La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/06/2024 | FRANCE | N°22LY03305

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 2ème chambre, 11 juin 2024, 22LY03305


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



La SNC Ventimo a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 octobre 2015.



Par un jugement n° 1800501 du 7 mars 2019, le tribunal administratif de Lyon a, d'une part, déchargé la SNC Ventimo des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvie

r au 31 décembre 2013, correspondant à la taxe déduite à raison de la livraison à soi-même d'un chalet si...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La SNC Ventimo a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 octobre 2015.

Par un jugement n° 1800501 du 7 mars 2019, le tribunal administratif de Lyon a, d'une part, déchargé la SNC Ventimo des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2013, correspondant à la taxe déduite à raison de la livraison à soi-même d'un chalet situé à Megève et des pénalités y afférentes (article 1er), d'autre part, mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 2) et, enfin, rejeté le surplus des conclusions de la requête de la SNC Ventimo (article 3).

Procédure initiale devant la cour

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 25 juin 2019, 21 février 2020 et 7 janvier 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance a demandé à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement ;

2°) de remettre à la charge de la SNC Ventimo le rappel de taxe sur la valeur ajoutée correspondant à la taxe déduite au titre de la livraison à soi-même du chalet, ainsi que les pénalités y afférentes ;

3°) de rejeter l'appel incident de la SNC Ventimo.

Il soutenait que :

- si le chalet doit être regardé comme affecté à une opération imposable ouvrant droit à une déduction immédiate et intégrale de la taxe sur la valeur ajoutée afférente à la livraison à soi-même des travaux, le changement d'affectation du chalet, utilisé à des fins privées au cours de la période vérifiée, permet de remettre en cause la déduction opérée au titre du mois de novembre 2013 ;

- l'administration fiscale est ainsi fondée, après substitution de base légale, à procéder au rappel de la taxe déduite en novembre 2013 au titre de la livraison à soi-même sur le fondement du 2° du VI de l'article 207 de l'annexe II au code général des impôts, le bien, après avoir fait l'objet d'une déduction de la taxe qui l'avait grevé, ayant été utilisé pour une opération qui n'est pas effectivement soumise à l'impôt ;

- l'autre moyen invoqué à l'appui de la demande de première instance de la SNC Ventimo, concernant les pénalités, n'est pas fondé, le caractère délibéré du manquement étant établi ;

- la procédure d'imposition n'est pas entachée d'irrégularité.

Par des mémoires, enregistrés le 2 décembre 2019, le 4 décembre 2020 et le 25 janvier 2021, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la SNC Ventimo, représentée par Me Chetail, a conclu au rejet de la requête et a demandé à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler l'article 3 du jugement ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée maintenus à sa charge ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutenait que :

A titre principal :

- tant la taxe sur la valeur ajoutée afférente à la livraison à soi-même intervenue en novembre 2013 que celle afférente aux dépenses engagées au cours des années 2013, 2014 et 2015 présentent un caractère déductible, compte tenu de l'affectation du chalet à une opération économique imposable ; elle n'a à aucun moment abandonné son intention d'aliéner le chalet, dont le prix de vente est conforme au prix du marché, compte tenu de son caractère exceptionnel et de l'absence de comparaison possible avec les transactions retenues par le service, le chalet n'ayant par ailleurs pas été occupé à des fins privatives ;

- toute substitution de base légale réalisée au cours de la procédure de rectification nécessite l'envoi d'une nouvelle proposition de rectification de manière à permettre au contribuable de formuler utilement ses observations, conformément aux dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ;

A titre subsidiaire :

- le bien en stock devant être regardé comme immobilisé, il satisfait aux conditions prévues au 3° du IV de l'article 207 de l'annexe II du code général des impôts permettant l'application du dispositif de régularisation par vingtième, la demande de substitution de base légale n'étant pas fondée ;

- eu égard à la complexité des règles d'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée de l'opération en litige qui lui sont opposées, les pénalités pour manquement délibéré ne sont pas justifiées.

