Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler, d'une part, l'arrêté du 24 avril 2024, par lequel le préfet de la Haute-Savoie l'a obligé à quitter sans délai le territoire français et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et, d'autre part, l'arrêté du même jour par lequel le même préfet l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Par un jugement n° 2402927 du 30 avril 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a annulé ces arrêtés et a enjoint au préfet de la Haute-Savoie d'examiner à nouveau la situation de M. B... et de prendre une nouvelle décision dans le délai de trente jours à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 29 mai 2024, le préfet de la Haute-Savoie demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de M. B... présentée devant le tribunal administratif de Grenoble ;
Il soutient que :
- la décision se fondant sur le 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et n'étant pas soumise à l'obligation de motivation, c'est à tort que le premier juge a retenu un défaut d'examen sérieux de sa situation ;
- l'autorisation de travail dont se prévaut M. B... est sans incidence sur la situation réelle de l'intéressé.
Par un mémoire enregistré le 26 juin 2024, M. B..., représentée par Me Roure conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas suffisamment motivée et méconnaît l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français doit être annulée par voie de conséquence et n'est pas justifiée.
Par ordonnance du 5 août 2024, la clôture d'instruction a été fixée le 2 septembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Haïli, président-assesseur, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant kosovar né le 15 décembre 1991, a été interpellé par les services de la police nationale de la Haute-Savoie pour conduite d'un véhicule sans assurance et a été placé en garde à vue le 24 avril 2024. Par un jugement susvisé du 30 avril 2024, dont le préfet de la Haute-Savoie interjette appel, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a annulé les arrêtés du 24 avril 2024 par lesquels le préfet de la Haute-Savoie, d'une part, a obligé M. A... B... à quitter sans délai le territoire français et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et, d'autre part, l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Sur le motif d'annulation retenu par le premier juge :
2. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté en litige que le préfet de la Haute-Savoie a examiné l'ensemble des composantes de la vie personnelle et familiale de l'intéressé, en ce compris sa situation administrative en France et la durée et les conditions de son séjour. A cet égard, ne suffit pas à caractériser une insuffisance ou un défaut d'examen particulier de la situation personnelle de M. B... la seule circonstance que ne figure pas dans l'arrêté en litige la mention d'une autorisation de travail dont l'intéressé est titulaire depuis le 29 février 2024, alors qu'au demeurant, il ne ressort pas des pièces du dossier, et n'est d'ailleurs pas allégué, que M. B... aurait été empêché de présenter au préfet tous éléments pertinents relatifs à sa situation professionnelle. Par conséquent, c'est à tort que le premier juge a jugé que l'arrêté en litige avait été édicté à l'issue d'un examen insuffisant de la situation personnelle de l'intéressé.
3. Par suite, le préfet de la Haute-Savoie est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a retenu ce motif pour annuler l'arrêté du 24 avril 2024 portant obligation de quitter le territoire français, et par voie de conséquence l'arrêté du 24 avril 2024 portant assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
4. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Grenoble et devant la cour.
Sur les autres moyens soulevés par M. B... :
5. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée. ".
6. La décision en litige énonce, dans ses visas et motifs, les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Elle est suffisamment motivée au regard des exigences de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite et alors que l'autorité préfectorale n'est pas tenue de mentionner l'ensemble des éléments ayant trait à la situation personnelle, professionnelle et familiale de l'intéressé, le moyen tiré du défaut de motivation manque en fait et il ne peut, dès lors qu'être écarté.
7. Il ne ressort d'aucune pièce au dossier que M. B..., qui a fait l'objet de la mesure d'éloignement en litige à la suite de son interpellation le 24 avril 2024 et de son placement en garde à vue par la police nationale de la Haute-Savoie, a présenté au préfet de la Haute-Savoie une demande de titre de séjour au titre de l'admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l'article L. 435-1 du code précité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté comme inopérant.
8. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
9. Il ressort des pièces du dossier que M. A... B... est entré en France le 5 décembre 2013, et a formé, avec d'autres membres de sa famille, une demande d'asile qui a été rejetée par la Cour nationale du droit d'asile le 10 décembre 2014. Le 12 février 2015, le préfet de la Haute-Savoie a pris à son encontre une obligation de quitter le territoire français dont la légalité a été confirmée par un jugement n° 1502869 du tribunal administratif de Grenoble du 17 juillet 2015. Dans l'intervalle, l'intéressé a présenté une demande de réexamen de sa demande d'asile qui a été définitivement rejetée par la Cour nationale du droit d'asile le 15 octobre 2015. Le 28 mai 2015, le préfet de la Haute-Savoie a pris à son encontre une obligation de quitter le territoire français dont la légalité a été confirmée en dernier lieu par une ordonnance n° 16LY00485 du président de la cour de céans du 25 mars 2016. Le 18 mai 2019, l'intéressé a déposé une demande d'admission exceptionnelle au séjour et à l'issue de son instruction. Le 17 septembre 2020, le préfet de la Haute-Savoie a pris à son encontre un arrêté portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, dont la légalité a été confirmée par un jugement n° 2100881 du tribunal administratif de Grenoble du 18 mai 2021.
10. A cet égard, si M. B... fait valoir qu'il réside en France depuis au moins dix ans, il résulte de ce qui précède que cette ancienneté n'est due qu'à son maintien durablement irrégulier sur le sol national, en dépit des mesures d'éloignement édictées à trois reprises à son encontre, manifestant ainsi sa volonté de se soustraire aux règles qui régissent le pays au sein duquel il ambitionne de vivre. La seule circonstance que M. B... a pu exercer une activité professionnelle et qu'il soit, en dernier lieu, titulaire d'une autorisation de travail et d'un contrat de travail à durée indéterminée, ne peut suffire à caractériser une intégration particulière dans la société française, ni davantage l'intensité et la centralité de ses intérêts en France. Par ailleurs, alors que ses parents et son frère se trouvent dans la même situation administrative au regard de la législation du séjour, M. B..., célibataire et sans enfant, ne démontre pas avoir développé d'autres attaches personnelles sur le territoire français alors qu'il n'établit pas être dépourvu d'attaches dans son pays d'origine où il a vécu au moins jusqu'à l'âge de vingt-trois ans. Par suite, eu égard à l'ensemble de ces éléments, en particulier à ses conditions de séjour en France, l'arrêté attaqué n'a pas porté au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté comme non fondé.
11. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. (...). Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder cinq ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, et dix ans en cas de menace grave pour l'ordre public ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ". Il résulte de ces dispositions que lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, le préfet assortit, en principe, et sauf circonstances humanitaires, l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour. La durée de cette interdiction doit être déterminée en tenant compte des critères tenant à la durée de présence en France, à la nature et l'ancienneté des liens de l'intéressé avec la France, à l'existence de précédentes mesures d'éloignement et à la menace pour l'ordre public représentée par la présence en France de l'intéressé.
12. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que l'intimé n'est pas fondé à soutenir que cette décision serait illégale par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet.
13. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., dont l'ancienneté de la présence en France n'est due qu'à son maintien irrégulier sur le sol français et dont l'intensité et la centralité de ses intérêts sur le territoire français ne sont pas démontrées, est célibataire et sans enfant et ne justifie pas avoir noué des relations sociales particulières. Ainsi qu'il a été exposé précédemment, il a déjà fait l'objet de trois mesures d'éloignement qu'il n'a pas exécutées. Dans ces conditions, le préfet de la Haute-Savoie n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées en lui interdisant son retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.
14. Enfin, M. B... n'articule aucun moyen spécifique à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'arrêté du 24 avril 2024 par lequel le préfet de la Haute-Savoie l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
15. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Savoie est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a annulé les arrêtés du 24 avril 2024 par lesquels le préfet de la Haute-Savoie l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Par suite, il y a lieu d'annuler les articles 2 et 3 du jugement attaqué et de rejeter le surplus des conclusions de la demande de M. B... présentée devant le tribunal administratif de Grenoble et celles de ses conclusions en appel aux fins d'injonction et au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement n° 2402927 du 30 avril 2024 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Grenoble et ses conclusions relatives aux frais liés à l'instance d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie.
Délibéré après l'audience du 5 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
M. Haïli, président-assesseur,
M. Porée, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 janvier 2025.
Le rapporteur,
X. HaïliLe président,
D. Pruvost
La greffière,
M. C...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY01553