Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner solidairement La Poste et l'État à lui verser la somme de 115 080 euros à titre de dommages et intérêts, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la réception de ses demandes préalables.
Par jugement n° 1600146 lu le 23 janvier 2019, le tribunal administratif de Lyon a condamné solidairement La Poste et l'État à verser à M. C... la somme de 41 500 euros, tous intérêts échus au jour du présent jugement et a rejeté le surplus de ses demandes.
Procédure devant la cour
Par une requête et des mémoire enregistrés les 22 mars 2019, 4 février 2020 et 18 mars 2020, La Poste, représentée par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 23 janvier 2019 ;
2°) de rejeter la demande de M. C... devant le tribunal administratif de Lyon ;
3°) de mettre à la charge de M. C... le versement de la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé ;
- l'autorité de chose jugée s'opposait à ce que le tribunal se prononce une seconde fois sur les demandes de M. C... relatives au préjudice moral et aux troubles dans les conditions d'existence ;
- elle n'avait pas invoqué l'exception de prescription quadriennale mais l'exception de prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil devant le tribunal ; le fait générateur de la créance n'est pas la mise à la retraite de M. C... mais le blocage de carrière et son préjudice était certain et pouvait être déterminé et évalué au 20 octobre 2009 ; la créance était prescrite ;
- le préjudice de retraite de M. C... était éventuel et la réparation d'une perte de chance ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ;
- l'ampleur de cette perte de chance était faible et les premiers juges ont fait une inexacte appréciation du préjudice de l'intéressé ;
- les modalités d'indemnisation de ce préjudice par l'octroi d'une indemnité forfaitaire sont inappropriées dès lors que le nature du préjudice en cause emportait l'allocation d'une rente ;
- le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence ne sont pas établis ;
- M. C... ne démontre pas que son départ en pré-retraite aurait minoré sa pension de retraite de 15 %.
Par mémoire enregistré le 17 avril 2019, le ministre de l'action et des comptes publics demande l'annulation du jugement du tribunal administratif de Lyon du 23 janvier 2019 et indique s'associer aux observations et conclusions présentées par La Poste.
Par mémoires enregistrés les 12 décembre 2019 et 12 mars 2020, M. D... C..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de La Poste ;
2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement attaqué en mettant à la charge solidairement de La Poste et de l'État le versement d'une somme supplémentaire de 75 080 euros avec intérêt au taux légal à compter de la réception de ses demandes préalables ;
3°) de mettre à la charge solidairement de La Poste et de l'État le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est régulier ;
- sa demande tendant à la réparation des préjudices résultant de la minoration de sa pension du fait du blocage de carrière est distincte de celle qui a été précédemment jugée par les juridictions administratives qui ont indemnisé le préjudice de carrière qui a couru jusqu'à son placement en pré-retraite ;
- l'exception de prescription doit être rejetée ;
- la cour administrative d'appel avait considéré qu'il a été privé d'une chance sérieuse d'accéder au grade supérieur et il est donc fondé à obtenir réparation du préjudice résultant de la minoration de sa pension de retraite ; s'il avait été promu conducteur de travaux en 2006, il aurait accédé a minima au 11ème échelon de ce grade doté de l'indice brut 483 et il aurait pu accéder au 12ème échelon doté de l'indice 510 au 1er janvier 2009 ; il a été contraint d'anticiper son départ à la retraite et sa pension de retraite a été diminuée de 15 % ; il a subi un manque à gagner de 146,40 euros par mois soit 1756,80 euros par an emportant un préjudice a minima de 41 577,60 euros ; le départ anticipé à la retraite est à l'origine d'un préjudice financier dès lors qu'il aurait pu prétendre à une retraite calculée sur la base de l'indice 548 emportant un manque à gagner d'environ 370 euros par mois, soit 4 440 euros par an et compte tenu de l'espérance de vie, un préjudice de 105 080 euros ;
- son préjudice moral et ses troubles dans les conditions d'existence peuvent être évalués à la somme de 10 000 euros.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État ;
- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 modifiée relative à l'organisation du service public de La Poste et à France Télécom ;
- le décret n° 57-1319 du 21 décembre 1957 portant règlement d'administration publique pour la fixation du statut particulier des corps des services de la distribution et de l'acheminement des postes, télégraphes et téléphones ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Burnichon, premier conseiller,
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public,
