Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2011, 2012, 2013 et 2014, ainsi que des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 2008009 du 29 décembre 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 2 mars 2023, Mme B... C..., représentée par Me Dos Santos, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions et pénalités ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité pour omission à statuer en l'absence de visa de ses conclusions de sursis à statuer et de réponse à celles-ci ;
- l'administration devait recourir à une vérification de comptabilité pour les années 2011 et 2012 ; l'administration a procédé en fait à une vérification de comptabilité, et non à un simple contrôle sur pièces, au titre des années 2011 et 2012, et elle a alors été privée des garanties prévues lors d'une vérification de comptabilité ;
- elle n'a pas pu présenter utilement des observations en réponse à la proposition de rectification, faisant suite à l'examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle au titre des années 2013 et 2014, dès lors que l'administration ne lui a pas restitué ses relevés de comptes bancaires, et qu'elle n'en disposait pas en format original ou en copie ;
- il ne faut pas retenir la somme totale de 548 125 euros, mais celle de 495 435,70 euros conformément à l'arrêt de la cour d'appel de Lyon du 25 novembre 2020 ; en outre, il n'y a lieu de retenir que les sommes au titre des années entières 2012 et 2013 ;
- le chèque de 285 000 euros encaissé en 2013 correspond à un prêt de la part du comité d'entreprise ; les autres sommes, qui ont été versées par le comité d'entreprise, ne doivent pas être imposées, et, en tout état de cause, elles ne peuvent être taxées que dans la catégorie des traitements et salaires, dès lors qu'elles constituent des avantages en argent par le comité d'entreprise, tel que le prouve la contresignature des chèques par son secrétaire ;
- la majoration de 80 % n'est pas motivée, et elle n'est pas fondée.
Par un mémoire, enregistré le 28 novembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 8 février 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 1er mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Porée, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Laval, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., qui était salariée de la société Randstad et occupait la fonction de trésorière du comité d'entreprise de la branche industrie de cette entreprise, a fait l'objet d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle portant sur les années 2013 et 2014 à la suite d'une plainte déposée à son encontre, le 25 juillet 2014, par le comité d'entreprise dont elle a été avisée par avis du 23 mai 2016. L'administration fiscale, qui a exercé le 29 août 2016 un droit de communication auprès du Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lyon, a consulté, le 5 septembre 2016, les pièces du dossier pénal. Mme C... a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 dont elle a été informée par un avis remis le 8 septembre 2016. En application du délai spécial de reprise de dix ans, l'administration a procédé à un contrôle sur pièces des déclarations déposées par l'intéressée au titre des années 2011 et 2012. A l'issue de ces contrôles, Mme C... a été imposée à l'impôt sur le revenu, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, sur le fondement du 1 de l'article 92 du code général des impôts, à raison des sommes détournées au préjudice du comité d'entreprise dont le montant a été évalué d'office conformément au 2° de l'article L. 73 du livre des procédures fiscales. Elle a, ainsi, été assujettie, au titre des années 2011 à 2014, à des compléments d'impôt sur le revenu assortis des intérêts de retard et de la majoration de 80 % encourue en cas de découverte d'une activité occulte prévue au c. de l'article 1728-1 du code général des impôts. Mme C..., qui a, par la suite, été déclarée coupable notamment de faits d'abus de confiance et condamnée à une peine de deux ans d'emprisonnement, assortie du sursis pour une durée d'un an, par un arrêt de la cour d'appel de Lyon du 25 novembre 2020, relève appel du jugement du 29 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande de décharge de ces impositions et pénalités.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Mme C... soutient que le tribunal administratif a omis de répondre à ses conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à statuer sur sa demande dans l'attente d'un arrêt définitif dans le cadre de la procédure pénale qui a été diligentée à son encontre. Toutefois, s'agissant d'un pouvoir propre du juge, le tribunal n'était tenu ni de viser ces conclusions, ni même d'y répondre explicitement. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'omission à statuer sur les conclusions aux fins de sursis à statuer, invoqué à l'encontre du jugement du tribunal administratif de Grenoble, doit être écarté.