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23/02/2023 | FRANCE | N°21LY01579

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 23 février 2023, 21LY01579


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 4 février 2020 par laquelle le directeur général des services de la région Auvergne-Rhône-Alpes l'a affectée au groupe scolaire Saint-Exupéry à Lyon.

Par un jugement n° 2002547 du 26 mars 2021, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et des mémoires enregistrés le 20 mai 2021, le 10 octobre 2022 et le 26 décembre 2022, Mme A..., représent

e par Me Cayuela, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 4 février 2020 par laquelle le directeur général des services de la région Auvergne-Rhône-Alpes l'a affectée au groupe scolaire Saint-Exupéry à Lyon.

Par un jugement n° 2002547 du 26 mars 2021, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et des mémoires enregistrés le 20 mai 2021, le 10 octobre 2022 et le 26 décembre 2022, Mme A..., représentée par Me Cayuela, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 26 mars 2021 ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision susmentionnée ;

3°) de mettre à la charge de la région Auvergne-Rhône-Alpes la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- dès lors qu'elle a été victime de faits de harcèlement moral, la décision de mutation ;

- cette décision constitue en réalité une mesure de sanction à son encontre ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de l'intérêt du service ;

- elle s'en remet à la sagesse de la cour s'agissant du prononcé d'office d'une injonction de réexamen.

Par des mémoires en défense enregistrés le 7 juillet 2021, le 21 novembre 2022 et le 22 décembre 2022, la région Auvergne-Rhône-Alpes, représentée par Me Lonqueue, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la requérante en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'intéressée n'a pas été victime de faits de harcèlement moral ;

- la décision de mutation a été prise uniquement dans l'intérêt du service et ne constitue pas une sanction déguisée ;

- des difficultés matérielles s'opposeraient au prononcé d'une injonction de réexamen.

Par un courrier en date du 16 décembre 2022, en vertu de l'article R. 611-7-3 du code de justice administrative, les parties ont été informées de ce que la cour serait susceptible de prononcer d'office une injonction de réexamen de la demande de la requérante sur le fondement de l'article L. 911-2 du même code.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dèche, présidente assesseure ;

- les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure public,

- et les observations de Me Taddeï, représentant la Région Rhône-Alpes ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., adjoint technique territorial principal de 2ème classe des établissements d'enseignement, était affectée au Lycée Blaise Pascal à Charbonnières-les-Bains, en qualité d'agent d'entretien et d'accueil des établissements d'enseignement. Par un courrier en date du 4 février 2020, elle a été informée de sa mutation dans l'intérêt du service à compter du 9 mars 2020 sur un poste vacant d'agent d'entretien et d'hygiène au sein du groupe scolaire Saint-Exupéry, à Lyon. Elle relève appel du jugement du 26 mars 2021, par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 4 février 2020.

2. Aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, issue de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : /1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. ".

3. D'une part, si la circonstance qu'un agent a subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement moral ne saurait légalement justifier que lui soit imposée une mesure relative à son affectation, à sa mutation, à son détachement ou à sa notation, elles ne font pas obstacle à ce que l'administration prenne, à l'égard de cet agent, dans son intérêt ou dans l'intérêt du service, une telle mesure si aucune autre mesure relevant de sa compétence, prise notamment à l'égard des auteurs des agissements en cause, n'est de nature à atteindre le même but.

4. Lorsqu'une telle mesure est contestée devant lui par un agent public au motif qu'elle méconnaît les dispositions précitées de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, il incombe d'abord au juge administratif d'apprécier si l'agent a subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement moral. S'il estime que tel est le cas, il lui appartient, dans un second temps, d'apprécier si l'administration justifie n'avoir pu prendre, pour préserver l'intérêt du service ou celui de l'agent, aucune autre mesure, notamment à l'égard des auteurs du harcèlement moral.

