Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La SNC Arobase, M. E... D... et M. B... C... ont demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner l'Etat à leur verser les sommes de 59 514 euros, 1 000 euros, et 1 000 euros au titre des préjudices qu'ils ont chacun respectivement subis.
Par un jugement n° 1802292 du 2 mai 2019, le tribunal administratif de Dijon a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 22 mai 2019, et un mémoire enregistré le 6 septembre 2019, la SNC Arobase, M. E... D... et M. B... C... demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1802292 du 2 mai 2019 du tribunal administratif de Dijon ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser les sommes de 59 514 euros, 1 000 euros, et 1 000 euros au titre des préjudices qu'ils ont chacun respectivement subis;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'éventuelle faute de la SNC Arobase invoquée par l'administration ne l'exonère pas de sa propre faute et que l'adage " nemo auditur proprian turpitudinem allegans " ne s'applique qu'en matière de droit des contrats privés et pas en matière de responsabilité de l'administration ;
- toutes les prétendues fautes opposées par l'administration sont antérieures à la résiliation du contrat de gérance de débit de tabac ;
- l'administration a commis une faute à raison du vice de procédure, du défaut de motivation et de l'erreur d'appréciation entachant cette décision, relevés par le tribunal administratif de Dijon ;
- la SNC Arobase a subi une perte de bénéfice net d'un montant de 35 514 euros en raison de l'impossibilité d'exploiter son débit de tabac du 1er octobre 2016, date d'effet de la décision de résiliation, à la date de lecture du jugement du tribunal administratif de Dijon, soit le 1er décembre 2017, soit une durée de 18 mois ;
- elle a subi un préjudice en raison de la perte de chance de céder son fonds de commerce à hauteur de 24 000 euros représentant 40 % du prix de cessions du compromis signé avec Mme A... et M. G... ;
- M. E... D... et M. B... C..., cogérants de la SNC AROBASE, qui n'ont pas été en mesure de présenter leurs observations préalables, ont chacun subi un préjudice moral à hauteur de 1 000 euros en raison de l'attitude de l'administration qui les a contraint d'engager une procédure contentieuse pour faire reconnaître l'illégalité de la décision en litige ;
- Ces préjudices sont tous liés à la décision de résiliation du contrat de gérance du débit de tabac.
Par des mémoires, enregistrés les 13 août 2019 et 12 novembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête et à la confirmation du jugement du 2 mai 2019 du tribunal administratif de Dijon.
Il fait valoir que :
- la SNC Arobase et ses gérants ont commis une faute en ne respectant pas leur obligation d'approvisionner régulièrement le débit de tabac, entre août et octobre 2015 et décembre 2015 et octobre 2016, en cessant leur activité de vente de tabacs, en tardant à informer l'administration de la situation personnelle de M. D... qui était en arrêt de travail depuis le 19 juin 2015, n'a pas été remplacé et n'a donné aucune suite à la réactivation du contrat de gérance ;
- la résiliation est en tout état de cause restée sans effet sur leur situation dès lors que M. D... et M. C... étaient dans l'impossibilité d'exploiter le débit de tabac compte tenu de leur état de santé ;
- en vertu de l'adage nemo auditur proprian turpitudinem allegans, les appelants ne sont pas fondés à rechercher l'indemnisation d'un dommage dont ils sont la cause ;
- il n'y a pas de lien direct de causalité entre l'illégalité de la décision de résiliation du contrat, qui est justifiée au fond, qui tient à un vice de procédure et les préjudices invoqués des appelants ;
- la décision de résiliation du contrat de gérance est bien motivée ;
- le moyen relatif à la proportionnalité de cette décision, qui n'est pas une sanction mais une mesure contractuelle liée à l'exploitation d'un débit, est inopérant car cette décision est la seule mesure envisageable en cas d'inexécution des obligations inhérentes à la gérance d'un débit de tabac ;
- l'inaction des appelants a contribué à la dépréciation de leur fonds de commerce ;
- si l'administration avait strictement appliqué la règlementation, elle aurait pu interdire à la SNC Arobase de présenter un successeur ;
- la renonciation du successeur n'est pas susceptible d'engager la responsabilité de l'administration et ce alors que la perte de valeur du fonds de commerce, qui n'est plus exploité par ses gérants, est imputable aux seuls appelants ;
- le préjudice moral allégué des cogérants n'est pas justifié.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts,
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 2010-720 du 28 juin 2010 relatif à l'exercice du monopole de la vente au détail des tabacs manufacturés ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. F... ;
- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. La SNC Arobase a conclu le 7 janvier 2013 avec l'Etat un contrat, tacitement renouvelé en 2016, pour la gérance du débit de tabac N° 2100748 E, situé rue Ernest Petit à Dijon. Par un courrier du 21 octobre 2016, l'administration a informé M. D..., gérant de la SNC Arobase, de la résiliation de ce contrat et de la fermeture définitive du débit de tabac. Par jugement n° 1603479 du 1er décembre 2017, le tribunal administratif de Dijon a annulé pour vice de procédure la décision du 21 octobre 2016 de résiliation du contrat de gérance. Par un courrier du 14 juin 2018, la SNC Arobase et ses gérants ont adressé à la direction régionale des douanes de Bourgogne, qui l'a implicitement rejetée, une demande préalable d'indemnisation. La SNC Arobase, M. E... D... et M. B... C... ont demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner l'Etat à leur verser les sommes de 59 514 euros au titre du préjudice subi par la SNC et celle de 1 000 euros pour chacun des associés au titre de leur préjudice moral personnel. Par un jugement n° 1802292 du 2 mai 2019, dont la SNC Arobase, M. E... D... et M. B... C... relèvent appel, le tribunal administratif de Dijon a rejeté leur demande.
