Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. et Mme A... E... ont demandé au tribunal administratif de Dijon de prononcer la décharge du complément d'impôt sur le revenu auquel ils ont été assujettis au titre de l'année 2010, ainsi que des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1602176 du 29 décembre 2017, le tribunal administratif de Dijon a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 19 mars 2018 et le 12 juillet 2019, M. et Mme E..., représentés par Me F..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 29 décembre 2017 ;
2°) de prononcer la décharge de cette imposition et des pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. et Mme E... soutiennent que :
- la proposition de rectification qui leur a été adressée est insuffisamment motivée ; en particulier, elle ne se prononce pas sur la possibilité pour M. E... de revendiquer le bénéfice des dispositions de l'article 150-0 D ter du code général des impôts en tant que cofondateur, conformément à ce qu'admet l'instruction administrative 5 C-1-07 du 22 janvier 2007 ;
- Mme E..., qui assurait les fonctions de directeur général délégué de la société Etablissements Jean E... SA depuis 2002 et qui a été nommée directeur général lors de sa transformation en SAS en 2005, a effectivement exercé les fonctions de direction générale de la société, perçu une rémunération normale et remplit l'ensemble des conditions exigées par l'article 150-0 D ter du code général des impôts pour bénéficier du régime de faveur quand bien même elle n'a été investie par les statuts du pouvoir de représenter la société qu'en 2007 ;
- M. E... entre dans les prévisions de l'instruction administrative 5 C-1-07 du 22 janvier 2007 dès lors qu'il est cofondateur de la société et a cédé les actions qu'il détenait à l'occasion du départ à la retraite de son épouse.
Par un mémoire en défense enregistré le 18 octobre 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Le ministre de l'action et des comptes publics soutient que :
- aucune garantie de procédure n'a été méconnue et la proposition de rectification est suffisamment motivée ;
- il résulte des articles L. 227-5 et L. 227-6 du code de commerce que le directeur général d'une SAS tient ses fonctions exclusivement des statuts, sa fonction n'emportant pas, à la différence d'un directeur général d'une SA, le pouvoir de représenter la société de sorte que Mme E..., qui ne s'est vu conférer les pouvoirs les plus étendus de représenter la société qu'à compter du 29 décembre 2007 ne remplit pas la condition d'exercice des fonctions de direction pendant cinq ans exigée par l'article 150-0 D ter ;
- M. E... ayant fait valoir ses droits à la retraite en 2002, soit huit ans avant la date de la cession, ne remplit pas la condition prévue au c) de l'article 150-0 D ter ;
- l'instruction administrative 5 C-1-07 du 22 janvier 2007 ne comporte aucune interprétation formelle de la loi fiscale opposable à l'administration.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de commerce ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B..., première conseillère,
- et les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme A... E..., fondateurs de la SAS Etablissements Jean E..., ont, l'un et l'autre, cédé en 2010, lorsque Mme E... a cessé d'exercer ses fonctions de directrice générale de la société, la totalité des titres de la société qu'ils détenaient. Les plus-values de cession réalisées, d'un montant total de 1 019 351 euros, ont été déclarées par eux sous le régime de faveur de l'article 150-0 D ter du code général des impôts applicable en cas de départ à la retraite des dirigeants de petites et moyennes entreprises. A la suite d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a remis en cause l'application de ce régime aux motifs que Mme E... ne remplissait pas la condition tenant à l'exercice de fonctions de direction générale de la société pendant au moins cinq ans, et que M. E..., président de la société jusqu'en 2007, avait fait valoir ses droits à la retraite plus de deux ans auparavant. M. et Mme A... E... ont, en conséquence de ces rectifications, été assujettis à un complément d'impôt sur le revenu au titre de l'année 2010 assorti de la majoration de 10 % de l'article 1758 A du code général des impôts. Ils relèvent appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté leur demande tendant à la décharge de cette imposition et de la majoration correspondante.
