Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme D... G..., agissant en son nom propre et au nom de son fils mineur, M. E... F..., a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Etat, la métropole de Lyon et la commune de Lyon à lui verser une indemnité de 30 000 euros en réparation des préjudices subis par son fils et une indemnité de 35 000 euros en réparation de ses préjudices, majorées des intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation, avec capitalisation des intérêts échus à compter de cette même formalité.
Par un jugement n° 1800362 du 26 septembre 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 26 novembre 2019 et un mémoire enregistré le 1er mars 2021, Mme G..., agissant en son nom propre et au nom de son fils mineur, M. E... F..., et représentée par Me Lafforgue, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 26 septembre 2019 ;
2°) de condamner l'Etat, la métropole de Lyon et la commune de Lyon à lui verser une indemnité de 30 000 euros en réparation des préjudices subis par son fils et une indemnité de 35 000 euros en réparation de ses propres préjudices, majorées des intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation, avec capitalisation des intérêts échus à compter de cette même formalité ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat, de la métropole de Lyon et de la commune de Lyon une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- ses conclusions dirigées contre la métropole de Lyon et la ville de Lyon étaient recevables, celles-ci présentant un lien suffisant avec celles dirigées contre l'Etat et ayant été présentées dans le respect du délai de recours ;
S'agissant de la responsabilité de l'Etat :
- l'Etat méconnaît les obligations qui lui incombent en vertu des articles 13 et 23 de la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 tels que transposés dans le code de l'environnement, compte tenu des dépassements récurrents des valeurs limites de concentration de polluants dans l'air, notamment dans l'agglomération lyonnaise entre 2012 et 2018, qui témoignent de l'insuffisance de la réglementation, notamment du plan de protection de l'atmosphère de l'agglomération lyonnaise ; une telle carence constitue une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat ;
- l'Etat méconnaît les obligations lui incombant en vertu des articles 2 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, compte tenu de l'inefficacité de la réglementation adoptée ; cette violation constitue une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat ;
- l'Etat méconnaît les obligations lui incombant en vertu du droit national et résultant plus particulièrement de la Charte de l'environnement, notamment de ses articles 1 à 5, du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, plus précisément ses alinéas 10 et 11, et de l'article L. 220-1 du code de l'environnement, la réglementation adoptée étant inefficace ; une telle carence à avoir adopté des mesures suffisantes constitue une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat ;
- les mesures prises par les services préfectoraux lors de la survenance de pics de pollution sont insuffisantes et leur exécution n'est pas contrôlée ; tel a notamment été le cas dans l'agglomération lyonnaise lors de l'épisode survenu au mois de décembre 2016 ; cette insuffisance est constitutive d'une carence fautive susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat ;
S'agissant de la responsabilité de la métropole de Lyon et de la commune de Lyon :
- les mesures prises par la métropole de Lyon, notamment son projet de " plan oxygène ", sont notoirement insuffisantes pour lutter contre la pollution de l'air, en méconnaissance des compétences qui lui sont dévolues par l'article L. 3641-1 du code général des collectivités territoriales ;
- les mesures prises par la métropole de Lyon et la commune de Lyon lors de la survenance d'un pic de pollution en décembre 2016 ont été insuffisantes et leur exécution n'a pas été contrôlée ;
S'agissant du lien de causalité et des préjudices subis :
- il existe des présomptions graves, précises et concordantes qui permettent d'établir le lien de causalité entre les carences fautives des autorités publiques et la pollution atmosphérique et, par suite, les pathologies respiratoires de son fils ;
- son fils justifie de préjudices, tenant à la souffrance endurée qui doit être indemnisée à hauteur de 20 000 euros, aux troubles dans ses conditions d'existence qui doivent être indemnisés à hauteur de 5 000 euros et à un préjudice de contamination qui doit être évalué à 5 000 euros ;
- elle-même justifie de préjudices, tenant aux troubles dans ses conditions d'existence qui doivent être indemnisés à hauteur de 5 000 euros, à un préjudice d'angoisse qui doit être évalué à 20 000 euros et à un préjudice d'anxiété en raison de la contamination de son fils qui doit être évalué à 10 000 euros ;
Sur les causes exonératoires :
- aucune faute de tiers propre à exonérer l'Etat de sa responsabilité n'est démontrée ;
- elle ne peut être regardée comme ayant accepté le risque que son fils développe une pathologie, du seul fait qu'elle n'ignore pas que l'agglomération lyonnaise est touchée par la pollution.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 janvier 2021, la commune de Lyon, représentée par Me Paillat (SELARL Paillat Conti et Bory), avocate, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de Mme G... la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle expose que :
- les conclusions de Mme G... formées à son encontre étaient irrecevables ;
- subsidiairement, aucune faute ne lui est imputable ;
- aucun lien de causalité entre la faute qui lui est reprochée et les préjudices invoqués n'est établi ;
- la réalité des préjudices invoqués n'est pas démontrée.
