Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune de Vienne à lui verser la somme de 35 000 euros en réparation des préjudices causés par des accidents de service survenus les 20 octobre 2004, 24 janvier 2012 et 24 janvier 2018.
Par jugement n° 2002222 du 12 avril 2022, le tribunal n'a fait droit à sa demande qu'à hauteur de 1 500 euros.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 10 juin 2022 et le 7 septembre 2023, M. D..., représenté par Me Cayuela, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de réformer ce jugement et de porter le montant de l'indemnité à 35 000 euros ;
2°) de rejeter l'appel incident présenté par la commune de Vienne ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Vienne la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
- aucune prescription n'est applicable, dès lors que l'accident de 2018 constitue une rechute des précédents ;
- les trois accidents de service dont il a été victime sont à l'origine d'un déficit fonctionnel permanent de, respectivement, 20 %, 4% et 15 % et lui ont causé une souffrance évaluée pour chacun à 3,5/7, 2,5/7 et 2,5/7, ainsi qu'il résulte de l'expertise réalisée par le Dr E... ;
- les préjudices causés par ces accidents doivent donc être évalués à, respectivement, 15 000 euros, 10 000 euros et 10 000 euros ;
- la commune de Vienne a commis une faute en s'abstenant d'aménager son poste de travail ;
- les conclusions présentées par la voie de l'appel incident par la commune de Vienne sont tardives et, par suite, irrecevables.
Par mémoire enregistré le 30 juin 2023, la commune de Vienne, représentée par Me Verne (SELARL Itinéraires avocats), demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de M. D... ;
2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Grenoble ;
3°) de mettre à la charge de M. D... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle expose que :
- la requête de M. D... est irrecevable, ayant été présentée au-delà du délai de deux mois imparti ;
- les moyens soulevés ne sont pas fondés ;
- aucune indemnité ne peut être accordée au titre de la souffrance supportée, la réalité et l'ampleur de celle-ci n'étant pas établies ;
- aucune indemnité ne peut lui être accordée, dès lors qu'il a commis une faute, qui exonère la commune de toute responsabilité, en ne respectant pas les prescriptions médicales qui lui auraient été adressées.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, par une décision du 23 novembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Sophie Corvellec ;
- les conclusions de M. Bertrand Savouré, rapporteur public ;
- et les observations de Me Benyahia pour la commune de Vienne ;
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., adjoint technique de 2e classe au sein de la commune de Vienne, a été victime de trois accidents de service survenus le 20 octobre 2004, le 24 janvier 2012 et le 24 janvier 2018. Par courrier du 12 juin 2019, il a sollicité l'indemnisation des préjudices qu'il a subis. Sa demande ayant été implicitement rejetée, il a saisi aux mêmes fins le tribunal administratif de Grenoble, qui a condamné la commune à lui verser une indemnité de 1 500 euros, par un jugement du 12 avril 2022. M. D... relève appel de ce jugement, en ce qu'il n'a pas fait pleinement droit à sa demande et sollicite la condamnation de la commune à hauteur de 35 000 euros. Par la voie de l'appel incident, cette dernière demande l'annulation de ce jugement.
Sur la recevabilité de l'appel :
2. La requête de M. D... a été enregistrée au greffe de la cour, le 10 juin 2022. Indépendamment de la régularisation dont elle a fait l'objet par mémoire enregistré le 18 juillet 2022, elle a ainsi été présentée dans le respect du délai de deux mois ouvert à M. D... à compter de la notification du jugement attaqué. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la commune de Vienne, tirée de la tardiveté de cette requête, doit être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les conséquences indemnitaires des accidents de service du 20 octobre 2004 et du 24 janvier 2012 :
3. Aux termes du premier alinéa de l'article 1er de la loi du 1er décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit (...) des communes, (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". Pour l'application de ces dispositions, s'agissant d'une créance indemnitaire détenue sur une collectivité publique au titre d'un dommage corporel engageant sa responsabilité, le point de départ du délai de la prescription quadriennale est le premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les infirmités liées à ce dommage ont été consolidées.
4. M. D... ne démontre pas que l'accident de service survenu le 24 janvier 2018, lequel a été reconnu comme un accident distinct de ceux survenus en 2004 et en 2012, constituait en réalité une rechute traduisant une aggravation des lésions nées de ces précédents accidents et remettant en cause la date de consolidation de son état fixée, après ces accidents, au 5 juin 2014 au plus tard. Dès lors, M. D... n'est fondé ni à remettre en cause les dates de consolidation retenues par les premiers juges, ni, par suite, à soutenir qu'aucune prescription n'était applicable aux créances nées de ces deux premiers accidents de service.
En ce qui concerne les conséquences indemnitaires de l'accident de service du 24 janvier 2018 :
5. Les dispositions qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Elles ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre cette personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.
6. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que la rente viagère d'invalidité et l'allocation temporaire d'invalidité ont pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Ainsi, en dehors de l'hypothèse du défaut d'entretien d'un ouvrage public, M. D... ne peut demander une indemnisation distincte de ces allocations au titre d'" un préjudice professionnel ", sans démontrer l'existence d'une faute imputable à la commune de Vienne. S'il fait grief à celle-ci de ne pas avoir aménagé son poste de travail, il n'apporte aucune autre précision à l'appui de cette affirmation. Par suite, à défaut de démontrer la réalité d'une faute imputable à la commune de Vienne, il n'est pas fondé à demander une indemnisation supplémentaire au titre d'un prétendu préjudice professionnel, au demeurant dépourvu de toute précision.
7. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport établi le 17 mai 2018 par le médecin agrée, que l'accident dont M. D... a été victime, le 24 janvier 2018, a entraîné des lésions traumatiques multiples du bras et de l'épaule gauches. Cette épaule n'avait pas été atteinte lors des deux premiers accidents de service survenus en 2004 et en 2012. Si ce rapport conclut à l'absence de séquelles imputables à ce troisième accident, cette conclusion est contredite par le rapport médical daté du 16 janvier 2019 dont se prévaut M. D..., lequel, bien qu'établi par un spécialiste en psychiatrie, reprend les constatations opérées par le Dr A..., spécialisé en chirurgie de l'épaule, dans un certificat du 6 septembre 2018 au terme duquel l'intéressé souffre " d'un raidissement douloureux de l'épaule gauche avec limitation très importante de la flexion (90°) et de la rotation interne ". Il résulte de ce même certificat, qui relève que " ces tendinopathies calcifiantes (...) sont visiblement la conséquence d'une utilisation répétitive des membres supérieurs, le traitement préconisé est un traitement conservateur ", que ce déficit fonctionnel présente un caractère permanent sans perspective d'amélioration. En outre, saisi d'une demande de révision de l'allocation temporaire d'invalidité versé à l'intéressé, le conseil médical de la fonction publique territoriale de l'Isère a, lors de sa séance du 4 mai 2023 et suivant les préconisations médicales, également admis que ce troisième accident de service est à l'origine d'un déficit fonctionnel permanent qu'il a évalué à 12 %. Dans ces circonstances, indépendamment du chiffrage retenu par le rapport du 16 janvier 2019 et compte tenu de l'âge de M. D... à la date de la consolidation de son état de santé, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en lui accordant une somme de 5 000 euros à ce titre.
8. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que cet accident a causé à M. D... des lésions traumatiques multiples du bras gauche, entraînant une poussée inflammatoire de l'épaule. Son état n'a été considéré comme consolidé qu'au terme de quatre mois. Par suite, les premiers juges n'ont pas fait une inexacte évaluation du préjudice tenant à la souffrance endurée par M. D... en lui accordant à ce titre une somme de 1 500 euros.
9. Enfin, si la commune de Vienne invoque une faute de M. D..., propre à l'exonérer de toute responsabilité, elle n'apporte aucune précision sur les circonstances de cet accident et indique elle-même que l'intéressé ne faisait l'objet d'aucune restriction médicale. Par suite, elle ne démontre pas que l'accident survenu le 24 janvier 2018 serait imputable à la méconnaissance, par l'intéressé, de prescriptions dont il faisait l'objet, ni, par suite, à une faute de celui-ci.
10. Il résulte de tout ce qui précède, que M. D... est seulement fondé à demander que l'indemnité, que le tribunal administratif de Grenoble a condamné la commune de Vienne à lui verser, soit portée à la somme de 6 500 euros et, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée à leur encontre, que les conclusions présentées par la voie de l'appel incident par la commune de Vienne doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
11. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. D..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par la commune de Vienne. D'autre part, M. D..., pour le compte de qui les conclusions relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être réputées présentées, n'allègue pas avoir exposé de frais autres que ceux pris en charge par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle totale qui lui a été allouée. Son avocate n'a pas demandé que lui soit versée la somme correspondant aux frais exposés qu'elle aurait réclamée à son client si ce dernier n'avait pas bénéficié d'une aide juridictionnelle totale. Dans ces conditions, les conclusions de la requête présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : L'indemnité de 1 500 euros, que la commune de Vienne a été condamnée à verser à M. D... par le jugement n° 2002222 du tribunal administratif de Grenoble du 12 avril 2022, est portée à 6 500 euros.
Article 2 : Le jugement n° 2002222 du tribunal administratif de Grenoble du 12 avril 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et à la commune de Vienne.
Délibéré après l'audience du 14 décembre 2023, où siégeaient :
M. Philippe Arbarétaz, président de chambre,
Mme Aline Evrard, présidente-assesseure,
Mme Sophie Corvellec, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 janvier 2024.
La rapporteure,
S. CorvellecLe président,
Ph. Arbarétaz
La greffière,
S. Bertrand
La République mande et ordonne au préfet de l'Isère en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY01779