Sur le bien-fondé des impositions en litige :
2. Aux termes de l'article 150-0 A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " I.-1. (...) les gains nets retirés des cessions à titre onéreux (...) de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres mentionnés au 1° de l'article 118 et aux 6° et 7° de l'article 120, de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l'impôt sur le revenu (...) ". Aux termes de l'article 150-0 D bis du même code, dans sa version alors applicable : " I. - 1. Les gains nets mentionnés au 1 de l'article 150-0 D et déterminés dans les conditions du même article retirés des cessions à titre onéreux d'actions, de parts de sociétés ou de droits démembrés portant sur ces actions ou parts sont réduits d'un abattement d'un tiers pour chaque année de détention au-delà de la cinquième (...) ". Aux termes de l'article 150-0 D ter du même code, dans sa version applicable au présent litige : " I. - L'abattement prévu à l'article 150-0 D bis s'applique dans les mêmes conditions, à l'exception de celles prévues au V du même article, aux gains nets réalisés lors de la cession à titre onéreux d'actions, de parts ou de droits démembrés portant sur ces actions ou parts, acquis ou souscrits avant le 1er janvier 2006, si les conditions suivantes sont remplies : 1° La cession porte sur l'intégralité des actions, parts ou droits détenus par le cédant dans la société dont les titres ou droits sont cédés ou sur plus de 50 % des droits de vote ou, en cas de la seule détention de l'usufruit, sur plus de 50 % des droits dans les bénéfices sociaux de cette société ; 2° Le cédant doit : a) Avoir exercé au sein de la société dont les titres ou droits sont cédés, de manière continue pendant les cinq années précédant la cession et dans les conditions prévues au 1° de l'article 885 O bis, l'une des fonctions mentionnées à ce même 1° (...) b) Avoir détenu directement ou par personne interposée ou par l'intermédiaire de son conjoint ou de leurs ascendants ou descendants ou de leurs frères et soeurs, de manière continue pendant les cinq années précédant la cession, au moins 25 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société dont les titres ou droits sont cédés ; c) Cesser toute fonction dans la société dont les titres ou droits sont cédés et faire valoir ses droits à la retraite dans les deux années suivant ou précédant la cession ; (...) ". Aux termes de l'article 885 O bis de ce code alors applicable : " Les parts et actions de sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés, de plein droit ou sur option, sont également considérées comme des biens professionnels si leur propriétaire remplit les conditions suivantes : 1° Etre, soit gérant nommé conformément aux statuts d'une société à responsabilité limitée ou en commandite par actions, soit associé en nom d'une société de personnes, soit président, directeur général, président du conseil de surveillance ou membre du directoire d'une société par actions. Les fonctions énumérées ci-dessus doivent être effectivement exercées et donner lieu à une rémunération normale. Celle-ci doit représenter plus de la moitié des revenus à raison desquels l'intéressé est soumis à l'impôt sur le revenu (...) ".
En ce qui concerne la plus-value réalisée par Mme E... :
3. Pour remettre en cause l'application de l'article 150-0 D ter du code général des impôts à la plus-value réalisée par Mme E..., l'administration a estimé qu'elle ne remplissait pas la condition tenant à l'exercice de fonctions de direction générale depuis au moins cinq années compte tenu du fait que, bien qu'ayant été nommée directrice générale de la SAS Etablissement E... en 2005, elle n'avait été investie par les statuts du pouvoir de représenter la société vis-à-vis des tiers qu'en 2007.
4. Il résulte des dispositions de l'article 150-0 D ter du code général des impôts qui, compte tenu de leur caractère dérogatoire, doivent être interprétées strictement, que le bénéfice de l'abattement prévu à cet l'article est subordonné au respect de plusieurs conditions relatives à la personne du cédant, tenant notamment à l'exercice effectif de fonctions de direction normalement rémunérées au sein de la société dont les titres sont cédés et à la cessation de toute fonction au sein de cette même société. Le respect de ces conditions s'apprécie, dans le cas d'un couple marié, au niveau de chaque conjoint pris isolément. Au nombre des dirigeants énumérés à l'article 885 O bis du code auquel renvoie l'article 150-0 D ter figure le directeur général d'une société par actions. Ce texte ne subordonne l'application du régime de faveur à aucune autre condition que celles qu'il prévoit et notamment pas à celle que le directeur général d'une société par actions simplifiée soit investi par les statuts du pouvoir de représenter la société à l'égard des tiers. Une telle exigence ne peut être inférée des articles L. 227-1 et suivants du code de commerce régissant la gouvernance des sociétés par actions simplifiée prévoyant que la société est représentée à l'égard des tiers par un président investi " des pouvoirs les plus étendus " et renvoyant aux statuts la possibilité de nommer un directeur général, dès lors que l'article L. 227-6 prévoit que le directeur général peut exercer les pouvoirs du président et que l'article L. 227-8 rend applicables au président et aux dirigeants d'une société par actions simplifiée les règles de responsabilité relatives aux sociétés anonymes.
