Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société à responsabilité limitée (SARL) Fidelys a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2015, ainsi que des pénalités correspondantes, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 040 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1805604 du 4 février 2020, le tribunal administratif de Lyon a déchargé la SARL Fidelys des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015 (article 1er) et a mis à la charge de l'Etat une somme de 3 672 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 2).
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 29 avril 2020, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de remettre à la charge de la SARL Fidelys les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge, ainsi que les pénalités correspondantes, pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2015, à hauteur de 32 244 euros en droits et 2 836 euros d'intérêts de retard.
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la mise en œuvre du régime de taxe sur la valeur ajoutée prévu à l'article 268 du code général des impôts suppose nécessairement que le bien revendu ait une qualification juridique identique à celle du bien acquis, la notion d'achat-revente de terrains à bâtir ou de bâtiments devant s'entendre comme excluant toutes les opérations de transformation ;
- ainsi, les opérations consistant en l'espèce en la revente comme terrain à bâtir, après démolition et division parcellaire, de terrains initialement acquis comme terrains d'assiette d'immeubles bâtis ne peuvent bénéficier du régime dérogatoire, d'interprétation stricte, mais doivent être soumises à la taxe sur la valeur ajoutée sur le prix total de cession.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 septembre 2020, la SARL Fidelys, représentée par Me Vogel, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'avant l'acquisition, la SARL Fidelys a très explicitement manifesté son intention de diviser le bien pour revendre des terrains à bâtir et que l'opération répond aux conditions de l'article 268 du code général des impôts.
Par courriers des 6 octobre 2021 et 22 février 2022, les parties ont été invitées à actualiser leurs écritures à la suite de l'intervention des décisions de la CJUE C-299/20 du 30 septembre 2021 et C-191/21 du 10 février 2022.
Par des mémoires enregistrés le 14 octobre 2021 et le 15 avril 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens.
Il fait en outre valoir que les terrains initialement acquis par la SARL Fidelys étaient bâtis, de sorte que la condition d'identité juridique avec les terrains à bâtir ultérieurement revendus n'est pas remplie.
Par un mémoire enregistré le 22 avril 2022, la SARL Fidelys conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire, par les mêmes moyens.
Elle soutient en outre que la fraction de terrain en litige a été identifiée comme terrain à bâtir préalablement à l'acquisition et revendue en tant que tel.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Le Frapper, première conseillère,
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Fidelys, qui exerce une activité de marchand de biens, a acquis par acte notarié du 30 décembre 2013, une unique parcelle située à Tassin-la-Demi-Lune, supportant une maison d'habitation, après avoir obtenu une autorisation de division parcellaire en deux lots. Après avoir procédé à la démolition de la maison, la société a cédé le lot 1, qui supportait initialement la maison d'habitation, en qualité de terrain à bâtir le 28 septembre 2015, en assujettissant cette opération à la taxe sur la valeur ajoutée selon le régime de la marge prévu par l'article 268 du code général des impôts. A l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2014 au 31 janvier 2017, l'administration fiscale, selon proposition de rectification contradictoire du 26 septembre 2017, a remis en cause l'application de ce régime à l'opération de revente du lot 1, et procédé à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2015, assis sur l'intégralité du prix de vente du terrain cédé et mis en recouvrement le 28 février 2018, pour un montant de 32 244 euros en droits, assorti de 2 580 euros d'intérêts de retard, et non 2 836 euros comme mentionné par erreur dans les conclusions d'appel du ministre de l'économie, des finances et de la relance, qui demande à la cour d'annuler le jugement du 4 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Lyon a prononcé la décharge de ces rappels, et de remettre ces impositions à la charge de la SARL Fidelys, ainsi que les intérêts de retard dégrevés par l'administration en conséquence du jugement.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
2. Selon l'article 12 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " 1. Les États membres peuvent considérer comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, (...) une seule des opérations suivantes: / a) la livraison d'un bâtiment ou d'une fraction de bâtiment et du sol y attenant, effectuée avant sa première occupation; b) la livraison d'un terrain à bâtir. / 2. Aux fins du paragraphe 1, point a), est considérée comme " bâtiment " toute construction incorporée au sol. (...) / 3. Aux fins du paragraphe 1, point b), sont considérés comme " terrains à bâtir " les terrains nus ou aménagés, définis comme tels par les États membres ". Le I de l'article 257 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige, prévoit que sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles, lesquelles comprennent les livraisons à titre onéreux de terrains à bâtir, définis en droit interne comme les terrains sur lesquels des constructions peuvent être autorisées en application d'un plan local d'urbanisme, d'un autre document d'urbanisme en tenant lieu, d'une carte communale ou de l'article L. 111-1-2 du code de l'urbanisme. En vertu du 2 du b de l'article 266 du même code, l'assiette de la taxe est en principe constituée par le prix de cession.
