Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La SARL Bâtir et Promotion a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2014.
Par un jugement n° 1800727 du 31 décembre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 22 avril 2020 et le 30 octobre 2020, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par la SARL Bâtir et Promotion devant le tribunal administratif de Grenoble ;
3°) de remettre à sa charge les rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2014, à hauteur des sommes de 25 769 euros en droits et 1 649 euros de pénalités.
Il soutient que la SARL Bâtir et Promotion ne pouvait appliquer, lors de la cession d'un terrain à bâtir situé à Crémieu acquis comme terrain bâti, la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge sur le fondement de l'article 268 du code général des impôts, à défaut d'identité de qualification juridique entre le bien acheté et le bien revendu.
Par un mémoire, enregistré le 4 août 2020, la SARL Bâtir et Promotion, représentée par Me Vogel, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les parcelles qu'elle a revendues étaient exemptes de constructions lorsqu'elle les a acquises et qu'elle a manifesté son intention de revendre par les démarches préalables à l'achat, et, notamment, l'obtention d'un arrêté de non opposition à la division du 6 février 2014.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Aline Evrard, présidente-assesseure,
- et les conclusions de Mme Vinet, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Bâtir et Promotion, qui exerce l'activité de marchands de biens, a acquis le 19 mars 2014, sans que cette opération soit soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, une maison d'habitation et des dépendances à Crémieu (Isère), situées sur un terrain cadastré section AE nos 42, 43, 97 et 684, après avoir obtenu, le 6 février 2014, un arrêté de non opposition à déclaration préalable autorisant la division des parcelles cadastrées section AE nos 42 et 684 en, chacune, deux nouvelles parcelles. Par un acte du 6 novembre 2014, elle a vendu un terrain à bâtir constitué de deux des parcelles ainsi créées, en soumettant la cession à la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge sur le fondement de l'article 268 du code général des impôts. Elle a fait l'objet en 2016 d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014, à l'issue de laquelle l'administration lui a réclamé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2014 résultant de la remise en cause du régime de taxation sur la marge sous le bénéfice duquel la cession d'un terrain à bâtir le 6 novembre 2014 a été opérée. Le ministre de l'action et des comptes publics relève appel du jugement du 31 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a prononcé la décharge de ces impositions.
2. Le I de l'article 257 du code général des impôts dans sa rédaction applicable au litige, issue de l'article 16 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, prévoit que les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles, lesquelles comprennent les livraisons à titre onéreux de terrains à bâtir, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. En vertu du 2 du b de l'article 266 du même code, l'assiette de la taxe est en principe constituée par le prix de cession.
3. L'article 392 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dispose toutefois que : " Les États membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n'a pas eu droit à déduction à l'occasion de l'acquisition, la base d'imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d'achat ". L'article 268 du code général des impôts, pris pour la transposition de ces dispositions, prévoit, dans sa rédaction également issue de l'article 16 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, que : " S'agissant de la livraison d'un terrain à bâtir (...), si l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d'imposition est constituée par la différence entre : / 1° D'une part, le prix exprimé et les charges qui s'y ajoutent ; / 2° D'autre part, selon le cas : / - soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du terrain(...); / - soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature qu'il a effectués. ".
4. Il résulte des dispositions précitées de l'article 268 du code général des impôts, lues à la lumière de celles de la directive dont elles ont pour objet d'assurer la transposition, que les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elles prévoient s'appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s'appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d'un terrain bâti, notamment quand le bâtiment qui y était édifié a fait l'objet d'une démolition de la part de l'acheteur-revendeur ou quand le bien acquis a fait l'objet d'une division parcellaire en vue d'en céder séparément des parties ne constituant pas le terrain d'assiette du bâtiment.
5. D'une part, aux termes de l'article 12 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 : " 1. Les Etats membres peuvent considérer comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, une opération relevant des activités visées à l'article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, et notamment une seule des opérations suivantes : (...) / b) la livraison d'un terrain à bâtir (...). Aux fins du paragraphe 1. point b), sont considérés comme " terrains à bâtir" les terrains nus ou aménagés, définis comme tels par les Etats membres ". Aux termes de l'article 135 de cette directive : " 1. Les États membres exonèrent les opérations suivantes : (...) k) les livraisons de biens immeubles non bâtis autres que celles des terrains à bâtir visés à l'article 12, paragraphe 1, point b) (...) ".
6. En premier lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que la définition de la notion de " terrain à bâtir " est limitée par la portée de la notion de " bâtiment ", définie de manière très large par le législateur de l'Union à l'article 12, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 comme incluant " toute construction incorporée au sol ". En deuxième lieu, eu égard au fait que la notion de " terrain à bâtir " englobe les terrains tant nus qu'aménagés, le critère déterminant aux fins de la distinction entre un terrain à bâtir et un terrain non bâti est celui de savoir si, au moment de la transaction, le terrain en cause est destiné à supporter un édifice. En troisième lieu, aux fins de garantir le respect du principe de neutralité fiscale, il est nécessaire que tous les terrains non bâtis destinés à supporter un édifice et, partant, destinés à être bâtis soient couverts par la définition nationale de la notion de " terrains à bâtir ".
