Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 23 décembre 2019 par laquelle le directeur général adjoint de la région Auvergne-Rhône-Alpes a rejeté sa demande de protection fonctionnelle.
Par un jugement n° 2001530 du 26 mars 2021, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et des mémoires enregistrés le 20 mai 2021, le 31 mai 2021 et le 10 octobre 2022, Mme A..., représentée par Me Cayuela, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 26 mars 2021 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision susmentionnée ;
3°) de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ;
4°) de mettre à la charge de la région Auvergne-Rhône-Alpes la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision lui refusant la protection fonctionnelle méconnaît l'article 6 quinquies et l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 ;
- la région connaissait les éléments fondant sa demande de protection fonctionnelle ;
- elle avait déposé une plainte concernant ces faits de harcèlement moral ;
- la région a gravement manqué à son obligation de sécurité et contrevenu aux dispositions de l'article L 4121-1du code du travail, de l'article 2-1 du décret n° 85-603 du 10 juin 1985 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale et à l'article R.421-10 du code de l'éducation.
Par des mémoires enregistrés le 7 juillet 2021 et le 22 décembre 2022, la région Auvergne-Rhône-Alpes, représentée par Me Lonqueue, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la requérante en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête qui ne procède à aucune critique du jugement n'est pas recevable ;
- elle ne disposait pas d'élément suffisant permettant d'accorder à l'intéressée, la protection fonctionnelle ;
- aucun manquement à son obligation de sécurité ne peut lui être reproché ;
- en tout état de cause, l'annulation de la décision en litige ne pourrait donner lieu qu'au réexamen de la demande de l'intéressée.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dèche, présidente assesseure ;
- les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Taddeï, représentant la Région Rhône-Alpes ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., adjoint technique territorial principal de 2ème classe des établissements d'enseignement, était affectée au lycée Blaise Pascal à Charbonnières-les-Bains, en qualité d'agent d'entretien et d'accueil des établissements d'enseignement. Le 17 novembre 2019, elle a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle à raison de faits constitutifs de harcèlement moral dont elle estimait faire l'objet de la part de son supérieur hiérarchique. Par décision du 23 décembre 2019, le directeur général adjoint de la région Auvergne-Rhône-Alpes a rejeté sa demande de protection fonctionnelle. Mme A... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 23 décembre 2019.
Sur la recevabilité de la requête :
2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête (...) contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ".
3. La requête d'appel de Mme A... qui comporte une critique du jugement attaqué, ne se borne pas à reproduire intégralement et exclusivement les écritures de première instance. Par suite, la région Auvergne-Rhône-Alpes n'est pas fondée à soutenir que la requête est irrecevable à défaut notamment de moyen d'appel.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés (...) ". Aux termes de l'article 11 de cette loi, dans sa version alors en vigueur : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionnaire. / (...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ; / (...) ".
5. D'une part, les dispositions susvisées de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Si la protection résultant de ces dispositions n'est pas applicable aux différends susceptibles de survenir, dans le cadre du service, entre un agent public et l'un de ses supérieurs hiérarchiques, il en va différemment lorsque les actes du supérieur hiérarchique sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
6. D'autre part, il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
7. La requérante soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique, faisant fonction de chef d'équipe depuis trois ans, qui a fait preuve d'actes d'agression et d'intimidation, tant à son encontre, qu'à l'encontre d'autres collègues et qui a clairement démontré sa volonté de lui nuire lors de son entretien d'évaluation qui s'est déroulé en mars 2019. Elle précise que ce supérieur hiérarchique s'en est personnellement pris à elle, lors d'une discussion concernant l'organisation du travail, l'agressant verbalement devant ses collègues et la menaçant physiquement en lui parlant très près de son visage, qu'à la suite de cet incident, elle a été placée en arrêt maladie du 21 décembre 2018 au 4 janvier 2019, qu'à son retour un autre incident avec son supérieur hiérarchique concernant un décompte d'horaires a donné lieu à un arrêt de travail de deux jours et qu'en mars 2019, à la période des évaluations, elle a été convoquée par son supérieur hiérarchique qui lui a reproché d'avoir soutenu un de ses collègues, en conflit avec lui et à l'encontre duquel une procédure disciplinaire était engagée. Elle fait valoir que cette situation a donné lieu à l'envoi d'un courrier d'alerte du 2 avril 2019 des membres du personnel technique du lycée Blaise Pascal qui a été suivi d'une enquête ainsi que d'un dépôt de plainte de sa part, en juin 2019, pour violences et harcèlement moral, ainsi que d'une demande de protection fonctionnelle présentée en novembre 2019, au regard de l'absence d'évolution de la situation ainsi que de la dégradation de son état de santé.
