Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La maison départementale des personnes handicapées (MDPH) de la Nièvre a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner l'Etat à lui verser une somme de 146 254,02 euros, majorée des intérêts de droit à compter du 29 septembre 2014 et de la capitalisation des intérêts, au titre de la compensation financière de postes pour la période de 2006 à 2013.
Par un jugement n° 1403607 du 19 mai 2016, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 4 août 2016, la MDPH de la Nièvre, représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 19 mai 2016 du tribunal administratif de Dijon ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 146 254,02 euros en réparation de son préjudice ;
3°) de mettre à sa charge une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en manquant à ses obligations légales et contractuelles ; alors qu'il devait mettre à sa disposition 12 agents, hors médecins, seuls 11 agents ont été effectivement mis à disposition ; par ailleurs, un agent de l'Etat de catégorie C a été placé en congé de maladie ordinaire, par son administration, à compter du 29 octobre 2012, et n'a pas été remplacé ; en outre, la compensation financière s'agissant des vacations des médecins, n'a été que partiellement effectuée ;
- il existe un différentiel entre ce que l'Etat dit avoir versé et les sommes réellement perçues ;
- il appartient à l'Etat de prendre en charge les revalorisations médicales décidées en commission exécutive ;
- de 2006 à 2010, elle aurait dû recevoir au titre de l'ensemble des compensations de postes par l'Etat, la somme de 356 111,67 euros, mais n'a perçu que 311 888,07 euros, soit un différentiel de 44 223,60 euros ; de 2011 à 2013, elle aurait dû percevoir la somme de 253 675 euros mais n'a reçu que 216 440,18 euros, soit un différentiel de 37 234,82 euros ;
- s'agissant des vacations médicales, elle aurait dû recevoir une indemnisation au titre des 4 000 heures octroyées par l'Etat ; elle a encaissé 307 086 euros au lieu de 371 881,60 euros, soit un différentiel de 64 795,60 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juin 2018, la ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que :
- la MDPH 58 n'est pas partie à la convention constitutive et ne peut valablement rechercher la responsabilité de l'Etat sur le fondement de la responsabilité contractuelle ;
- en tout état de cause, l'Etat n'a pas méconnu ses engagements contractuels et l'appelante ne justifie pas de la réalité de son préjudice.
Par un mémoire, enregistré le 30 juin 2018, la MDPH de la Nièvre, représentée par Me D..., porte ses conclusions indemnitaires à la somme de 236 034 euros au titre du solde des compensations des agents non mis à disposition pour la période de 2010 à 2013 et à 3 000 euros la somme qu'elle demande au titre des frais liés au litige.
Elle soutient que :
- un agent de catégorie B de la DDTEFP n'a jamais été mis à disposition ; en application de la circulaire n° 2006-508 du 4 décembre 2006, l'Etat est redevable de la somme de 186 800 euros pour la période 2010-2013 ;
- un agent est parti à la retraite, un autre est retourné dans son administration d'origine et un troisième a été placé en congé de maladie ordinaire et est décédé en août 2013 ; l'Etat n'a pas entièrement compensé ces absences de mise à disposition et reste redevable d'un solde de 16 234 euros ;
- l'agent placé en congé de maladie n'a jamais été remplacé par l'Etat et aucune compensation financière n'a été versée au cours de cette période ; l'Etat lui doit à ce titre, une somme de 33 000 euros.
Un mémoire produit par la ministre des solidarités et de la santé, enregistré le 13 septembre 2018, et un mémoire produit pour la MDPH de la Nièvre, enregistré le 20 septembre 2018, n'ont pas été communiqués.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lesieux ;
- les conclusions de Mme Gondouin, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. La maison départementale des personnes handicapées (MDPH) de la Nièvre a été constituée, sous la forme d'un groupement d'intérêt public, par convention du 14 décembre 2005 conclue entre l'Etat et le département de la Nièvre. L'article 14 de cette convention stipule que les membres du groupement participent au fonctionnement de la maison départementale, notamment en mettant des personnels à sa disposition. L'annexe 1 à cette convention précise les moyens en personnels que l'Etat s'engage à mettre à la disposition de la MDPH de la Nièvre. Sur ce fondement, une convention relative à la mise à disposition de personnel par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) et par la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP) du département de la Nièvre a été conclue le 4 septembre 2006 entre l'Etat et le département. La MDPH de la Nièvre, estimant que l'Etat ne respectait pas les engagements découlant de ces conventions, a sollicité, par courrier du 29 septembre 2014, l'indemnisation de son préjudice en résultant, au titre des années 2006 à 2013. L'Etat ayant expressément rejeté sa demande, elle a saisi le tribunal administratif de Dijon d'une demande en référé provision et d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser intégralement de son préjudice. Par une ordonnance du 6 mars 2015, confirmée en appel le 27 avril 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande de provision. Par un jugement du 19 mai 2016, dont la MDPH relève appel, le tribunal administratif de Dijon a rejeté ses conclusions indemnitaires.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des pièces du dossier soumis au tribunal que la MDPH de la Nièvre sollicitait, outre l'indemnisation de son préjudice résultant d'une compensation financière insuffisante des postes laissés vacants par les agents de l'Etat, la condamnation de ce dernier au titre des indemnités de vacations médicales dont le taux avait été revalorisé par délibérations de la commission exécutive des 13 septembre 2007 et 22 mars 2012. En omettant de statuer sur ce moyen, alors que ce moyen, s'il avait été fondé, pouvait conduire à l'indemnisation du préjudice subi par la MDPH de la Nièvre, le tribunal administratif a entaché son jugement d'une irrégularité. L'appelante est, par suite, fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Dijon du 19 mai 2016.
