Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B...C...a demandé au tribunal administratif de Grenoble :
1°) d'annuler l'arrêté du 20 mars 2015 par lequel le président du conseil départemental de Savoie a mis fin à son détachement à compter du 27 mars 2015 ;
2°) d'enjoindre au président du conseil départemental de Savoie de reconstituer sa carrière dans son emploi de détachement à compter du 28 mars 2015, de lui verser la rémunération à laquelle il avait droit et de retirer de son dossier administratif les actes afférents à la fin anticipée de son détachement ;
3°) de condamner le département de la Savoie à lui verser la somme de 50 000 euros en indemnisation de ses préjudices ;
4°) de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
5°) de prescrire la publication du jugement dans des journaux locaux et nationaux.
Par un jugement n° 1505404 du 7 juillet 2017, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 septembre 2017 et 20 décembre 2018, M.C..., représenté par Me Brocas, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 7 juillet 2017 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 20 mars 2015 par lequel le président du conseil départemental de Savoie a mis fin à son détachement à compter du 27 mars 2015 ;
3°) d'enjoindre au président du conseil départemental de Savoie de reconstituer sa carrière dans son emploi de détachement à compter du 28 mars 2015, de lui verser les rémunérations correspondantes et de mettre à jour son dossier administratif ;
4°) de condamner le département de la Savoie à lui verser la somme de 50 000 euros en indemnisation de ses préjudices ;
5°) d'ordonner la publication du jugement dans les journaux d'annonces légales nationaux et locaux ;
6°) de mettre à la charge du conseil départemental de Savoie une somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- ses conclusions indemnitaires étaient recevables, dès lors qu'il les a régularisées en présentant une demande préalable le 25 septembre 2015 ;
- en tant qu'il met fin à son détachement, l'arrêté en litige est entaché d'un vice de procédure ;
- cet arrêté en litige est insuffisamment motivé ;
- cet arrêté est entaché d'erreur de fait en ce qu'il se réfère à " des " entretiens professionnels annuels ;
- les éléments retenus à son encontre pour justifier la perte de confiance ne sont pas établis ;
- cet arrêté est entaché de détournement de pouvoir ;
- l'arrêté en litige, en tant qu'il le maintient en surnombre dans la collectivité, est illégal, en ce qu'aucun poste correspondant à son grade ne lui a été proposé ;
- l'arrêté en litige, en tant qu'il retire l'arrêté du 27 février 2019, est dépourvu de motivation ;
- ce retrait est irrégulier ;
- ce retrait, décidé dans le seul but de lui nuire, procède d'un détournement de pouvoir ;
- le préjudice moral qu'il a subi en raison de faits constitutifs de harcèlement moral qu'il a subis depuis octobre 2014 justifie le versement d'une indemnité de 15 000 euros ;
- il a subi une perte de crédibilité entraînant un préjudice professionnel, en réparation duquel il est fondé à demander la condamnation du département de la Savoie à lui verser une indemnité de 15 000 euros ;
- étant dépourvu d'emploi, il a subi un préjudice financier d'un montant de 20 000 euros.
Par un mémoire en défense, régularisé le 27 juin 2019, enregistré le 12 novembre 2018, le conseil départemental de Savoie, représenté par MeA..., conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- à titre principal, les conclusions indemnitaires de la requête sont irrecevables ;
- à titre subsidiaire, aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Nathalie Peuvrel, première conseillère,
- les conclusions de M. Pierre Thierry, rapporteur public,
- et les observations de Me Brocas, avocat de M.C..., et celles de Me Vernes, avocat du département de la Savoie.