5. D'autre part, s'agissant de l'existence d'un harcèlement moral, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

6. La requérante soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique, faisant fonction de chef d'équipe depuis trois ans, qui a fait preuve d'actes d'agression et d'intimidation, tant à son encontre, qu'à l'encontre d'autres collègues et qui a clairement démontré sa volonté de lui nuire lors de son entretien d'évaluation qui s'est déroulé en mars 2019. Elle précise que ce supérieur hiérarchique s'en est personnellement pris à elle, au mois d'octobre 2018, l'agressant physiquement dans un couloir du lycée, fonçant sur elle et se collant visage contre visage en lui hurlant dessus à propos du matériel de nettoyage qu'elle ne devait plus lui réclamer. Elle ajoute que son supérieur hiérarchique a également tenu des propos diffamatoires sur sa personne en déclarant au lycée qu'elle avait épousé un vieux et qu'elle profitait de son argent. Elle indique également qu'à la suite de cet incident, elle a été placée en arrêt maladie et qu'en mars 2019, à la période des évaluations, elle a été convoquée par son supérieur hiérarchique qui lui a reproché d'avoir soutenu un de ses collègues, en conflit avec lui et à l'encontre duquel une procédure disciplinaire était engagée. Elle fait valoir que cette situation a donné lieu à l'envoi d'un courrier d'alerte du 2 avril 2019 des membres du personnel technique du lycée Blaise Pascal qui a été suivi d'une enquête ainsi que d'un dépôt de plainte de sa part, en juin 2019, pour violences et harcèlement moral, ainsi que d'une demande de protection fonctionnelle présentée en novembre 2019, au regard de l'absence d'évolution de la situation ainsi que de la dégradation de son état de santé.

7. Il ressort des pièces du dossier et notamment du courrier d'alerte du 2 avril 2019 que les personnels techniques du lycée ont signalé que certains d'entre eux étaient victimes au quotidien de " pressions " et " d'injustices " dont les autres ont pu être témoins et ont demandé qu'il soit mis fin à cette situation de plus en plus difficile à vivre. A la suite de ce courrier, les agents du lycée Blaise Pascal ont chacun été reçus pour échanger avec des membres de la direction de l'éducation et des lycées de la région du 3 au 6 juin 2019. A la suite de la plainte déposée par l'intéressée à l'encontre de son supérieur hiérarchique, en juin 2019 et de sa décision d'exercer un recours contentieux à l'encontre du refus qui lui a été opposé d'annuler le compte-rendu de son évaluation professionnelle réalisée en mars 2019, par son supérieur hiérarchique direct, le 17 novembre 2019, elle a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle qui lui a été refusé aux motifs qu'une enquête administrative était en cours et que l'issue de la plainte qu'elle avait déposée n'était pas connue. En défense, la région fait valoir que le rapport de l'enquête administrative établi le 7 janvier 2020 par la direction des ressources humaines conclut à l'existence de " tensions fortes, anciennes et complexes entre les personnes ", mais que " le terme de harcèlement n'a jamais été employé " et que la requérante ne produit pas le jugement du tribunal correctionnel dont elle se prévaut constatant qu'elle a été effectivement victime de faits de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique. Toutefois, il ressort des comptes rendus d'entretiens individuels annexés à ce rapport et destinés à " compléter les entretiens conduits par la direction de l'éducation et des lycées du 3 au 6 juin 2019 " que plusieurs agents ont témoigné de manière concordante de la réalité du comportement violent et agressif de leur supérieur hiérarchique à l'égard de l'intéressée ainsi que de ses conséquences sur les conditions de travail de l'ensemble de l'équipe technique du lycée. Ainsi, la région ne pouvait ignorer, à la date à laquelle elle a pris la décision en litige, l'existence de ces faits dont la matérialité n'est pas démentie et qui sont constitutifs de harcèlement moral. Par ailleurs, s'agissant de l'évaluation dont l'intéressée a fait l'objet en mars 2019, il ressort du compte-rendu réalisé en mars 2019 par son supérieur hiérarchique que ce dernier n'a pas hésité à mentionner des faits étrangers à sa manière de servir, consistant notamment à indiquer dans la rubrique " faits marquants ", " A jugé bon de soutenir la personne mise en cause sans aucune connaissance du contexte ", mentions dont au demeurant, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes a admis le caractère inapproprié, en acceptant, par une décision du 13 juin 2019, de les éliminer, suite à la demande présentée en ce sens par l'intéressée. Enfin, la circonstance qu'il existerait une mésentente entre les différents personnels de l'équipe technique du lycée Blaise Pascal et particulièrement entre l'intéressée et son supérieur hiérarchique dont le comportement a excédé l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, ne saurait faire obstacle à l'existence d'un harcèlement moral à l'égard de la requérante. Dans ces conditions, la requérante apporte des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral, alors que l'administration ne produit aucune argumentation de nature à démontrer que ces agissements étaient inexistants ou étaient justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. Par suite, la requérante est fondée à soutenir qu'elle a été victime de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique.

