Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Safran Electronics et Défense a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 28 mai 2018 par laquelle l'inspectrice du travail de la 18ème section d'inspection du travail de l'unité départementale de Côte d'Or lui a enjoint de modifier l'article 2.10.1 du règlement intérieur de son établissement de Dijon relatif à l'interdiction de l'alcool sur le lieu de travail et aux conditions de recours à un alcootest, ensemble la décision du 8 août 2018 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) de Bourgogne Franche-Comté a rejeté son recours hiérarchique formé contre la décision du 28 mai 2018 et la décision implicite, née le 6 décembre 2018 du silence gardé, par laquelle la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a rejeté son recours hiérarchique.
Par un jugement n° 1900311 du 28 novembre 2019, le tribunal administratif de Dijon a annulé les décisions contestées en tant qu'elles imposaient à la société Safran Electronics et Défense la modification des dispositions de l'article 2.10.1 du règlement intérieur de son établissement de Dijon relatives à la mise en œuvre d'alcootests, a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 27 janvier 2020, présentée pour la société Safran Electronics et Défense, il est demandé à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1900311 du 28 novembre 2019 du tribunal administratif de Dijon en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande ;
2°) d'annuler les décisions susmentionnées en tant qu'elles lui ont enjoint de modifier les dispositions de son règlement intérieur portant interdiction de toute boisson alcoolisée au sein de l'établissement de Dijon ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique est insuffisamment motivée ;
- c'est à tort que l'administration du travail a considéré que n'étaient pas remplies les conditions posées par les dispositions de l'article R. 4228-20 du code du travail pour autoriser un employeur à prévoir dans le règlement intérieur de l'entreprise l'interdiction totale de l'alcool dans l'établissement, en ne prenant pas en compte des enjeux de sécurité inhérents à l'activité de l'établissement et aux produits qui sont conçus et réparés dans l'établissement de Dijon, ni les risques présents sur le site et visant l'ensemble des salariés ; contrairement à la position adoptée par le tribunal administratif de Dijon, l'impératif de sécurité, exigé par la dangerosité de l'activité, permet d'adopter une mesure d'interdiction qui s'étend à l'ensemble des salariés, y compris à ceux qui ne seraient pas exposés de manière individuelle et/ou directe à un risque donné.
Par mémoire enregistré le 30 novembre 2020, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête et, à titre incident, à l'annulation de l'article 1er du jugement attaqué en tant qu'il a annulé les décisions contestées en tant qu'elles imposaient à la société Safran Electronics et Défense la modification des dispositions de l'article 2.10.1 du règlement intérieur de son établissement de Dijon relatives à la mise en œuvre d'alcootests.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés ;
- le règlement intérieur, qui devait soit prévoir expressément qu'aucune conséquence disciplinaire ne pourrait être tirée d'un contrôle d'alcoolémie, soit préciser les modalités selon lesquelles le salarié peut contester ce contrôle, n'a prévu ni l'un ni l'autre.
Par mémoire enregistré le 28 janvier 2021, présenté pour la société Safran Electronics et Défense, elle maintient les conclusions de sa requête par les mêmes moyens et conclut, en outre, au rejet des conclusions incidentes de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, en soutenant que les moyens soulevés par la ministre ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 30 novembre 2020 la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 29 janvier 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Seillet, président-assesseur ;
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;
