Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision de l'inspecteur du travail de la Haute-Savoie du 22 janvier 2015 autorisant la société Maison de Famille du Genevois à procéder à son licenciement.
Par un jugement n° 1501474 du 16 décembre 2016, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 26 janvier 2017 et le 11 mai 2017, Mme A..., représentée par la Selarl BJA, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 16 décembre 2016 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision susmentionnée ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les premiers juges ont omis de statuer sur le moyen tiré d'une consultation incomplète de la délégation unique du personnel ;
- la décision de l'inspecteur du travail du 22 janvier 2015 est insuffisamment motivée ;
- la mention sur la décision contestée d'un licenciement économique est erronée ;
- le caractère contradictoire de l'enquête a été méconnu ;
- la présence durant l'entretien préalable à son licenciement d'une juriste non salariée de la société Maison de Famille du Genevois est irrégulière ;
- la délégation unique du personnel a été consultée de manière incomplète quant aux griefs justifiant son licenciement ;
- la matérialité des faits ayant entraîné son licenciement n'est pas établie et aucune faute d'une gravité suffisante n'est démontrée par l'employeur ;
- la demande d'autorisation de licenciement est en lien avec son mandat.
Par des mémoires enregistrés le 2 mai 2017 et le 16 juin 2017, la société Maison de Famille du Genevois, représentée par la Selarl Jacquet-Duval, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme A... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la motivation de la décision de l'inspecteur du travail permet de connaître les éléments de fait et de droit retenus à l'encontre de Mme A... ;
- Mme A... ne saurait utilement invoquer à l'appui de sa demande d'annulation de la décision l'erreur de plume de l'inspecteur qui fait référence à un " licenciement économique " ;
- le caractère contradictoire de l'enquête a été respecté alors que Mme A... ne s'est jamais manifestée pour prendre connaissance des pièces avant l'entretien ;
- Mme C..., juriste sociale salariée de la Maison de FamilleB..., avait qualité pour conduire l'entretien préalable ;
- la nature du licenciement et les griefs formulés à l'encontre de Mme A... sont restés strictement les mêmes entre la consultation de la délégation unique du personnel et celle de l'inspecteur du travail ;
- la matérialité et la gravité des faits reprochés à Mme A... sont établies ;
- la décision de l'inspecteur du travail n'est pas liée au mandat de Mme A....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dèche, rapporteur,
- les conclusions de M. Laval, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... a été recrutée, en qualité d'infirmière, par contrat à durée indéterminée en janvier 2012, par la société Maison de Famille du Genevois, qui gère une maison de retraite médicalisée. Le 20 février 2014, elle a été élue déléguée du personnel titulaire et désignée secrétaire de la délégation unique du personnel. Le 18 décembre 2014, la société Maison de Famille du Genevois a sollicité de l'inspection du travail l'autorisation de la licencier pour faute grave. Par décision du 22 janvier 2015, l'inspecteur du travail de la Haute-Savoie a autorisé son licenciement pour ce motif. Mme A... fait appel du jugement du 16 décembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 22 janvier 2015 de l'inspecteur du travail de la Haute-Savoie.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Mme A... soutient que les premiers juges ont omis de se prononcer sur le moyen tiré de l'irrégularité de la consultation de la délégation unique du personnel. Toutefois, il ressort des mentions du jugement attaqué, et notamment de son considérant 8, que les premiers juges se sont effectivement prononcés sur ce moyen. Par suite, le jugement attaqué n'est pas entaché d'omission à statuer.
Sur la légalité de la décision du 22 janvier 2015 :
3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2421-5 du code du travail : " La décision de l'inspecteur du travail est motivée (...) ".
4. Contrairement à ce que soutient Mme A..., la décision litigieuse énonce de façon suffisamment précise les raisons pour lesquelles son licenciement est autorisé en indiquant notamment qu'elle a refusé tout dialogue, même professionnel, avec de nombreuses collègues et qu'elle s'est montrée agressive et menaçante envers des membres de la direction et des salariés. Le moyen tiré du défaut de motivation doit, dès lors, être écarté.
5. En deuxième lieu, si la décision contestée mentionne dans son objet un " licenciement économique ", il ne peut s'agir que d'une simple erreur de plume, cette même décision visant une demande d'autorisation de licenciement pour faute grave et le reste de la décision explicitant clairement les motifs du licenciement, de sorte qu'aucune ambiguïté ne pouvait raisonnablement naître dans l'esprit de la requérante quant à la nature de son licenciement. Par suite, la mention dans la décision contestée d'un licenciement économique n'est pas de nature à entacher sa légalité.
6. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la note d'information remise aux membres de la délégation unique du personnel en vue de la réunion du 16 décembre 2014 n'exposerait pas tous les griefs retenus à l'encontre de Mme A... justifiant son licenciement, ou exposerait des motifs différents de ceux énumérés dans la demande d'autorisation de licenciement adressée à l'inspection du travail. Par suite, et nonobstant une formulation différente des griefs retenus, le moyen tiré d'une consultation incomplète de la délégation unique du personnel manque en fait.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article R. 2421-11 du code du travail : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat. (...) "
8. Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions mentionnées ci-dessus à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, de mettre à même le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des pièces mises en avant par l'employeur afin d'établir la matérialité des faits allégués à l'appui de sa demande. Si l'administration est tenue de mettre le salarié à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces jointes par l'employeur à l'appui de sa demande d'autorisation, l'administration n'a pas en revanche à communiquer systématiquement l'ensemble des pièces jointes par l'employeur à l'appui de sa demande avant l'entretien. L'inspecteur doit seulement les tenir à la disposition du salarié qui en ferait la demande après avoir été informé de son droit à recevoir la communication de son dossier.
9. Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme A... n'aurait pas été informée de la possibilité de consulter les pièces fournies par son employeur ni qu'elle aurait été dans l'impossibilité de les consulter en intégralité lors de son entretien, le 13 janvier 2015, avec l'inspecteur du travail, avant que ce dernier ne statue sur la demande d'autorisation de licenciement. Par suite, et alors qu'il n'est pas contesté que Mme A... n'a pas formulé de demande de communication des pièces préalablement à cet entretien, le moyen tiré de la méconnaissance du caractère contradictoire de l'enquête préalable doit être écarté.
10. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 1232-2 du code du travail : " L'employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable. / La convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l'objet de la convocation. / L'entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation. ". Aux termes de l'article L. 1232-3 de ce code : " Au cours de l'entretien préalable, l'employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié. " Son article L. 1232-4 ajoute que : " Lors de son audition, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise. / Lorsqu'il n'y a pas représentatives du personnel dans l'entreprise, le salarié peut se faire assister soit par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise, soit par un conseiller du salarié choisi sur une liste dressée par l'autorité administrative. / La lettre de convocation à l'entretien préalable adressée au salarié mentionne la possibilité de recourir à un conseiller du salarié et précise l'adresse des services dans lesquels la liste de ces conseillers est tenue à sa disposition. " Il ne résulte pas de ces dispositions que la présence d'une personne auprès de l'employeur au cours de l'entretien préalable entacherait d'irrégularité la procédure dès lors que celle-ci n'est pas extérieure à l'entreprise.
11. Il ressort des pièces du dossier que Mme C..., juriste en droit social, employée par la société Maisons de Famille B..., société présidente de la société Maison de Famille du Genevois, disposait du mandat adéquat pour conduire l'entretien préalable avec Mme A.... Dès lors, elle n'était pas étrangère à la société Maison de Famille du Genevois, filiale détenue à 100 % par la société Maisons de Famille B.... Par suite, sa présence à l'entretien ne constitue pas un vice de nature à entacher d'irrégularité la procédure de licenciement de Mme A....
12. En sixième lieu, en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions syndicales ou de représentation bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
13. Il ressort des pièces du dossier que l'ambiance de travail au sein de l'infirmerie de la société Maison de Famille du Genevois s'est fortement dégradée dans les mois précédant la décision litigieuse et plusieurs éléments, dont notamment l'enquête lancée le 12 novembre 2014 par le CHSCT, établissent que les problèmes se cristallisaient autour de la personne de la requérante. Si cette dernière soutient être victime de harcèlement moral et de discrimination de la part de collègues et de la direction, elle ne verse aucun élément au dossier suffisamment précis et concordant permettant d'établir la réalité de ces accusations. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que Mme A... a eu des comportements agressifs, voire menaçants auprès de collègues et de la direction, ne permettant pas la résolution de conflits internes et perturbant la communication nécessaire au bon fonctionnement du service. A cet égard, plusieurs attestations versées au dossier, issues de membre de la famille de résidents de la Maison de Famille du Genevois, déplorent, lors d'incidents précis, l'attitude peu professionnelle de Mme A..., ayant entraîné des dysfonctionnements dans la prise en charge des résidents, même s'ils sont restés sans conséquences graves. Par suite, compte tenu de l'ensemble de ces éléments et au regard du comportement de Mme A..., les faits qui lui sont reprochés constituent, dans ces circonstances, une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.
14. En dernier lieu, Mme A..., titulaire d'un mandat de déléguée du personnel, soutient s'être attirée l'hostilité de la direction en raison de son activisme et notamment pour avoir dénoncé plusieurs dysfonctionnements au sein de la société. Toutefois, ces seules allégations, au demeurant non établies, ne permettent pas de démontrer l'existence d'un lien entre la demande de l'autorisation de licencier Mme A... et le mandat qu'elle détient.
15. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande Mme A... au titre des frais exposés par elle.
17. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... le paiement de la somme que la société Maison de Famille du Genevois demande au titre des frais exposés à l'occasion du litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Maison de Famille du Genevois au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A..., à la société Maison de Famille du Genevois et au ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur,
Mme Dèche, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 octobre 2018.
1
4
N° 17LY00402