Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. et Mme A...B..., agissant en leur qualité de représentants légaux de leur fils E...B..., représentés par MeG..., ont demandé dans le dernier état de leurs écritures le 27 avril 2015 au tribunal administratif de Grenoble :
1°) de condamner la commune de l'Isle d'Abeau à leur verser, en qualité de représentants légaux de leur fils E...B..., la somme totale de 41 339,60 euros au titre des préjudices subis suite à l'accident survenu le 21 janvier 2011 ;
2°) de mettre à la charge de la commune de l'Isle d'Abeau une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Isère a présenté des conclusions tendant à la condamnation de la commune de l'Isle d'Abeau à lui verser les sommes de 2 186,93 euros au titre des prestations versées, de 728,08 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et de 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Par un jugement n° 1407681 du 27 décembre 2016, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de M. et Mme B...et les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère.
Procédure devant la cour
Par une requête et des mémoires enregistrés les 9 février 2017, 7 mars 2017, 22 décembre 2017, et le 19 novembre 2018, M. et MmeB..., agissant en leur qualité de représentants légaux de leur fils E...B..., représentés par MeG..., demandent, dans le dernier état de leurs écritures, à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1407681 du tribunal administratif de Grenoble du 27 décembre 2016 ;
2°) de condamner la commune de l'Isle d'Abeau à payer à Monsieur E...B..., représenté par ses parents en qualité de représentants légaux, M. et MmeB..., les sommes suivantes au titre de sa responsabilité dans l'accident dont il a été victime :
- 19 879,60 euros au titre des préjudices patrimoniaux,
- 21 460,00 euros au titre des préjudices extra-patrimoniaux ;
3°) à titre subsidiaire, de " dire et juger ", si une faute devait être retenue contre E...B..., que cette faute n'est pas la cause exclusive du dommage et condamner la commune de l'Isle d'Abeau en conséquence ;
4°) en tout état de cause, de mettre à la charge de la commune de l'Isle d'Abeau la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la responsabilité sans faute de la commune de l'Isle d'Abeau est engagée envers E...B..., tiers, victime de la chute de panneaux électoraux appartenant à la commune ;
- la responsabilité de la commune de l'Isle d'Abeau est engagée pour défaut d'entretien normal ;
- la commune de l'Isle d'Abeau a commis une faute en entreposant les panneaux électoraux, dont elle est propriétaire, contre le mur d'enceinte de l'école le Petit Prince ;
- la faute de la commune est caractérisée : les panneaux étaient manipulés par le gardien de l'école, dont l'employeur est la municipalité, qui ne disposait d'aucune consigne de sécurité destinée à prévenir d'un tel accident ;
- aucune signalisation ni zone de sécurité n'avaient été prévues pour avertir les usagers de l'école du " Petit Prince " du danger que présentaient ces panneaux ; la zone d'entreposage était accessible à tous ;
- le jeune E...n'a pas commis de faute et ne peut pas, compte tenu du poids des panneaux, être à l'origine de leur chute ;
- si une faute devait être retenue à l'encontre deE..., une telle faute ne permettrait pas d'exonérer totalement l'autorité administrative mise en cause ; dès lors, s'il était retenu que les panneaux sont tombés en raison d'un geste de la victime, cette faute n'étant pas la cause exclusive du préjudice subi, la commune ne pourrait être exonérée que partiellement ;
- le vent soufflait fort le jour de l'accident, et a pu faire basculer les panneaux, sans que cela soit un événement extérieur, imprévisible et irrésistible ;
- il existe un lien de causalité entre la faute de la commune et le dommage subi par le jeuneE... : plusieurs lésions étant en relation directe, certaine et exclusive avec l'accident ;
- le certificat établi le 23 janvier 2011 mentionne une fracture non déplacée du tibia droit, une fracture déplacée du péroné droit, un traumatisme crânien avec plaie frontale droite, un traumatisme facial avec multiples dermabrasions et fixe l'interruption temporaire de travail à 45 jours ;
- E...reste atteint de séquelles après l'accident ;
- E...a subi plusieurs préjudices patrimoniaux temporaires, dont un préjudice scolaire d'un montant de 10 707 euros ; du fait de son jeune âge, l'assistance d'une tierce personne a été nécessaire du 21 au 23 janvier 2017 pour incapacité totale, puis du 24 janvier au 24 février 2011 car il a été en fauteuil roulant, soit 26 jours ; l'assistance a été nécessaire sept heures par jour, les jours de semaine, et le tarif horaire est de 20 euros de l'heure, soit un montant total de 3 640 euros ;
- E...a subi plusieurs préjudices patrimoniaux permanents, si bien qu'il devrait deux fois par an faire réaliser une talonnette gauche ou une semelle au vu de l'inégalité de ses membres inférieurs ; le prix moyen d'une semelle orthopédique est de cent euros ; la valeur du point attribué dans le cas de E...par le tableau d'indexation d'une rente viagère pour un homme est 27,663 euros, soit un montant total de 5 532,60 euros ;
- E...a subi plusieurs préjudices extra-patrimoniaux et notamment un déficit fonctionnel temporaire de 3 jours à 100 %, soit 69 euros, 31 jours à 75 %, soit 525 euros, 95 jours à 30 %, soit 657,60 euros et 339 jours à 10 % soit 709,20 euros ; soit un montant total de 1960 euros ;
