Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 10 mai 2022 par lequel le préfet de l'Isère lui a fait obligation de quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, ainsi que l'arrêté du même jour par lequel le préfet du Rhône l'a assigné à résidence.
Par un jugement n° 2203569 du 16 mai 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 16 juin 2022, M. A..., représenté par la SELARL Bescou et Sabatier Avocats Associés, agissant par Me Bescou, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 16 mai 2022 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon ;
2°) d'annuler les arrêtés du 10 mai 2021 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous une astreinte de 100 euros par jour de retard, et au préfet de l'Isère de procéder à l'effacement de son signalement dans le système d'information Schengen, dans le même délai et sous la même astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement à la SELARL Bescou et Sabatier Avocats Associés d'une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- cette mesure n'a pas été précédée d'un examen de sa situation personnelle ;
- elle est fondée sur des faits matériellement inexacts ;
- l'obligation de quitter le territoire français est entachée d'erreur de droit ;
- cette mesure méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
En ce qui concerne le refus d'un délai de départ volontaire :
- cette décision est illégale en ce qu'elle repose sur une mesure d'éloignement illégale ;
- elle n'a pas été précédée d'un examen de sa situation personnelle ;
- elle repose sur des faits matériellement inexacts ;
- elle est entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
- cette décision est illégale en ce qu'elle repose sur une obligation de quitter le territoire français illégale ;
En ce qui concerne la décision prononçant une interdiction de retour :
- cette mesure est illégale en ce qu'elle est fondée sur une mesure d'éloignement illégale ;
- elle n'a pas été précédée d'un examen de sa situation personnelle ;
- elle viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle viole l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dans l'application des articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
En ce qui concerne l'assignation à résidence :
- cette mesure est illégale en conséquence de l'illégalité des décisions sur lesquelles elle repose ;
- elle est fondée sur une erreur quant à son lieu de résidence.
Par un mémoire enregistré le 29 juillet 2022, le préfet de l'Isère conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par M. A... n'est fondé.
La demande d'aide juridictionnelle présentée par M. A... a été rejetée par une décision du 9 novembre 2022.
Par une ordonnance du 10 mars 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 7 avril 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Joël Arnould, premier conseiller,
- et les observations de Me Guillaume, avocate représentant M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant tunisien, relève appel du jugement du 16 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 10 mai 2022 lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement, lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et l'assignant à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En premier lieu, il ressort des termes de l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire français, que le préfet de l'Isère s'est notamment fondé sur les motifs tirés de ce que si M. A... invoque la présence en France de son épouse et de ses enfants, il a été interpellé à de nombreuses reprises pour des faits de violence envers eux, mais également qu'il est célibataire et sans enfant à charge. Toutefois, il ressort du procès-verbal de l'audition du requérant le 5 mai 2022 par la gendarmerie nationale, que celui-ci a invoqué la présence en France de sa fille aînée, issue de sa relation avec une femme dont il est séparé, celle de sa nouvelle compagne, avec laquelle il dit s'être marié religieusement, et celle de leur enfant commun. Si le requérant a été condamné pour des violences envers sa précédente compagne, aucun fait ne lui a été reproché à l'égard de sa nouvelle compagne. Alors même qu'en vertu d'un jugement rendu le 18 janvier 2022 par le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Vienne, la mère de son premier enfant exerce seule l'autorité parentale sur celui-ci, il conserve le droit et le devoir de surveiller son éducation et de lui verser une pension alimentaire, de sorte que cet enfant reste encore en partie à sa charge. Enfin, il ressort des pièces du dossier que lors de son audition par la police nationale le 23 mars 2021, la nouvelle compagne de M. A... avait indiqué vivre avec lui à Vienne. Le service pénitentiaire d'insertion et de probation a par la suite constaté le maintien des liens avec celle-ci et l'enfant né durant l'incarcération du requérant, qu'il a reconnu. Il ressort d'un récapitulatif des visites au centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier, produit pour la première fois en appel, que d'août 2021 à mai 2022, la compagne du requérant lui a rendu plusieurs dizaines de fois visite au parloir, souvent accompagnée de leur enfant. Dans ces circonstances, M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a écarté le moyen tiré de ce que l'obligation de quitter le territoire français, le refus de lui accorder un délai de départ volontaire et l'interdiction de retour sur le territoire français ont été décidés sans un véritable examen de sa situation personnelle.
3. En deuxième lieu, M. A... est en outre fondé à invoquer l'illégalité de la mesure d'éloignement prescrite par le préfet de l'Isère à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi et de l'arrêté l'ayant assigné à résidence.
4. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés attaqués.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
5. D'une part, aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ".
6. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'enjoindre à la préfète du Rhône, territorialement compétente, de délivrer à M. A... une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours et de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de deux mois, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
7. D'autre part, aux termes des dispositions de l'article R. 613-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les modalités de suppression du signalement d'un étranger effectué au titre d'une décision d'interdiction de retour sont celles qui s'appliquent, en vertu de l'article 7 du décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées, aux cas d'extinction du motif d'inscription dans ce traitement ". Aux termes de l'article 7 du décret du 28 mai 2010 : " Les données à caractère personnel enregistrées dans le fichier sont effacées sans délai en cas d'aboutissement de la recherche ou d'extinction du motif de l'inscription (...) ".
8. En vertu de ces dispositions, l'annulation de l'interdiction de retour prise à l'encontre de M. A... implique nécessairement l'effacement sans délai du signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen résultant de cette décision. Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre à la préfète du Rhône de mettre en œuvre la procédure d'effacement de ce signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
9. La demande d'aide juridictionnelle présentée par M. A... a été rejetée. Par suite, ses conseils ne peuvent se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 16 mai 2022 ainsi que l'arrêté du préfet de l'Isère du 10 mai 2022 portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de destination de son éloignement et interdiction de retour sur le territoire français, et l'arrêté de la préfète du Rhône du même jour portant assignation à résidence, sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète du Rhône de délivrer à M. A... une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt et de procéder au réexamen de la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète du Rhône de mettre en œuvre la procédure d'effacement du signalement de M. A... aux fins de non admission dans le système d'information Schengen dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète du Rhône, au préfet de l'Isère et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Lyon en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.
Délibéré après l'audience du 10 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
M. Joël Arnould, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 octobre 2023.
Le rapporteur,
Joël ArnouldLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Noémie Lecouey
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY01880