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales : " Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables (...) ". Aux termes de l'article R. 13-1 de ce livre : " Les vérifications de comptabilité mentionnées à l'article L. 13 comportent notamment : / a) La comparaison des déclarations souscrites par les contribuables avec les écritures comptables et avec les registres et documents de toute nature, notamment ceux dont la tenue est prévue par le code général des impôts et par le code de commerce ; / b) L'examen de la régularité, de la sincérité et du caractère probant de la comptabilité à l'aide particulièrement des renseignements recueillis à l'occasion de l'exercice du droit de communication, et de contrôles matériels. " Aux termes enfin de l'article L. 47 du même livre : " (...) une vérification de comptabilité ne peut être engagée sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification. / Cet avis doit préciser les années soumises à vérification et mentionner expressément, sous peine de nullité de la procédure, que le contribuable a la faculté de se faire assister par un conseil de son choix. (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions que l'administration procède à la vérification de comptabilité d'une entreprise ou d'un membre d'une profession non commerciale lorsqu'en vue d'assurer l'établissement d'impôts ou de taxes totalement ou partiellement éludés par les intéressés, elle contrôle sur place la sincérité des déclarations fiscales souscrites par cette entreprise ou ce contribuable en les comparant avec les écritures comptables ou les pièces justificatives dont elle prend alors connaissance et dont le cas échéant elle peut remettre en cause l'exactitude. L'exercice régulier du droit de vérification de comptabilité suppose le respect des garanties légales prévues en faveur du contribuable vérifié, au nombre desquelles figure notamment l'envoi ou la remise de l'avis de vérification auquel se réfère l'article L. 47 précité du livre des procédures fiscales.
5. Mme C... soutient que les impositions mises à sa charge au titre des années 2011 et 2012 résulteraient d'une vérification de comptabilité dont elle aurait été l'objet sans bénéficier des garanties dont cette procédure est assortie, en particulier l'envoi préalable de l'avis de vérification prévu par l'article L. 47 du livre des procédures fiscales. Toutefois, la proposition de rectification mentionne que les rectifications ont été effectués à partir d'un récapitulatif des sommes détournées sur les comptes bancaires ouverts au nom de M. ou Mme C... auprès de la BNP Péage de Roussillon et du Crédit Mutuel et se réfère au procès-verbal de police du 2 août 2016 à 15 heures 12, auquel étaient joints les relevés du compte bancaire de M. ou Mme C..., obtenu à la suite d'un droit de communication auprès de l'autorité judiciaire. L'administration, qui a retenu des dépenses déductibles de 5 500 euros pour chacune des années 2011 et 2012, a repris les éléments, au demeurant admis par la requérante, qu'elle avait recueillis au cours de la vérification de comptabilité portant sur les années 2013 et 2014. Par suite, les impositions mises à la charge de Mme C... au titre des années 2011 et 2012 font suite à un contrôle sur pièces effectué à partir des éléments figurant dans son dossier fiscal sans contrôle sur place qui ne peut être assimilé à une vérification de comptabilité. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que les impositions afférentes à ces années auraient été établies irrégulièrement en l'absence d'envoi à la contribuable de l'avis de vérification mentionné à l'article L. 47 du livre des procédures fiscales doit être écarté.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 47 C du livre des procédures fiscales : " Lorsque, au cours d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle, sont découvertes des activités occultes ou mises en évidence des conditions d'exercice non déclarées de l'activité d'un contribuable, l'administration n'est pas tenue d'engager une vérification de comptabilité pour régulariser la situation fiscale du contribuable au regard de cette activité. ".
7. Les dispositions précitées de l'article L. 47 C du livre des procédures fiscales ont pour seul objet de dispenser l'administration de l'obligation d'engager une vérification de comptabilité dans l'hypothèse où la découverte des activités occultes ou la mise en évidence des conditions d'exercice non déclarées de l'activité interviennent au cours d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle. Il ne saurait en être déduit, à contrario, une obligation pour l'administration d'engager une vérification de comptabilité lorsque la découverte des activités occultes intervient dans le cadre de l'exercice du droit de communication auprès de l'autorité judiciaire. Au demeurant, Mme C... a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les années 2013 et 2014 et, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les rehaussements notifiés au titre de l'activité occulte des années 2011 et 2012 procèdent du contrôle sur pièces opéré sur la base des renseignements transmis par l'autorité judiciaire en application de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales au cours de l'examen de situation fiscale personnelle et avant l'engagement de la vérification de comptabilité portant sur les années 2012 et 2013. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 47 C doit être écarté.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales : " Les bases ou éléments servant au calcul des impositions d'office et leurs modalités de détermination sont portées à la connaissance du contribuable trente jours au moins avant la mise en recouvrement des impositions. (...) ".