- les observations de Me B... substituant Me E... pour La Poste ainsi que celles de Me A... pour M. C... ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 6 juillet 2020, présentée pour La Poste ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 juillet 2020, présentée pour M. C... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. D... C..., fonctionnaire de l'administration des postes et télécommunications admis à la retraite depuis le 1er mai 2011, a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner solidairement La Poste et l'État à lui verser la somme de 115 080 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices financiers et moraux consécutifs à la minoration de sa pension de retraite. La Poste demande à la cour d'annuler le jugement du 23 janvier 2019 par lequel le tribunal administratif de Lyon l'a condamné solidairement avec l'État à verser à M. C... la somme de 41 500 euros, tous intérêts échus au jour du présent jugement et a rejeté le surplus de ses demandes. Par la voie de l'appel incident, M. C... demande à la cour de mettre à la charge solidairement de La Poste et de l'État le versement d'une somme supplémentaire de 75 080 euros avec intérêt au taux légal.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Si le jugement attaqué relève que M. C... aurait pu bénéficier, au moins à compter de l'année 2006, d'une chance sérieuse d'accéder au corps de conducteur de travaux (CDTX-DA) si des promotions dans ce grade avaient été organisées au bénéfice des fonctionnaires reclassés après 1993, il ne motive toutefois pas l'allocation de l'indemnité en capital plutôt qu'en rente, demandée à titre subsidiaire par La Poste. En s'abstenant de motiver leur jugement sur ce point, les premiers juges ont entaché leur jugement d'un défaut de motivation. Par suite, le jugement attaqué, entaché d'irrégularité, doit être annulé.
3. Il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer sur les demandes présentées devant le tribunal par M. C....
Sur les demandes à fin d'indemnisation :
S'agissant de l'exception de chose jugée :
4. L'arrêt n° 12LY00809 lu le 25 septembre 2012 a condamné La Poste et l'État à indemniser M. C... des préjudices subis en raison d'une perte de chance sérieuse de promotion dans le grade de conducteur de travaux à compter de 2006 et jusqu'à la date à laquelle il a bénéficié d'une dispense d'activité, le 20 octobre 2009. Les préjudices de carrière ainsi indemnisés sont distincts de ceux qui résultent de la perte de chance d'une meilleure pension. Par suite, l'exception de la chose jugée opposée par La Poste doit être écartée.
S'agissant de la responsabilité :
5. Aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 susvisée : " Les personnels de La Poste (...) sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 (...) et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 (...) ". Or, aux termes de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée : " En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...), non seulement par voie de concours (...) mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : 1° Examen professionnel ; 2° Liste d'aptitude (...) ". En application de l'article 58 de la loi du 11 janvier 1984 et des dispositions réglementaires prises pour son application, il appartient à l'autorité administrative, sauf à ce qu'aucun emploi vacant ne soit susceptible d'être occupé par des fonctionnaires à promouvoir, d'établir annuellement des tableaux d'avancement en vue de permettre l'avancement de grade.
6. D'une part, le législateur, par la loi du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales, en permettant à La Poste de ne recruter, le cas échéant, que des agents contractuels de droit privé, n'a pas entendu priver d'effet les dispositions de l'article 26 la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires reclassés. Par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de reclassement, en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires reclassés de toute possibilité de promotion interne, étaient entachés d'illégalité. En faisant application de ces décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires reclassés au motif que ces décrets en interdisaient la possibilité, le président de La Poste a méconnu les dispositions précitées de la loi du 11 janvier 1984.
7. D'autre part, la possibilité offerte aux fonctionnaires qui, comme M. C..., sont demeurés dans les corps dits de " reclassement " de La Poste de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de " reclassification " créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de reclassification, ne dispensait pas le président de La Poste de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de reclassement. Il appartenait, en outre, au ministre chargé des postes et télécommunications de veiller au respect par La Poste de ce droit à la promotion interne, garanti aux fonctionnaires reclassés.
8. Il résulte de l'instruction que M. C..., agent d'exploitation distribution acheminement de La Poste satisfaisait, à compter du mois d'avril 1996, aux conditions statutaires d'inscription sur la liste d'aptitude pour l'accès au grade de conducteur de travaux distribution-acheminement, qu'il a fait l'objet, entre 1995 et 2006, d'une appréciation professionnelle globale dans la catégorie "B" répondant aux exigences du poste occupé et que son aptitude à exercer des fonctions supérieures, lorsqu'elle a été appréciée, de 2000 à 2006, a été qualifiée de "bonne". Compte tenu de ces circonstances, il disposait d'une chance sérieuse d'être promu conducteur de travaux, à compter de l'année 2006. Il est par suite fondé à demander à être indemnisé de la perte de chance de percevoir une pension de retraite liquidée en conséquence.