5. Il résulte de l'instruction que, dès la transformation en 2005 de la SA Etablissements E... en société par actions simplifiée, Mme E... a été nommée dans les fonctions de directrice générale de la société. Si l'article 12 des statuts adoptés en 2005 indiquait que le directeur général de la société ne dispose pas du pouvoir de représenter la société vis-à-vis des tiers, ils lui conféraient toutefois " les pouvoirs les plus étendus pour assurer la direction interne de la société ". L'administration ne conteste pas l'exercice effectif par Mme E... de ces fonctions ni le fait qu'elle percevait à ce titre une rémunération normale, représentant plus de la moitié de ses revenus. Ainsi, l'administration n'était pas fondée à remettre en cause le bénéfice du régime de faveur de l'article 150-0 D ter au motif que n'ayant disposé du pouvoir de représenter la société qu'à compter d'une modification des statuts en 2007, Mme E... ne remplissait pas, en 2010, la condition d'exercice de fonctions de direction générale pendant cinq ans exigée par ce texte. L'administration n'invoquant aucun autre motif devant conduire à remettre en cause l'application de ces dispositions à la plus-value réalisée par Mme E..., les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que l'administration a estimé que cette plus-value n'était pas éligible au régime de faveur de l'article 150-0 D ter du code général des impôts.
En ce qui concerne la plus-value réalisée par M. E... :
S'agissant de l'application de la loi fiscale :
6. Il est constant que M. E..., qui a fait valoir ses droits à la retraite en 2002 et a cessé l'exercice de ses fonctions de président de la SAS Etablissements Jean E... en 2007, soit trois ans avant la cession, ne remplit pas la condition prévue au c) de l'article 150-0 D ter du code général des impôts. Il ne peut donc prétendre, sur le fondement de la loi fiscale, à l'application du régime de faveur pour la taxation de la plus-value qu'il a réalisée.
S'agissant de l'application de la doctrine administrative :
7. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales dans sa rédaction alors applicable : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente (...) ".
8. S'agissant de cette plus-value, les requérants se prévalent, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de l'instruction administrative 5 C-1-07 du 22 janvier 2007, alors référencée au BOI 5-C-1-07, aux termes de laquelle : " Lorsque le capital de la société dont les titres ou droits sont cédés est détenu par plusieurs co-fondateurs, il est admis que les dispositions de l'article 150-0 D ter s'appliquent aux gains nets de cession de titres ou droits de sociétés réalisés par les actionnaires ou associés co-fondateurs, lorsque les conditions suivantes sont remplies : - les actionnaires ou associés cédants (dénommés ci-après co-fondateurs) doivent avoir été présents dans le capital de la société dont les titres sont cédés depuis sa constitution et de manière continue jusqu'à la cession ; - l'ensemble des conditions prévues à l'article 150-0 D ter est rempli par l'un au moins des cédants co-fondateurs ; - les cessions réalisées par les autres co-fondateurs doivent porter sur l'intégralité des titres ou droits qu'ils détiennent dans la société concernée ; - les cessions réalisées par l'ensemble des co-fondateurs interviennent à la même date et doivent porter sur plus de 25 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société concernée ; - en cas de cession à une entreprise, les co-fondateurs qui ne remplissent pas les conditions prévues au B de la présente sous-section ne doivent pas détenir, directement ou indirectement, de participation (droits de vote ou droits financiers) dans la société cessionnaire. "
9. En admettant que le régime de faveur de l'article 150-0 D ter du code général des impôts puisse s'appliquer aux gains nets de cession de titres ou droits de sociétés réalisés par les co-fondateurs de la société lorsque l'un au moins des cédants co-fondateurs remplit l'ensemble des conditions exigées par ce texte alors que, selon l'article 150-0 D ter, seul le cédant des titres, lequel est la personne physique qui cède ses droits sociaux, peut bénéficier de ce régime, l'instruction administrative 5 C-1-07 donne de la loi fiscale une interprétation formelle opposable à l'administration au sens de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales. Ainsi qu'il a été dit, M. et Mme E..., co-fondateurs de la SAS Etablissements Jean E..., ont cédé la totalité des titres qu'ils détenaient, l'année du départ à la retraite de Mme E.... Ils ont mentionné la plus-value réalisée par M. E... dans leur déclaration selon les modalités prévues à l'article 150-0 D ter du code général des impôts. Dès lors qu'il résulte de ce qui a été dit ci-avant que Mme E... remplit, pour la plus-value qu'elle a réalisée, les conditions pour se voir appliquer le régime de faveur de l'article 150-0 D ter et qu'il est constant que les autres conditions posées par cette instruction sont satisfaites, la plus-value réalisée par M. E... entre dans les prévisions de cette instruction. Les requérants sont dès lors fondés à s'en prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, pour faire échec à l'imposition supplémentaire établie à raison de la plus-value réalisée par M. E....
10. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête, que M. et Mme E... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté leur demande.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. et Mme E... dans l'instance en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : M. et Mme E... sont déchargés de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2010, ainsi que de la majoration correspondante.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Dijon du 29 décembre 2017 est annulé.
Article 3 : L'Etat versera 1 500 euros à M. et Mme E... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... E... et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme C... présidente-assesseure,
Mme B..., première conseillère.
Lu en audience publique le 19 novembre 2019.
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N° 18LY01037
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