9. Ainsi qu'il a été dit, les impositions en litige ont été établies, par proposition de rectification du 1er décembre 2016, sur le fondement de la procédure d'évaluation d'office. Mme C..., qui ne pouvait dès lors bénéficier des garanties de la procédure contradictoire, ne peut utilement soutenir qu'en l'absence de restitution des relevés bancaires par la vérificatrice dans le cadre de ce contrôle au titre des années 2013 et 2014, elle n'a pas été mise en mesure de présenter utilement des observations en réponse à cette notification. En tout état de cause, il résulte des accusés de réception de la remise des relevés de comptes des 28 juin et 7 juillet 2016, signés par la requérante, que cette dernière n'a remis à la vérificatrice que les copies de ses relevés bancaires. Par suite, le moyen tiré de ce qu'elle n'a pas été mise à même de répondre utilement à la notification des bases d'imposition ne peut qu'être écarté.
Sur le bien-fondé des impositions :
10. Aux termes de l'article 92 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices (...) de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus. (...) ".
11. Aux termes de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales : " Dans tous les cas où une imposition a été établie d'office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition. ". Aux termes de l'article R. 193-1 de ce même livre : " Dans le cas prévu à l'article L. 193 le contribuable peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition mise à sa charge en démontrant son caractère exagéré. ". Il résulte de l'instruction que les impositions supplémentaires des années 2011 à 2014 ont été évaluées d'office sur le fondement des articles L. 73 2° et L. 68 3° du livre des procédures fiscales, et ainsi la charge de la preuve incombe à la requérante.
12. L'autorité de la chose jugée qui appartient aux décisions des juges répressifs devenues définitives s'attache à la constatation matérielle des faits mentionnés dans les jugements et arrêts, support nécessaire du dispositif, et à leur qualification au regard de la loi pénale. En revanche, elle ne s'attache pas à l'appréciation de ces mêmes faits au regard de la loi fiscale, notamment en ce qui concerne l'évaluation des bases d'imposition.
13. Si, par l'arrêt du 25 novembre 2020 mentionné au point 1, la cour d'appel de Lyon a condamné Mme C... pour des détournement de fonds d'un montant total de 495 435,70 euros au titre de la période de prévention du 28 juillet 2011 au 28 juillet 2014, il résulte de ce qui vient d'être dit que l'autorité de la chose jugée au pénal ne faisait pas obstacle à l'imposition des sommes de même nature perçues par la requérante au cours de la période du 1er janvier au 27 juillet 2011. Il résulte du procès-verbal de police établi le 2 août 2016 que celle-ci a reconnu que les sommes encaissées au cours de l'année 2011 correspondaient majoritairement à des détournements de fonds dont le secrétaire du comité d'entreprise s'était rendu complice. Si Mme C... conteste le montant des détournements retenu en définitive par l'administration, elle n'apporte pas la preuve de l'exagération des bases d'imposition en se bornant à alléguer, sans le démontrer, que le chèque de 285 000 euros encaissé en 2013 serait un prêt. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a imposé la somme de 548 125 euros dans la catégorie des bénéfices non commerciaux en tant que revenus tirés d'une activité occulte de détournement de fonds.
Sur les pénalités :
14. Aux termes de l'article 1728 du code général des impôts : " 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : (...) c. 80 % en cas de découverte d'une activité occulte (...) ".
15. En premier lieu, les propositions de rectification du 1er décembre 2016 comportent les considérations de droit et de fait sur lesquelles l'administration s'est fondée pour appliquer la pénalité en litige, qui est ainsi motivée. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.
16. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 14 ci-dessus que l'administration établit l'exercice, par Mme C..., d'une activité occulte de détournements de fonds, relevant des bénéfices non commerciaux, au cours de la période du 1er janvier 2011 au 31 mars 2014. Alors que l'intéressée ne soutient pas avoir commis une erreur justifiant qu'elle ne se soit acquittée d'aucune de ses obligations déclaratives, c'est à bon droit que la pénalité de 80 % prévue par les dispositions précitées a été appliquée aux impositions établies au titre des années 2011 à 2014.
17. Il résulte de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Délibéré après l'audience du 10 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
M. Haïli, président-assesseur,
M. Porée, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 novembre 2024
Le rapporteur,
A. Porée
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
M. A...
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 23LY00841