Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du 9 juin 2022 par lequel le préfet de la Côte-d'Or a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement.
Par un jugement n° 2201893 du 16 février 2023, le tribunal administratif de Dijon a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 20 mars 2023, et un mémoire en réplique, enregistré le 8 mars 2024, qui n'a pas été communiqué, M. B..., représenté par Me Ben Hadj Younes puis par Me Thieffry, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 16 février 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 9 juin 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Côte-d'Or de lui délivrer une carte de séjour temporaire ou à défaut de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le refus de titre de séjour est insuffisamment motivé ;
- cette décision est entachée d'erreur de droit dans la mesure où si les forces de l'ordre ou les services judiciaires peuvent apporter des éléments permettant au préfet de s'assurer qu'un étranger entre dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 425-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il ne leur appartient pas, alors même que l'enquête est en cours, de préjuger de la suite qui sera donnée à la plainte fondée sur les dispositions de l'article L. 225-4-1 du code pénal ; la seule appréciation du service de gendarmerie sur le bien-fondé de sa plainte ne peut suffire alors même, qu'il n'a pas été entendu pour apporter tous éléments utiles à l'enquête ; à la date de la décision attaquée, le Procureur de la République ne s'est pas prononcé définitivement sur les faits dont il était saisi ;
- les dispositions de l'article L. 425-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne subordonnent pas la délivrance du titre de séjour à l'engagement d'une procédure judiciaire par le parquet ;
- la circonstance que le récépissé de dépôt de plainte ne mentionne pas les faits de traite des êtres humains est sans incidence ;
- il a été privé de l'information prescrite par l'article R. 425-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile avant l'intervention de l'obligation de quitter le territoire français ;
- cette décision est privée de base légale du fait de l'illégalité de la décision de refus de séjour.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 février 2024, le préfet de de la Côte-d'Or conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge du requérant une somme de 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés sont infondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant tunisien né le 27 août 1980, est entré en France le 7 octobre 2021, sous couvert d'un visa de court séjour. Il a conclu un contrat à durée indéterminée avec une entreprise de restauration. Le 13 janvier 2022, il a été auditionné par les services de l'inspection du travail, dans le cadre d'une enquête judiciaire pour traite des êtres humains en application des dispositions de l'article 225-4-1 du code pénal. Le 9 février 2022, il a sollicité par l'intermédiaire de son conseil la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 425-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 9 juin 2022, le préfet de la Côte-d'Or a refusé de lui délivrer ce titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement. M. B... relève appel du jugement n° 2201893 du 16 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du 9 juin 2022 :
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, la décision de refus de délivrance de titre de séjour énonce clairement les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde et est, dès lors, régulièrement motivée.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 425-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile: " L'étranger qui dépose plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre des faits constitutifs des infractions de traite des êtres humains ou de proxénétisme, visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal, ou témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions, se voit délivrer, sous réserve qu'il ait rompu tout lien avec cette personne, une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. Elle est renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites. ". Et aux termes de l'article R. 425-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée par le préfet territorialement compétent à l'étranger qui satisfait aux conditions définies à l'article L. 425-1. (...) La demande de carte de séjour temporaire est accompagnée du récépissé du dépôt de plainte de l'étranger (...) ".
4. Pour refuser à M. B... la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions citées au point précédent, le préfet de la Côte-d'Or a opposé la circonstance que " par mail du 15/04/2022, la Brigade Mobile de Recherche de Dijon a indiqué que dans le cadre de la procédure diligentée à l'encontre du gérant de la société The Butcher, l'infraction de traite des êtres humains n'a pas été retenue au motif que les éléments constitutifs de cette infraction ne sont pas présents dans ce dossier ; que, de surcroît, ce dossier a été présenté au parquet qui ne relève pas non plus d'éléments relevant de la traite des êtres humains ".
5. Alors que les dispositions citées au point 3 prévoient le renouvellement de la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " pendant toute la durée de la procédure pénale, le requérant est fondé à soutenir qu'une telle motivation est erronée en droit. Toutefois, les mêmes dispositions subordonnent la délivrance de plein droit de la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " à la production du récépissé du dépôt de plainte de l'étranger.
