Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La SAS Cinémonde a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge partielle des cotisations de taxe sur les salaires et les pénalités correspondantes qui lui ont été réclamées au titre des années 2016, 2017 et 2018.
Par un jugement n° 2005724 du 30 mars 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés le 16 mai 2023 et le 11 décembre 2023, la SAS Cinémonde, représentée par le cabinet Arcane Juris, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge partielle de ces impositions et pénalités ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les rémunérations de M. Philippe Baud ont été incluses dans la base imposable à la taxe sur les salaires ;
- les délibérations des assemblées générales du 26 décembre 2014 et 2 janvier 2017 apportent la preuve d'une délimitation des fonctions entre le président et le directeur général confiant à ce dernier l'exclusivité du secteur financier, par voie de privation de la fonction financière du président et alors que la présomption simple de l'affectation des activités de l'entreprise des dirigeants n'est pas irréfragable ;
- c'est à tort que l'administration a calculé la taxe sur les salaires en retenant le rapport d'assujettissement correspondant à celui de l'année civile précédent celle du paiement des rémunérations ;
- elle revendique l'application des paragraphes 260 à 280 du BOI-TPS-30, soit un coefficient de 51,47 % pour l'année 2016, 23,12 % pour l'année 2017 et 18,86 % pour l'année 2018 et le BOFIP peut être appliqué au regard de la TVA sensiblement modifiée.
Par un mémoire, enregistré le 10 novembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 25 juin 2024, la clôture d'instruction a été fixée le 17 juillet 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Haïli, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Laval, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. A l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2018 de la SAS Cinémonde, holding mixte exerçant une activité de gestion de ses titres, de prestations de service pour ses filiales et d'exploitation de trois cinémas, l'administration l'a assujettie à la taxe sur les salaires au titre des années 2016, 2017 et 2018, en retenant, dans le calcul de la base, les salaires versés aux deux dirigeants. Par la présente requête, la SAS Cinémonde relève appel du jugement du 30 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande de décharge partielle de ces impositions et des pénalités correspondantes.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne l'assiette de la taxe sur les salaires :
2. Aux termes de l'article 231 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " 1. Les sommes payées à titre de rémunérations aux salariés, à l'exception de celles correspondant aux prestations de sécurité sociale versées par l'entremise de l'employeur, sont soumises à une taxe égale à 4,25 % de leur montant évalué selon les règles prévues à l'article L. 136-2 du code de la sécurité sociale, sans qu'il soit toutefois fait application du deuxième alinéa du I et du 6° du II du même article. Cette taxe est à la charge des entreprises et organismes qui emploient ces salariés, (...) lorsqu'ils ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée ou ne l'ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d'affaires au titre de l'année civile précédant celle du paiement desdites rémunérations. L'assiette de la taxe due par ces personnes ou organismes est constituée par une partie des rémunérations versées, déterminée en appliquant à l'ensemble de ces rémunérations le rapport existant, au titre de cette même année, entre le chiffre d'affaires qui n'a pas été passible de la taxe sur la valeur ajoutée et le chiffre d'affaires total. (...) ".
3. Lorsque les activités d'une entreprise sont, pour l'exercice de ses droits à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, réparties en plusieurs secteurs distincts, la taxe sur les salaires doit être déterminée par secteur, en appliquant aux rémunérations des salariés affectés spécifiquement à chaque secteur le rapport d'assujettissement propre à ce secteur. Toutefois, la taxe sur les salaires des personnels concurremment affectés à plusieurs secteurs doit être établie en appliquant à leurs rémunérations le rapport existant pour l'entreprise dans son ensemble entre le chiffre d'affaires qui n'a pas été passible de la taxe sur la valeur ajoutée et le chiffre d'affaires total.
