Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. D... A..., M. E... A..., M. C... A... et Mme G... I... veuve A... ont demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner l'Office national des forêts à réparer les préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait du décès de M. F... A... et d'assortir ces condamnations des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ceux-ci.
Par un jugement n° 1501391 du 2 novembre 2017, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 8 janvier 2018, M. D... A..., M. E... A..., M. C... A... et Mme G... I... veuve A..., représentés par maîtres Borie et Kiganga demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 2 novembre 2017 ;
2°) de condamner l'Office national des forêts à leur verser les sommes suivantes :
* au titre des préjudices patrimoniaux :
o à Mme G... I... veuve A... : 211 467,15 euros,
o à M. D... A... : 87 115,65 euros,
o à M. C... A... : 89 133,65 euros,
o à M. E... A... : 85 696,09 euros ;
* au titre des préjudices extrapatrimoniaux :
o au titre du préjudice d'accompagnement : 10 000 euros à chacun,
o au titre du préjudice d'affection : 25 000 euros à chacun,
o au titre de troubles dans les conditions d'existence : 3 000 euros à chacun ;
3°) de mettre à la charge de l'Office national des forêts la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
* le tribunal administratif de Clermont-Ferrand n'a pas répondu au moyen tiré de la responsabilité sans faute tiré de la rupture d'égalité ;
* la responsabilité de l'Office national des forêts est engagée sur le fondement de la responsabilité sans faute pour rupture d'égalité, de la responsabilité pour faute et pour risque ;
* leur préjudice n'est pas suffisamment réparé par la pension de réversion ; ils doivent être indemnisés en raison de la perte de revenus importante :
o Mme I... doit obtenir le versement d'un capital au titre des préjudices patrimoniaux, perte de revenus de 211 467,15 euros.
* A ce même titre, la somme à verser à ses enfants est de :
* pour M. D... A... : 85 115,65 euros,
* pour M. C... A... : 89 183,65 euros,
* pour M. E... A... : 85 696,09 euros ;
o Ils doivent obtenir une indemnisation complémentaire, pour la réparation intégrale du préjudice, en raison de la faute commise par l'Office national des forêts :
* pour Mme G... I... veuve A... : 10 600 euros,
* pour M. D... A... : 2 880 euros,
* pour M. C... A... : 2 880 euros,
* pour M. E... A... : 2 880 euros ;
o Ils doivent être indemnisés de préjudices extrapatrimoniaux :
* à raison de 10 000 euros chacun pour le préjudice d'accompagnement,
* de 25 000 euros chacun pour le préjudice d'affection,
* de 3 000 euros chacun pour les troubles dans les conditions d'existence.
Par ordonnance du 20 juillet 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 28 septembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
* la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
* le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
* le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
* le rapport de M. Pierre Thierry, premier conseiller,
* et les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. M. F... A..., agent de l'Office national des forêts, a tenté de mettre fin à ses jours le 19 avril 2011. Placé en congé maladie à la suite de cette tentative, il s'est suicidé le 19 juillet 2011. Par un jugement du 30 octobre 2014, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé l'arrêté du 17 décembre 2012 par lequel le directeur territorial de l'Office national des forêts Centre Ouest Auvergne Limousin avait refusé de reconnaître l'imputabilité au service de cette tentative et du suicide de M. A.... Dans ces circonstances, l'Office national des forêts a accepté de verser à sa veuve, Mme G... I..., et à leurs trois enfants, messieurs Samir, Lucas et Théo A..., une pension de réversion ainsi qu'un capital décès. Ces derniers relèvent appel du jugement rendu le 2 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté leur demande de condamnation de l'Office national des forêts à leur verser des sommes supplémentaires en qualité d'ayant-droits de M. F... A....
2. Dans leurs écritures de première instance, les requérants ont soutenu que la responsabilité de l'Office national des forêts devait être engagée sur le fondement de la responsabilité sans faute en raison de la rupture d'égalité devant les charges publiques et du fait de la situation de risque dans laquelle aurait été placé M. F... A.... Par son jugement du 2 novembre 2017, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a considéré que la responsabilité de l'Office national des forêts ne pouvait être engagée sur le fondement du risque au titre de la responsabilité sans faute et ne s'est pas prononcé sur la rupture d'égalité invoquée par les demandeurs. En omettant de se prononcer sur ce moyen qui n'était pas inopérant, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a entaché son jugement d'une irrégularité. Celui-ci doit, par suite, être annulé.
3. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu pour la cour de statuer, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand par les consorts A....