3. Dans ces conditions, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la MDPH de la Nièvre devant le tribunal.
Sur l'exception de non-lieu à statuer :
4. Le préfet de la Nièvre fait valoir que la MDPH a obtenu satisfaction dès lors que, à trois reprises, en 2006, 2011 et 2014, l'Etat lui a versé une dotation exceptionnelle ayant eu pour effet d'apurer sa dette à son égard. Toutefois, la MDPH soutient que ces versements n'ont pas été suffisants pour l'indemniser de l'intégralité de son préjudice. Ainsi, la requérante n'ayant pas obtenu entière satisfaction, sa requête n'a pas perdu son objet. L'exception de non-lieu à statuer opposée en défense doit, en conséquence, être écartée.
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne la faute :
5. L'article L. 146-3 du code de l'action sociale et des familles prévoit, afin d'offrir un accès unique des personnes handicapées et de leurs familles aux droits et prestations prévues par la loi, ainsi qu'à toutes les possibilités d'appui dans l'accès à la formation et à l'emploi et à l'orientation vers des établissements et services et de faciliter leurs démarches, la création, dans chaque département, d'une maison départementale des personnes handicapées, chargée notamment d'une mission d'accueil, d'information, d'accompagnement et de conseil des personnes handicapées et de leur famille, ainsi que de sensibilisation de tous les citoyens au handicap et d'assurer à la personne handicapée et à sa famille l'aide nécessaire à la formulation de son projet de vie, l'aide nécessaire à la mise en oeuvre des décisions prises par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, ainsi que l'accompagnement et les médiations que cette mise en oeuvre peut requérir. En application de l'article L. 146-4 du même code, la MDPH est constituée sous la forme d'un groupement d'intérêt public, dont le département assure la tutelle administrative et financière et dont le département, l'Etat et les organismes locaux d'assurance maladie et d'allocations familiales du régime général de sécurité sociale définis aux articles L. 211-1 et L. 212-1 du code de la sécurité sociale sont membres de droit. L'article L. 146-4 de ce code, dans sa rédaction applicable au présent litige, prévoit également que : " La convention constitutive du groupement précise notamment (...) la nature des concours apportés par eux. ". L'article R. 146-17 du même code dispose que : " La convention constitutive comporte obligatoirement les stipulations suivantes : / (...) 5° Nature et montant des concours des membres du groupement à son fonctionnement (...) ".
6. Il résulte de ces dispositions que la participation de l'Etat, comme d'ailleurs celle des autres membres de droit, à l'accomplissement des missions assurées par les MDPH en application de l'article L. 146-3 du code de l'action sociale et des familles, et notamment la participation à leurs coûts de fonctionnement et de personnel, revêt un caractère obligatoire dans son principe et dont la convention constitutive mentionne, conformément à l'article R. 146-17 du même code, à la fois la nature et le montant.
7. Il résulte de l'instruction qu'en vertu de l'annexe 1 à la convention constitutive du groupement d'intérêt public dénommé " maison départementale des personnes handicapées de la Nièvre ", l'Etat s'est engagé à mettre à la disposition de cette structure 6 ETP de la DDASS et 2,9 ETP de la DDTEFP. Par cette même convention, l'Etat s'est engagé à prendre en charge financièrement les vacations médicales de médecins généralistes et spécialistes.