Considérant ce qui suit :
1. M. B...C..., titulaire du grade de directeur territorial, a été détaché pour une durée de cinq ans sur l'emploi fonctionnel de directeur général adjoint à la vie sociale du département de la Savoie à compter du 1er décembre 2012. Par courrier du 27 novembre 2014, reçu le 3 décembre 2014, M. C...a été convoqué pour un entretien préalable à la date du 11 décembre 2014. Un arrêté du 27 février 2015 lui a notifié la fin de son détachement, sa réintégration dans le cadre d'emplois des attachés territoriaux et son affectation dans un emploi correspondant à son grade à compter du 28 mars 2015. Cet arrêté a été retiré par un second arrêté du 20 mars 2015, par lequel le président du conseil départemental a mis fin à son détachement à compter du 27 mars 2015, l'a réintégré dans le cadre d'emplois des attachés territoriaux et l'a maintenu en surnombre dans la collectivité pendant une année. L'intéressé a exercé un recours gracieux contre cet arrêté le 19 mai 2015, qui a été rejeté par le président du conseil départemental le 26 juin 2015. Par un jugement n° 1505404 du 7 juillet 2017, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de M. C...tendant, d'une part, à l'annulation de l'arrêté du 20 mars 2015 et à ce qu'il soit enjoint au président du conseil départemental de la Savoie de reconstituer sa carrière dans son emploi de détachement à compter du 28 mars 2015, de lui verser la rémunération correspondante et de retirer de son dossier administratif les actes afférents à la fin anticipée de son détachement et, d'autre part, à ce que le département de la Savoie soit condamné à lui verser la somme de 50 000 euros en indemnisation de ses préjudices. M. C...relève appel de ce jugement.
Sur la légalité de l'arrêté du président du conseil départemental de Savoie du 20 mars 2015 :
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté en tant qu'il met fin au détachement de M. C... :
2. Aux termes de l'article 53 de la loi susvisée du 26 janvier 1984, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté en litige : " (...) Il ne peut être mis fin aux fonctions des agents occupant les emplois mentionnés ci-dessus, sauf s'ils ont été recrutés directement en application de l'article 47, qu'après un délai de six mois suivant soit leur nomination dans l'emploi, soit la désignation de l'autorité territoriale. La fin des fonctions de ces agents est précédée d'un entretien de l'autorité territoriale avec les intéressés et fait l'objet d'une information de l'assemblée délibérante et du Centre national de la fonction publique territoriale ; elle prend effet le premier jour du troisième mois suivant l'information de l'assemblée délibérante. ".
3. Il y a lieu pour la cour, en premier lieu, d'écarter, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges et non pertinemment contestés par M.C..., les moyens tirés de ce que l'arrêté en litige serait entaché de vice de procédure et de défaut de motivation.
4. En deuxième lieu, l'arrêté en litige se réfère aux difficultés rencontrées par M. C... dans l'exercice de ses missions et indique qu'elles ont été abordées à l'occasion des entretiens professionnels annuels. A supposer même que M. C...n'ait eu qu'un entretien professionnel entre la date de sa prise de fonctions et celle de la fin de son détachement, l'erreur de fait commise sur ce point dans l'arrêté en litige est sans incidence sur la légalité de la décision du président du conseil départemental de mettre fin à son détachement.
5. En troisième lieu, M. C...soutient qu'aucun fait suffisamment grave et précis ne peut lui être reproché, justifiant une perte de confiance de la collectivité à son encontre. Toutefois, d'une part, si les attestations produites par le département ne respectent pas le formalisme prescrit, leur authenticité ne peut être sérieusement mise en cause, comme en ont jugé à bon droit les premiers juges, dès lors qu'elles font état de situations et de griefs précis, que le requérant ne remet d'ailleurs pas en cause et auxquels il répond point par point. D'autre part, il ressort de ces attestions, qui sont concordantes avec le compte rendu d'entretien professionnel pour l'année 2013 et le premier semestre 2014 rédigé par le directeur général des services en juillet 2014, que l'intéressé, qui n'établit pas que les élues déléguées à l'action sociale ne se rendaient pas disponibles en dépit de ses sollicitations, a montré des connaissances professionnelles insuffisantes dans le domaine de l'action sociale, une tendance à se positionner comme observateur plutôt que comme acteur, des difficultés pour adresser aux deux élues déléguées à l'action sociale, au directeur général des services et à ses collaborateurs des propositions d'actions et pour définir des priorités et des objectifs, une absence de vision stratégique de l'action sociale du département et, en dépit d'un accompagnement personnalisé mis en place pour l'aider, des difficultés managériales.
6. Par ailleurs, si le compte rendu d'évaluation professionnelle mentionné ci-avant se présente comme un projet, il ressort des pièces du dossier que cette note a été transmise à M. C... au plus tard par courrier du directeur général des services du 3 octobre 2014, lequel indique que ce document " restera à l'état de projet " jusqu'à la date d'engagement de la procédure de décharge de fonction. Dès lors, l'engagement de cette procédure le 27 novembre 2014 a eu pour effet de finaliser ce compte rendu d'entretien professionnel et de lui faire perdre sa qualification de " projet ".