8. Alors qu'il ressort des pièces du dossier que le supérieur hiérarchique de l'intéressée, auteur du harcèlement moral, a fait l'objet d'une mutation d'office dans un autre établissement et que la requérante produit plusieurs attestations témoignant de sa bonne entente avec les autres membres du personnel technique du Lycée Blaise Pascal, la région n'apporte aucun élément permettant d'établir que la décision de l'affecter dans un autre établissement serait la seule justifiée pour préserver l'intérêt du service ou celui de l'intéressée. Par suite, la requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par la décision contestée, le directeur général des services de la région Auvergne-Rhône-Alpes l'a affectée au lycée Jean Perrin à Lyon.

9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. L'annulation de la décision du 4 février 2020 prononçant le changement d'affectation de Mme A... oblige l'autorité compétente à replacer l'intéressée, à la date de ce changement d'affectation, dans l'emploi qu'elle occupait précédemment et à reprendre rétroactivement les mesures nécessaires pour la placer dans une position régulière. Par suite, il y a lieu d'enjoindre à la région Auvergne-Rhône-Alpes de replacer Mme A..., à compter du 4 février 2020, dans l'emploi d'agent d'entretien et d'accueil des établissements d'enseignement au sein du Lycée Blaise Pascal à Charbonnières-les-Bains, qu'elle occupait précédemment et de prendre rétroactivement les mesures nécessaires pour la placer dans une position régulière, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse à la région Auvergne-Rhône-Alpes la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la région Auvergne-Rhône-Alpes le versement à Mme A... d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens de la présente instance.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2002547 du 26 mars 2021, le tribunal administratif de Lyon et la décision du 4 février 2020 du directeur général des services de la région Auvergne-Rhône-Alpes affectant Mme A... au lycée Saint-Exupéry à Lyon sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à la région Auvergne-Rhône-Alpes de replacer Mme A..., à compter du 4 février 2020, dans l'emploi d'agent d'entretien et d'accueil des établissements d'enseignement au sein du Lycée Blaise Pascal à Charbonnières-les-Bains, qu'elle occupait précédemment et de prendre rétroactivement les mesures nécessaires pour la placer dans une position régulière, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : La région Auvergne-Rhône-Alpes versera à Mme A... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la région Auvergne-Rhône-Alpes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Délibéré après l'audience du 2 février 2023 à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Dèche, présidente-assesseure,

Mme Rémy-Néris, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 février 2023.

La rapporteure,

P. Dèche

Le président,

F. Bourrachot,

La greffière,

A-C. Ponnelle

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 21LY01579

ap


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY01579
Date de la décision : 23/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-05-01 Fonctionnaires et agents publics. - Positions. - Affectation et mutation.


Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: Mme Pascale DECHE
Rapporteur public ?: Mme LE FRAPPER
Avocat(s) : CAYUELA

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-02-23;21ly01579 ?
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