8. Il est constant que, pour la totalité de la période 2006-2013, l'Etat n'est pas parvenu à tenir ses engagements relatifs à la mise à disposition de ses personnels. En particulier, un agent du secteur social est parti à la retraite le 20 septembre 2007, un autre du secteur travail a rejoint son administration d'origine le 1er octobre 2011 et un dernier du secteur travail également, est décédé des suites d'une longue maladie, le 7 août 2013 et n'ont pas été remplacés. Si l'Etat soutient avoir compensé financièrement la vacance de ces postes, ni la convention constitutive, ni son annexe ne comportent de stipulations prévoyant les modalités d'une compensation financière en cas de non-respect par l'une des parties de ses engagements en matière de mise à disposition de personnels.
9. Par ailleurs, l'Etat ne peut utilement faire valoir qu'il avait posé comme réserve, lors de la définition de sa participation au groupement d'intérêt public, les contraintes liées à des objectifs possibles de performance ni que le principe de l'annualité budgétaire s'opposerait à un engagement pluriannuel de l'Etat. Il ne résulte en effet pas de l'instruction que la convention constitutive de la MDPH de la Nièvre aurait été modifiée par avenants, à la demande de l'Etat, pour tenir compte de ses contraintes.
10. Il en résulte que la MDPH de la Nièvre est fondée à soutenir que l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en ne respectant pas ses engagements en matière de mise à disposition de personnels.
11. En revanche, il résulte de l'instruction que l'Etat a rémunéré les vacations médicales comme il s'y était engagé dans la convention constitutive. La requérante soutient cependant que la commission exécutive, dont l'Etat est membre de droit, a adopté à l'unanimité, les 13 septembre 2007 et 22 mars 2012, une augmentation du taux de ces vacations que l'Etat n'a pas prise en charge. Toutefois, il ne résulte d'aucune stipulation de la convention constitutive, qui n'a pas été modifiée par avenant sur ce point, d'obligation pesant sur l'Etat de tenir compte des revalorisations des vacations médicales décidées par la commission exécutive. Par suite, la MDPH de la Nièvre n'est pas fondée à soutenir que l'Etat aurait commis une faute, à ce titre, de nature à engager sa responsabilité.
En ce qui concerne le préjudice :
12. Il résulte de l'instruction que depuis 2007, la MDPH de la Nièvre reçoit annuellement de l'Etat une dotation comprenant une compensation financière pour les personnels ayant quitté la structure. Ainsi, l'Etat a versé une compensation financière notamment pour le départ à la retraite de MmeA..., le 20 septembre 2007. Il résulte de l'instruction que si, en 2008, cette dotation n'avait pas été ajustée en année pleine, cette situation a été régularisée postérieurement. Ainsi pour la période 2006-2010, une somme globale de 372 376 euros a été versée à la MDPH de la Nièvre au titre de la compensation des postes vacants faisant apparaître un trop-perçu de 27 701 euros.
13. A partir de 2011, des conventions de financement ont été conclues chaque année entre l'Etat et la MDPH de la Nièvre détaillant les modalités de versement de la contribution financière due par l'État au titre des frais de fonctionnement, de la compensation des postes et du fonds de compensation du handicap. Il résulte de l'instruction que le retour de Mme B...dans son administration d'origine à compter du 1er octobre 2011 a fait l'objet d'une compensation financière. De la même manière, l'Etat a compensé financièrement, à compter de 2013, la vacance de poste de MmeC..., décédée en août 2013. Contrairement à ce que soutient la MDPH, s'il appartient à l'Etat de compenser financièrement les vacances de poste, il ne lui appartient pas d'indemniser la MDPH des absences de ses agents, y compris lorsque celles-ci sont justifiées par un congé de maladie.
14. Pour soutenir que les compensations financières accordées par l'Etat auraient été insuffisantes, la MDPH se borne à invoquer les dispositions de la circulaire ministérielle du 4 décembre 2006 relative aux personnels mis à disposition par l'Etat. Toutefois, cette circulaire, dépourvue de valeur réglementaire, ne peut être utilement invoquée par la requérante, qui n'établit pas que les sommes versées par l'Etat auraient été insuffisantes pour pallier, entre 2006 et 2013, la vacance des postes et lui permettre d'assumer les missions que la loi lui a confiées.
15. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il besoin d'examiner les fins de non-recevoir ni l'exception de prescription quadriennale opposées en défense, que les conclusions indemnitaires de la MDPH de la Nièvre doivent être rejetées ainsi que par voie de conséquence, les conclusions qu'elle présente au titre des frais liés au litige.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1403607 du 19 mai 2016 du tribunal administratif de Dijon est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la MDPH de la Nièvre ainsi que le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la maison départementale des personnes handicapées de la Nièvre et à la ministre des solidarités et de la santé.
Délibéré après l'audience du 13 décembre 2018, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président de chambre,
Mme Michel, président-assesseur,
Mme Lesieux, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 10 janvier 2019.
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N° 16LY02810