8. Il ressort des pièces du dossier et notamment du courrier d'alerte du 2 avril 2019 que les personnels techniques du lycée ont signalé que certains d'entre eux étaient victimes au quotidien de " pressions " et " d'injustices " dont les autres ont pu être témoins et ont demandé qu'il soit mis fin à cette situation de plus en plus difficile à vivre. A la suite de ce courrier, les agents du lycée Blaise Pascal ont chacun été reçus pour échanger avec des membres de la direction de l'éducation et des lycées de la région du 3 au 6 juin 2019. A la suite de la plainte déposée par l'intéressée à l'encontre de son supérieur hiérarchique, en juin 2019 et de sa décision d'exercer un recours contentieux à l'encontre du refus qui lui a été opposé d'annuler le compte-rendu de son évaluation professionnelle réalisée en mars 2019, par son supérieur hiérarchique direct, le 17 novembre 2019, elle a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle qui lui a été refusé aux motifs qu'une enquête administrative était en cours et que l'issue de la plainte qu'elle avait déposée n'était pas connue. En défense, la région fait valoir que le rapport de l'enquête administrative établi le 7 janvier 2020 par la direction des ressources humaines conclut à l'existence de " tensions fortes, anciennes et complexes entre les personnes ", mais que " le terme de harcèlement n'a jamais été employé " et que la requérante ne produit pas le jugement du tribunal correctionnel dont elle se prévaut constatant qu'elle a été effectivement victime de faits de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique. Toutefois, il ressort des comptes rendus d'entretiens individuels annexés à ce rapport et destinés à " compléter les entretiens conduits par la direction de l'éducation et des lycées du 3 au 6 juin 2019 " que plusieurs agents ont témoigné de manière concordante de la réalité du comportement violent et agressif de leur supérieur hiérarchique à l'égard de l'intéressée ainsi que de ses conséquences sur les conditions de travail de l'ensemble de l'équipe technique du lycée. Ainsi, la région ne pouvait ignorer, à la date à laquelle elle a pris la décision en litige, l'existence de ces faits dont la matérialité n'est pas démentie et qui sont constitutifs de harcèlement moral. Par ailleurs, s'agissant de l'évaluation dont l'intéressée a fait l'objet en mars 2019, il ressort du compte-rendu réalisé en mars 2019 par son supérieur hiérarchique que ce dernier n'a pas hésité à mentionner des faits étrangers à sa manière de servir, consistant notamment à indiquer dans la rubrique " faits marquants ", " A jugé bon de soutenir la personne mise en cause sans aucune connaissance du contexte ", mentions dont au demeurant, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes a admis le caractère inapproprié, en acceptant, par une décision du 13 juin 2019, de les éliminer, suite à la demande présentée en ce sens par l'intéressée. Enfin, la circonstance qu'il existerait une mésentente entre les différents personnels de l'équipe technique du lycée Blaise Pascal et particulièrement entre l'intéressée et son supérieur hiérarchique dont le comportement a excédé l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, ne saurait faire obstacle à l'existence d'un harcèlement moral à l'égard de la requérante. Dans ces conditions, la requérante apporte des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral, alors que l'administration ne produit aucune argumentation de nature à démontrer que ces agissements étaient inexistants ou étaient justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. Par suite, la requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par la décision contestée, le directeur général adjoint de la région Auvergne-Rhône-Alpes a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle.
9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ".
11. Sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait à la date du présent arrêt, l'exécution de ce dernier implique nécessairement, eu égard aux motifs sur lesquels il se fonde, que la région Auvergne-Rhône-Alpes fasse droit à la demande de protection fonctionnelle de Mme A... concernant les faits mentionnés dans le présent arrêt. Il y a lieu d'enjoindre à cette autorité d'y procéder dans le délai d'un mois à compter de la notification de celui-ci.
Sur les frais liés à l'instance :
12. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse à la région Auvergne-Rhône-Alpes la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la région Auvergne-Rhône-Alpes le versement à Mme A... d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens de la présente instance.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2001530 du 26 mars 2021 du tribunal administratif de Lyon et la décision du 23 décembre 2019 du directeur général adjoint de la région Auvergne-Rhône-Alpes rejetant la demande de protection fonctionnelle présentée par Mme A... sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la région Auvergne-Rhône-Alpes, sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait, d'accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle à Mme A... dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : La région Auvergne-Rhône-Alpes versera à Mme A... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la région Auvergne-Rhône-Alpes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Délibéré après l'audience du 2 février 2023 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente-assesseure,
Mme Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 février 2023.
La rapporteure,
P. Dèche
Le président,
F. Bourrachot,
La greffière,
A-C. Ponnelle
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 21LY01575
ap