Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Madame D... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 16 août 2023 par lequel le préfet de la Haute-Savoie a refusé le renouvellement de son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement et d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie de lui délivrer un titre de séjour pour une durée de dix ans conformément à l'article 10 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988.
Par un jugement n° 2305788 du 19 janvier 2024, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 21 février 2024, Mme C..., représentée par Me Maghrebi, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 19 janvier 2024 ;
2°) d'annuler les décisions du 16 août 2023 par lesquelles le préfet de la Haute-Savoie a refusé le renouvellement de son titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie de lui délivrer un titre de séjour d'une durée de dix ans ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé concernant la réponse au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, soulevé à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français ;
- la décision portant refus de renouvellement de son titre de séjour méconnaît l'article 10 de l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;
- elle méconnaît l'article L. 423-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée au préfet de la Haute-Savoie, qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
- l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-Yves Tallec, président.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... C..., ressortissante tunisienne née le 25 octobre 1993 à Bouargoub (Tunisie), s'est mariée le 3 novembre 2018 à Nabeul (Tunisie) avec M. A... B..., ressortissant français. Entrée en France le 22 août 2019 sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa D de long séjour, elle a obtenu la délivrance d'une carte de séjour temporaire en qualité de conjointe de Français, valable jusqu'au 21 janvier 2022, dont elle a sollicité le renouvellement le 20 décembre 2021. Par un arrêté du 16 août 2023, motivé notamment par la rupture de la vie commune entre les époux, dont le divorce a été prononcé le 19 février 2021 par le tribunal de première instance de Grombalia (Tunisie), le préfet de la Haute-Savoie a refusé de faire droit à sa demande, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné le pays de destination de son éloignement. Mme C... relève appel du jugement du 19 janvier 2024 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 423-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La rupture de la vie commune n'est pas opposable lorsqu'elle est imputable à des violences familiales ou conjugales ou lorsque l'étranger a subi une situation de polygamie. / En cas de rupture de la vie commune imputable à des violences familiales ou conjugales subies après l'arrivée en France du conjoint étranger, mais avant la première délivrance de la carte de séjour temporaire, le conjoint étranger se voit délivrer la carte de séjour prévue à l'article L. 423-1 sous réserve que les autres conditions de cet article soient remplies ". L'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 renvoie, sur tous les points qu'il ne traite pas, à la législation nationale, en particulier aux dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour autant qu'elles ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l'accord et nécessaires à sa mise en œuvre. Il résulte des dispositions mentionnées ci-dessus de l'article L. 423-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que le législateur a entendu créer un droit particulier au séjour au profit des personnes victimes de violences conjugales ayant conduit à la rupture de la vie commune avec leur conjoint de nationalité française. La circonstance que l'article 10 de l'accord franco-tunisien ne prévoit pas le cas des personnes pour lesquelles la communauté de vie a été rompue, pour le motif de violences conjugales ou familiales, ne fait pas obstacle à l'application des dispositions de l'article L. 423-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans ce cas, le renouvellement du titre de séjour n'est pas conditionné au maintien de la vie commune. Il appartient à l'autorité administrative, saisie d'une telle demande, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, l'existence de violences conjugales ayant conduit à la rupture de la vie commune du demandeur avec son conjoint de nationalité française.
3. Il ressort des pièces versées au dossier, notamment de la plainte déposée par Mme C... le 6 mars 2020 à la gendarmerie de Pertuis, ainsi que des éléments dont elle a fait part, reportés dans le rapport établi le 15 novembre 2020 par un médecin du centre hospitalier Alpes Léman qui conclut à une interruption temporaire de travail lésionnelle pour une durée de dix jours et fait état des conséquences psychologiques des violences rapportées et de l'existence d'un syndrome de stress post traumatique chez Mme C..., que la rupture de la communauté de vie entre Mme C... et son conjoint est la conséquence des violences conjugales infligées par ce dernier à la requérante, hébergée durant plusieurs mois dans un foyer d'accueil et ayant conservé des séquelles importantes des traumatismes subis. Par suite, nonobstant la circonstance que la plainte déposée à l'encontre de son mari ait été classée sans suite par le parquet, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué et sur les autres moyens de la requête, Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 16 août 2023 par lesquelles le préfet de la Haute-Savoie a refusé le renouvellement de son titre de séjour et l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
4. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé (...) ".
5. L'annulation des décisions précitées implique nécessairement qu'un titre de séjour soit délivré à Mme C.... Il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie de renouveler le titre de séjour de l'intéressée sur le fondement de l'article L. 423-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
6. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement des dispositions citées au point précédent, une somme de 1 500 euros à verser à Mme C... au titre des frais exposés à l'occasion de la présente instance.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2305788 du 19 janvier 2024 du tribunal administratif de Grenoble et les décisions du 16 août 2023 par lesquelles le préfet de la Haute-Savoie a refusé le renouvellement du titre de séjour de Mme C... et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Savoie de renouveler le titre de séjour de Mme C... sur le fondement de l'article L. 423-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme C... une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie.
Délibéré après l'audience du 21 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 février 2025.
Le président rapporteur,
Jean-Yves TallecLa présidente assesseure,
Emilie Felmy
La greffière,
Péroline Lanoy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 24LY00493