Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société 8116563 Canada Inc " Promotions canadiennes " a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 28 septembre 2016 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne Rhône-Alpes lui a infligé deux amendes d'un montant total de 32 000 euros en sa qualité d'employeur de salariés étrangers détachés en France, à titre subsidiaire, d'en minorer le montant.
Par jugement n° 1607256 lu le 23 novembre 2018, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa requête.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés les 23 janvier et 24 octobre 2019, la société 8116563 Canada Inc " Promotions canadiennes ", représentée par la SCP Colomes-Mathieu-Zanchi, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) d'annuler la décision du 28 septembre 2016 lui infligeant des amendes d'un montant total de 32 000 euros, à titre subsidiaire, d'en réduire le montant à 500 euros et 250 euros.
Elle soutient que :
- elle disposait d'un représentant en France qui était effectivement présent lors des contrôles sur place et pendant la durée des manifestations commerciales et ne saurait être sanctionnée de ce chef ;
- elle a établi chacune des déclarations de détachement des salariés en suivant les indications de l'imprimé CERFA, lequel ne comportait pas toutes les rubriques obligatoires ; en tout état de cause, la mention des coordonnées de son représentant permettait à l'inspection du travail d'exercer son contrôle ; ce manquement à une obligation accessoire ne justifie pas l'application du montant maximum de l'amende ;
- l'amende ne peut être multipliée par un nombre de salariés dès lors que le défaut de désignation d'un représentant constitue un manquement unique ;
- s'agissant du défaut de présentation des documents règlementaires, elle a apporté les réponses aux questions de l'administration, s'agissant de la conversion monétaire permettant de déterminer le coût salarial, alors que cette obligation prévue par l'article R. 1263-2 du code du travail n'est pas assortie de sanction ; elle a déclaré à l'agent de contrôle quels étaient les horaires des salariés et elle était fondée à considérer qu'une autorisation de travail n'était pas nécessaire ;
- subsidiairement, le montant de l'amende est disproportionné.
Par des mémoires enregistrés les 8 octobre et 8 novembre 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête de la société 8116563 Canada Inc " Promotions canadiennes " en soutenant que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 24 octobre 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 8 novembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Burnichon, premier conseiller,
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public,
- les observations de M. C..., pour la ministre du travail ;
Considérant ce qui suit :
1. La société " Promotions canadiennes ", qui fait intervenir sur les foires et marchés des salariés canadiens détachés dans le cadre d'une activité de vente de produit du terroir canadien, a été sanctionnée, par une décision du 28 septembre 2016 et suite à une opération de contrôle réalisée le 29 avril 2016 sur la foire de la Roche-sur-Foron, de deux amendes de 16 000 euros, chacune liquidée au tarif unitaire de 2 000 euros appliqué à huit salariés, soit 32 000 euros, en raison de manquements tenant, d'une part, au défaut de désignation d'un représentant de l'entreprise sur le territoire français et, d'autre part, au défaut de présentation de documents à l'inspecteur du travail. Elle relève appel du jugement du 23 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa requête.
