Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La commune de Tignes a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et des majorations correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2015, 2016 et 2017.
Par un jugement n° 1905952, 2007093, 2007095 du 20 janvier 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 22 mars 2023, la commune de Tignes, représentée par le cabinet Laurant Michaud Duceux, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 20 janvier 2023 ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions et pénalités ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- au regard de l'article 206, 1 du code général des impôts et de la doctrine BOI-IS-CHAMP-10-60 § 150, elle n'est pas redevable de l'impôt sur les sociétés pour son activité de gestion du parc de stationnement à titre principal, au motif que ladite activité ne constitue pas une activité à caractère lucratif ;
- à titre subsidiaire, au regard de l'article 207, 1 6° du même code et de la doctrine BOI-IS-CHAMP-30-60 n° 150 et n° 160, son activité doit être exonérée de l'impôt sur les sociétés au motif que l'activité revêt un caractère indispensable.
Par un mémoire, enregistré le 26 septembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 8 janvier 2024, la clôture d'instruction a été fixée le 29 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Haïli, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Laval, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Tignes a confié à la SEM Sagest Tignes Développement, par une convention de délégation de service public signée le 24 septembre 2010, la gestion sous la forme d'une régie intéressée d'un parc de stationnement composé de onze parkings couverts et non couverts. Elle a déposé, en ce qui concerne cette activité, des déclarations annuelles de résultat n° 2065 au titre des exercices clos au 31 décembre 2015 et 31 décembre 2016 et a réglé les cotisations d'impôt sur les sociétés correspondantes avec application de la majoration de 5 % pour retard de paiement prévue à l'article 1731 du code général des impôts, respectivement le 23 août 2016 et le 7 novembre 2017. En l'absence de dépôt de la déclaration de résultat de l'exercice clos au 31 décembre 2017, et après une mise en demeure du 8 juillet 2018 restée sans réponse, la commune a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2017. A l'issue de ce contrôle, le résultat de l'exercice clos le 31 décembre 2017, que la commune a déclaré pendant les opérations de contrôle pour un montant de 638 228 euros, a été taxé d'office sur le fondement du 2° de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales. Par la présente requête, la commune de Tignes relève appel du jugement du 20 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Grenoble, après avoir joint ses trois demandes de décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de ces trois années, les a rejetées.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :
2. Aux termes de l'article 206 du code général des impôts : " 1. (...) sont passibles de l'impôt sur les sociétés (...) les organismes des départements et des communes et toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif. (...) / 5. (...) les établissements publics (...) ainsi que les associations et collectivités non soumis à l'impôt sur les sociétés en vertu d'une autre disposition (...) sont assujettis audit impôt en raison des revenus patrimoniaux qui ne se rattachent pas à leurs activités lucratives. (...) ". Aux termes de l'article 1654 du même code : " Les établissements publics, les exploitations industrielles ou commerciales de l'Etat ou des collectivités locales (...) doivent (...) acquitter, dans les conditions de droit commun, les impôts et taxes de toute nature auxquels seraient assujetties des entreprises privées effectuant les mêmes opérations (...) ". Enfin, aux termes de l'article 207 du même code : " 1. Sont exonérés de l'impôt sur les sociétés : (...) / 6° (...) les communes, les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, syndicats de communes et syndicats mixtes constitués exclusivement de collectivités territoriales ou de groupements de ces collectivités ainsi que leurs régies de services publics ; (...) ".
3. Il résulte de la combinaison des dispositions du 1 de l'article 206 du code général des impôts et de l'article 1654 du même code qu'une régie d'une collectivité territoriale, dotée ou non de la personnalité morale, n'est pas passible de l'impôt sur les sociétés si le service qu'elle gère ne relève pas, eu égard à son objet ou aux conditions particulières dans lesquelles il est géré, d'une exploitation à caractère lucratif. Il résulte des dispositions du 6° du 1 de l'article 207 du code général des impôts que si le service qu'elle gère relève d'une exploitation à caractère lucratif, elle ne bénéficie de l'exonération d'impôt sur les sociétés que si la collectivité territoriale a le devoir d'assurer ce service, c'est-à-dire si ce service est indispensable à la satisfaction de besoins collectifs intéressant l'ensemble des habitants de la collectivité territoriale.
4. Par conséquent, il convient, dans un premier temps, de vérifier si la régie gère le parc de stationnement en se livrant à une exploitation à caractère lucratif, eu égard à l'objet du service en cause et aux conditions particulières dans lesquelles il est géré, c'est-à-dire si les prestations fournies sont de même nature que celles fournies par des personnes privées à but lucratif, et dans l'affirmative, si ces prestations sont fournies dans des conditions et modalités d'exercice différentes de celles d'une entreprise privée (produit offert, gratuité, modulation des tarifs selon les ressources, public bénéficiaire...) au regard de l'intérêt général.
