Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. C... A... et Mme B... D..., épouse A..., ont demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge du complément d'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux auxquels ils ont été assujettis au titre de l'année 2009 et des majorations correspondantes.
Par un jugement n° 1701407 du 5 octobre 2018, ce tribunal a prononcé un non-lieu à statuer à concurrence d'un dégrèvement de prélèvements sociaux d'un montant de 92 531 euros intervenu en cours d'instance et rejeté le surplus des conclusions de leur demande.
Procédure initiale devant la Cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 décembre 2018 et le 15 octobre 2019, M. et Mme A..., représentés par Me Queyroux, demandent à la cour :
1°) d'annuler l'article 2 de ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions et des majorations correspondantes, à hauteur de la somme de 1 898 789 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- M. A... était contractuellement obligé de prolonger pour dix ans supplémentaires l'usufruit temporaire sur les titres de la SAS Coralu, de sorte que l'administration n'est pas fondée à soutenir que l'évaluation des titres de la SARL CM serait fondée sur une hypothèse purement potestative ;
- en cas de majoration de la valeur d'apport, ce sont les associés qui sont les auteurs de la libéralité et non la société dont les titres ont été émis en contrepartie de cet apport ;
- l'exception au principe de symétrie en droit fiscal ne s'applique qu'aux apports consentis pour un prix minoré ;
- compte tenu de ce que M. A... dispose de 99,9 % des parts de la société civile JMS, l'opération ne peut être regardée comme constitutive d'une libéralité ;
- la société JMS n'a procédé à aucun désinvestissement, exception faite de la soulte ;
- la fraction majorée de l'apport ne revêt pas le caractère d'un revenu disponible au sens des articles 12 et 156 du code général des impôts ;
- l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 a été méconnu ;
- l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été méconnu.
Par un mémoire, enregistré le 25 juin 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.
Par un arrêt n° 18LY04420 du 25 août 2020, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par M. et Mme A... contre l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Lyon du 5 octobre 2018.
Procédure devant le Conseil d'État
Par une décision n° 445685 du 20 octobre 2021, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, saisi d'un pourvoi présenté par M. et Mme A..., annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 25 août 2020 et a renvoyé l'affaire devant la même cour.
Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'État
Par un mémoire, enregistré le 8 novembre 2021, M. et Mme A..., représentés par Me Queyroux, demandent à la cour :
1°) d'annuler l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Lyon du 5 octobre 2018 ;
2°) de prononcer, à concurrence de 1 898 789 euros, la décharge du complément d'impôt sur le revenu, des prélèvements sociaux auxquels ils ont été assujettis au titre de l'année 2009 et des majorations correspondantes et de leur accorder la restitution de cette somme, assortie des intérêts moratoires ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
4°) de condamner l'Etat aux dépens ;
Ils soutiennent que :
- la seule remise de titres excédentaires en contrepartie de l'apport qu'ils ont consentis à la société civile JMS pour une valeur majorée ne caractérise pas un appauvrissement de cette société ;
- en outre, la soulte qui leur a été versée par la société en contrepartie de l'apport, d'un montant de 239 767 euros, est inférieure à la valeur réelle des titres apportés, soit 621 535 euros selon l'administration ;
- ainsi, en l'absence de démonstration d'un appauvrissement de la SC JMS procédant de l'opération d'apport pour une valeur majorée, l'administration ne pouvait imposer entre leurs mains le produit de la libéralité que cette société leur aurait consentie ;
Par un mémoire, enregistré le 24 décembre 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Evrard, présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Vinet, rapporteure publique,
- et les observations de Me Queyroux, représentant M. et Mme A... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme A... ont fait l'objet d'un examen contradictoire de situation fiscale personnelle au cours duquel l'administration a relevé, d'une part, qu'en juin 2009, M. A... avait apporté à la SC JMS, qu'il contrôlait avec son épouse, l'usufruit temporaire, pour une durée de sept ans, de titres de la SAS Coralu, cet apport étant rémunéré par l'attribution à M. A... de titres de la SC JMS assortis d'une soulte. La SC JMS a cédé cet usufruit temporaire le jour-même et au même prix à la SARL CM, également contrôlée par M. A..., cette acquisition ayant été financée au moyen d'un emprunt sur sept ans. L'administration a, d'autre part, établi qu'en novembre 2009, M. A... avait apporté à la SC JMS l'usufruit temporaire, pour une durée de dix-sept ans, de parts de la SARL CM et