Par deux mémoires en défense enregistrés le 20 janvier 2021 et le 1er mars 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.
Elle expose que :
- aucune faute n'est imputable à l'Etat et à ses services déconcentrés ;
- subsidiairement, aucun lien de causalité entre la carence fautive qui lui est reprochée et la pollution atmosphérique et entre la pollution atmosphérique et l'état de santé du fils A... la requérante n'est établi ;
- des faits de tiers sont de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité ;
- la requérante ayant accepté le risque qu'elle invoque, aucune responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée ;
- les préjudices allégués ne sont pas établis.
Par un mémoire en défense enregistré le 22 janvier 2021, la métropole de Lyon, représentée par Me Petit (SELAS Adamas affaires publiques), avocat, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de Mme G... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle expose que :
- les conclusions de Mme G... formées à son encontre étaient irrecevables ;
- subsidiairement, aucune faute ne lui est imputable ;
- aucun lien de causalité entre la faute qui lui est reprochée et les préjudices invoqués n'est établi ;
- les préjudices invoqués sont dépourvus de caractère certain.
Par ordonnance du 2 mars 2021, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 22 mars 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le traité sur l'Union européenne ;
- la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe ;
- la directive (UE) 2015/1480 de la commission du 28 août 2015 modifiant plusieurs annexes des directives du Parlement européen et du Conseil 2004/107/CE et 2008/50/CE établissant les règles concernant les méthodes de référence, la validation des données et l'emplacement des points de prélèvement pour l'évaluation de la qualité de l'air ambiant ;
- le code de l'environnement ;
- l'arrêté interministériel du 26 mars 2014 relatif au déclenchement des procédures préfectorales en cas d'épisodes de pollution de l'air ambiant ;
- l'arrêté interministériel du 7 avril 2016 relatif au déclenchement des procédures préfectorales en cas d'épisodes de pollution de l'air ambiant ;
- l'arrêté inter-préfectoral n° 2014335-0003 du 1er décembre 2014 relatif au déclenchement des procédures préfectorales en cas d'épisodes de pollution de l'air ambiant pour les départements de la région Rhône-Alpes ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Sophie Corvellec, première conseillère ;
- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;
- les observations de Me Baron, avocate, représentant Mme G..., de Me Untermaier, avocat, représentant la métropole de Lyon, et de Me Paillat, avocate, représentant la commune de Lyon ;
Considérant ce qui suit :
1. Par courriers du 20 septembre 2017 et du 27 mai 2019, Mme G..., résidente de Villeurbanne, a, en son nom propre et en celui de son fils mineur, E... F..., recherché la responsabilité de l'Etat, de la métropole de Lyon et de la commune de Lyon pour carences fautives, en raison de l'insuffisance des mesures prises pour lutter contre la pollution atmosphérique, notamment lors des épisodes de pollution. Ses demandes préalables ayant été rejetées, elle a saisi aux mêmes fins le tribunal administratif de Lyon, qui a rejeté sa demande par un jugement du 26 septembre 2019 dont elle relève appel.
Sur la recevabilité des conclusions de première instance dirigées contre la métropole de Lyon et la commune de Lyon :
2. Il ressort des pièces du dossier de première instance que, dans sa requête enregistrée par le tribunal administratif de Lyon le 20 janvier 2018, Mme G... avait initialement sollicité la seule condamnation de l'Etat. Ce n'est que dans son mémoire enregistré le 17 juillet 2019 qu'elle a également sollicité la condamnation de la métropole de Lyon et de la commune de Lyon. B... demandes, qui sont dirigées contre des autorités publiques distinctes de l'Etat et sont fondées sur la méconnaissance d'obligations qui leur sont propres, constituent des demandes nouvelles. Présentées postérieurement à l'expiration du délai de recours, elles étaient par suite irrecevables, ainsi que l'ont estimé à juste titre les premiers juges, sans que Mme G... ne puisse utilement soutenir qu'elles présentaient un lien suffisant avec celles initialement présentées.