- E...subit également une incapacité permanente partielle ; il présente des douleurs à la jambe droite, il boite s'il marche trop longtemps, il peut encore jouer au football mais de manière moins performante et moins longtemps qu'avant l'accident, il a des douleurs frontales avec céphalées, ses performances en course sont diminuées, si bien que l'expert a estimé cette incapacité à 5 %, pour un point évalué à 2 100 euros, soit la somme totale de 10 500 euros ;
- l'expert a relevé l'existence de plusieurs sutures de plaies de visage, la réduction d'une fracture de la jambe droite sous anesthésie, et a évalué les souffrances endurées à 2/7 ; la somme de 3 000 euros doit lui être allouée au titre de son pretium doloris ;
- la somme de 5 000 euros doit être allouée à E...au titre de son préjudice d'agrément car avant l'accident il jouait beaucoup au football même s'il n'était pas affilié à un club déterminé, et depuis l'accident ses performances au football sont diminuées ;
- sur le préjudice esthétique, l'expert a confirmé que E...a une cicatrice au-dessus de la paupière droite, et qu'il souffre d'une boiterie, donc la somme de 1 000 euros doit lui être versée à ce titre ;
Par des mémoires enregistrés les 17 mai 2017 et 10 avril 2018, la commune de l'Isle d'Abeau, représentée par Me GRABARCZYK, demande à la cour :
1°) de confirmer le jugement rendu par le tribunal administratif de Grenoble le 27 décembre 2016 et débouter M. et Mme B...de leur demande ;
2°) de constater, à titre principal, que E...B...a commis une faute, cause exclusive du dommage dont il a été victime ;
3°) de constater, à titre subsidiaire, si une faute devait être retenue à la charge de la commune de l'Isle d'Abeau, que E...B...a commis une faute à l'origine de son préjudice et que les sommes sollicitées doivent, par conséquent, être réduites ;
4°) de mettre à la charge de M. et Mme B...le versement à la commune de l'Isle d'Abeau de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- les requérants ne peuvent se prévaloir de la responsabilité sans faute de la victime alors que celle-ci ne bénéficie qu'aux tiers victimes d'un dommage de travaux publics ou de choses dangereuses ; un ouvrage public étant nécessairement immobilier, les panneaux en cause ne peuvent revêtir une telle qualification puisqu'ils n'étaient pas fixés au sol ; de plus, la victime avait connaissance du lieu d'entreposage habituel des panneaux, à l'écart du passage ;
- la commune de l'Isle d'Abeau avait la garde des panneaux électoraux au sens de l'article 1242 du code civil, cependant la faute de la victime exonère totalement le gardien à la condition de présenter les caractères d'un événement de force majeure, soit l'imprévisibilité et l'irrésistibilité ;
- le gardien de la chose est partiellement exonéré s'il prouve que la faute de la victime a contribué au dommage ; tel est le cas en l'espèce puisque le garçon se trouvait en dehors de l'enceinte scolaire et en dehors des horaires scolaires ; il était donc sous la responsabilité et la surveillance de ses parents ; les panneaux sont tombés en raison d'un geste de la victime ; le vent n'est pas la cause de la chute des panneaux qui étaient entreposés sur leur tranche la plus large ; et le jouet se trouvait entre l'avant-dernier et le dernier panneau, donc l'enfant a dû déplacer les panneaux pour le récupérer ; dès lors, la responsabilité pour faute de la commune ne saurait être engagée ;
- l'expert n'a pas retenu de préjudice scolaire, l'enfant n'ayant pas redoublé et ayant pu reprendre l'école, si bien qu'il convient de débouter les requérants de leurs prétentions à ce titre ;
- les requérants n'ont pas apporté de preuve relative à une prise en charge par une tierce personne, et l'expert a retenu une incapacité temporaire partielle de 75 % pour la période d'un mois pendant laquelle la victime avait bénéficié d'un fauteuil roulant ; il y a donc lieu de débouter la demande d'indemnisation pour assistance par une tierce personne ;
- concernant les préjudices patrimoniaux permanents, la somme réclamée doit être réduite car la croissance de la victime n'étant pas terminée, l'inégalité peut être évolutive et il est d'usage pour les adolescents de faire une expertise en fin de croissance ;
- il convient d'appliquer la jurisprudence de la cour concernant le déficit fonctionnel temporaire ;
- la somme réclamée par les demandeurs pour l'incapacité permanente partielle est exagérée, l'expert a retenu une attitude scoliotique de la victime et a demandé des radiographies de sa hanche pour s'assurer qu'il n'existe pas de pathologie autre située à ce niveau-là, et les parents n'ont jamais fait réaliser une talonnette gauche prescrite ;
- concernant l'indemnisation du pretium doloris, il y a lieu d'appliquer la jurisprudence de la cour en la matière ;
Les parties ont été informées, le 16 novembre 2018, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la solution du litige était susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions des époux B...relatives à l'existence d'une faute dès lors que leur demande en appel fondée sur la faute relève d'une cause juridique nouvelle.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Cottier, premier conseiller ;
- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public ;
- et les observations de Me C...subsituant Me Grabarczyk, avocat de la commune de l'Isle d'Abeau.
