Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Franck a demandé au tribunal administratif de Grenoble :
- d'annuler la décision du 9 novembre 2016 par laquelle le maire de la commune de Chambéry a implicitement refusé de reconnaitre l'irrégularité de l'emprise constituée sur la cour intérieure lui appartenant, cadastrée section BN n° 1 lot n° 21 ;
- de constater l'emprise irrégulière constituée par la commune de Chambéry sur la cour intérieure lui appartenant ;
- à titre subsidiaire, si le caractère irrégulier de l'emprise n'était pas reconnu, de fixer à 1 200 euros l'indemnité mensuelle due par la commune de Chambéry, au titre de l'occupation du passage et ce jusqu'à renonciation effective de la commune à autoriser le passage du public sur cette parcelle ;
- de mettre à la charge de la commune de Chambéry une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1700135 du 25 juin 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 25 août 2019, la société Franck, représentée par Me Degrange, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement susmentionné du 25 juin 2019 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) d'annuler la décision du 9 novembre 2016 par laquelle le maire de la commune de Chambéry a implicitement refusé de reconnaître l'irrégularité de l'emprise constituée sur la cour intérieure lui appartenant, cadastrée section BN n° 1 lot n° 21 ;
3°) de constater l'emprise irrégulière constituée par la commune de Chambéry sur la cour intérieure lui appartenant ;
4°) de la renvoyer devant le tribunal de grande instance de Chambéry, juridiction compétente pour fixer le montant de l'indemnité devant être versée par la commune de Chambéry au titre de l'occupation irrégulière de la parcelle cadastrée section BN n°1 lot n°21 ;
5°) à titre subsidiaire, si le caractère irrégulier de l'emprise n'était pas reconnu, de fixer à 1 200 euros l'indemnité mensuelle due par la commune de Chambéry, au titre de l'occupation du passage situé sur la parcelle en litige et ce jusqu'à renonciation effective de la commune à autoriser le passage du public sur cette parcelle ;
6°) de mettre à la charge de la commune de Chambéry une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en exigeant, sans recourir à la procédure d'expropriation, qu'elle n'obstrue d'aucune manière, qu'elle ne limite pas l'accès et qu'elle laisse ouvert au public le passage qui emprunte la cour intérieure pour relier la place Monge à la place Saint Léger, la commune de Chambéry exerce une emprise irrégulière, sans titre, dès lors que la servitude de passage dont elle bénéficiait, par une convention d'occupation du 1er octobre 1983, est caduque depuis le 1er octobre 2013, que le règlement du plan de sauvegarde et de mise en valeur du secteur ancien ne fait pas référence à l'ouverture au public de ce passage, et qu'aucun acte administratif ni aucune servitude d'utilité publique juridiquement établie n'impose une telle contrainte ;
- elle subit un préjudice en raison de la présence sur le sol de la cour de déjections de toute nature liées à l'ouverture au public et à son impossibilité d'empêcher cette situation ;
- à titre subsidiaire, en l'absence de versement de la moindre contrepartie financière au titre de l'occupation d'une partie de la cour intérieure lui appartenant, la commune de Chambéry sera condamnée à lui verser une indemnité d'occupation mensuelle de 1 200 euros à compter du 8 septembre 2016 et jusqu'à renonciation effective de ladite commune à autoriser le passage du public sur la parcelle cadastrée BN n° 1.
Par un mémoire enregistré le 14 septembre 2020, la commune de Chambéry, représentée par Me Duraz, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Franck la somme de 4 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- il n'y a aucune emprise irrégulière dès lors qu'il n'y a pas eu de dénonciation de la convention entre la commune et la copropriété, qui s'était revendiquée propriétaire de la cour intérieure, ayant autorisé le passage au public, qui s'est reconduit tacitement, et que l'utilisation du passage est intervenue avec l'accord amiable de son propriétaire, la société Franck n'étant pas propriétaire du lot n° 21 ;
- en tout état de cause, comme l'a jugé le tribunal, la société Franck ne fait état d'aucun travaux effectués par la commune ou d'un quelconque obstacle de nature à constituer une emprise irrégulière et si elle se prévaut d'une opposition à sa déclaration préalable pour l'apposition d'une grille pour fermer au public le passage couvert, cette opposition n'a pas été contestée dans le délai de recours et n'a ni pour objet, ni pour effet d'établir l'existence d'une telle emprise ;
- eu égard à l'intérêt général qui s'attache à la liberté du passage à cet endroit, ce dernier est susceptible d'être déclaré d'utilité publique dès lors qu'il s'inscrit dans l'axe d'échanges piétonniers entre la place Saint Léger et la place Monge et dans les objectifs de mise en valeur du patrimoine bâti et non bâti du centre ancien, et qu'il est entretenu régulièrement par la commune, qui en assure l'éclairage public, et qu'il dessert l'unique entrée de l'immeuble située 193 rue Croix d'Or ;
- la société Franck ne subit aucun préjudice dès lors que le lot n° 21 constitue l'assiette d'une cour intérieure permettant l'accès à la montée d'escalier et aux autres lots à usage d'habitation, et la somme de 1 200 euros qu'elle demande ne repose sur aucun élément, le tribunal ayant jugé que le passage ne fait l'objet d'aucune restriction de circulation au public et ladite société ne se prévalant d'aucun autre préjudice que celui qui a vocation à être réparé par le juge judiciaire.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rivière ;
- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public ;
- les observations de Me Di Nicola, pour la commune de Chambéry ;
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Franck, qui exerce une activité de marchand de biens, a acquis le 14 avril 1999 au sein d'un immeuble en copropriété sis 193 rue Croix d'Or à Chambéry un bien cadastré section BN n° 1. Ce bien était notamment constitué d'un lot 21 correspondant à une cour intérieure. Cette cour intérieure, dont une partie a été clôturée par le syndicat des copropriétaires, avec l'accord du précédent propriétaire pour aménager l'accès unique aux locaux d'habitation, est partie prenante de l'assiette d'un passage piétonnier reliant la place Monge à la place Saint Léger dans le centre ancien de la commune de Chambéry. Ce passage a fait l'objet le 1er octobre 1983 d'une convention d'occupation d'une durée de 10 ans renouvelable tacitement entre la copropriété de l'immeuble situé 193 rue Croix d'Or représenté par son syndicat et la commune de Chambéry, par laquelle cette dernière a accepté de rénover et d'entretenir ce passage avec en contrepartie l'obligation de laisser son accès libre au public tous les jours de 7 h à 21 h. La SARL Franck a contesté devant le tribunal administratif de Grenoble le refus implicite de la commune de reconnaître l'irrégularité de l'emprise ainsi constituée sur la cour intérieure lui appartenant et de lui verser une contrepartie financière afin de laisser libre le passage. Par un jugement du 25 juin 2019, dont elle relève appel, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement :
Concernant la légalité de la décision implicite contestée et en particulier le constat d'une emprise irrégulière :
2. En se prévalant de l'exigence qui lui est imposée par la commune de Chambéry de ne pas obstruer et limiter l'accès du passage, qui emprunte en partie la cour intérieure pour relier la place Monge à la place Saint Léger, et donc de l'obligation qui lui est faite de laisser ouvert au public ce passage, la société Franck ne démontre pas l'existence d'une emprise irrégulière, en particulier la dépossession d'un droit réel immobilier relatif à cette cour intérieure, alors que ce passage ouvert au public était mentionné au nombre des dispositions d'urbanisme applicables au terrain dans l'acte notarié de vente du 14 avril 1999 par lequel elle est notamment devenue propriétaire de cette cour. Cet acte indiquait également, en ce qui concerne les servitudes d'utilité publique applicables au terrain, que celui-ci est situé dans le périmètre de protection d'un monument historique ou d'un site et que " le nouveau propriétaire s'oblige à faire son affaire personnelle de l'exécution des charges et prescriptions, du respect des servitudes publiques et autres limitations administratives au droit de propriété mentionnées en ce document ci-dessus littéralement rapporté " et " doit supporter les servitudes passives grevant ce bien, sauf à s'en défendre, et profiter de celles actives, le tout à ses risques et périls ". Par jugement du 26 août 2016, le juge de l'expropriation de la Savoie a d'ailleurs indiqué que la parcelle est grevée d'une servitude administrative de passage et d'une servitude d'accès à la copropriété et par jugement du 17 mai 2018, le tribunal de grande instance de Chambéry a relevé que le lot n° 21 est grevé d'un droit de passage au profit des autres lots de la copropriété, s'agissant du seul moyen d'accéder aux différents lots. Ce dernier jugement a été confirmé par un arrêt du 19 janvier 2021 de la cour d'appel de Chambéry. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la convention d'occupation du 1er octobre 1983 citée précédemment, à laquelle il n'apparait pas que le propriétaire de la cour se soit alors opposé, soit caduque depuis le 1er octobre 2013, alors que cette convention conclue pour une durée de dix ans, est reconductible tacitement d'année en année à défaut de dénonciation, selon un formalisme qu'elle précise, par l'une ou l'autre des parties et n'est donc pas limitée à une durée de trente ans.
3. Il résulte de ce qui précède que la société Franck n'est pas fondée à soutenir qu'elle fait l'objet d'une emprise irrégulière de la part de la commune de Chambéry du fait de l'emprise du passage précité.
Concernant, à titre subsidiaire, l'octroi d'une indemnité d'occupation :
4. La société requérante ne démontre pas avoir subi une privation complète de son bien ou même une limitation au libre accès à sa propriété en raison du maintien de l'ouverture au public du passage susmentionné imposé par la commune de Chambéry. Par suite, elle n'est pas fondée à solliciter la condamnation de cette commune à lui verser une indemnité d'occupation de 1 200 euros par mois jusqu'à sa renonciation effective à autoriser le passage du public sur la parcelle concernée.
5. Il résulte de ce qui précède que la société Franck, n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Les conclusions présentées à ce titre par la société Franck, partie perdante, doivent être rejetées.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Franck au profit de la commune de Chambéry la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Franck est rejetée.
Article 2 : La société Franck versera à la commune de Chambéry la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Franck et à la commune de Chambéry.
Délibéré après l'audience du 4 novembre 2021, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président de chambre,
Mme Michel, présidente-assesseure,
M. Rivière, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 novembre 2021.
2
N° 19LY03347