3. Il suit de là que Mme G... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes dirigées contre la métropole de Lyon et la commune de Lyon.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la faute imputable à l'Etat :
S'agissant de la méconnaissance de la directive du 21 mai 2008, telle que transposée en droit national :
4. D'une part, aux termes de l'article 1er de la directive du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe : " La présente directive établit des mesures visant : / 1) à définir et à fixer des objectifs concernant la qualité de l'air ambiant, afin d'éviter, de prévenir ou de réduire les effets nocifs pour la santé humaine et pour l'environnement dans son ensemble ; (...) ". L'article 4 de cette même directive dispose que : " Les États membres établissent des zones et des agglomérations sur l'ensemble de leur territoire. L'évaluation de la qualité de l'air et la gestion de la qualité de l'air sont effectuées dans toutes les zones et agglomérations ". Selon le paragraphe 1 de son article 13 : " Les États membres veillent à ce que, dans l'ensemble de leurs zones et agglomérations, les niveaux d'anhydride sulfureux, de PM10, de plomb et de monoxyde de carbone dans l'air ambiant ne dépassent pas les valeurs limites fixées à l'annexe XI. / En ce qui concerne le dioxyde d'azote et le benzène, les valeurs limites indiquées à l'annexe XI ne peuvent pas être dépassées à partir des dates indiquées à ladite annexe. (...) ". B... dispositions ont été transposées notamment à l'article L. 221-1 du code de l'environnement, qui prévoit que : " I. - L'Etat assure, avec le concours des collectivités territoriales dans le respect de leur libre administration et des principes de décentralisation, la surveillance de la qualité de l'air et de ses effets sur la santé et sur l'environnement. Un organisme chargé de la coordination technique de la surveillance de la qualité de l'air est désigné par arrêté du ministre chargé de l'environnement. Des normes de qualité de l'air définies par décret en Conseil d'Etat sont fixées, après avis de l'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, en conformité avec celles définies par l'Union européenne et, le cas échéant, par l'Organisation mondiale de la santé. B... normes sont régulièrement réévaluées pour prendre en compte les résultats des études médicales et épidémiologiques. / Un objectif pluriannuel de diminution de la moyenne annuelle des concentrations journalières de particules atmosphériques est fixé par arrêté des ministres chargés de l'environnement et de la santé, pris après avis de l'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail. (...) ". Le point 1.1 du II de l'article R. 221-1 du même code, qui reprend les valeurs prévues à l'annexe XI de la directive du 21 mai 2008 précitée, fixe, pour le dioxyde d'azote, les normes de qualité de l'air suivantes : " (...) d) Valeur limite horaire pour la protection de la santé humaine : 200 µg/m³ en moyenne horaire à ne pas dépasser plus de dix-huit fois par année civile, cette valeur limite étant applicable à compter du 1er janvier 2010 ; / e) Valeur limite annuelle pour la protection de la santé humaine : 40 µg/m³ en moyenne annuelle civile, cette valeur étant applicable à compter du 1er janvier 2010 ". Le point 2.1 du même II fixe, pour les particules fines " PM10 ", les normes suivantes : " (...) d) Valeurs limites pour la protection de la santé : / 50 µg/m³ en moyenne journalière à ne pas dépasser plus de trente-cinq fois par année civile ; / 40 µg/m³ en moyenne annuelle civile ".