4. Par ailleurs, les fonctions de président d'une société par action simplifiée confèrent à leurs titulaires, en vertu de l'article L. 227-6 du code de commerce, les pouvoirs les plus étendus dans la direction de l'entreprise. En vertu du même article, un directeur général peut être nommé afin d'exercer les pouvoirs du président. Il résulte des articles L. 225-51 et L. 222-51-1 du même code, auxquels renvoie l'article L. 227-8 de ce code, que le président et le directeur général d'une société par actions simplifiées sont investis d'une responsabilité générale. S'agissant d'une société holding, ces pouvoirs s'étendent en principe au secteur financier, même si le suivi des activités est sous-traité à des tiers ou confié à des salariés spécialement affectés à ce secteur et si le nombre des opérations relevant de ce secteur est très faible. Toutefois, s'il résulte des éléments produits par l'entreprise que certains de ses dirigeants n'ont pas d'attribution dans le secteur financier, notamment lorsque, compte tenu de l'organisation adoptée, l'un d'entre eux est dépourvu de tout contrôle et responsabilité en la matière, la rémunération de ce dirigeant doit être regardée comme relevant entièrement des secteurs passibles de la taxe sur la valeur ajoutée et, par suite, comme placée hors du champ de la taxe sur les salaires.
5. Il est constant que l'activité de la SAS Cinémonde de prestation de services au profit de ses filiales, soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, représentait moins de 90 % de son chiffre d'affaires total au titre des années 2016 à 2018 et que, de ce fait, cette société était passible de la taxe sur les salaires.
6. Pour inclure dans les bases de la taxe sur les salaires au titre des années 2016 à 2018, les salaires de M. Philippe Baud président de la SAS Cinémonde, l'administration fiscale a estimé que ses fonctions l'amenaient à intervenir concurremment dans le secteur financier de celle-ci, non soumis à la taxe sur la valeur ajoutée, et dans celui des prestations de services délivrées aux filiales et d'exploitation de cinémas, soumis à la taxe sur la valeur ajoutée.
7. La société appelante soutient que M. Philippe Baud n'assurait aucune fonction de gestion et de contrôle du secteur financier, et s'appuie, à cet effet, sur deux procès-verbaux des délibérations de l'assemblée générale ordinaire, l'un du 26 décembre 2014, antérieur à la période vérifiée, l'autre du 2 janvier 2017, aux termes desquels M. Philippe Baud " délègue la totalité de cette fonction au directeur général, M. C... A... ". Il résulte toutefois de l'instruction que ces actes délibératifs qui concernent la rémunération mensuelle brute de son président et qui énoncent que, compte tenu du mode d'organisation de la société, M. Philippe Baud réalise toutes les fonctions techniques au sein de cette dernière, ne peuvent être regardés comme privant juridiquement ce dernier, à raison de ses fonctions de président, de son pouvoir de contrôle et d'intervention dans le secteur financier délégué de la société holding, alors que, de surcroît, cette délégation ne comporte aucune précision sur les modalités d'exercice de cette fonction dans le secteur délégué, en cas d'absence et d'empêchement du directeur général délégataire. En outre, l'administration fiscale relève sans être contesté par la société appelante la circonstance de la signature par M. Philippe Baud, " en qualité de président ayant tous pouvoirs à l'effet des présentes ", des contrats de travail du personnel de la société, dont ceux de l'aide comptable devenue adjointe de direction et de l'assistant du directeur, qui exercent leurs fonctions " sous l'autorité et dans le cadre des instructions données par la direction ". Ainsi, au vu des éléments produits, aucune restriction sectorielle des attributions exercées par le président de la société, susceptible de renverser la présomption du caractère transversal de leurs activités, ne peut être tenue pour établie. Par suite, sa fonction de président conférant en principe des pouvoirs qui s'étendent au secteur financier d'une société holding et eu égard à la transversalité de ses fonctions dans ladite société, M. A... doit être regardé comme ayant été concurremment affecté aux secteurs d'activité de la société requérante, et sa rémunération ne saurait être regardée comme placée hors du champ de la taxe sur les salaires. Il s'ensuit que c'est à bon droit que ses rémunérations ont été incluses, par l'administration, dans l'assiette de la taxe sur les salaires de la société appelante au titre des années 2016 à 2018.
En ce qui concerne la détermination du rapport d'assujettissement :
S'agissant de l'application de la loi fiscale :
8. En vertu des dispositions du 1. de l'article 231 du code général des impôts, le rapport d'assujettissement est déterminé en fonction des recettes et produits de l'année civile précédant celle du paiement des rémunérations imposables.