Sur le principe de la responsabilité :
4. En premier lieu, les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et 65 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité, doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Les dispositions instituant ces prestations déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font en revanche pas obstacle à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice. Il en va de même s'agissant du préjudice moral subi par ses ayants droits. Ces dispositions ne font pas davantage obstacle à ce qu'une action de droit commun, pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage, soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité.
En ce qui concerne le préjudice moral des consorts A... :
5. En vertu des principes énoncés ci-dessus, les consorts A... sont fondés à demander la réparation de leur préjudice moral subi à la suite de la tentative de suicide et du suicide de M. F... A.... Ils font valoir que le préjudice moral qu'ils ont subi se décline en un préjudice d'accompagnement et un préjudice d'affection. Il sera fait une juste appréciation de ces chefs de préjudices en attribuant, en réparation du préjudice d'accompagnement, 1 200 euros à Mme I... veuve A... et 1 000 euros à chacun des trois enfants de M. A... ainsi que les sommes de 22 000 euros à Mme I... veuve A... et 18 000 euros à chacun des trois enfants de M. A... en réparation du préjudice d'affection.
En ce qui concerne les autres préjudices :
6. Les consorts A... soutiennent qu'ils ont droit à la réparation intégrale du préjudice résultant de la mort de M. A... dès lors que celle-ci est en lien avec une faute de l'Office national des forêts qui n'a pas, selon le moyen, assuré de manière effective et sérieuse la prévention des risques psycho-sociaux, le suicide de M. F... A... n'étant pas isolé au sein de cet établissement, notamment depuis le mois de juillet 2011. Il résulte toutefois de l'instruction que l'Office national des forêts a mis en oeuvre, dès 2008, des mesures pour faire face aux risques psycho-sociaux et plus particulièrement en 2009, par la création d'une cellule sociale territoriale ayant compétence pour évaluer toutes les situations de difficultés des personnels de l'établissement quel que soit leur statut et proposer des solutions aux structures concernées. Il résulte encore de l'instruction que les supérieurs hiérarchiques de M. A... avaient relevé dès 2010 les difficultés psychologiques de ce dernier, révélées par des difficultés relationnelles et sa tendance à l'isolement. M. A..., bien que reconnaissant des idées suicidaires, a néanmoins refusé toute assistance tant médicale ou médicamenteuse que sociale et tout changement de sa situation professionnelle. Dans ces circonstances, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la mort de M. A... est liée à une faute de l'Office national des forêts de nature à leur assurer la réparation intégrale de leur préjudice. Il s'ensuit que leurs conclusions tendant au versement d'un capital au titre du préjudice de perte de revenus pour Mme I... veuve A... de 211 467, 15 euros, pour M. D... A... de 85 115,65 euros, pour M. C... A..., de 89 183,65 euros et pour M. E... A... de 85 696,09 euros et, d'une somme de 3 000 euros chacun doivent être rejetées.
7. Doivent enfin être rejetées, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent, les conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité de l'Office national des forêts pour rupture d'égalité devant les charges publiques, et du fait de la situation de risque dans laquelle aurait été placé M. F... A..., une telle situation n'étant pas établie.
Sur les intérêts :
8. Les consorts A... ont droit aux intérêts au taux légal correspondant aux indemnités en capital prévues au point 5 du présent arrêt à compter de la date de remise de la demande d'indemnisation préalable envoyée par courrier du 22 mai 2015 à l'Office national des forêts. Ces intérêts porteront capitalisation à compter d'une année après la date de réception du courrier de demande préalable ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Sur les conclusions relatives aux frais non compris dans les dépens :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Office national des forêts une somme de 1 500 euros qu'il paiera aux consorts A..., au titre des frais non compris dans les dépens que ces derniers ont exposés.
DÉCIDE :
Article 1er : L'Office national des forêts est condamné à verser à Mme I... veuve A... la somme de 23 200 (vingt-trois mille deux cents) euros et à Messieurs Lucas, Théo et Samir A... la somme de 19 000 (dix-neuf mille) euros chacun.
Article 2 : Les sommes prévues à l'article 1er porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception du courrier recommandé du 22 mai 2015 de demande préalable. Ces intérêts porteront capitalisation à compter de l'échéance d'une année ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : L'Office national des forêts versera une somme globale de 1 500 (mille cinq cents) euros aux consorts A... en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... I... veuve A..., à M. D... A..., à M. C... A..., à M. E... A... et à l'Office national des forêts.
Délibéré après l'audience du 19 novembre 2019 à laquelle siégeaient :
Mme H... B..., présidente de chambre,
Mme J..., présidente-assesseure,
M. Pierre Thierry, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 janvier 2020.
Le rapporteur,
P. Thierry La présidente,
E. B...
La greffière,
S. Bertrand
La République mande et ordonne au préfet du Puy-de-Dôme en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
No 18LY000862