6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. B... a déposé plainte le 2 février 2022 contre son employeur, pour des faits de travail dissimulé et d'aide à l'entrée et au séjour d'étrangers en situation irrégulière. Ce n'est qu'après le dépôt de sa demande de titre de séjour par l'intermédiaire de son conseil, le 9 février 2022, qu'il a saisi le procureur de la République, par un courrier du 14 février 2022, d'un " complément de plainte " dénonçant des faits de traite des êtres humains. En l'espèce, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que ce complément de plainte de M. B... aurait été enregistré. Le requérant n'a accompagné sa demande de carte de séjour temporaire d'aucun récépissé du dépôt de plainte, comme l'opposait en première instance le préfet de la Côte-d'Or. Ce dernier doit être regardé comme sollicitant à ce titre une substitution de motif.
7. Le motif tiré de l'absence de récépissé du dépôt de plainte accompagnant la demande de carte de séjour temporaire est de nature à justifier légalement l'arrêté contesté. Il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Enfin, cette substitution de motif ne prive pas M. B... d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
8. Il s'ensuit que le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour méconnaît les dispositions précitées de l'article L. 425-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
9. En premier lieu, aux termes de l'article R. 425-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le service de police ou de gendarmerie qui dispose d'éléments permettant de considérer qu'un étranger, victime d'une des infractions constitutives de la traite des êtres humains ou du proxénétisme prévues et réprimées par les articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal, est susceptible de porter plainte contre les auteurs de cette infraction ou de témoigner dans une procédure pénale contre une personne poursuivie pour une infraction identique, l'informe : 1° De la possibilité d'admission au séjour et du droit à l'exercice d'une activité professionnelle qui lui sont ouverts par l'article L. 425-1 ; 2° Des mesures d'accueil, d'hébergement et de protection prévues aux articles R. 425-4 et R. 425-7 à R. 425-10 ; 3° Des droits mentionnés à l'article 53-1 du code de procédure pénale, notamment de la possibilité d'obtenir une aide juridique pour faire valoir ses droits./ Le service de police ou de gendarmerie informe également l'étranger qu'il peut bénéficier d'un délai de réflexion de trente jours, dans les conditions prévues à l'article R. 425-2, pour choisir de bénéficier ou non de la possibilité d'admission au séjour mentionnée au 1° (...) ".
10. Ces dispositions chargent les services de police d'une mission d'information, à titre conservatoire et préalablement à toute qualification pénale, des victimes potentielles de faits de traite d'êtres humains ou de proxénétisme. Lorsque ces services ont des motifs raisonnables de considérer que l'étranger pourrait être reconnu victime de tels faits, il leur appartient d'informer ce dernier de ses droits en application de ces dispositions. En l'absence d'une telle information, l'étranger est fondé à se prévaloir du délai de réflexion pendant lequel aucune mesure d'éloignement ne peut être prise, ni exécutée, notamment dans l'hypothèse où il a effectivement porté plainte par la suite.
11. Si M. B... soutient qu'il a déposé plainte devant les services de police en dénonçant des faits laissant raisonnablement supposer qu'il pouvait entrer dans le champ d'application des dispositions du code pénal réprimant la traite des êtres humains et a, au surplus, déposé un complément de plainte, il ressort toutefois des pièces du dossier que de telles plaintes précèdent l'intervention de l'arrêté contesté, le 9 juin 2022. Dans ces conditions, le requérant ne peut invoquer utilement à l'encontre de la mesure d'éloignement la méconnaissance de l'obligation d'information pesant sur les services de police en vertu des dispositions citées au point 9. Ce moyen, inopérant, ne peut qu'être écarté.
12. En second lieu, il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité du refus de titre de séjour à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'obligation de quitter le territoire français.
13. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
14. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions dirigées contre l'arrêté du préfet de la Côte-d'Or du 9 juin 2022, n'appelle aucune mesure d'exécution. Les conclusions susmentionnées ne peuvent dès lors qu'être rejetées.
Sur les frais d'instance :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il en soit fait application à l'encontre de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions qu'il présente au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Côte-d'Or.
Délibéré après l'audience du 12 mars 2024 à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mars 2024.
La rapporteure,
Bénédicte LordonnéLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY01010