1. Considérant que, le 21 janvier 2011 vers 17 h, le jeune E...B..., âgé de 10 ans, scolarisé au sein du groupe scolaire " le petit Prince " situé dans la commune de l'Isle d'Abeau, est resté après les cours dans l'enceinte de l'école pour jouer ; que la voiture miniature avec laquelle il jouait s'étant glissée sous les panneaux électoraux qui avaient été stockés contre le mur des locaux scolaires, il a cherché à la récupérer ; qu'il a alors été sérieusement blessé par la chute de cinq des onze panneaux électoraux ; que M. et Mme B...ont recherché devant le tribunal administratif de Grenoble la responsabilité de la commune de l'Isle d'Abeau sur le terrain des dommages de travaux publics, soit que leur fils ait la qualité de tiers par rapport à l'ouvrage public que constitue le bâtiment scolaire soit qu'il ait la qualité d'usager de cet ouvrage ; que le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande ainsi que les conclusions formulées par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère au titre des débours versés ; que M. et Mme B... font appel de ce jugement ;
Sur la responsabilité :
En ce qui concerne le terrain des dommages de travaux publics :
S'agissant de la responsabilité sans faute de la commune de l'Isle d'Abeau
2. Considérant que le jeune E...B...scolarisé dans l'établissement et étant resté jouer seul au sein de celui-ci, alors même que les cours étaient terminés et qu'il n'avait aucune activité périscolaire, doit être regardé comme étant, lors de la survenue de l'accident, usager de l'ouvrage public constitué par le groupe scolaire " le petit Prince " ; que, par suite, les époux B...ne sauraient se prévaloir de ce que leur enfant avait la qualité de tiers par rapport à l'ouvrage public ni rechercher à ce titre l'engagement de la responsabilité sans faute de la commune ;
S'agissant de la responsabilité de la commune de l'Isle d'Abeau pour défaut d'entretien normal d'un ouvrage public :
3. Considérant que la responsabilité de la personne publique maître d'un bien à l'égard de l'usager qui a été victime d'un dommage imputé à ce bien n'est engagée de plein droit pour défaut d'entretien normal, sans que l'intéressé ait à établir l'existence d'une faute à la charge de cette personne publique, qu'à la condition que le dommage soit imputable à un bien immobilier, seul susceptible de recevoir la qualification d'ouvrage public ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment de l'enquête pénale diligentée après l'accident que les panneaux électoraux, avant de tomber sur le jeune E...B..., étaient simplement posés contre le mur de façade à l'entrée du groupe scolaire sans être fixés au sol ; que, par suite, en l'absence de toute fixation au sol lors de l'accident, ces panneaux ne présentent pas un caractère immobilier ; qu'ils ne peuvent, en outre, être regardés comme un accessoire de l'ouvrage public constitué par l'établissement scolaire ; que, par suite, les requérants ne peuvent utilement soutenir que l'absence de signalisation de ces panneaux ou de protection contre leur chute caractériserait un défaut d'entretien normal de l'ouvrage public ; que les requérants n'évoquent pas d'autre aménagement défectueux de l'établissement scolaire qui aurait été à l'origine de l'accident dont a été victime le jeune E...B...; que cet accident n'est donc pas imputable à un ouvrage public ; que, dès lors, M. et Mme B...ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité de la commune sur le fondement du défaut d'entretien normal d'un ouvrage public ;
En ce qui concerne la faute commise par la commune de l'Isle d'Abeau :
5. Considérant que si M. et Mme B...soutiennent que le dommage dont ils demandent réparation serait imputable à une faute de nature, selon eux, à engager la responsabilité de la commune pour n'avoir pas pris les mesures de sécurité appropriées, ils se fondent à cet égard sur une cause juridique distincte de celle de la demande qu'ils avaient présentée contre cette collectivité devant le tribunal administratif, et qui était fondée sur la responsabilité pour dommages de travaux publics, qu'il s'agisse du défaut d'entretien normal d'un ouvrage public dans le cas où E...B...serait reconnu comme usager ou de la responsabilité sans faute de la commune dans le cas où il serait reconnu comme un tiers par rapport à l'ouvrage public ; que leurs conclusions formulées en appel ont ainsi le caractère d'une demande nouvelle qui n'est, par suite, pas recevable ;
6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande indemnitaire ;
Sur les frais liés au litige :
7. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de l'Isle d'Abeau qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. et Mme B...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la commune de l'Isle d'Abeau à l'encontre de M. et Mme B...au titre du même article ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme B...est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la commune de l'Isle d'Abeau formulées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B..., à Mme D...F...épouseB..., à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère, à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône et à la commune de l'Isle d'Abeau.
Délibéré après l'audience du 6 décembre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Pommier, président de chambre,
M. Drouet, président-assesseur,
Mme Cottier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 10 janvier 2019.
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N° 17LY00665