3. L'article 392 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dispose toutefois que : " Les États membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n'a pas eu droit à déduction à l'occasion de l'acquisition, la base d'imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d'achat ". L'article 268 du code général des impôts, pris pour la transposition de ces dispositions, prévoit, dans sa rédaction applicable, que : " S'agissant de la livraison d'un terrain à bâtir (...), si l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d'imposition est constituée par la différence entre : / 1° D'une part, le prix exprimé et les charges qui s'y ajoutent ; / 2° D'autre part, selon le cas : / - soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du terrain (...) ; / - soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature qu'il a effectués ".
4. Par une ordonnance C-191/21 du 10 février 2022, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 392 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens qu'il exclut l'application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains acquis bâtis sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, des terrains à bâtir, mais qu'il n'exclut pas l'application de ce régime à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains ont fait l'objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles qu'une division en lots.
5. Il résulte de l'interprétation ainsi donnée par la Cour de justice de l'Union européenne que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Lyon, l'administration fiscale, pour remettre en cause l'applicabilité à l'opération litigieuse des dispositions de l'article 268 précité du code général des impôts, pouvait légalement opposer à la SARL Fidelys la circonstance que le terrain revendu comme terrain à bâtir ne devait pas avoir été préalablement acquis comme terrain bâti. Par suite, le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont, pour ce motif, prononcé la décharge des impositions litigieuses.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SARL Fidelys tant en première instance qu'en appel.
7. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment qu'en opposant à la SARL Fidelys la circonstance que le terrain revendu comme terrain à bâtir ne devait pas avoir été préalablement acquis comme terrain bâti, l'administration fiscale n'a pas ajouté à la loi une condition issue de sa doctrine.
8. En second lieu, dans son arrêt C-71/18 du 4 septembre 2019, Skatteministeriet contre KPC Herning, la Cour de Justice de l'Union européenne a également dit pour droit que l'article 12, paragraphe 1, sous a) et b), et paragraphes 2 et 3, ainsi que l'article 135, paragraphe 1, sous j) et k), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doivent être interprétés en ce sens qu'une opération de livraison d'un terrain supportant, à la date de cette livraison, un bâtiment ne peut être qualifiée de livraison d'un " terrain à bâtir " lorsque cette opération est économiquement indépendante d'autres prestations et ne forme pas, avec celles-ci, une opération unique, même si l'intention des parties était que le bâtiment soit totalement ou partiellement démoli pour faire place à un nouveau bâtiment.
9. En l'espèce, il résulte de l'instruction que la SARL Fidelys a acquis le 30 décembre 2013 une unique parcelle comportant encore à cette date une villa d'habitation, soit une construction incorporée au sol, et que le lot cédé comme terrain à bâtir le 28 septembre 2015 correspond à la partie de la parcelle qui supportait initialement la maison, démolie entre l'acquisition du bien et sa revente. Il résulte de l'arrêt précité que, quelle que soit l'intention manifestée par la société à l'occasion de sa demande de division parcellaire préalable à l'acquisition, et en l'absence d'opération unique, le terrain acquis était, à la date de cette acquisition, un terrain bâti. La SARL Fidelys n'est, dès lors, pas fondée à soutenir qu'elle aurait acquis un terrain pouvant recevoir la qualification de terrain à bâtir et qu'elle remplirait en conséquence les conditions prévues à l'article 268 du code général des impôts, transposant en droit interne l'article 392 précité de la directive du 28 novembre 2006.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a prononcé la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la SARL Fidelys pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2015. Il y a lieu en conséquence d'annuler le jugement, et de rétablir les impositions en litige, à hauteur de 32 244 euros en droits et 2 580 euros d'intérêts de retard.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la SARL Fidelys la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En l'absence de dépens, la demande présentée sur le fondement de l'article R. 761-1 du même code doit être rejetée.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1805604 du tribunal administratif de Lyon du 4 février 2020 est annulé.
Article 2 : Les rappels de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 32 244 euros mis à la charge de la SARL Fidelys au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2015 sont rétablis, ainsi que les intérêts de retard correspondants d'un montant de 2 580 euros.
Article 3 : Les conclusions présentées par la SARL Fidelys sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative, tant en première instance qu'en appel, sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ainsi qu'à la SARL Fidelys.
Délibéré après l'audience du 25 mai 2022, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Le Frapper, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juin 2022.
La rapporteure,
M. Le Frapper
Le président,
F. Bourrachot
La greffière,
S. Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 20LY01378
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