Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
I- M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet du Rhône a rejeté sa demande de titre de séjour ainsi que la décision du 19 décembre 2022 par laquelle la préfète du Rhône lui a accordé un titre de séjour portant la mention " travailleur temporaire ", en tant qu'elle lui a refusé un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".
II- M. B... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Etat à lui verser la somme de 10 001 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation de ses préjudices.
Par un jugement nos 2203960 et 2205829 du 13 juin 2023, le tribunal administratif de Lyon a condamné l'Etat à verser à M. B... la somme de 2 000 euros en réparation des préjudices qui lui ont été causés par la décision implicite lui ayant refusé la délivrance d'un titre de séjour et la durée excessive d'instruction de sa demande, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus des conclusions des demandes de M. B....
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 27 juillet 2023, M. B..., représenté par Me Pochard, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 1er de ce jugement du 13 juin 2023 du tribunal administratif de Lyon ayant rejeté sa requête en excès de pouvoir ;
2°) d'annuler la décision de la préfète du Rhône du 19 décembre 2022 en tant qu'elle lui a refusé la délivrance d'une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Rhône, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou à titre subsidiaire de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la même date ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement d'une somme de 1 440 euros toutes taxes comprises, ou 1 200 euros hors taxes, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la carte de séjour portant la mention " salarié " qui lui a été délivrée ne produit pas les mêmes effets, n'a pas le même objet et n'est pas subordonnée aux mêmes conditions de renouvellement que la carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " qu'il avait sollicitée ; c'est dès lors à tort que le tribunal a jugé qu'il n'avait pas intérêt à contester le refus de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, il lui a été délivré non un titre de séjour portant la mention " travailleur temporaire " mais un titre de séjour portant la mention " salarié ", et sa demande n'était pas fondée sur le seul article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le refus de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " viole l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord du 9 octobre 1987 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi ;
- le code du travail ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Joël Arnould, premier conseiller,
- et les observations de Me Pochard, représentant M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant marocain né en janvier 2002, déclare être entré en France en août 2017 avec son petit frère, et y avoir été recueilli avec lui par leur frère aîné et leur belle-sœur. En octobre 2019, ceux-ci les ont toutefois remis au service de l'aide sociale à l'enfance. Le 24 janvier 2020, M. B... a sollicité la délivrance d'une carte de séjour portant la mention " salarié " ou " vie privée et familiale ". L'administration ne lui ayant pas répondu dans un délai de quatre mois, il a saisi le tribunal administratif de Lyon d'une demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet née de ce silence, puis, après avoir en vain réclamé le versement d'une indemnité en réparation des préjudices dont il s'estimait avoir été victime, il a saisi le tribunal d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat. En cours d'instance, la préfète du Rhône, par une décision expresse du 19 décembre 2022, a confirmé son refus de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", mais lui a délivré une carte de séjour portant la mention " travailleur temporaire " sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un jugement du 13 juin 2023, le tribunal administratif de Lyon a condamné l'Etat à verser à M. B... la somme de 2 000 euros en réparation des préjudices qui lui ont été causés par la décision implicite lui ayant refusé la délivrance d'un titre de séjour et la durée excessive d'instruction de sa demande, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus des conclusions des demandes de M. B.... Celui-ci relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation du refus de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié" ou "travailleur temporaire", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ". Aux termes de l'article L. 5221-5 du code du travail : " Un étranger autorisé à séjourner en France ne peut exercer une activité professionnelle salariée en France sans avoir obtenu au préalable l'autorisation de travail mentionnée au 2° de l'article L. 5221-2. (...) ". Aux termes de l'article R. 2221-2 du même code : " Sont dispensés de l'autorisation de travail prévue à l'article R. 5221-1 : (...) 4° Le titulaire de la carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention "vie privée et familiale", délivrée en application des articles L. 423-1, L. 423-2, L. 423-7, L. 423-13, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21, L. 423-22, L. 423-23, L. 425-1, L. 425-6, L. 425-9, L. 426-5, L. 433-4, L. 433-5 et L. 433-6 du même code ou du visa de long séjour valant titre de séjour mentionné aux 6° et 15° de l'article R. 431-16 du même code (...) ".
3. Si, par une décision du 19 décembre 2022, la préfète du Rhône a délivré une carte de séjour portant la mention " travailleur temporaire " à M. B..., cette circonstance ne privait pas d'objet les conclusions de la demande de l'intéressé tendant à l'annulation de cette même décision en ce qu'elle lui refusait la délivrance d'une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dès lors que ces deux catégories de titres n'ont pas le même objet ni les mêmes effets, et ne sont pas subordonnées aux mêmes conditions de renouvellement. La détention d'une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dispense ainsi son titulaire de la nécessité de solliciter une autorisation de travail, et le renouvellement de ce titre n'est pas subordonné au maintien d'une relation de travail, comme c'est le cas pour la carte de séjour temporaire portant la mention " travail temporaire ", laquelle ne peut de surcroit être renouvelée pour une durée pluriannuelle, en application de l'article L. 433-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. M. B... dispose, en conséquence, d'un intérêt lui donnant qualité pour agir à l'encontre du refus litigieux.
4. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté comme irrecevables les conclusions de sa demande tendant à l'annulation du refus de lui délivrer une carte de séjour portant la vie " privée et familiale ".
5. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur ces conclusions de la demande de M. B... présentée devant ce tribunal.
Sur la légalité du refus de titre de séjour :
6. En premier lieu, si le silence gardé par l'administration sur une demande fait naître une décision implicite de rejet qui peut être déférée au juge de l'excès de pouvoir, une décision expresse de rejet intervenue postérieurement, qu'elle fasse suite ou non à une demande de communication des motifs de la décision implicite, se substitue à la première décision. Il en résulte que des conclusions à fin d'annulation de cette première décision doivent être regardées comme dirigées contre la seconde et que, dès lors, celle-ci ne peut être utilement contestée au motif que l'administration aurait méconnu ces dispositions en ne communiquant pas au requérant les motifs de sa décision implicite dans le délai d'un mois. En tout état de cause, la décision du 19 décembre 2022 cite les dispositions des articles L. 423-22, L. 423-22 et L. 435-1, rappelle que M. B... a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance après l'âge de 16 ans, par un jugement du 14 octobre 2019, qu'il est entré le 29 août 2017 en France, depuis seulement cinq années, est célibataire et sans enfant à charge et ne justifie pas d'attaches familiales suffisamment anciennes et intenses sur le territoire, et ne justifie d'aucune circonstance humanitaire particulière, ni d'aucun motif exceptionnel. Cette décision expose ainsi les considérations de droit et de fait sur lesquelles est fondé le refus de délivrance d'une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Le moyen tiré de ce que ce refus serait insuffisamment motivé ne peut dès lors être accueilli. En outre, il ressort des termes de cette décision qu'elle a été prise après un examen de la situation personnelle du requérant.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". L'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable aux ressortissants marocains en vertu de l'article 9 de l'accord du 9 octobre 1987 visé ci-dessus, dispose par ailleurs que : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ".
8. D'une part, la préfète du Rhône ayant décidé de délivrer une carte de séjour portant la mention " travailleur temporaire " à M. B..., le refus de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ne porte aucune atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Dès lors, le moyen tiré de ce que ce refus méconnaîtrait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté comme inopérant.
9. D'autre part, M. B... fait valoir qu'il est entré en France en 2017 à l'âge de 15 ans, accompagné de son frère cadet alors âgé de 11 ans, pour fuir les violences dont ils auraient été victimes de la part de leur père au Maroc, et qu'ils ont été pris en charge par leur frère aîné et l'épouse de celui-ci, que leur sœur réside également en France et qu'il y a suivi une scolarité et une formation professionnelle qui sont gages de son intégration. Toutefois, il ne produit aucune pièce justifiant des violences dont il aurait été victime de la part de son père, ni de l'impossibilité de maintenir des liens avec sa mère au Maroc, laquelle serait séparée de son époux. En outre, il ressort du rapport établi en janvier 2020 par le service de l'aide sociale à l'enfance que, ne pouvant plus héberger le requérant et son frère cadet suite à la naissance de leur second enfant, le frère aîné du requérant et sa belle-sœur les ont remis à ce service et sont ensuite restés injoignables. Si le requérant produit trois attestations de son frère aîné, de sa belle-sœur et de sa sœur, établies en juin 2022, aux termes desquelles ils verraient ces membres de sa famille et son frère cadet tous les week-ends et pendant les vacances scolaires, ces liens ne sont confirmés ni par les rapports du service de l'aide sociale à l'enfance, ni par les attestations des agents qui l'ont pris en charge, et ne sont pas mentionnés par le contrat " jeune majeur " que le requérant avait conclu avec la métropole de Lyon. Dans ces circonstances, le refus d'autoriser le séjour de M. B... en France ne peut être regardé comme portant à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée. Dès lors, le moyen tiré de ce que le refus de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " méconnaîtrait l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté. Pour les mêmes motifs, ce refus n'est entaché d'aucune erreur manifeste d'appréciation.
10. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 19 décembre 2022 en ce qu'elle porte refus de délivrance d'une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".
11. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2205829 du 13 juin 2023 du tribunal administratif de Lyon est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande de M. B... tendant à l'annulation de la décision de la préfète du Rhône du 19 décembre 2022, en ce qu'elle lui refusait la délivrance d'une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".
Article 2 : Les conclusions de la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Lyon et tendant à l'annulation de la décision de la préfète du Rhône du 19 décembre 2022, en ce qu'elle lui refusait la délivrance d'une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", et le surplus de ses conclusions d'appel, sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète du Rhône.
Délibéré après l'audience du 28 mai 2024, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
M. Joël Arnould, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juin 2024.
Le rapporteur,
Joël ArnouldLe président,
Jean-Yves TallecLa greffière,
Sandra BertrandLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY02518