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15/06/2020 | FRANCE | N°18LY02745

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 7ème chambre, 15 juin 2020, 18LY02745


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Tecno S.P.A a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision n° AA 95/2016 du 16 septembre 2016 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) Auvergne-Rhône-Alpes a prononcé à son encontre une amende administrative d'un montant global de 17 000 euros en sa qualité de donneur d'ordre ayant recouru au détachement en France de salariés employés par une entreprise ayant son siège hors du territoire

national.

Par jugement n° 1608575 du 17 mai 2018, le tribunal administrati...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Tecno S.P.A a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision n° AA 95/2016 du 16 septembre 2016 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) Auvergne-Rhône-Alpes a prononcé à son encontre une amende administrative d'un montant global de 17 000 euros en sa qualité de donneur d'ordre ayant recouru au détachement en France de salariés employés par une entreprise ayant son siège hors du territoire national.

Par jugement n° 1608575 du 17 mai 2018, le tribunal administratif de Lyon a réduit à la somme de 15 000 euros le montant de l'amende en litige.

Procédure devant la cour

Par requête enregistrée le 19 juillet 2018, la société Tecno S.P.A, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon, en ce qu'il rejette le surplus de sa demande ;

2°) d'annuler les dispositions de la décision n° AA 95/2016 du 16 septembre 2016 restant en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues dès lors que son conseil n'a pas été mis en possession de l'intégralité de la procédure lors de son intervention, ni lors du rendez-vous du 9 août 2016 ni même ultérieurement ; il n'a pas bénéficié de tous les délais pour faire valoir les observations de son client ;

- la sanction attaquée est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que le DIRECCTE a prononcé deux amendes pour les mêmes faits en méconnaissance du principe " non bis in idem " ;

- l'administration a méconnu les dispositions de l'article L. 1264-3 du code du travail et le principe d'individualisation de la sanction dès lors que l'amende est identique à celle prononcée à l'encontre de la SC Mondoffice SRL, sans examen des critères prévus par les dispositions du code du travail ;

- il n'y a qu'un seul représentant permanent de sorte que faire dépendre la sanction du nombre de salariés détachés est contraire au droit du travail ;

- aucune vérification du nombre de salariés détachés n'a été faite par l'administration pour établir les bases de liquidation de l'amende ;

- le montant de l'amende est disproportionné.

Par mémoire enregistré le 11 avril 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête de la société Tecno S.P.A.

Elle soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 12 avril 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 24 mai 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Burnichon, premier conseiller,

- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public,

- les observations de M. A... représentant la ministre du travail ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Tecno S.P.A, a conclu une convention avec la société Mondoffice SRL, société roumaine, pour réaliser des travaux de pose de cloison sur le chantier Biomérieux à Marcy-L'étoile. Suite à un contrôle réalisé le 25 juin 2016, l'inspection du travail a constaté que la société Mondoffice SRL avait commis des manquements à ses obligations de déclaration du détachement de ses salariés et de désignation conforme de son représentant en France. Par décision n° AA 95/2016 du 16 septembre 2016, le DIRECCTE Auvergne Rhône-Alpes, qui a considéré au terme de l'enquête administrative que la société Tecno S.P.A n'avait pas satisfait à son devoir de vigilance en tant que donneur d'ordre, lui a infligé une amende d'un montant total de 17 000 euros, liquidée au tarif unitaire de 1 700 euros appliqué au nombre de salariés intervenus, soit cinq, et à chacun des manquements commis par la société Mondoffice SRL relatifs aux obligations de déclaration du détachement de ses salariés et de désignation conforme d'un représentant en France. La société Tecno S.P.A relève appel du jugement du 17 mai 2018 en tant que le tribunal administratif de Lyon a laissé à sa charge une amende de 15 000 euros.

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 8115-2 du code du travail dans sa version alors en vigueur : " Lorsque le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi décide de prononcer une amende administrative, il indique à l'intéressé par l'intermédiaire du représentant de l'employeur [sur le territoire national] (...) le montant de l'amende envisagée et l'invite à présenter ses observations dans un délai de quinze jours. / A l'expiration du délai fixé et au vu des observations éventuelles de l'intéressé, il notifie sa décision et émet le titre de perception correspondant. / L'indication de l'amende envisagée et la notification de la décision infligeant l'amende sont effectuées par tout moyen permettant de leur conférer date certaine ". Aux termes de l'article R. 8115-10 du même code : " Par dérogation à l'article R. 8115-2, lorsque le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi décide de prononcer une amende administrative sur le fondement des articles L. 4751-1 à L. 4754-1 et L. 8115-1 à L. 8115-8, il invite l'intéressé à présenter ses observations dans un délai d'un mois. / Ce délai peut être prorogé d'un mois à la demande de l'intéressé, si les circonstances ou la complexité de la situation le justifient ".

3. Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l'administration a prononcé une amende sanctionnant la méconnaissance du régime d'emploi de travailleurs détachés en France, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, de se prononcer non sur les éventuels vices propres de la décision litigieuse mais sur le bien-fondé et le montant de l'amende fixée par l'administration. S'il estime que l'amende a été illégalement infligée, dans son principe ou son montant, il lui revient, dans la première hypothèse, de l'annuler et, dans la seconde, de la réformer en fixant lui-même un nouveau quantum proportionné aux manquements constatés et aux autres critères prescrits par les textes en vigueur.

4. Il suit de là que les moyens tirés de la méconnaissance, lors de la procédure préalable à l'édiction de la décision en litige, des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du principe du contradictoire et des droits de la défense ou encore des dispositions de l'article R. 8115-2 du code du travail alors que la procédure contradictoire organisée par les articles L. 8115-1 et suivants du code du travail s'est poursuivie devant le juge de plein contentieux et a donné tout loisir à la requérante de faire valoir ses arguments en contestation de la sanction, sont dépourvus d'effet utile sur le bien-fondé et le montant de l'amende en litige.

5. En deuxième lieu, et d'une part, aux termes de l'article L. 1262-2-1 du code du travail : " I.- L'employeur qui détache un ou plusieurs salariés, dans les conditions prévues aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2, adresse une déclaration, préalablement au détachement, à l'inspection du travail du lieu où débute la prestation. II.- L'employeur mentionné au I du présent article désigne un représentant de l'entreprise sur le territoire national, chargé d'assurer la liaison avec les agents (...) [de l'inspection du travail] pendant la durée de la prestation ". Aux termes de l'article L. 1262-4-1 du même code, dans sa version applicable à la date des infractions en litige : " Le donneur d'ordre (...) qui contracte avec un prestataire de services qui détache des salariés, dans les conditions mentionnées aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2, vérifie auprès de ce dernier, avant le début du détachement, qu'il s'est acquitté des obligations mentionnées aux I et II de l'article L. 1262-2-1. / A défaut de s'être fait remettre par son cocontractant une copie de la déclaration mentionnée au I de l'article L. 1262-2-1, (...) le donneur d'ordre adresse, dans les quarante-huit heures suivant le début du détachement, une déclaration à l'inspection du travail du lieu où débute la prestation. Un décret détermine les informations que comporte cette déclaration ". Aux termes des dispositions de ce décret codifiées à l'article R. 1263-12 du code du travail : " (...) le donneur d'ordre qui contracte avec un employeur établi hors de France demande à son cocontractant, avant le début de chaque détachement d'un ou de plusieurs salariés, les documents suivants : a) Une copie de la déclaration de détachement transmise à l'unité départementale de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation du travail et de l'emploi (...) b) Une copie du document désignant le représentant (...) [de l'entreprise sur le territoire national]. / (...) le donneur d'ordre est réputé avoir procédé aux vérifications mentionnées à l'article L. 1262-4-1 dès lors qu'il s'est fait remettre ces documents ".

6. D'autre part, aux termes de l'article L. 1264-2 du code du travail : " La méconnaissance par (...) le donneur d'ordre d'une des obligations mentionnées à l'article L. 1262-4-1 est passible d'une amende administrative, dans les conditions prévues à l'article L. 1264-3, lorsque son cocontractant n'a pas rempli au moins l'une des obligations lui incombant en application de l'article L. 1262-2-1 ", tandis qu'aux termes de l'article L. 1264-3 du même code dans sa version alors applicable : " (...) / Le montant de l'amende est d'au plus 2 000 € par salarié détaché et d'au plus 4 000 € en cas de réitération dans un délai d'un an à compter du jour de la notification de la première amende. Le montant total de l'amende ne peut être supérieur à 500 000 €. / Pour fixer le montant de l'amende, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur ainsi que ses ressources et ses charges ".

7. Il résulte de ces dispositions combinées que l'obligation de vigilance mise à la charge du donneur d'ordre n'excède pas la vérification, avant début du détachement, de ce que le prestataire étranger s'est formellement acquitté de la communication à l'administration de la déclaration de détachement des salariés et de la désignation de son représentant en France. À défaut d'une telle communication, il appartient au donneur d'ordre d'adresser dans les quarante-huit heures suivant le début du détachement une déclaration à l'inspection du travail. En outre, le manquement à l'obligation de vigilance du donneur d'ordre est constitutif d'une seule incrimination qui ne saurait se dédoubler en fonction du nombre de documents non communiqués et n'est passible, par opération, que d'une seule amende dont le tarif unitaire ne peut être multiplié que par le nombre de salariés. Enfin, la matérialité du manquement est constituée au début de l'opération et, réserve faite du tarif unitaire qui doit tenir compte du comportement de l'entreprise, l'amende peut être prononcée alors même qu'une régularisation a été recherchée au cours de l'opération.