Par un arrêt n° 19LY02435 du 13 janvier 2022, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel du ministre de l'économie, des finances et de la relance (article 1er) ainsi que le surplus des conclusions des parties (article 2).

Par une décision n° 462278 du 16 novembre 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par le ministre de l'économie, des finances et de la relance, et d'un pourvoi incident présenté par la SNC Ventimo, a, d'une part, annulé l'article 1er de cet arrêt et renvoyé l'affaire, dans cette mesure, devant la cour (articles 1er et 2) et, d'autre part, rejeté le pourvoi incident de la SNC Ventimo ainsi que ses conclusions présentées au titre des frais liés au litige (article 3).

Procédure devant la Cour après renvoi

Les parties ont été informées, le 16 novembre 2022, de la reprise de l'instance après cassation et de la possibilité qui leur était offerte de produire, dans le délai d'un mois, de nouveaux mémoires ou observations.

Par des mémoires, enregistrés les 16 janvier et 27 juin 2023, la SNC Ventimo, représentée par Me Chetail, demande à la cour :

1°) à titre principal, de prononcer la décharge de l'intégralité des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 octobre 2015, ainsi que des pénalités correspondantes ;

2°) à titre subsidiaire, de rejeter l'appel du ministre et d'annuler l'article 3 de ce même jugement ;

3°) en tout état de cause, de prononcer la décharge de la pénalité de 40 % appliquée sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'administration a méconnu l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, dès lors qu'elle a modifié, dans la réponse aux observations du contribuable du 6 octobre 2016, le fondement juridique du rappel de taxe sur la valeur ajoutée, en invoquant la remise en cause du droit à déduction en raison de l'usage privatif du bien, alors qu'elle s'était fondée, dans la proposition de rectification du 5 juillet 2016, sur la circonstance que le bien immobilier était affecté à une activité située hors du champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée ; l'administration aurait donc dû lui adresser une nouvelle proposition de rectification de manière à lui permettre de présenter utilement ses observations ;

- contrairement à ce qu'a estimé l'administration, le chalet n'a pas changé d'affectation et est demeuré affecté à l'activité de marchand de biens qu'elle exerce ;

- elle a toujours voulu vendre son bien entre 2011 et 2014, ainsi qu'en attestent les mandats de vente confiés à des agences immobilières, mais n'y est pas parvenue en raison de circonstances extérieures et imprévisibles ; l'administration ne démontre pas que le prix de vente du chalet était excessif, en l'absence de termes de comparaison pertinents au regard de la spécificité de ce bien ;

- l'administration ne démontre pas davantage l'utilisation privative du chalet au cours de la période sous revue ;

- la pénalité pour manquement délibéré n'est pas justifiée.

Par un mémoire, enregistré le 7 avril 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement ;

2°) de remettre à la charge de la SNC Ventimo le rappel de taxe sur la valeur ajoutée correspondant à la taxe déduite au titre de la livraison à soi-même du chalet, ainsi que les pénalités y afférentes, soit un montant total de 1 773 689 euros.

Il fait valoir que :

- dès lors que l'article 2 de l'arrêt de la cour du 13 janvier 2022 rejetant le surplus des conclusions des parties n'a pas été annulé par le Conseil d'Etat et a désormais l'autorité de la chose jugée, les conclusions de la SNC Ventimo tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des majorations correspondantes au titre de la remise en cause de la déductibilité de la taxe afférente aux charges d'entretien et de fonctionnement du chalet supportées au cours des années 2013 à 2015 sont irrecevables ; le litige après cassation est donc circonscrit au rappel de taxe sur la valeur ajoutée déduite au titre de la livraison à soi-même du chalet et aux pénalités correspondantes, soit un montant total de 1 773 689 euros ;