5. D'autre part, aux termes du 1 de l'article 23 de la directive du 21 mai 2008 précitée : " Lorsque, dans une zone ou agglomération donnée, les niveaux de polluants dans l'air ambiant dépassent toute valeur limite ou toute valeur cible, majorée dans chaque cas de toute marge de dépassement, les États membres veillent à ce que des plans relatifs à la qualité de l'air soient établis pour cette zone ou agglomération afin d'atteindre la valeur limite ou la valeur cible correspondante indiquée aux annexes XI et XIV. / En cas de dépassement de B... valeurs limites après le délai prévu pour leur application, les plans relatifs à la qualité de l'air prévoient des mesures appropriées pour que la période de dépassement soit la plus courte possible. Ils peuvent comporter des mesures additionnelles spécifiques pour protéger les catégories de population sensibles, notamment les enfants. / B... plans relatifs à la qualité de l'air contiennent au moins les informations énumérées à l'annexe XV, section A, et peuvent aussi inclure les mesures visées à l'article 24. Ils sont transmis à la Commission sans délai, et au plus tard deux ans après la fin de l'année au cours de laquelle le premier dépassement a été constaté. (...) ". Selon l'article L. 222-4 du code de l'environnement, qui transpose la directive précitée sur ce point : " I. - Dans toutes les agglomérations de plus de 250 000 habitants, (...) le préfet élabore un plan de protection de l'atmosphère, compatible avec les orientations du plan régional pour la qualité de l'air s'il existe et, à compter de son adoption, avec les orientations du schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie. / Pour les zones mentionnées au premier alinéa, le recours à un plan de protection de l'atmosphère n'est pas nécessaire lorsqu'il est démontré que des mesures prises dans un autre cadre seront plus efficaces pour respecter B... normes. (...) ". L'article L. 222-5 du même code dispose en outre que : " Le plan de protection de l'atmosphère et les mesures mentionnées au deuxième alinéa du I de l'article L. 222-4 ont pour objet, dans un délai qu'ils fixent, de ramener à l'intérieur de la zone la concentration en polluants dans l'atmosphère à un niveau conforme aux normes de qualité de l'air mentionnées à l'article L. 221-1 ou, le cas échéant, les normes spécifiques mentionnées au 2° du I de l'article L. 222-1. (...) ".
6. D'une part, il résulte de B... dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt C-404/13 du 19 novembre 2014 mais également dans son arrêt C-636/18 du 24 octobre 2019 concernant la France, que celles-ci imposent l'établissement d'un plan relatif à la qualité de l'air conforme à son article 23 lorsque n'est pas assuré le respect des exigences résultant de son article 13 et que, si les Etats membres disposent d'une certaine marge d'appréciation pour la détermination des mesures à adopter, celles-ci doivent, en tout état de cause, permettre que la période de dépassement des valeurs limites soit la plus courte possible. L'élaboration d'un plan relatif à la qualité de l'air conforme à l'article 23, paragraphe 1, deuxième alinéa, de cette directive ne saurait permettre, à elle seule, de considérer que l'Etat membre en cause a néanmoins satisfait aux obligations qui s'imposent à lui en vertu de l'article 13 de cette directive.
7. Il résulte de l'instruction que si le niveau de particules fines PM10 respecte, depuis 2016, les valeurs limites requises, tant en moyenne annuelle que journalière, dans l'atmosphère de l'agglomération lyonnaise, en revanche, B... valeurs ont été régulièrement dépassées précédemment et l'ont été constamment s'agissant du dioxyde d'azote, en moyenne annuelle, entre 2012 et 2018, période invoquée par Mme G.... De tels dépassements constituent une méconnaissance des dispositions des articles L. 221-1 et R. 221-1 du code de l'environnement, qui transposent sur ce point les exigences prévues par l'article 13 de la directive du 21 mai 2008 précitée. Si le dépassement des valeurs limites ne suffit pas à caractériser une carence fautive de l'Etat, la fréquence et la persistance des dépassements ainsi observés démontrent que les instruments déployés par l'Etat, notamment le plan de protection de l'atmosphère de l'agglomération lyonnaise, dans sa version du 31 janvier 2014, qui tient lieu de plan relatif à la qualité de l'air prévu par l'article 23 de la directive du 21 mai 2008, ainsi que les mesures prises pour sa mise en œuvre, ont été insuffisants, dès lors qu'ils n'ont pas permis que la période de dépassement des valeurs limites dans l'agglomération lyonnaise soit la plus courte possible.