9. En outre, il résulte de ce qui a été dit au point 7 que La Poste, en refusant de prendre toute mesure de promotion interne en faveur des fonctionnaires reclassés, a commis une faute de nature à engager sa responsabilité. L'État a, de même, commis une faute en ne prenant pas, avant le 14 décembre 2009, le décret organisant les possibilités de promotion interne pour les fonctionnaires des corps de reclassement de cet établissement. Ces deux fautes distinctes ayant concouru à la réalisation d'un même préjudice pour M. C..., tenant à la perte de chance de percevoir une pension de retraite liquidée selon la grille indiciaire du corps de conducteur de travaux, il y a lieu d'entrer en voie de condamnation solidaire de l'État et de La Poste.
10. La Poste se prévaut, il est vrai et ainsi qu'elle est recevable à le faire en sa qualité de société commerciale, des dispositions de l'article 2224 du code civil, entrées en vigueur le 19 juin 2008, aux termes desquelles : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". Cette prescription s'applique à toutes les actions relatives aux créances périodiques, notamment aux pensions de retraite. Par ailleurs, lorsqu'une dette est payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court contre chacune de ses fractions à compter de sa date d'exigibilité, de sorte que l'action en remboursement des sommes versées indûment se prescrit à compter de leurs dates d'exigibilité successives.
11. Le présent litige portant sur le paiement, non d'un arriéré de pension exigible par termes successifs mais d'une indemnité compensant la minoration de cette pension, le délai de prescription de la créance a couru, au plus tôt, à compter du départ à la retraite de M. C..., soit le 1er mai 2011, date à laquelle il a eu connaissance des éléments de liquidation de sa pension, donc de son préjudice. Dans ces conditions, au 14 septembre 2015, date de présentation par M. C... de sa demande indemnitaire ayant interrompu le cours de la prescription, la créance n'était pas prescrite et La Poste n'est pas fondée à soutenir n'en être plus débitrice.
S'agissant de l'évaluation des préjudices :
12. En premier lieu, et ainsi qu'il a été dit aux points 7 à 9, les fautes commises tant par La Poste que par l'État ont privé M. C... d'une chance sérieuse de percevoir une pension de retraite liquidée selon l'indice qu'il aurait pu détenir au 20 octobre 2009 en tant que conducteur de travaux, en fonction d'une promotion en 2006. Toutefois, il convient d'évaluer ce préjudice en tenant compte du fait que les intimés ne sont solidairement responsables que d'une perte de chance de percevoir une meilleure pension, non d'une perte de pension de retraite. En conséquence, la réparation ne saurait équivaloir à la différence de pension résultant sur vingt ans de l'application des indices terminaux d'agent d'exploitation et de conducteur de travaux. Il sera fait une exacte appréciation du préjudice de perte de chance en l'évaluant à la somme de 30 000 euros tous intérêts compris, exprimée en capital dès lors que l'indemnité allouée ne constitue pas un complément de revenu.
13. En second lieu, la circonstance que la pension de retraite de M. C... soit peu élevée ne révèle pas, en soi, un préjudice moral. Par ailleurs, dès lors que la liquidation de la retraite de M. C... selon la grille indiciaire d'agent d'exploitation n'était pas imprévisible, aucun trouble dans les conditions d'existence n'a pu en résulter. Ses demandes à ce titre doivent dès lors être rejetées.
14. Il résulte de ce qui précède que La Poste et le ministre des comptes publics sont seulement fondés à demander que la condamnation solidaire prononcée en première instance soit ramenée à la somme 30 000 euros et que le jugement attaqué soit réformé dans les mêmes proportions. Par les mêmes motifs, l'appel incident de M. C... tendant à ce que la condamnation solidaire de La Poste et de l'État soit portée à 117 300 euros outre intérêts doit être rejeté.
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. C... qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par La Poste et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. C... tendant à l'application des dispositions de ce même article.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1600146 du 23 janvier 2019 du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : La Poste et L'État verseront solidairement à M. C... la somme de 30 000 euros, tous intérêts échus au jour du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C..., à La Poste et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 6 juillet 2020, à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur,
Mme Burnichon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 25 août 2020.
N° 19LY01098 2