Sur la matérialité des manquements :
2. Aux termes de l'article L. 1264-1 du code du travail, en vigueur à la date du contrôle : " La méconnaissance par l'employeur qui détache un ou plusieurs salariés d'une des obligations mentionnées à l'article L. 1262-2-1 ou à l'article L. 1263-7 est passible d'une amende administrative, dans les conditions prévues à l'article L. 1264-3. "
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1262-2-1 du code du travail, dans sa version alors en vigueur : " I.- L'employeur qui détache un ou plusieurs salariés, dans les conditions prévues aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2, adresse une déclaration, préalablement au détachement, à l'inspection du travail du lieu où débute la prestation. / II. - L'employeur mentionné au I du présent article désigne un représentant de l'entreprise sur le territoire national, chargé d'assurer la liaison avec les agents (...) [de l'inspection du travail] ". Aux termes de l'article L. 1263-7 du même code : " L'employeur détachant temporairement des salariés sur le territoire national, ou son représentant mentionné au II de l'article L. 1262-2-1, présente sur le lieu de réalisation de la prestation à l'inspection du travail des documents traduits en langue française permettant de vérifier le respect des dispositions du présent titre ". Aux termes de l'article R. 1263-2-1 du même code, dans sa version alors en vigueur : " Le représentant de l'entreprise sur le territoire national mentionné au II de l'article L. 1262-2-1 accomplit au nom de l'employeur les obligations qui lui incombent en application de l'article R. 1263-1. / La désignation de ce représentant est effectuée par écrit par l'employeur. Elle comporte les nom, prénoms, date et lieu de naissance, adresse électronique et postale en France, le cas échéant la raison sociale, ainsi que les coordonnées téléphoniques du représentant. Elle indique l'acceptation par l'intéressé de sa désignation ainsi que la date d'effet et la durée de la désignation, qui ne peut excéder la période de détachement. / Elle est traduite en langue française. / Elle indique pour les documents prévus à l'article R. 1263-1 soit le lieu de conservation sur le territoire national, soit les modalités permettant d'y avoir accès et de les consulter depuis le territoire national ".
4. Il résulte de l'instruction et contrairement à ce qu'a retenu la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne Rhône-Alpes, que la société " Promotions canadiennes " a complété et transmis une déclaration préalable de détachement pour la foire de La Roche-sur-Foron, du 24 avril au 10 mai 2016, qui désigne M. B... A..., dirigeant de l'entreprise, en tant que son représentant en France avec une adresse sur le territoire français à Virey-sous-Bar (10260), deux numéros de téléphone et une adresse électronique. Toutefois, il n'est pas contesté que cette désignation ne comprenait pas l'acceptation par l'intéressé de sa désignation ainsi que la date d'effet et la durée de la désignation ni, pour les documents prévus à l'article R. 1263-1 précité du code, l'indication du lieu de leur conservation ou les modalités permettant d'y avoir accès et de les consulter depuis le territoire national.
5. Par suite, si l'absence de désignation du représentant de la société étrangère sur le territoire français ne pouvait constituer le motif de l'amende prononcée sur ce fondement, l'administration était fondée à regarder un tel manquement comme établi en raison de l'irrégularité de cette désignation, sans que puisse constituer une cause exonératoire la conception du formulaire normalisé utilisé par la requérante, qui correspondait d'ailleurs à la déclaration préalable de détachement et non à la désignation d'un représentant unique.
6. En second lieu, aux termes de l'article L. 1263-7 du code du travail : " L'employeur détachant temporairement des salariés sur le territoire national, ou son représentant mentionné au II de l'article L. 1262-2-1, présente sur le lieu de réalisation de la prestation à l'inspection du travail des documents traduits en langue française permettant de vérifier le respect des dispositions du présent titre ". Aux termes de l'article R. 1263-1 du même code : " I.- L'employeur établi hors de France conserve sur le lieu de travail du salarié détaché sur le territoire national ou, en cas d'impossibilité matérielle, dans tout autre lieu accessible à son représentant désigné en application de l'article L. 1262-2-1 et présente sans délai, à la demande de l'inspection du travail (...), les documents mentionnés au présent article. II.- Les documents requis aux fins de vérifier les informations relatives aux salariés détachés sont les suivants : 1° Le cas échéant, l'autorisation de travail permettant au ressortissant d'un État tiers d'exercer une activité salariée (...) 3° Lorsque la durée du détachement est supérieure ou égale à un mois, les bulletins de paie de chaque salarié détaché ou tout document équivalent attestant de la rémunération (...) ". Aux termes de l'article R. 1263-2 du même code : " Les documents mentionnés à l'article R. 1263-1 sont traduits en langue française. Pour les entreprises qui ne sont pas établies dans un État membre de l'Union européenne dont la monnaie est l'euro, les sommes sont converties en euros ".
