Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler d'une part, l'arrêté du 19 septembre 2020 par lequel le préfet de l'Isère a prononcé sa reconduite à la frontière d'office à destination de la Tunisie, d'autre part, l'arrêté du 19 septembre 2020 par lequel le préfet de l'Isère l'a assigné à résidence.
Par un jugement n° 2005451 du 24 septembre 2020, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a annulé les deux décisions.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 23 octobre 2020, le préfet de l'Isère, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 24 septembre 2020 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de rejeter la requête de M. B... présentée devant le tribunal administratif de Grenoble.
Le préfet de l'Isère soutient que :
- il a respecté la procédure contradictoire ;
- il n'a commis aucune erreur de fait sur l'identité de l'intéressé ;
- l'intéressé ne démontre pas qu'il serait soumis à des risques personnels et réels de tortures ou de traitements inhumains, au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 décembre 2020, M. B..., représenté par Me Gerin, conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de l'Etat une somme de de 1 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que son conseil renonce au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Il fait valoir que les moyens présentés par le préfet de l'Isère ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 février 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Fédi, président-assesseur.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant tunisien, né le 11 octobre 1980, a été interpellé par les services de police le 18 septembre 2020. La consultation du fichier Schengen a mis en évidence que ce dernier a fait l'objet en Allemagne d'une interdiction du territoire de l'espace Schengen le 27 mai 2019. Par arrêté du 19 septembre 2020, le préfet de l'Isère a alors prononcé sa reconduite à la frontière d'office à destination de la Tunisie, sur le fondement de l'article L. 531-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par arrêté du même jour, le même préfet a assigné M. B... à résidence pour une durée de six mois. Le préfet de l'Isère relève appel du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 24 septembre 2020 qui a annulé ces deux arrêtés.
Sur la légalité de la décision portant reconduite à la frontière d'office :
2. Aux termes de l'article L. 531-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne a fait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission en vertu d'une décision exécutoire prise par l'un des autres Etats parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 et qu'il se trouve irrégulièrement sur le territoire métropolitain, l'autorité administrative peut décider qu'il sera d'office reconduit à la frontière. /Il en est de même lorsqu'un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, qui se trouve en France, a fait l'objet d'une décision d'éloignement exécutoire prise par l'un des autres Etats membres de l'Union européenne. (...) ". Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) /1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 121-1 du même code : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ".
3. La reconduite à la frontière, régie par l'article L. 531-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui constitue une mesure spécifique, distincte des mesures d'éloignement régies par le titre Ier du livre V de ce code, est soumise à des règles différentes concernant la procédure administrative. Dès lors que le législateur n'a pas entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse relatives aux reconduites à la frontière d'office, à la différence des mesures d'éloignement de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, cette mesure est soumise aux obligations résultant des articles L. 211-2 et L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration.
4. Si le préfet fait valoir que M. B..., qui a été invité à faire connaître ses éventuelles observations, ne justifie pas avoir formulé des observations ou avoir sollicité un entretien avec les services de la préfecture ou même avoir été empêché de s'exprimer avant que ne soit prise la décision contestée, il ressort, toutefois, des pièces du dossier d'une part, que M. B... a été informé le 19 septembre 2020, par un courrier notifié à 19 heures 15, que le préfet de l'Isère envisageait de prendre à son encontre une décision de réadmission à destination de la Tunisie et qu'il était mis en mesure de présenter ses observations dans un délai de 48 heures d'autre part, que cette décision de réadmission lui a été notifiée le même jour à la même heure, à 19 heures 15. Compte tenu de l'absence de délai entre ces deux notifications, le préfet de l'Isère ne peut être regardé comme ayant respecté la procédure contradictoire préalable découlant du code des relations entre le public et l'administration et alors même qu'il n'est invoqué aucune situation d'urgence.
5. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 19 septembre 2020 ordonnant la reconduite à la frontière de M. B..., ainsi que, par voie de conséquence, son arrêté du même jour assignant à résidence l'intéressé.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
6. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros à Me Gerin, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir l'aide juridictionnelle.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de l'Isère est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à Me Gérin, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir l'aide juridictionnelle.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et à Me Gérin.
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 28 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
M. Gilles Fédi, président-assesseur,
Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 octobre 2021.
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N° 20LY03093