- et les observations de Me Finet, pour la société Safran Electronics et Défense ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Safran Electronics et Défense, spécialisée dans les systèmes optroniques, avioniques et électroniques ainsi que dans les logiciels critiques pour applications civiles et militaires dans les domaines aéronautique, aéroterrestre, aéronaval et spatial, a révisé le règlement intérieur de son établissement de Dijon dont la nouvelle version, entrée en vigueur le 24 mai 2018, qui comprend, en annexe, une nouvelle charte de neutralité philosophique, politique et religieuse, comporte une version non modifiée de son article 2.10.1 dont il résulte que " La consommation et l'introduction de toute boisson alcoolisée sont interdites au sein de l'établissement (...) La Direction pourra imposer l'alcootest aux salariés qui manipulent des produits dangereux, ou qui sont affectés à une machine dangereuse ou qui conduisent des véhicules automobiles et notamment transportent des personnes, et dont l'état constituerait une menace pour eux-mêmes ou pour leur environnement. Le contrôle sera effectué par un ou des agents habilités, désignés par la direction de l'établissement ". En application de l'article L. 1322-1 du code du travail, qui prévoit que l'inspecteur du travail peut à tout moment exiger le retrait ou la modification des dispositions d'un règlement intérieur contraires notamment à l'article L. 1321-3 du même code, l'inspectrice du travail de la 18ème section d'inspection du travail de l'unité départementale de Côte d'Or a, par une décision du 28 mai 2018, exigé le retrait de cette disposition. Le recours formé par la société Safran Electronics et Défense auprès du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (direccte) de Bourgogne Franche-Comté, a été rejeté par une décision du 8 août 2018 et le recours hiérarchique formé contre cette décision, reçu le 5 octobre 2018, a été rejeté implicitement, du silence gardé, par une décision du 6 décembre 2018 de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. D'une part, la société Safran Electronics et Défense relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté les conclusions de sa demande à fin d'annulation de ces décisions en tant qu'elles lui ont enjoint de modifier les dispositions de son règlement intérieur portant interdiction de toute boisson alcoolisée au sein de l'établissement de Dijon. D'autre part, à titre incident, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion relève appel de ce jugement en tant qu'il a annulé les décisions contestées en tant qu'elles imposaient à la société Safran Electronics et Défense la modification des dispositions de l'article 2.10.1 du règlement intérieur de son établissement de Dijon relatives à la mise en œuvre d'alcootests.
Sur l'appel principal de la société Safran Electronics et Défense :
2. En premier lieu, le moyen, déjà soulevé en première instance, tiré de l'absence de motivation de la décision implicite par laquelle la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a rejeté le recours hiérarchique formé par la société Safran Electronics et Défense doit être écarté pour le motif retenu par les premiers juges et qu'il y a lieu, pour la cour, d'adopter.
3. En second lieu, aux termes de l'article L. 1321-1 du code du travail : " Le règlement intérieur est un document écrit par lequel l'employeur fixe exclusivement : 1° Les mesures d'application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l'entreprise ou l'établissement, notamment les instructions prévues à l'article L. 4122-1 (...) ". Aux termes de l'article L. 1321-3 du même code : " Le règlement intérieur ne peut contenir : (...) 2° Des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 4121-1 de ce code : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ". Aux termes de l'article R. 4228-20 de ce code : " Aucune boisson alcoolisée autre que le vin, la bière, le cidre et le poiré n'est autorisée sur le lieu de travail. Lorsque la consommation de boissons alcoolisées (...) est susceptible de porter atteinte à la sécurité et la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur, en application de l'article L. 4121-1 du code du travail, prévoit dans le règlement intérieur (...) les mesures permettant de protéger la santé et la sécurité des travailleurs et de prévenir tout risque d'accident. Ces mesures, qui peuvent notamment prendre la forme d'une limitation voire d'une interdiction de cette consommation, doivent être proportionnées au but recherché. ".
4. Il résulte de ces dispositions, d'une part, que l'employeur ne peut apporter des restrictions aux droits des salariés que si elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. Il en résulte, d'autre part, que l'employeur, qui est tenu d'une obligation générale de prévention des risques professionnels et dont la responsabilité, y compris pénale, peut être engagée en cas d'accident, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. A ce titre, l'employeur peut, lorsque la consommation de boissons alcoolisées est susceptible de porter atteinte à la sécurité et à la santé des travailleurs, prendre des mesures, proportionnées au but recherché, limitant voire interdisant cette consommation sur le lieu de travail. En cas de danger particulièrement élevé pour les salariés ou pour les tiers, il peut également interdire toute imprégnation alcoolique des salariés concernés.
