Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société par actions simplifiée (SAS) Confort Immobilier a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, ainsi que des intérêts de retard correspondants, et de mettre à la charge de l'Etat les dépens ainsi qu'une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1706827 du 5 février 2019, le tribunal administratif de Lyon a déchargé la SAS Confort Immobilier des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015 (article 1er), a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 2) et a rejeté le surplus des conclusions de la requête (article 3).
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 15 avril 2019, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement ;
2°) de remettre à la charge de la SAS Confort Immobilier les rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige, à hauteur de la somme de 22 057 euros.
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la mise en œuvre du régime de taxe sur la valeur ajoutée prévu à l'article 268 du code général des impôts suppose nécessairement que le bien revendu ait une qualification juridique identique à celle du bien acquis, la notion d'achat-revente de terrains à bâtir ou de bâtiments devant s'entendre comme excluant toutes les opérations de transformation ;
- ainsi, les opérations consistant en l'espèce en la revente comme terrain à bâtir, après division parcellaire, de terrains initialement acquis comme terrains d'assiette d'immeubles bâtis ne peuvent bénéficier du régime dérogatoire, d'interprétation stricte, mais doivent être soumises à la taxe sur la valeur ajoutée sur le prix total de cession.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juillet 2019, la SAS Confort Immobilier, représentée par Me Aujoulat, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la vente restant en litige remplit la seule condition posée par l'article 268 du code général des impôts ;
- la doctrine de l'administration fiscale ajoute illégalement des conditions à l'application de cet article, ce qui ne peut fonder une imposition.
Par courrier du 22 février 2022, les parties ont été invitées à actualiser leurs écritures à la suite de l'intervention des décisions de la CJUE C-299/20 du 30 septembre 2021 et C-191/21 du 10 février 2022.
Par un mémoire enregistré le 16 mars 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens.
Il fait en outre valoir que le terrain initialement acquis par la SAS Confort Immobilier était bâti, de sorte que la condition d'identité juridique avec les terrains à bâtir ultérieurement revendus n'est pas remplie.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Le Frapper, première conseillère,
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Confort Immobilier, qui exerce une activité de marchand de biens, a acquis par acte notarié du 7 mai 2014 une propriété bâtie à Montanay (69), constituée d'une unique parcelle supportant deux bâtiments, dont un à usage d'habitation avec cour, verger et potager. Après avoir procédé à une division parcellaire, la société a revendu un terrain à bâtir en octobre 2015, en assujettissant cette opération à la taxe sur la valeur ajoutée selon le régime de la marge prévu par l'article 268 du code général des impôts. A l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014, l'administration fiscale, selon proposition de rectification contradictoire du 22 juillet 2016, a remis en cause l'application de ce régime, notamment pour cette opération, et procédé à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée assis sur l'intégralité du prix de vente du terrain cédé et mis en recouvrement le 28 février 2017 pour un montant de 20 499 euros en droits, assorti de 1 558 euros d'intérêts de retard. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour d'annuler les articles 1er et 2 du jugement du 5 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Lyon a prononcé la décharge totale de ces rappels, et de remettre ces impositions à la charge de la SAS Confort Immobilier, ainsi que les intérêts de retard dégrevés par l'administration en conséquence du jugement.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
2. Selon l'article 12 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " 1. Les États membres peuvent considérer comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, (...) une seule des opérations suivantes: / a) la livraison d'un bâtiment ou d'une fraction de bâtiment et du sol y attenant, effectuée avant sa première occupation; b) la livraison d'un terrain à bâtir. / 2. Aux fins du paragraphe 1, point a), est considérée comme " bâtiment " toute construction incorporée au sol. (...) / 3. Aux fins du paragraphe 1, point b), sont considérés comme " terrains à bâtir " les terrains nus ou aménagés, définis comme tels par les États membres ". Le I de l'article 257 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige, prévoit que sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles, lesquelles comprennent les livraisons à titre onéreux de terrains à bâtir, définis en droit interne comme les terrains sur lesquels des constructions peuvent être autorisées en application d'un plan local d'urbanisme, d'un autre document d'urbanisme en tenant lieu, d'une carte communale ou de l'article L. 111-1-2 du code de l'urbanisme. En vertu du 2 du b de l'article 266 du même code, l'assiette de la taxe est en principe constituée par le prix de cession.
3. L'article 392 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dispose toutefois que : " Les États membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n'a pas eu droit à déduction à l'occasion de l'acquisition, la base d'imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d'achat ". L'article 268 du code général des impôts, pris pour la transposition de ces dispositions, prévoit, dans sa rédaction applicable, que : " S'agissant de la livraison d'un terrain à bâtir (...), si l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d'imposition est constituée par la différence entre : / 1° D'une part, le prix exprimé et les charges qui s'y ajoutent ; / 2° D'autre part, selon le cas : / - soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du terrain (...) ; / - soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature qu'il a effectués ".
4. Par une ordonnance C-191/21 du 10 février 2022, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 392 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens qu'il exclut l'application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains acquis bâtis sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, des terrains à bâtir, mais qu'il n'exclut pas l'application de ce régime à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains ont fait l'objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles qu'une division en lots.
5. Il résulte de l'interprétation ainsi donnée par la Cour de justice de l'Union européenne que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Lyon, l'administration fiscale, pour remettre en cause l'applicabilité à l'opération litigieuse des dispositions de l'article 268 précité du code général des impôts, pouvait légalement opposer à la SAS Confort Immobilier la circonstance que le terrain revendu comme terrain à bâtir ne devait pas avoir été préalablement acquis comme terrain bâti. Par suite, le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont, pour ce motif, prononcé la décharge des impositions litigieuses.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SAS Confort Immobilier tant en première instance qu'en appel.
7. Il résulte de ce qui a été dit précédemment qu'en opposant à la SAS Confort Immobilier la circonstance que le terrain revendu comme terrain à bâtir ne devait pas avoir été préalablement acquis comme terrain bâti, l'administration fiscale n'a pas ajouté à la loi une condition issue de sa doctrine, laquelle n'est pas entachée de contradiction. Il n'est par ailleurs pas contesté, ainsi qu'il résulte des actes notariés, que la SAS Confort Immobilier a acquis initialement une unique parcelle supportant des constructions incorporées au sol, soit une propriété bâtie.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a prononcé la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la SAS Confort Immobilier pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015. Il y a lieu en conséquence d'annuler le jugement et de rétablir les impositions en litige, à hauteur de 20 499 euros en droits et 1 558 euros d'intérêts de retard.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la SAS Confort Immobilier la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 1706827 du tribunal administratif de Lyon du 5 février 2019 sont annulés.
Article 2 : Les rappels de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 20 499 euros mis à la charge de la SAS Confort Immobilier au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015 sont rétablis, ainsi que les intérêts de retard correspondants d'un montant de 1 558 euros.
Article 3 : Les conclusions présentées par la SAS Confort Immobilier sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ainsi qu'à la SAS Confort Immobilier.
Délibéré après l'audience du 25 mai 2022, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Le Frapper, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juin 2022.
La rapporteure,
M. Le Frapper
Le président,
F. Bourrachot
La greffière,
S. Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 19LY01453
ap