7 du présent arrêt, être écarté ;
15. Considérant, en deuxième lieu, que les faits pour lesquelles l'EURL RPPM a été condamnée par le juge pénal, à savoir l'usage de faux, sont distincts des inexactitudes relevées dans les déclarations fiscales de l'intéressée ; que, dès lors, en infligeant la majoration pour manquement délibéré prévue à l'article 1729 du code général des impôts, alors même que la société a déjà été condamnée par le juge pénal, l'administration n'a pas méconnu le principe " non bis in idem " ;
16. Considérant, en troisième et dernier lieu, qu'en relevant que la société ne pouvait ignorer le caractère irrégulier des charges comptabilisées correspondant aux factures litigieuses, toutes réglées en liquide, en raison de l'absence de tout justificatif de livraison et de transport réel des produits facturés et de l'absence des mentions indispensables à la traçabilité desdits produits, l'administration a établi le caractère délibéré des manquements de la société requérante, sans qu'il soit nécessaire qu'elle établisse que ces factures avaient permis de " sortir des liquidités " pour le confort personnel du requérant ; que, par suite, l'administration pouvait appliquer la pénalité de 40 % prévue à l'article 1729 du code général des impôts ;
17. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre des finances et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a accordé à l'EURL RPPM une décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités correspondantes à hauteur d'un montant de 245 412 euros et que l'EURL RPPM n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté le surplus des conclusions de sa demande ; que, les conclusions de l'EURL RPPM présentées en appel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées ; qu'eu égard au dégrèvement prononcé en première instance, il n'y a pas lieu de réformer l'article 4 du jugement attaqué concernant les frais exposés et non compris dans les dépens de première instance ;
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement du tribunal administratif de Dijon n° 1402341 du 13 mai 2015 sont annulés.
Article 2 : Les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et les pénalités correspondantes dont le tribunal administratif de Dijon avait prononcé la décharge sont rétablies.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL Recyclage Pièces Pots Métaux et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 4 mai 2018 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur,
M. Savouré, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 31 mai 2018.
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N° 15LY02475, 15LY03278