8. D'autre part, si les plans de protection de l'atmosphère ont vocation à tenir lieu des plans relatifs à la qualité de l'air prévus par l'article 23 de la directive du 21 mai 2008, aucune disposition de cette directive, comme aucune disposition de droit national, ne s'oppose à ce que l'administration emploie d'autres instruments pour ramener les émissions de polluants à un niveau compatible avec les normes de qualité de l'air définies aux articles L. 221-1 et R. 221-1 du code de l'environnement. En toute hypothèse, afin de pouvoir être regardés comme des plans relatifs à la qualité de l'air conformes aux exigences de la directive, les plans de protection de l'atmosphère et les instruments qui les complètent ou les remplacent doivent, d'une part, comporter l'ensemble des informations prévues à la section A de l'annexe XV de la directive telle que transposée à l'article R. 222-15 du code de l'environnement, et en particulier " des informations sur toutes les actions engagées ou prévues tendant à réduire la pollution atmosphérique avec l'évaluation prévisible de leur effet sur la qualité de l'air (...) " complétées des " indicateurs de moyens notamment financiers nécessaires à leur réalisation ", du " calendrier de leur mise en œuvre " et de " l'estimation de l'amélioration de la qualité de l'air qui en est attendue et du délai de réalisation de B... objectifs ", d'autre part, démontrer que B... actions permettent que la période de dépassement des valeurs limites de concentration en polluants soit la plus courte possible.
9. Si la ministre de la transition écologique se prévaut de la " feuille de route qualité de l'air " élaborée pour la zone administrative de surveillance de Lyon, publiée en mai 2018, ce document, qui fixe une liste d'actions concrètes à mener, destinées à réduire les émissions de polluants, leur échéancier de mise en œuvre et les moyens à mobiliser, ne comporte, à l'instar des autres mesures mises en avant par la ministre ne relevant pas des plans de protection de l'atmosphère telles que le " plan climat " annoncé en juillet 2017, aucune estimation de l'amélioration de la qualité de l'air qui en est escomptée, ni aucune précision concernant les délais prévus pour la réalisation de B... objectifs, contrairement aux exigences posées à l'annexe XV de la directive du 21 mai 2008 et transposées à l'article R. 222-15 du code de l'environnement.
10. Mme G..., qui, contrairement à ce qu'indique la ministre de la transition écologique, ne s'est pas bornée à invoquer la méconnaissance des dispositions d'une directive désormais transposée en se prévalant également de l'insuffisance des mesures prises en application des dispositions législatives et réglementaires qui la transposent, est ainsi fondée à soutenir que les exigences prévues aux articles L. 222-4 et L. 222-5 du code de l'environnement, qui transposent l'article 23 de la directive du 21 mai 2008, ont été méconnues.
S'agissant de la méconnaissance de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
11. Aux termes de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 8 de cette même convention : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
12. L'obligation positive de prendre toutes les mesures nécessaires à la protection de la vie au sens de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales implique avant tout pour les Etats le devoir primordial de mettre en place un cadre législatif et administratif visant une prévention efficace et dissuadant de mettre en péril le droit à la vie. Par ailleurs, l'article 8 de cette convention protège le droit de l'individu au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Si la convention ne reconnaît pas expressément le droit à un environnement sain et calme, cet article inclut un droit à être protégé contre des atteintes graves à l'environnement qui peuvent affecter le bien-être d'une personne et la priver de la jouissance de son domicile de manière à nuire à sa vie privée et familiale. Il implique une obligation positive, à la charge de l'Etat, d'adopter des mesures raisonnables et adéquates pour protéger les droits que les intéressés puisent dans le paragraphe 1 de l'article 8, en veillant au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble.
13. Il résulte de l'instruction que, depuis plusieurs années, un ensemble de politiques publiques, regroupant une multiplicité d'acteurs et comportant des sanctions, a été développé dans de nombreux secteurs, tant à l'échelon national que localement, pour lutter contre la pollution atmosphérique. Si les mesures adoptées et appliquées n'ont pas encore permis d'empêcher tout dépassement des seuils précités, il résulte des bilans annuels publiés par l'association agréée Atmo Auvergne-Rhône-Alpes que les mesures prises ont toutefois permis de diminuer la concentration de polluants dans l'air de l'agglomération lyonnaise, entre 2007 et 2018. Dans ce contexte et compte tenu, spécialement, des risques écologiques inhérents à la vie en ville combinés, en particulier, avec la difficulté de lutter contre une pollution d'origine multifactorielle, voire diffuse, le dépassement des valeurs limites constaté entre 2012 et 2018 et l'insuffisance des plans de protection de l'atmosphère pour y mettre fin dans cette même période ne sauraient suffire à caractériser une défaillance notoire des pouvoirs publics dans les actions destinées à protéger ou améliorer la vie des habitants de la région lyonnaise, ni une atteinte suffisamment grave à leur droit de vivre dans un environnement sain. Dans B... conditions, Mme G... n'est pas fondée à invoquer une carence de l'Etat à exécuter ses obligations découlant des stipulations des articles 2 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
S'agissant de la méconnaissance des dispositions législatives et constitutionnelles :
14. D'une part, aux termes de l'article L. 220-1 du code de l'environnement : " L'Etat et ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs établissements publics ainsi que les personnes privées concourent, chacun dans le domaine de sa compétence et dans les limites de sa responsabilité, à une politique dont l'objectif est la mise en œuvre du droit reconnu à chacun à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé. Cette action d'intérêt général consiste à prévenir, à surveiller, à réduire ou à supprimer les pollutions atmosphériques, à préserver la qualité de l'air et, à B... fins, à économiser et à utiliser rationnellement l'énergie. La protection de l'atmosphère intègre la prévention de la pollution de l'air et la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre ".