7. Le requérant soutient, en outre, qu'aucune fiche de poste ni aucune ligne directrice ne lui ont été transmises, en violation de l'article 6 du décret n° 2014-1526 du 16 décembre 2014 relatif à l'appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires territoriaux. Toutefois, l'intéressé n'établit ni même n'allègue avoir demandé en vain ces documents, alors que le département verse aux débats une liste d'objectifs intitulée " Point avec Olivier C...le 12/12/12 " et que le compte rendu d'évaluation professionnelle, qui lui a été notifié, se réfère aux objectifs " fixés lors de la prise de poste de l'intéressé en décembre 2012 ".
8. M. C...expose enfin qu'en décembre 2014, postérieurement à la mise en oeuvre de la procédure de fin de détachement, il a été promu et que son régime indemnitaire a augmenté, ce qui montre, selon lui, qu'aucun reproche ne lui était fait par la collectivité. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la promotion dont il fait état constitue en réalité un avancement automatique au chevron supérieur. Par ailleurs, si la part " résultats " de son régime indemnitaire a augmenté en 2014, la modicité de cette progression, d'un montant de 130 euros annuels, ne permet pas d'établir que M. C...aurait atteint les objectifs qui lui étaient assignés.
9. En quatrième lieu, M. C...peut être regardé comme soutenant que l'arrêté en litige est entaché de détournement de pouvoir.
10. Il expose d'abord que le projet d'évaluation professionnelle défavorable est en lien direct avec une différence d'appréciation avec le directeur général des services sur certains objectifs. Toutefois, il ne produit pas le moindre élément permettant de corroborer cette assertion.
11. M. C...soutient ensuite que la décision de mettre fin à son détachement avant son terme a été prise de manière précipitée, avant les élections départementales, intervenues les 22 et 29 mars 2015, dans le but de ne pas devoir proroger le terme de la fin du détachement de six mois suivant la désignation de l'autorité délibérante, comme le prévoit l'article 53 précité de la loi du 26 janvier 1984. Il ressort, toutefois, des pièces du dossier que l'intention de la collectivité de mettre fin à son détachement lui a été annoncée dès le 9 septembre 2014, comme l'indique le courrier du 3 octobre 2014 par lequel le directeur général des services a accepté de différer au 31 décembre 2014 l'engagement de la procédure de décharge de fonctions pour laisser le temps à l'intéressé de chercher un autre poste. Si la convocation à un entretien préalable lui a finalement été adressée dès le 27 novembre 2014 en raison de l'avancement de la date initialement prévue pour les élections départementales, afin d'éviter de repousser de six mois le terme de son détachement, cette circonstance, qui ne l'a privé d'aucune garantie, n'est, en tout état de cause, pas de nature à démontrer que l'arrêté en litige aurait été pris dans un but autre que la décharge de fonctions pour perte de confiance.
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté en tant qu'il retire l'article 3 de l'arrêté du 27 février 2019 affectant M. C...dans un emploi correspondant à son grade à compter du 28 mars 2015 et le maintient en surnombre dans la collectivité :
12. Le dernier considérant de l'arrêté du 27 février 2015 disposait que " (...) à la date à laquelle il est mis fin aux fonctions de Monsieur B...C..., il existe au tableau des effectifs de la collectivité un emploi vacant correspondant au grade de directeur territorial ". L'article 3 de cet arrêté, que retire l'article 1er de l'arrêté en litige du 20 mars 2015, disposait que " Monsieur B...C...est affecté dans un emploi correspondant à son grade de directeur territorial à compter du 28 mars 2015 ". Il ressort des pièces du dossier que le poste auquel devait ainsi être affecté M. C...était celui de directeur de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH).