avait en contrepartie reçu des titres de la SC JMS ainsi qu'une soulte. L'administration a constaté que l'usufruit pour sept ans des titres de la SAS Coralu avait été valorisé en tenant compte de ce que l'emprunt souscrit par la SARL CM serait couvert par la distribution de dividendes par la SAS Coralu. Parallèlement, elle a relevé que l'usufruit pour dix-sept ans des parts de la SARL CM avait été valorisé en tenant compte de ce que, dans une première période, correspondant aux sept années au cours desquelles l'emprunt souscrit par cette société pour l'acquisition de l'usufruit des titres de la SAS Coralu serait remboursé, aucune distribution de la part de la SARL CM n'aurait lieu, puis que, au cours des dix années suivantes, la SARL CM verserait un flux continu de dividendes. L'administration a estimé que le versement de ces derniers dividendes revêtait un caractère hypothétique en ce qu'il supposait une prolongation par M. A... pour dix années supplémentaires de l'usufruit des titres de la SAS Coralu qu'il n'avait consenti que pour sept ans. Elle en a déduit que la valeur de l'usufruit temporaire sur dix-sept ans des parts de la SARL CM était de seulement 621 353 euros et que la différence entre cette somme et celle de 2 649 767 euros pour laquelle avait été valorisé l'apport des parts de la SARL CM à la SC JMS devait être regardée comme un avantage occulte consenti par cette dernière société à M. A..., imposable entre ses mains sur le fondement du c) de l'article 111 du code général des impôts. Elle a en conséquence assujetti M. et Mme A... à un complément d'impôt sur le revenu et aux contributions sociales au titre de l'année 2009 et assorti ces impositions de la majoration pour manquement délibéré. Par un jugement du 5 octobre 2018, le tribunal administratif de Lyon, après avoir constaté un non-lieu à concurrence du dégrèvement de prélèvements sociaux intervenu en cours d'instance, a rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. et Mme A... tendant à la décharge de ces impositions. Par un arrêt n° 18LY04420 du 25 août 2020, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par M. et Mme A... contre l'article 2 de ce jugement. Par une décision n° 445685 du 20 octobre 2021, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, saisi d'un pourvoi présenté par M. et Mme A..., annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 25 août 2020 et a renvoyé l'affaire devant la même cour.
2. Aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : / (...) c) Les rémunérations et avantages occultes (...) ".
3. La seule circonstance qu'une société bénéficie d'un apport pour une valeur que les parties ont délibérément majorée par rapport à la valeur vénale de l'objet de la convention ne saurait par elle-même traduire l'existence d'un appauvrissement de la société bénéficiaire de l'apport au profit de l'apporteur.
4. En se bornant à soutenir que M. A... a apporté à la SC JMS, dont son épouse et lui détiennent 100 % du capital, l'usufruit temporaire des parts de la SARL CM pour une valeur dont il n'est plus contesté qu'elle a été délibérément majorée par les parties, l'administration n'apporte pas la preuve qui lui incombe de l'existence d'une libéralité imposable entre les mains de l'intéressé en tant qu'avantage occulte.
5. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme A... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté le surplus de leur demande.
Sur les intérêts moratoires :
6. En cas de remboursements effectués en raison de dégrèvements d'impôt prononcés par un tribunal, les intérêts dus au contribuable en vertu de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales sont, conformément aux dispositions de l'article R. 208-1 du même livre, " payés d'office en même temps que les sommes remboursées au contribuable par le comptable chargé du recouvrement des impôts ".
7. En l'absence de litige né et actuel avec le comptable sur ce point, les conclusions de M. et Mme A... tendant au versement d'intérêts moratoires ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. et Mme A... et non compris dans les dépens. En revanche, ne peuvent qu'être rejetées les conclusions présentées par les intéressés tendant à la condamnation de l'Etat aux dépens, faute, pour ceux-ci, d'établir en avoir exposés.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 2 du jugement n° 1701407 du tribunal administratif de Lyon du 5 octobre 2018 est annulé.
Article 2 : M. et Mme A... sont déchargés du complément d'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux auxquels ils ont été assujettis au titre de l'année 2009, ainsi que des majorations correspondantes.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à Mme B... D... épouse A..., et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 17 mars 2022, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme Evrard, présidente-assesseure,
Mme Lesieux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 avril 2022.
La rapporteure,
A. Evrard
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
M.-Th. Pillet
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 21LY03370