9. Par suite, et en l'absence de contestation sur ce point par la société appelante, c'est à bon droit en application de ces dispositions que l'administration a calculé la taxe sur les salaires de la société vérifiée en retenant le rapport d'assujettissement correspondant à celui de l'année civile précédant celle du paiement des rémunérations.
S'agissant de l'interprétation administrative de la loi :
10. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, dans sa version applicable au litige : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. ".
11. Aux termes du bulletin officiel des finances publiques référencé au BOI-TPS-TS-30 n° 260 à 280 dans rédaction applicable aux années 2016, 2017 et 2018 : " S'agissant de la régularisation des sommes dues après détermination du pourcentage de déduction définitif, il convient d'appliquer les règles ci-après. a. Entreprises assujetties à la TVA depuis plusieurs années. Pour les salaires payés en début d'année, la taxe sur les salaires est, jusqu'à la date de détermination du rapport d'assujettissement définitif, liquidée en fonction du rapport d'assujettissement provisoire de l'année précédente. Lorsque le rapport d'assujettissement définitif est supérieur au rapport d'assujettissement provisoire et, qu'ainsi le pourcentage d'imposition à la taxe sur les salaires devient supérieur à celui initialement retenu, il est admis que l'entreprise régularise sa situation à l'occasion du prochain versement de taxe sur les salaires sans application de pénalités, soit normalement au plus tard le 15 mai ou le 15 juillet selon que la périodicité des versements de taxe sur les salaires est mensuelle ou trimestrielle. Si le rapport d'assujettissement définitif est inférieur au rapport d'assujettissement provisoire, le pourcentage d'imposition à la taxe sur les salaires est alors inférieur à celui utilisé initialement : l'employeur pourra imputer l'excédent de taxe sur les salaires sur les versements suivants, en le mentionnant sur le relevé de versement provisionnel, ou en demander la restitution. ".
12. La société appelante, sans d'ailleurs se prévaloir explicitement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, se réfère aux paragraphes 260 à 280 de la documentation administrative de base référencée BOI-TPS-TS-30 et sollicite la prise en compte des rapports d'assujettissement de l'année courante pour le calcul de la taxe sur les salaires, soit 51 % au titre de la taxe sur les salaires de l'année 2016, 23 % au titre de la taxe sur les salaires de l'année 2017 et 18 % au titre de la taxe sur les salaires de l'année 2018.
13. Toutefois, d'une part, ces dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales ne sont pas applicables en l'espèce dès lors qu'en l'absence de déclaration et de paiement par la société de la taxe sur les salaires dont elle était redevable au titre des années dont s'agit, les rappels d'imposition évalués par le vérificateur dans les conditions prévues par la loi fiscale, ont le caractère d'une imposition primitive et non celui d'un rehaussement au sens du premier alinéa de ces dispositions. D'autre part, la société appelante n'ayant effectué ni déclaration, ni demande de régularisation au titre de la taxe sur les salaires pour ces années, n'a pas appliqué le texte fiscal selon l'interprétation administrative de la loi fiscale. Elle n'est donc pas fondée à invoquer les paragraphes 260 à 280 de cette instruction fiscale qui est relatif à la " Régularisation des sommes dues après détermination du pourcentage de déduction définitif ". Le deuxième alinéa de l'article L. 80 A dudit livre ne peut donc utilement être invoqué. Au demeurant, en se prévalant de ce que la situation de la taxe sur la valeur ajoutée est sensiblement modifiée au titre de ces trois années en tout cas au-delà de 10 %, la société appelante ne justifie pas entrer dans les prévisions de l'interprétation administrative de la loi fiscale qu'elle invoque. Par suite, la société appelante n'est pas fondée, en tout état de cause, à se prévaloir de la garantie prévue par ces dispositions.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la société appelante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, une somme quelconque au titre des frais exposés par la partie appelante.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Cinémonde est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Cinémonde et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 28 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
M. Haïli, président-assesseur,
M. Porée, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 décembre 2024.
Le rapporteur,
X. Haïli
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
M. B...
La République mande et ordonne au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 23LY01674