13. Pour justifier le retrait de cette décision d'affectation, le département fait valoir que l'arrêté du 27 février 2015 a été retiré au motif qu'il préjugeait de la vacance du poste de directeur de la MDPH, dans la mesure où l'intérim de la direction entre le départ effectif de l'ancien directeur, à la fin du mois de novembre 2014, et sa mise à la retraite, le 1er mars 2015, faisait l'objet d'une expérimentation consistant en une direction conjointe de la MDPH par la déléguée départementale pour les personnes âgées et les personnes handicapées et le chef du service " Vie à domicile et prestations personnes handicapées ". Selon le résultat de l'expérimentation, le poste de directeur de la MDPH devait soit être déclaré vacant, soit être redéployé, soit être supprimé. Toutefois, l'affectation de M. C...sur ce poste par l'article 3 de l'arrêté du 27 février 2015 constitue une décision créatrice de droits qui ne pouvait être retirée, dans le délai de quatre mois, qu'en raison de son illégalité ou, le cas échéant, sur demande de M.C..., mais pas pour des motifs d'opportunité. Le département de Savoie ne démontre ni même n'allègue que cette disposition de l'arrêté du 27 février 2015 a été retirée en raison de son illégalité. Dans ces conditions, l'arrêté du 20 mars 2015 est illégal en tant qu'il retire l'article 3 de l'arrêté du 27 février 2015 et en tant qu'il maintient M. C...en surnombre.
Sur les conclusions indemnitaires, sans qu'il soit besoin de statuer sur leur recevabilité :
14. En premier lieu, M. C...ne produit pas d'élément laissant présumer l'existence, à son encontre, de faits constitutifs de harcèlement moral. Il ne résulte pas de l'instruction que la fin anticipée de son détachement constituerait en tant que telle un élément de harcèlement moral. Par suite, il n'est pas fondé à demander une indemnité de 15 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il allègue avoir subi de ce fait depuis octobre 2014.
15. En deuxième lieu, M. C...soutient qu'il a tenté de postuler sur de nombreux emplois, mais que l'arrêté du 20 mars 2015, ainsi que la longue période d'inactivité qui s'en est suivie, ont grevé ses possibilités de carrière et que la décision du département a conduit à une perte de crédibilité auprès de ses réseaux, faits justifiant selon lui la condamnation du département de Savoie à lui verser une indemnité en réparation du préjudice professionnel subi. Toutefois, il ne produit aucune pièce de nature à démontrer qu'il aurait cherché en vain un poste. Par ailleurs, s'il soutient que le département a dévalorisé ses candidatures auprès des collectivités auprès desquelles il a postulé, l'empêchant ainsi de trouver un nouvel emploi, il ne produit pas davantage d'élément au soutien de cette affirmation.
16. En troisième et dernier lieu, M. C...sollicite le versement de 20 000 euros au titre du préjudice financier qu'il allègue avoir subi du fait de la diminution conséquente de sa rémunération. Toutefois, aucune des pièces versées aux débats ne permet d'établir la réalité de ce préjudice.
17. Il résulte de tout ce qui précède que M. C...est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 20 mars 2015 du président du conseil départemental de Savoie en tant qu'il retire l'article 3 de l'arrêté du 27 février 2015 et en tant qu'il le maintient en surnombre.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
18. L'annulation, par le présent arrêt, de l'arrêté du 20 mars 2015 en tant qu'il retire l'article 3 de l'arrêté du 27 février 2015 et en tant qu'il maintient M. C...en surnombre n'implique pas sa réintégration dans l'emploi de directeur général adjoint à la vie sociale du département de la Savoie ni la reconstitution de sa carrière dans cet emploi. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par M. C...doivent être rejetées.
Sur les conclusions tendant à ce que la cour ordonne la publication du jugement dans les journaux d'annonces légales nationaux et locaux :
19. Il y a lieu de rejeter ces conclusions pour les motifs retenus à bon droit par les premiers juges, qui ne sont pas critiqués par le requérant.
Sur les frais liés au litige :
20. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 1er de l'arrêté du 20 mars 2015 du président du conseil départemental de Savoie en tant qu'il retire l'article 3 de l'arrêté du 27 février 2015 et l'article 4 de cet arrêté du 20 mars 2015 sont annulés.
Article 2 : Le jugement n° 1505404 du 7 juillet 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...C...et au conseil départemental de Savoie.
Copie en sera adressée au préfet de la Savoie.
Délibéré après l'audience du 2 juillet 2019, à laquelle siégeaient :
M. Jean-François Alfonsi, président de chambre,
Mme Virginie Chevalier-Aubert, présidente assesseure,
Mme Nathalie Peuvrel, première conseillère.
Lu en audience publique, le 23 juillet 2019.
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N° 17LY02465
mg