- aucune modification du fondement juridique de l'imposition n'est intervenue entre la proposition de rectification du 5 juillet 2016 et la réponse aux observations du contribuable du 6 octobre 2016, ainsi que l'a d'ailleurs relevé le Conseil d'Etat dans sa décision du 16 novembre 2022 ;

- si l'intention de vendre le chalet était bien réelle à l'achèvement de l'immeuble en 2010, jusqu'à la date à laquelle l'acquéreur potentiel s'est rétracté en mai 2011, il n'existe aucun élément de nature à démontrer la réalité de la mise en vente de juin 2011 à fin 2014, alors que le chalet a été assuré, à compter de septembre 2011, comme résidence secondaire au bénéfice de M. et Mme B... et que l'utilisation privative du chalet par les intéressés a été établie sur la période vérifiée ;

- le chalet, construit en vue d'être cédé à son achèvement le 19 mai 2010, était affecté à une activité économique ouvrant droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ; toutefois, il n'était plus affecté à des opérations économiques depuis, au plus tard, le 1er janvier 2013, ce qui implique une régularisation de la taxe sur la valeur ajoutée, en application du b) du III de l'article 271 du code général des impôts ;

- l'immeuble, qui est toujours en stock au 31 décembre 2015, ne saurait donner lieu à l'application du régime des régularisations prévu pour les immeubles immobilisés par le II de l'article 207 de l'annexe II au code général des impôts, dès lors que les conditions prévues au 3. du IV du même article ne sont pas remplies ;

- la régularisation à effectuer se traduit par un reversement intégral de la taxe déduite en novembre 2013, en application du 2° du VI de l'article 207 de l'annexe II au code général des impôts ;

- il y a lieu de maintenir l'imposition sur le fondement du b) du III de l'article 271 du code général des impôts et du 2° du VI de l'article 207 du même code ; cette substitution de base légale ne prive la SNC Ventimo d'aucune garantie ;

- la majoration de 40 % pour manquement délibéré est justifiée.

La clôture d'instruction, initialement fixée au 28 avril 2023, a été reportée, en dernier lieu, au 13 juillet 2023 par une ordonnance du 27 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2006/112/CE du conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Courbon, présidente-assesseure,

- les conclusions de Mme Lesieux, rapporteure publique,

- et les observations de Me Chetail, représentant la SNC Ventimo ;

Considérant ce qui suit :

1. La SNC Ventimo, qui exerçait une activité de marchand de biens, a acquis, le 13 juillet 2006, un terrain à bâtir à Megève (Haute-Savoie) sur lequel elle a fait édifier un chalet à usage d'habitation dont la construction s'est achevée le 19 mai 2010 et qu'elle a comptabilisé en stock. Le 8 novembre 2013, elle a déposé une déclaration de taxe sur la valeur ajoutée dans laquelle elle a fait figurer la taxe collectée, d'un montant de 1 168 182 euros, au titre de la livraison à soi-même de l'immeuble et déduit la taxe, de même montant, afférente à la construction. La SNC Ventimo a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, sur la période du 1er janvier 2013 au 31 octobre 2015 à l'issue de laquelle l'administration a remis en cause, d'une part, la taxe déductible déclarée au titre de cette livraison à soi-même en novembre 2023 et, d'autre part, la taxe déductible grevant les charges d'entretien et de fonctionnement de ce bien que la SNC Ventimo a fait figurer dans ses déclarations ultérieures, en 2013, 2014 et 2015. En conséquence des rectifications de ses déclarations, l'administration a, par un avis de mise en recouvrement du 18 avril 2017, mis à la charge de la SNC Ventimo des droits de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 1 194 036 euros au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 octobre 2015, assortis d'intérêts de retard et de la majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue au a. de l'article 1729 du code général des impôts. Par un jugement du 7 mars 2019, le tribunal administratif de Lyon a prononcé la décharge des droits de taxe sur la valeur ajoutée réclamés au titre de la livraison à soi-même et des majorations y afférentes et rejeté le surplus de sa demande de décharge des droits et pénalités visés par l'avis de mise en recouvrement. Par un arrêt du 13 janvier 2022, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel du ministre de l'économie, des finances et de la relance contre ce jugement en tant qu'il a fait droit à la demande de la SNC Ventimo (article 1er) ainsi que l'appel incident de la société contre ce jugement, contesté en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande (article 2). Par une décision n° 462278 du 16 novembre 2022, le Conseil d'Etat a, d'une part, annulé, sur pourvoi du ministre, l'article 1er de cet arrêt et renvoyé, dans cette mesure, l'affaire à la cour et, d'autre part, rejeté le pourvoi incident formé par la SNC Ventimo contre l'arrêt.