7. Il résulte de l'instruction que, lors du contrôle réalisé le 29 avril 2016 par l'inspection du travail, le représentant de la société " Promotions canadiennes " n'a été en mesure de présenter que quelques contrats de travail concernant les salariés détachés sur la foire de La Roche-sur-Foron et n'a produit que tardivement et après deux demandes de l'inspection en ce sens, les autres contrats de travail et les bulletins de paie des salariés. Toutefois, alors que ces bulletins de salaire ne comprenaient pas les sommes converties en euros, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 1263-2 précité, il n'est pas contesté que plusieurs autres documents n'ont pas été communiqués, notamment le relevé d'heures indiquant le début, la fin et la durée du temps de travail journalier, le document attestant de la régularité de sa situation sociale au regard d'une convention internationale de sécurité sociale ainsi que les autorisations de travail nécessaires, lesquelles ont d'ailleurs été refusées par décision du 25 avril 2016 ne permettant ainsi pas l'opération de détachement en litige. Par suite, ces faits, matériellement établis, pouvaient fonder la sanction en litige.
Sur la proportionnalité des amendes :
8. Aux termes de l'article L. 1264-3 du code du travail, dans sa version alors en vigueur : " L'amende administrative mentionnée aux articles L. 1264-1 et L. 1264-2 est prononcée par l'autorité administrative compétente, après constatation par un des agents de contrôle de l'inspection du travail (...) / Le montant de l'amende est d'au plus 2 000 € par salarié détaché et d'au plus 4 000 € en cas de réitération dans un délai d'un an à compter du jour de la notification de la première amende. Le montant total de l'amende ne peut être supérieur à 500 000 €. / Pour fixer le montant de l'amende, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur ainsi que ses ressources et ses charges (...) ".
9. S'agissant de la désignation du représentant de l'entreprise en France, si un tel manquement doit faire l'objet, en application des dispositions de l'article L. 1264-3 du code du travail d'une amende par salarié détaché, il résulte toutefois de l'instruction et ainsi qu'il a été dit aux points 4 et 5, que la société " Promotions canadiennes " a procédé à la désignation d'un représentant sur le territoire français pour l'opération de détachement en litige, et que seul l'irrégularité de cette désignation peut être sanctionnée. Par suite, compte tenu des circonstances et de la nature du manquement en cause, un tarif unitaire de 2 000 euros correspondant au montant maximum est disproportionné. Il y a dès, lors lieu, pour la cour de le réduire à 800 euros par salariés détachés et par application de ce tarif aux huit salariés concernés, de fixer à 6 400 euros le montant de l'amende sanctionnant ce manquement.
10. S'agissant du défaut de présentation des documents prescrit par l'article L. 1263-7 du code du travail, le tarif unitaire de l'amende en litige, fixé à 2 000 euros par salarié concerné est proportionné à la gravité du manquement constaté, dès lors notamment que la société " Promotions canadiennes ", qui ne produit aucun élément quant à ses ressources et ses charges, avait lors de précédents contrôles sur les marchés de Noël de Dijon et de Metz, respectivement en décembre 2015 et décembre 2014, été informée de la nature de cette obligation et des sanctions encourues.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la société " Promotions canadiennes " est seulement fondée à soutenir que le montant de l'amende infligée par la décision du 28 septembre 2016 concernant l'irrégularité de la désignation de son représentant sur le territoire français doit être réduit de 16 000 à 6 400 euros et que le jugement du tribunal administratif de Grenoble doit être réformé dans les mêmes proportions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le montant de l'amende mise à la charge de la société 8116563 Canada Inc " Promotions canadienne " par la décision du 28 septembre 2016 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne Rhône-Alpes concernant l'irrégularité de la désignation de son représentant en France est réduit de 16 000 à 6 400 euros.
Article 2 : Le jugement n° 1607256 du 23 novembre 2018 du tribunal administratif de Grenoble est réformé en ce qu'il a contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la société 8116563 Canada Inc " Promotions canadiennes " est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société 8116563 Canada Inc " Promotions canadiennes " et à la ministre du travail.
Copie sera adressée à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne Rhône-Alpes.
Délibéré après l'audience du 23 janvier 2020 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Burnichon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 13 février 2020.
N° 19LY00295 2
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