Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société anonyme (SA) Les Charpennes a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer le rétablissement du déficit reportable qu'elle avait initialement déclaré au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2012, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1808590 du 25 juin 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 2 août 2019, la SA Les Charpennes, représentée par Me Delsol, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer le rétablissement du déficit reportable qu'elle avait initialement déclaré au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2012 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les droits de mutation qu'elle a pris en charge ne sont pas constitutifs d'un acte anormal de gestion, dès lors qu'elle se trouvait dans la nécessité de procéder dans l'urgence à la cession de ses actifs à un prix minoré, afin d'éviter un placement en liquidation judiciaire et de lourdes conséquences financières ;
- lorsque chacun des associés d'une société de personnes réalise des avances en compte courant d'associé non rémunérées dans la proportion des droits qu'il détient dans ladite société, il n'y a lieu de procéder à aucune réintégration au résultat de la société versante.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 février 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par l'appelante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Le Frapper, première conseillère,
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,
- et les observations de Me Bordais, représentant la SA Les Charpennes ;
Considérant ce qui suit :
1. La SA Les Charpennes, société en cours de liquidation amiable et qui avait pour objet social l'acquisition, la construction et la gestion d'un parc immobilier, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant notamment sur l'exercice clos le 31 décembre 2012. Par une proposition de rectification du 7 mai 2015, l'administration a estimé que des avances de trésorerie sans intérêt consenties à des sociétés civiles immobilières dans lesquelles elle détenait des participations, ainsi que la prise en charge par la société des droits de mutation à titre onéreux se rapportant à la cession de divers biens et droits mobiliers et immobiliers constituaient des actes anormaux de gestion. La SA Les Charpennes relève appel du jugement du tribunal administratif de Lyon du 25 juin 2019 ayant rejeté sa demande tendant au rétablissement du déficit reportable qu'elle avait initialement déclaré au titre de l'année 2012 du fait de l'exercice clos le 31 décembre.
Sur le bien-fondé des rectifications :
2. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Il appartient, en règle générale, à l'administration, qui n'a pas à se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, d'établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer le caractère anormal d'un acte de gestion.
En ce qui concerne la prise en charge des droits de mutation :
3. Lors d'une assemblée générale extraordinaire du 29 décembre 2011, la prorogation de la SA Les Charpennes pour une durée de 99 ans a été rejetée en l'absence de majorité des deux tiers, résultant de l'opposition des actionnaires minoritaires. Par un courrier du 19 janvier 2012, la banque cantonale de Genève a alors dénoncé au liquidateur amiable désigné par l'assemblée générale l'avance à terme fixe d'une durée de trois mois renouvelable qu'elle avait initialement consentie en décembre 2007 à la société requérante, rendant immédiatement exigible au 30 mars 2012, date de la prochaine échéance, le capital restant dû et les intérêts d'un montant total de 6 707 030,15 francs suisses, soit approximativement 5,5 millions d'euros, et déclenchant au 31 mars 2012 le paiement d'intérêts moratoires au taux de 5% l'an. Par un courrier du 2 avril 2012, le dirigeant de la société de droit luxembourgeois Fimmo a proposé d'acquérir les lots 1, 4, 5, 6 et 7 constituant l'essentiel des actifs de la SA Les Charpennes. Par un nouveau courrier du 26 avril, il donnait son accord, sous réserve de l'agrément de la banque, à la reprise de l'emprunt bancaire souscrit par la requérante, à la condition que le montant du capital restant dû corresponde au prix de cession " acte en main ", incluant les droits d'enregistrement et les coûts consécutifs au changement de débiteur des garanties hypothécaires constituées par l'établissement prêteur. La vente est intervenue par un acte du 24 octobre 2012, au prix de 5 272 145,82 euros, payé par subrogation pure et simple de l'acquéreur dans tous les droits et obligations du vendeur à l'égard de la banque cantonale de Genève, le cédant supportant par ailleurs tous les frais, droits et émoluments liés à l'acte.
4. Pour conclure au caractère anormal de la prise en charge par la SA Les Charpennes des droits de mutation à titre onéreux d'un montant de 357 912 euros correspondant à la cession à la SARL Fimmo de l'essentiel de ses actifs, l'administration fiscale, qui n'a à aucun moment remis en cause le prix de la cession elle-même, a retenu qu'il ne serait pas justifié que cette prise en charge aurait été une condition sine qua non de la réalisation de la cession pour l'acquéreur et que cette condition aurait à l'inverse été accessoire dans la mesure où l'acquéreur avait déjà obtenu l'acquisition d'un patrimoine conséquent à un très bon prix, de sorte que la SA Les Charpennes n'aurait retiré aucune contrepartie de cette dépense effectuée en lieu et place de l'acquéreur, auquel elle revenait en principe en vertu des dispositions supplétives de l'article 1593 du code civil.