2. Eu égard à la cassation prononcée par la décision du Conseil d'Etat du 16 novembre 2022, l'arrêt de la cour du 13 janvier 2022 rejetant l'appel incident de la SNC Ventimo est devenu définitif. Contrairement à ce que soutient l'intimée, dans le dernier état de ses écritures, la cour n'est ainsi saisie, après renvoi, que de l'appel du ministre tendant à l'annulation des articles 1er et 2 du jugement et au rétablissement des droits et majorations rappelés au titre de la taxe déduite des droits collectés déclarés au titre de la livraison à soi-même déchargés par le jugement du tribunal du 7 mars 2019.

Sur l'appel du ministre :

3. Il ressort de la proposition de rectification du 5 juillet 2016 et de la réponse aux observations du contribuable du 6 octobre 2016, qui, contrairement à ce que soutient l'intimée, n'a pas modifié la base légale du rappel de taxe sur la valeur ajoutée encore en litige en appel, que l'administration a estimé, au visa des articles 256, 256 A, 257-I-3, 271-I et 271-II-1 du code général des impôts et des articles 205 et 206 de l'annexe II à ce code, que l'affectation du chalet à la résidence secondaire du dirigeant de la SNC Ventimo après l'achèvement de la construction faisait obstacle au droit à déduction de la taxe grevant la construction déduite de la livraison à soi-même et de la taxe grevant les charges d'entretien et de fonctionnement du bien, l'utilisation privative d'un chalet d'habitation ne pouvant caractériser une opération économique. Pour prononcer la décharge partielle, à concurrence de la taxe déductible afférente à la livraison à soi-même déclarée en novembre 2013, des droits assignés à la SNC Ventimo, le tribunal administratif a retenu qu'à la date d'achèvement de l'immeuble, qui constitue le fait générateur de l'imposition en application du b du 1. de l'article 269 du code général des impôts, soit le 19 mai 2010, la société, qui avait la qualité d'assujettie, avait l'intention de revendre ce bien, ainsi qu'en attestait une proposition d'achat du 31 décembre 2010, reçue d'un acquéreur s'étant rétracté le 31 mai 2011, de sorte qu'elle était en droit, en vertu du 2. du I de l'article 271 du code, de déduire l'intégralité de la taxe sur la valeur ajoutée grevant la construction de l'immeuble affecté à une opération économique.

4. Dans le dernier état de ses écritures, le ministre demande le rétablissement des droits déchargés en invoquant les dispositions du b) du III de l'article 271 du code général des impôts et celles du 2° du VI de l'article 207 de l'annexe II à ce code, qu'il demande à la cour, comme il peut le faire, pour la première fois en appel, de substituer aux dispositions retenues au cours de la procédure d'imposition pour fonder le rappel de taxe sur la valeur ajoutée notifié au titre de la livraison à soi-même.

5. Aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " III. A cet effet, les assujettis, qui sont autorisés à opérer globalement l'imputation de la taxe sur la valeur ajoutée, sont tenus de procéder à une régularisation : / (...) b) Lorsque l'opération n'est pas effectivement soumise à l'impôt ". Aux termes de l'article 207 de l'annexe II au code : " VI. Le montant de la taxe dont la déduction a déjà été opérée doit être reversé dans les cas suivants : / (...) 2° Lorsque les biens ou services ayant fait l'objet d'une déduction de la taxe qui les avait grevés ont été utilisés pour une opération qui n'est pas effectivement soumise à l'impôt. ".