2. Aux termes de l'article 2 du décret du 28 juin 2010 susvisée : " Le directeur interrégional des douanes et droits indirects peut décider de résilier le contrat de gérance ou de ne pas le renouveler à l'échéance d'une période de trois ans si le débitant de tabac ou le gérant ou un associé de la société en nom collectif ne respecte pas l'une des obligations fixées par ce contrat ou par le présent décret. Il en informe le débitant et l'invite à présenter ses observations trois mois au moins avant la date d'effet de la mesure envisagée ". Aux termes de l'article 7 du même décret : " Les débits de tabac ordinaires permanents ont pour fonction de vendre au détail des tabacs manufacturés dans tous les lieux autres que ceux réservés aux débits de tabac spéciaux. Ils sont ouverts toute l'année, sauf pendant les périodes de fermeture prévues par l'article 30 ".
3. Lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité, pour un vice de procédure, d'une décision défavorable, il appartient au juge de plein contentieux, saisi de moyens en ce sens, de déterminer, en premier lieu, la nature de cette irrégularité procédurale puis, en second lieu, de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si, compte tenu de la nature et de la gravité de cette irrégularité procédurale, la même décision aurait pu être légalement prise dans le cadre d'une procédure régulière.
4. L'annulation juridictionnelle de la décision de résiliation du 21 octobre 2016 est intervenue au motif d'un vice de procédure tenant à l'absence d'information préalable sur l'intention de l'administration de résilier le contrat de gérance qui a privé la société d'une garantie. La société n'a pas davantage été invitée à présenter de nouvelles observations après l'échec de la cession du fonds de commerce. Si une telle illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, il résulte cependant de l'instruction que l'activité du débit de tabac a été interrompue en l'absence d'approvisionnement en tabac d'août 2015 à octobre 2015 et depuis décembre 2015, avant sa fermeture constatée le 1er mars 2016. L'un des gérants, M. D..., a seulement informé l'administration le 1er juillet 2016 de son arrêt de travail pour maladie depuis le 19 juin 2015. Par ailleurs, alors que l'état de santé des deux gérants leur interdisait d'exploiter leur débit de tabac, leur successeur désigné a renoncé à son projet de reprise et les gérants n'ont donné quant à eux aucune suite effective à la réactivation du contrat de gérance. La fermeture du débit de tabac a été de nouveau constatée le 1er août 2018, après une période de fermeture provisoire en raison de l'indisponibilité des cogérants qui n'avaient aucune solution de reprise et de continuation.
5. C'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu l'absence de lien de causalité entre l'illégalité fautive de la décision de résiliation et les préjudices de nature économique allégués par les requérants. Ces derniers, et notamment MM. D... et C..., n'établissent pas en ce qui les concerne la réalité d'un préjudice moral directement lié au vice de procédure initialement sanctionné par le juge de l'excès de pouvoir.
6. La décision de résiliation du contrat de gérance, qui comporte les considérations de droit et de fait qui la fondent, est par ailleurs suffisamment motivée et les requérants ne sont pas, en tout état de cause, fondés à se prévaloir d'une autre cause d'illégalité fautive formelle de cette décision.
7. Enfin, il résulte des dispositions précitées de l'article 2 du décret du 28 juin 2010, que seule la résiliation du contrat de gérance ou son non renouvellement à l'échéance d'une période de trois ans peut être décidée si le débitant de tabac ou le gérant ou un associé de la société en nom collectif ne respecte pas l'une des obligations fixées par le contrat de gérance ou par ledit décret. Dans ces conditions, et eu égard à ce qui a été dit au point 4, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la mesure de résiliation est entachée d'une erreur d'appréciation constitutive d'une faute, en invoquant en particulier sa disproportion, en invoquant tant ses conséquences que le contexte personnel dans lequel elle est intervenue. Les appelants ne sont donc pas fondés à invoquer une autre illégalité fautive que celle, formelle, initialement sanctionnée par le tribunal.
8. Il résulte de ce qui précède que la SNC Arobase, M. E... D... et M. B... C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté leur demande d'indemnisation des préjudices subis en raison de la décision de résiliation du contrat de gérance de débit de tabac. Leurs conclusions présentées en appel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, en conséquence, être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SNC Arobase, de M. E... D... et de M. B... C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SNC Arobase, à M. E... D..., à M. B... C..., et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 11 février 2021, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président de chambre,
Mme Michel, président-assesseur,
M. F..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mars 2021.
2
N° 19LY01924