15. B... dispositions, qui introduisent le titre II du livre II de la partie législative du code de l'environnement, consacré à l'air et à l'atmosphère, et se bornent à fixer des objectifs généraux, sont, en elles-mêmes, dépourvues de portée normative et ne sont pas susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat en cas de pollution atmosphérique.
16. D'autre part, en se bornant à énumérer les articles 1 à 5 de la Charte de l'environnement et à citer les alinéas 10 et 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, Mme G... ne démontre pas la réalité d'une faute imputable à l'Etat sur le fondement de B... dispositions.
S'agissant de la gestion des épisodes de pollution :
17. Aux termes de l'article L. 223-1 du code de l'environnement : " En cas d'épisode de pollution, lorsque les normes de qualité de l'air mentionnées à l'article L. 221-1 ne sont pas respectées ou risquent de ne pas l'être, le préfet en informe immédiatement le public selon les modalités prévues par la section 2 du chapitre Ier du présent titre et prend des mesures propres à limiter l'ampleur et les effets de la pointe de pollution sur la population. B... mesures, prises en application du plan de protection de l'atmosphère lorsqu'il existe et après information des maires intéressés, comportent un dispositif de restriction ou de suspension des activités concourant aux pointes de pollution, y compris, le cas échéant, de la circulation des véhicules notamment par la réduction des vitesses maximales autorisées, et de réduction des émissions des sources fixes et mobiles (...) ". Aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 26 mars 2014 relatif au déclenchement des procédures préfectorales en cas d'épisodes de pollution de l'air ambiant : " Les modalités de déclenchement des procédures préfectorales d'information et de recommandation et d'alerte en cas d'épisode de pollution, relatives au polluant dioxyde de soufre, sont définies par arrêté préfectoral ou inter-préfectoral ". En application de B... dispositions a été adopté l'arrêté inter-préfectoral susvisé du 1er décembre 2014 relatif au déclenchement des procédures préfectorales en cas d'épisodes de pollution de l'air ambiant pour les départements de la région Rhône-Alpes. Enfin, l'article 17 de l'arrêté du 7 avril 2016 relatif au déclenchement des procédures préfectorales en cas d'épisodes de pollution de l'air ambiant dispose que : " L'arrêté du 26 mars 2014 relatif au déclenchement des procédures préfectorales en cas d'épisodes de pollution de l'air ambiant est abrogé. / Les documents-cadres et arrêtés préfectoraux pris en application de l'article 5 de l'arrêté du 26 mars 2014 mentionné au précédent alinéa continuent de produire leurs effets pendant un délai d'un an à compter de la publication du présent arrêté ".
18. Mme G... n'apporte aucune précision sur des épisodes de pollution, autres que celui du mois de décembre 2016, au cours desquels les mesures mises en œuvre par le préfet du Rhône auraient été insuffisantes. Le moyen tiré de la carence fautive qu'auraient commise les services déconcentrés de l'Etat dans le Rhône dans la gestion de l'épisode de pollution de décembre 2016 doit être écarté par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de Lyon.
19. Il résulte de tout ce qui précède que Mme G... est seulement fondée à soutenir que l'Etat a commis une faute tenant à l'insuffisance des mesures adoptées pour permettre que les périodes de dépassement des valeurs limites de concentration de polluants dans l'atmosphère de l'agglomération lyonnaise soient les plus courtes possibles.
En ce qui concerne le lien de causalité et les préjudices :
20. Une faute commise par l'administration n'est susceptible d'engager sa responsabilité que pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain.