6. Les dispositions énoncées au point 5 ci-dessus, prises pour la transcription en droit interne des articles 184 et suivants de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006, ont pour objet d'imposer aux assujettis, qui ont pu légalement déduire la taxe sur la valeur ajoutée afférente à une opération, de procéder à la régularisation de la taxe ainsi déduite lorsque le bien, objet de cette opération, cesse, au cours de la période de son utilisation, d'être affecté à une activité économique soumise à l'impôt. Elles ne sauraient, dès lors, justifier le refus de déduction de la taxe ayant grevé la construction d'un immeuble ayant fait l'objet d'une livraison à soi-même, qui, en vertu du I de l'article 207 de l'annexe II au code général des impôts pris pour l'application de l'article 271 du code, est définitivement acquise à l'entreprise lorsque l'immeuble est, ainsi qu'il a été dit, affecté, au moment de sa livraison, à une activité économique imposable. En faisant valoir que l'affectation ultérieure de l'immeuble à une activité non imposable imposait une régularisation par la SNC Ventimo de la taxe sur la valeur ajoutée antérieurement déduite, ce qui implique le reversement de tout ou partie de la taxe déduite, que la SNC Ventimo n'a pas pratiquée, le ministre demande à la cour, en réalité, non pas une substitution de base légale, mais une compensation entre l'excès d'imposition résultant, pour la SNC Ventimo, de la remise en cause à tort de son droit de déduire la taxe grevant la construction de la taxe collectée au titre de la livraison à soi-même et une insuffisance d'imposition résultant d'une omission de régularisation de la taxe déduite.

7. Aux termes de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales relatif à la compensation : " Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande. (...) ".

8. L'administration, qui disposait de l'ensemble des éléments propres à lui permettre d'établir, au titre de la période en litige, les rappels d'imposition dus par la SNC Ventimo, avant que celle-ci n'introduise son action contentieuse, n'a pas remis en cause, dans la proposition de rectification, l'absence de régularisation de la taxe déduite par la contribuable compte tenu de la cessation, pourtant invoquée dans cette proposition, de l'affection du chalet à une activité imposable à compter de l'année 2011. Par suite, l'absence de rectification au titre de l'obligation de régularisation de la taxe sur la valeur ajoutée antérieurement déduite doit être regardée comme résultant d'une volonté délibérée de l'administration exprimée antérieurement à la réclamation et ne peut donc être regardée comme une insuffisance ou omission constatée au cours de l'instruction de celle-ci. Le ministre n'est, dès lors, pas fondé à demander la compensation entre l'insuffisance résultant de cette absence de régularisation et le droit à déduction reconnu à la SNC Ventimo.

9. Il résulte de ce qui précède que le ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a déchargé la SNC Ventimo des droits de taxe sur la valeur ajoutée réclamés au titre de la livraison à soi-même et des majorations correspondantes.

Sur les frais liés au litige :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à la SNC Ventimo en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête du ministre de de l'économie, des finances et de la souveraineté numérique et industrielle est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à la SNC Ventimo une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté numérique et industrielle et à la SNC Ventimo.

Délibéré après l'audience du 21 mai 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président de chambre,

Mme Courbon, présidente-assesseure,

M. Laval, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juin 2024.

La rapporteure,

A. Courbon

Le président,

D. PruvostLa greffière,

M. A...

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY03305


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY03305
Date de la décision : 11/06/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-06-02-08-03 Contributions et taxes. - Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées. - Taxe sur la valeur ajoutée. - Liquidation de la taxe. - Déductions.


Composition du Tribunal
Président : M. PRUVOST
Rapporteur ?: Mme Audrey COURBON
Rapporteur public ?: Mme LESIEUX
Avocat(s) : LEGI AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 29/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-11;22ly03305 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award