5. Contrairement à ce que soutient l'administration, il résulte des termes mêmes du courrier du 26 avril 2012 de M. A..., dirigeant de la société Fimmo, que son consentement à l'acquisition par la reprise de l'emprunt bancaire est conditionné, d'une part, à l'équivalence entre le prix de cession et le capital restant dû et, d'autre part, à la prise en charge par le vendeur des droits de mutation. La SA Les Charpennes justifie par ailleurs avoir reçu des réponses négatives de cinq autres investisseurs auxquels elle avait proposé l'acquisition de son patrimoine, en raison notamment du caractère disparate de ce dernier, des travaux nécessaires, ou encore d'un manque de rentabilité. Elle démontre également, par les courriers de la banque versés aux débats, qu'un refus de sa part de consentir aux conditions posées par l'acquéreur l'exposait au paiement d'intérêts moratoires conséquents ainsi qu'à la mise en œuvre des sûretés réelles dont disposait l'établissement bancaire, qui n'a explicitement accepté de différer l'exigibilité immédiate de sa créance, et donc l'état de cessation des paiements de son débiteur, qu'en raison de l'implication de la SA Les Charpennes dans la finalisation rapide de la cession d'une part suffisante de ses actifs, l'éventuelle remise gracieuse des intérêts moratoires ayant été subordonnée à la même condition. Si l'administration fiscale fait valoir que la valeur vénale des sûretés réelles de la banque excédait significativement le solde de sa créance, qui n'était dès lors pas menacée, elle ne conteste pas utilement que la mise en œuvre de ces sûretés aurait entraîné l'application certaine des intérêts moratoires dus et fait perdre à la SA Les Charpennes la maîtrise de la négociation quant au prix de vente de ses actifs, l'exposant au risque que la banque ne soit pas intégralement désintéressée ainsi qu'au risque subséquent d'une procédure collective qui lui aurait fait perdre également la maîtrise du processus de cession du surplus de ses actifs. La SA Les Charpennes démontre ainsi qu'il était dans son intérêt propre de consentir rapidement à la seule offre d'acquisition reçue lui permettant de cesser d'être débitrice de la banque cantonale de Genève et que la prise en charge conventionnelle des droits de mutation liés à l'acte de cession n'était, dès lors, pas constitutive d'un acte anormal de gestion. Elle est par suite fondée à demander le rétablissement, à concurrence de la somme de 357 912 euros, de son déficit reportable déclaré au titre de l'année 2012.
En ce qui concerne les avances sans intérêt :
6. Le fait de consentir des avances sans intérêt à un tiers constitue pour une société un acte étranger à une gestion commerciale normale, même si le tiers est une filiale, hormis le cas où la société mère peut être regardée comme ayant agi dans son propre intérêt, notamment en venant en aide à une filiale en difficulté.
7. Au cas d'espèce, il n'est pas contesté que la SA Les Charpennes a consenti des avances en compte courant sans intérêt à quatre sociétés civiles immobilières dans lesquelles elle détenait des participations minoritaires. Pour contester la réintégration à son résultat de ces avances, à concurrence de la part de capital social non détenue par la société requérante, cette dernière, sans préciser quel aurait été son intérêt propre, se borne à soutenir que les autres associés auraient également consenti des avances, lesquelles seraient strictement proportionnelles au capital social détenu, et à se prévaloir de principes dégagés dans le cas particulier d'avances consenties entre sociétés de personnes, ce qu'elle n'est pas. Dans ces conditions, le caractère anormal de ces avances sans intérêt doit être regardé comme établi par l'administration fiscale.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la SA Les Charpennes est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant au rétablissement de son déficit reportable déclaré au titre de l'année 2012 à concurrence du montant des droits de mutation qu'elle a pris en charge.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SA Les Charpennes et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Les bases imposables à l'impôt sur les sociétés de la SA Les Charpennes sont réduites d'une somme de 357 912 euros au titre de l'année 2012 du fait de l'exercice clos le 31 décembre. Les déficits reportables déclarés par la société sont rétablis en conséquence.
Article 2 : Le jugement n° 1808590 du 25 juin 2019 du tribunal administratif de Lyon est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à la SA Les Charpennes une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Les Charpennes et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 6 janvier 2022, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Le Frapper, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 janvier 2022.
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N° 19LY03072