8. Il résulte de l'instruction que lors du contrôle réalisé le 25 juin 2016, l'inspecteur du travail a constaté que l'entreprise S.C Mondoffice SRL, n'ayant pas déclaré le détachement ni désigné de représentant sur le territoire français, la société Tecno S.P.A avait méconnu son obligation de vigilance en négligeant de s'assurer que sa prestataire avait rempli ses obligations auprès de l'administration française ou de déclarer elle-même le détachement dans les quarante-huit heures ayant précédé le début de l'opération.

9. Toutefois, compte tenu de ce qui a été dit au point 7, le DIREECTE ne pouvait dédoubler l'amende au seul motif que la vigilance du donneur d'ordre était défaillante au regard de la déclaration de détachement par le prestataire et de la désignation d'un représentant. Par suite, la société Tecno S.P.A est fondée à soutenir que ne pouvait lui être infligée de ce chef une seconde amende au tarif unitaire de 1 700 euros. En conséquence, la somme mise à sa charge doit d'ores et déjà être réduite de 8 500 euros, représentant le dédoublement indument appliqué du tarif unitaire à cinq salariés.

10. En troisième lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 1264-3 du code du travail : " Le montant de l'amende est d'au plus 2 000 € par salarié détaché et d'au plus 4 000 € en cas de réitération dans un délai d'un an à compter du jour de la notification de la première amende. Le montant total de l'amende ne peut être supérieur à 500 000 € ". Compte tenu de ces dispositions, alors même que le prestataire de service n'aurait, en application des dispositions de l'article L. 1262-2-1 du code du travail, qu'à désigner un seul représentant unique en France pour le ou les salariés qu'il détache, en retenant une amende par salarié détaché, le DIRECCTE n'a pas fait une inexacte application de ces dispositions.

11. En quatrième lieu, aux termes du troisième alinéa de l'article L. 1264-3 du code du travail : " Pour fixer le montant de l'amende, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur ainsi que ses ressources et ses charges ". Il résulte de l'instruction que pour prononcer l'amende en litige, le DIRECCTE a estimé que la méconnaissance par la société Tecno S.P.A. de son obligation de vigilance présentait un degré de gravité élevé et que la société n'avait donné aucune indication sur l'existence de charge ou d'endettement particulier. Ces critères, prévues par les dispositions précitées, sont au nombre de ceux qui doivent entrer en ligne de compte pour la modulation du tarif unitaire, sans égard au montant de la sanction infligée au prestataire de services que la requérante ne peut utilement invoquer pour obtenir une diminution de sa propre sanction.

12. Toutefois, compte tenu de la nature du manquement imputé à la société Tecno S.P.A caractérisé, il est vrai, par l'absence de toute collecte de document auprès de son prestataire et d'alerte de l'administration dans les quarante-huit heures ayant précédé le démarrage du chantier, mais aussi de la faiblesse du résultat net qu'elle a dégagé en 2015, le tarif unitaire de 1 700 euros, inférieur de moins de 25 % seulement au plafond alors en vigueur, est disproportionné. Il y a lieu, en conséquence, de le fixer à 1 000 euros. Le montant de l'amende, déjà limité à 8 500 euros par le point 9 doit, après application de ce tarif aux cinq salariés irrégulièrement détachés, être ramené à 5 000 euros.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le montant de l'amende infligée à la société Tecno S.P.A par la décision n° AA 95/2016 du 16 septembre 2016 réformée par le tribunal doit être réduit de 17 000 euros à 5 000 euros et que le jugement attaqué du tribunal administratif de Lyon doit être réformé dans les mêmes proportions.

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le paiement à la société Tecno S.P.A d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'amende mise à la charge de la société Tecno S.P.A par la décision n° AA 95/2016 du 16 septembre 2016 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Auvergne Rhône-Alpes, réformée en première instance, est réduite de 17 000 euros à 5 000 euros.

Article 2 : Le jugement n° 1608575 du 17 mai 2018 du tribunal administratif de Lyon est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'État versera à la société Tecno S.P.A la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la société Tecno S.P.A est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Tecno S.P.A et à la ministre du travail.

Copie sera adressée à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne Rhône-Alpes.

Délibéré après l'audience du 18 mai 2020 à laquelle siégeaient :

M. Arbarétaz, président de chambre,

M. Seillet, président assesseur,

Mme Burnichon, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 15 juin 2020.

N° 18LY02745


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 18LY02745
Date de la décision : 15/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Répression - Domaine de la répression administrative Régime de la sanction administrative - Autorités administratives titulaires du pouvoir de sanction.

Travail et emploi - Réglementations spéciales à l'emploi de certaines catégories de travailleurs.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Claire BURNICHON
Rapporteur public ?: M. CHASSAGNE
Avocat(s) : S.JOFFROY SOCIETE D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-06-15;18ly02745 ?
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