21. En premier lieu, contrairement à ce que soutient la ministre de la transition écologique, Mme G... ne saurait être regardée comme s'étant sciemment exposée, par son seul choix de résider au sein de l'agglomération lyonnaise, aux éventuelles conséquences dommageables de dépassements récurrents et persistants des valeurs limites réglementaires de concentration de polluants dans l'atmosphère. L'Etat ne saurait davantage s'exonérer de la responsabilité qu'il est susceptible d'encourir en raison de la faute précédemment retenue et tenant à l'insuffisance de mesures dont l'adoption lui incombe, en arguant des origines diverses des polluants atmosphériques. Ainsi, la ministre de la transition écologique n'est pas fondée à invoquer B... circonstances comme causes exonératoires de la responsabilité de l'Etat.
22. En second lieu, aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision (...) ".
23. Mme G... soutient que son fils, né en 2010 et résidant à Villeurbanne depuis 2011, souffre de bronchites aigues et asthmatiques dues à son exposition quotidienne à la pollution atmosphérique et lui causant des souffrances physiques et morales. Les difficultés respiratoires de son fils nécessitent qu'il soit soumis à des traitements médicaux composés d'antibiotiques et de ventoline. Elle ajoute que la famille est dès lors contrainte d'adapter ses conditions de vie et subit ainsi des troubles dans ses conditions d'existence, outre de l'angoisse et de l'anxiété. Toutefois, l'état du dossier ne permet pas à la Cour d'apprécier les conséquences des dépassements des seuils de concentration de gaz polluants fixés à l'article R. 221-1 du code de l'environnement sur l'état de santé du fils de C... G... et, par suite, l'importance des préjudices en lien avec la seule faute de l'Etat retenue ci-dessus. Dès lors, il y a lieu, avant de statuer sur la requête de Mme G..., d'ordonner une expertise aux fins précisées ci-après.
DÉCIDE :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur la requête de Mme G..., procédé par un expert ou un collège d'experts, désigné par le président de la Cour administrative d'appel, à une expertise, laquelle sera menée au contradictoire de Mme G... et de la ministre de la transition écologique.
L'expert ou le collège d'experts aura pour mission de :
1°) prendre connaissance, avec l'autorisation de Mme G..., de l'entier dossier médical de M. E... F..., notamment de tous documents relatifs aux pathologies respiratoires de celui-ci ; consulter tout document, même détenu par un tiers, et recueillir tout renseignement utile à l'expertise ; convoquer et entendre les parties et tous sachants ; procéder à l'examen médical de M. E... F... ;
2°) décrire l'état de santé de M. E... F... et les perspectives d'évolution ;
3°) donner tous les éléments utiles d'appréciation sur la ou les causes de cet état, notamment s'agissant des pathologies respiratoires dont souffre M. E... F... et, le cas échéant, préciser le rôle de la pollution atmosphérique ;
4°) donner plus précisément tous les éléments utiles d'appréciation des conséquences des dépassements des seuils fixés par l'article R. 221-1 du code de l'environnement sur l'état de santé de M. E... F..., en identifiant et en quantifiant tant l'aggravation éventuelle des symptômes lors de B... dépassements que les effets de B... dépassements sur l'évolution de son état de santé à long terme ;
5°) donner tous les éléments utiles d'appréciation des préjudices subis par M. E... F... et par sa mère, Mme G..., en distinguant les préjudices imputables aux dépassements de B... seuils, de ceux imputables à son état de santé chronique, ainsi que des préjudices subis par sa mère, Mme G... ;
6°) de déposer un pré-rapport afin de permettre aux parties de faire valoir contradictoirement leurs observations préalablement au dépôt du rapport définitif.
Article 2 : L'expert ou le collège d'experts accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Ses membres prêteront serment par écrit devant le greffier en chef de la Cour. L'expert ou le collège d'experts déposera son rapport au greffe de la Cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par le président de la Cour dans sa décision le désignant.
Article 3 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.
Article 4 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... G..., à la métropole de Lyon, à la commune de Lyon et à la ministre de la transition écologique.
Délibéré après l'audience du 16 novembre 2021, où siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
M. Gilles Fédi, président-assesseur,
Mme Sophie Corvellec, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 novembre 2021.
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N° 19LY04397