5. Il résulte de l'instruction que la SEM Sagest Tignes Développement assure la gestion et l'exploitation d'un parc de stationnement composé de onze parkings couverts et non couverts au sein d'une commune de montagne. Alors que cette activité dont la nature est de celles que des entreprises privées poursuivant un but lucratif sont susceptibles d'assurer, relève, par son objet même, d'une exploitation à caractère lucratif, la commune appelante n'établit pas que les conditions particulières dans lesquelles elle rend ce service diffèreraient de celles des entreprises privées. A cet égard, il résulte de l'instruction que les services proposés à une clientèle majoritairement touristique en saison hivernale ne sont pas destinés à un public ne pouvant accéder aux prestations offertes par les entreprises commerciales et que les tarifs préférentiels pratiqués à l'égard des saisonniers et des propriétaires ne sont pas déterminés selon les ressources des bénéficiaires du service mais ressortissent d'une logique économique de sédentarisation du personnel de ce secteur. Si la commune de Tignes fait valoir que les parkings sont payants seulement durant la période hivernale, soit cinq mois dans l'année, il n'est pas démontré que du fait de cette pratique tarifaire liée aux missions confiées au régisseur par la convention, la commune se limiterait à couvrir les charges de fonctionnement du parc de stationnement qui, au reste, a généré des bénéfices imposables à hauteur de 1 672 631 euros pour les trois exercices dont s'agit. Par ailleurs, la circonstance que le conseil municipal de la commune a versé des subventions d'équilibre au titre des exercices clos en 2016 et 2017 d'un montant total de 1 484 000 euros n'est pas de nature à établir, par elle-même, que ces prix seraient inférieurs à ceux pratiqués par le secteur concurrentiel. Enfin, alors que des sites internet commerciaux octroient de la visibilité aux parkings de la commune, notamment en soulignant la proximité des parkings des sites d'activités, commerces et hébergements et en invitant les automobilistes à laisser leur véhicules au parking le temps de leur séjour et à se déplacer en navettes gratuites 24 h/24, il ne résulte pas davantage des autres éléments de l'instruction que la commune de Tignes gérerait le service public dont elle est chargée selon des modalités ne relevant pas d'une exploitation à caractère lucratif. Dès lors, sans qu'importe la circonstance que la gestion du parc soit contrôlée par la commune de Tignes, cette dernière doit être regardée comme s'étant livrée à une activité à caractère lucratif, et était, à ce titre, redevable de l'impôt sur les sociétés à raison de cette activité.
6. Dans un second temps, il convient de vérifier si l'activité concerne un service indispensable à la satisfaction des besoins collectifs des habitants de la collectivité considérée.
7. Il résulte de l'instruction que la SEM Sagest Tignes Développement exploite pour le compte de la commune de Tignes des parkings couverts et aériens d'une capacité totale d'environ 3 500 places, alors que la capacité de ces équipements excède largement les besoins des habitants de la commune qui comptait, en dernier lieu, 2 196 habitants en 2017, et 1 028 résidences principales et 912 véhicules en 2019, et que cette offre est étroitement liée au caractère touristique de la commune de Tignes et vise principalement à répondre aux besoins en places de stationnement des touristes fréquentant la station notamment durant la saison des sports d'hiver. A hauteur d'appel, la commune appelante ne peut utilement se prévaloir des obligations de réalisation de places de stationnement prévues par le règlement du plan local d'urbanisme approuvé le 30 septembre 2019, non plus que de l'arrêté préfectoral du 24 août 2021 surclassant la commune dans la catégorie des villes de 20 000 à 40 000 habitants, qui sont postérieurs aux années d'imposition en litige. En outre, ladite réglementation d'urbanisme à laquelle se réfère la commune appelante, ne concerne pas les constructions existantes et n'a ni pour objet ni pour effet de lui imposer l'exploitation de ce parc de stationnement. Par ailleurs, en recourant après mise en concurrence à l'attribution de ce service public selon un mode de gestion de délégation de service public et en prévoyant une clause d'exclusivité de l'exploitation de ce parc à la SEM attributaire, la commune de Tignes ne démontre pas devant la cour la carence alléguée de l'initiative privée sur ce marché concurrentiel. Si la commune fait valoir que les recettes d'exploitation de l'activité demeurent insuffisantes pour assumer les charges d'investissement, il résulte de l'instruction, comme il a été dit précédemment, que cette activité d'exploitation de parking spécialement aménagés a dégagé des bénéfices de 544 883 euros au titre de l'exercice 2015, de 489 520 euros au titre de l'exercice 2016 et de 638 228 euros au titre de l'exercice 2017, de sorte que cette activité contribue à l'attractivité touristique et économique de la commune de Tignes. Enfin, alors que la commune se borne à invoquer les conditions climatiques spécifiques liées à son implantation, il ne résulte pas davantage de l'instruction que le service ainsi rendu aux résidents occasionnels et aux touristes est indispensable à la satisfaction de besoins collectifs intéressant l'ensemble des habitants de la collectivité territoriale. Par conséquent, et dans ces conditions, l'administration fiscale a pu à bon droit estimer que la commune ne pouvait prétendre à l'exonération de plein droit d'impôt sur les sociétés prévue par les dispositions précitées du 6° du I de l'article 207 du code général des impôts.
En ce qui concerne l'application de la doctrine administrative :
8. A supposer même que la commune de Tignes puisse être regardée comme entendant se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales auquel il n'est pas fait référence dans ses écritures, du bénéfice des énonciations des paragraphes n° 150, n° 160 et n° 220 du BOI-IS-CHAMP-30-60, et du paragraphe n° 40 du BOI-CHAMP-10-50-10-10, ceux-ci ne contiennent aucune interprétation formelle de la loi fiscale différente de celle dont il lui est fait application dans le cadre de la présente instance.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Tignes n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, une somme quelconque au titre des frais exposés par la partie appelante.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la commune de Tignes est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Tignes et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Délibéré après l'audience du 10 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
M. Haïli, président-assesseur,
M. Porée, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 novembre 2024.
Le rapporteur,
X. Haïli
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
M. A...
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 23LY01000