5. Lorsqu'il prévoit une telle interdiction dans le règlement intérieur de l'entreprise, l'employeur doit être en mesure d'établir que cette mesure est justifiée par la nature des tâches à accomplir et proportionnée au but recherché. Il en résulte que, contrairement à ce que soutient la société requérante, la faculté qui est donnée à l'employeur de limiter ou d'interdire la consommation d'alcool dans le règlement intérieur ne peut, en principe, pas être justifiée par les seules spécificités ou particularités de l'activité de l'entreprise elle-même mais doit l'être, sauf circonstances particulières dûment justifiées, par la nature des tâches à accomplir par les salariés conduits à exercer certaines tâches déterminées, afin d'assurer leur sécurité et de protéger leur santé physique et mentale à l'occasion de cet exercice. Dès lors, d'une part, comme l'ont relevé les premiers juges, la seule circonstance que l'établissement de Dijon exerce une activité de production et de maintenance de matériels de haute technologie dans des domaines sensibles liés notamment à la défense requérant une habilitation au secret de la défense nationale, n'est pas, par elle-même, de nature à justifier une interdiction générale et absolue de la consommation de boissons alcoolisées, dès lors que les dispositions précitées du code du travail ont pour seul objet la protection de la sécurité et de la santé des salariés. D'autre part, les sept risques professionnels identifiés dans l'établissement, concentrés dans des zones bien circonscrites et soumises à des mesures de prévention particulières, ne concernent que les salariés affectés aux tâches exposées à l'un de ces risques, nonobstant la circonstance que tous les salariés de l'établissement, y compris les personnels administratifs, peuvent se déplacer occasionnellement dans les zones à risque mais dans le respect des consignes de sécurité particulières et sans avoir à participer aux missions génératrices de risques. Dès lors que la mesure d'interdiction générale de détention et de consommation d'alcool n'était pas proportionnée à l'impératif de protection des salariés, l'administration du travail a pu, sans méconnaître les dispositions précitées de l'article L. 1321-3 du code du travail, enjoindre à la société Safran Electronics et Défense de retirer cette disposition du règlement intérieur de l'établissement de Dijon.
Sur l'appel incident de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion :
6. D'une part, les dispositions précitées de l'article 2.10.1 du règlement intérieur de l'établissement de Dijon de la société Safran Electronics et Défense ne prévoient de soumettre à l'épreuve de l'alcootest que les salariés qui manipulent des produits dangereux, ou qui sont affectés à une machine dangereuse ou qui conduisent des véhicules automobiles et notamment transportent des personnes, dont l'état constituerait une menace pour eux-mêmes ou pour leur environnement. Il en résulte que ladite société a justifié la mesure de contrôle que prévoient ces dispositions par la nature de la tâche à accomplir par les salariés concernés, lorsqu'ils sont occupés à l'exécution de certains travaux ou à la conduite de certaines machines et que, dès lors, l'administration ne pouvait se fonder sur le motif tiré de ce que le règlement intérieur n'avait pas défini les postes concernés par la présence de machines ou de produits considérés comme dangereux.
7. D'autre part, la soumission à l'épreuve de l'alcootest prévue par le règlement intérieur ne pouvant avoir pour objet que de prévenir ou de faire cesser immédiatement une situation dangereuse, et non de permettre à l'employeur de faire constater par ce moyen une éventuelle faute disciplinaire, l'administration ne pouvait légalement exiger que les dispositions précitées fussent retirées au motif qu'elles ne prévoyaient pas de dispositions concernant les modalités de la procédure de contrôle, les droits du salarié et les modalités de contestation éventuelle du contrôle par celui-ci, et qu'aucune garantie n'était prévue pour le salarié, notamment concernant la possibilité d'être assisté par un témoin lors de ce test ni même qu'il puisse demander une contre-expertise.
8. Il résulte de tout ce qui précède que, d'une part, la société Safran Electronics et Défense n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté les conclusions de sa demande à fin d'annulation des décisions susmentionnées par lesquelles l'administration du travail lui a enjoint de modifier l'article 2.10.1 du règlement intérieur de son établissement de Dijon relatif à l'interdiction de l'alcool sur le lieu de travail. Il en résulte également, d'autre part, que la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le même jugement, le tribunal a annulé les décisions contestées en tant qu'elles imposaient à la société Safran Electronics et Défense la modification des dispositions de l'article 2.10.1 du règlement intérieur de son établissement de Dijon relatives à la mise en œuvre d'alcootests.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat ou de la société Safran Electronics et Défense.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Safran Electronics et Défense et les conclusions incidentes de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Safran Electronics et Défense et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 10 novembre 2021 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre,
M. Seillet, président-assesseur,
Mme Djebiri, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 décembre 2021.
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N° 20LY00430