7. En outre, une opération de livraison d'un terrain supportant, à la date de cette livraison, un bâtiment ne peut être qualifiée de livraison d'un " terrain à bâtir ", même si l'intention des parties était que le bâtiment soit totalement ou partiellement démoli ou qu'il fasse l'objet d'une division parcellaire en vue d'en céder séparément des parties, sauf à ce que les opérations de démolition et de division parcellaire puissent être regardées comme formant avec l'opération de livraison du terrain une opération unique.
8. Enfin, il incombe au juge de l'impôt de déterminer, en tenant compte des définitions législatives nationales et de toutes les circonstances dans lesquelles se sont déroulées les opérations en cause au principal, si un terrain relève de la notion de " terrain à bâtir ".
9. D'autre part, aux termes de l'article 257 du code général des impôts, dans sa version applicable au litige : " 2. Sont considérés : 1° Comme terrains à bâtir, les terrains sur lesquels des constructions peuvent être autorisées en application d'un plan local d'urbanisme, d'un autre document d'urbanisme en tenant lieu, d'une carte communale ou de l'article L. 111-1-2 du code de l'urbanisme. ". Aux termes de l'article 261 du même code : " Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : / (...) / 5. (Opérations immobilières) : / 1° Les livraisons de terrains qui ne sont pas des terrains à bâtir au sens du 1° du 2 du I de l'article 257 ; / (...) ".
10. Il résulte de l'instruction que l'ensemble immobilier que la SARL Bâtir et Promotion a acquis le 19 mars 2014 était composé d'une construction à usage d'habitation et de dépendances. Cet ensemble immobilier, qui comportait une construction, ne présentait pas, à la date de l'acquisition, le caractère d'un terrain nu ou aménagé ainsi que l'exige le b) du 1. de l'article 12 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006. La circonstance qu'elle ait procédé au dépôt d'une déclaration préalable de division parcellaire qui a donné lieu à un arrêté de non-opposition le 6 février 2014, soit préalablement à l'acquisition et que les parcelles issues de cette division qu'elle a par la suite revendues, après les avoir détachées du terrain initial et regroupées en un seul terrain, n'étaient pas grevées de constructions lors de l'acquisition de l'ensemble immobilier ne permet pas de considérer que cet ensemble, qui était bâti, constituait, à la date de l'acquisition, un terrain destiné à supporter un édifice. Si la SARL Bâtir et Promotion a acquis cet ensemble immobilier dans l'intention de réaliser des opérations de cession de terrains à bâtir, et si elle avait ventilé, lors de la comptabilisation en stock du bien en litige, la valeur des différentes parcelles qui le composaient selon qu'elle étaient bâties ou dénuées de construction, la livraison de ce bien est, dans les conditions qui viennent d'être rappelées, économiquement indépendante des prestations de division parcellaire auxquelles la société a procédé et ne peut être regardée comme formant avec celles-ci une opération unique. Il en résulte que l'ensemble immobilier bâti acquis par la SARL Bâtir et Promotion ne peut être regardé comme un terrain à bâtir au sens de l'article 268 du code général des impôts. Par suite, dès lors que la qualification de l'ensemble immobilier initial a été modifiée entre son acquisition et la revente des terrains qui en sont issus, la condition d'identité juridique des terrains à laquelle renvoie l'article 268 du code général des impôts n'est pas satisfaite. Il s'ensuit que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a considéré que la SARL Bâtir et Promotion pouvait prétendre au bénéfice du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge à raison de la vente de terrains à bâtir et qu'il a prononcé, pour ce motif, la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige.
11. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SARL Bâtir et Promotion devant le tribunal administratif de Grenoble et devant la cour.
12. Il résulte de l'instruction que, pour procéder aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige, l'administration s'est fondée sur les dispositions de l'article 268 et du 2 du b de l'article 266 du code général des impôts, et non sur sa propre doctrine. Par suite, la SARL Bâtir et Promotion ne peut utilement soutenir que la doctrine sur laquelle l'administration se serait fondée est illégale.
13. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a prononcé la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui ont été réclamés à la SARL Bâtir et Promotion au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2014, et à demander la remise de ces impositions à la charge de cette société, à hauteur des sommes de 25 769 euros en droits et 1 649 euros de pénalités.
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la SARL Bâtir et Promotion la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble n° 1800727 du 31 décembre 2019 est annulé.
Article 2 : Les rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui ont été réclamés à la SARL Bâtir et Promotion au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2014 sont remis à sa charge, à hauteur des sommes de 25 769 euros en droits et 1 649 euros de pénalités.
Article 3 : La demande présentée par la SARL Bâtir et Promotion devant le tribunal administratif de Grenoble ainsi que ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la SARL Bâtir et Promotion.
Délibéré après l'audience du 2 juin 2022 à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président,
Mme Evrard, présidente-assesseure,
Mme Lesieux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition du greffe, le 6 juillet 2022.
La rapporteure,
A. Evrard Le président,
D. Pruvost
La greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 20LY01350