Vu la procédure suivante :
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés les 24 février et 30 novembre 2023, la société Parc Éolien de Prataubérat, représentée par Me Elfassi, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 26 décembre 2022 par lequel le préfet de l'Ardèche a rejeté sa demande d'autorisation environnementale en vue de la construction et de l'exploitation d'un parc éolien sur le territoire des communes de Saint-Laurent-les-Bains-Laval-d'Aurelle, Montselgues et Borne ;
2°) d'enjoindre au préfet de l'Ardèche de reprendre l'instruction de la demande d'autorisation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le projet est situé dans une forêt récente et non " au cœur d'une forêt ancienne et d'une lande acidiphile " ;
- l'arrêté qui, sur un certain nombre de points, manque de précision, est insuffisamment motivé ;
- l'étude d'impact est suffisante et proportionnée aux enjeux du projet ;
- les modalités de raccordement externe relevant du gestionnaire de réseau, l'analyse de ses effets n'avait pas à figurer dans l'étude, et elles ont de toutes les façons été étudiées ;
- aucune demande de compléments sur les accès n'a été formulée et l'accès par les routes forestières est le seul envisageable ; les travaux nécessaires aux accès sont présentés et limités ; les pentes des routes sont acceptables ; les pistes forestières sont dimensionnées pour permettre le passage d'un convoi exceptionnel ; plusieurs solutions techniques existent pour permettre aux convois exceptionnels d'appréhender les pentes sur sites ;
- la base de vie sera située dans une zone qui ne suppose ni défrichement, ni terrassement et qui demeure sans enjeu ; rien ne justifiait d'inclure tous les espaces consacrés aux accès dans les inventaires " habitats faune flore " ; contrairement au défrichement, le déboisement ne met pas fin à la destination forestière du terrain ; rien ne permet de dire que l'Orthotric Roger serait présente à " quelques mètres " de la base de vie et au besoin les travaux pourraient être adaptés ;
- les inventaires " habitats faune flore " sont suffisants, notamment en ce qui concerne les accès ; l'habitat Sapinière hêtraie a été pris en compte ; le défrichement portera sur " 11 ha de résineux dont 95% de sapinière " ;
- le " Buxbaumia viridis " a été pris en compte ; elle n'a pas été recensée dans les sapinières ;
- l'étude chiroptérologique a été réalisée par un bureau d'études indépendant selon une méthodologie décrite de manière détaillée dans l'étude d'impact, avec écoutes au sol et en altitude et recherche de gites potentiels ; l'indice de biodiversité potentiel (IBP) a été utilisé, mais pas uniquement ; une attention particulière leur a été portée ;
- aucune demande de compléments n'a été formulée sur les migrations nocturnes, à plus haute altitude au-dessus des éoliennes ; des écoutes en hauteur des chiroptères ont été réalisées ; l'Aigle Royal et le groupe des Noctules notamment ont été pris en compte et fait l'objet d'inventaires ; le site d'implantation du projet est situé à la limite du domaine vital de cette espèce ; comme milieu forestier, il n'est pas favorable à l'Aigle Royal ; seuls deux couples ont été recensés à quelques kilomètres de la ZIP, et l'étude d'impact s'est focalisée sur le couple le plus proche du projet ; plusieurs éoliennes ont été supprimées pour éviter des territoires de chasse ; des mesures de suivi sont prévues ; l'étude d'impact analyse bien les impacts du projet sur les rapaces nocturnes et les chiroptères notamment, en particulier les effets sonores des éoliennes sur des espèces sensibles au bruit ; les chiroptères exploitent les ultrasons (20-100 KHz) pour chasser alors que le bruit généré par les éoliennes relève plus de l'audible ou des infrasons ; l'existence d'une placette de nourrissage a été prise en compte puisque les éoliennes seront équipées d'un système de détection avec arrêt des machines si un vautour est détecté à 500 mètres ;
- contrairement à ce que soutient le préfet, les niveaux d'impact brut et résiduel du projet sur certaines espèces nicheuses ou migratrices ont été suffisamment évalués, qu'il s'agisse en particulier des vautours, des amphibiens en phase terrestre ou des mammifères terrestres protégés ;
- la sapinière hêtraie et la chênaie sessiliflore ont été prises en compte et totalement évitées ;
- les effets du défrichement ont été examinés, notamment en ce qu'ils concernent la route forestière de la Croix de Triousse et l'éolienne E10 ainsi que son éventuel déplacement ;
- non seulement le risque incendie a bien été pris en compte dans l'étude d'impact, mais en plus, le SDIS a émis un avis favorable au projet ;
- la forêt concernée par le projet est relativement récente et fait l'objet de coupes régulières par l'ONF ; les enjeux sont relatifs ;
- la Gentiane pneumonanthe a bien fait l'objet d'une attention particulière dans l'étude d'impact de sorte que le projet l'évitera totalement, et une mesure de balisage lors du chantier sera mise en place en sa faveur notamment ; il en est de même de l'Azuré de la Croisette ;
- les inventaires ont permis de constater que la Buxbaumia viridis n'est pas présente sur le site du projet ;
- le préfet ne précise pas quels seraient les secteurs d'émergence de cours d'eau affectés par les éoliennes E3, E6 et E10 ; des mesures d'évitement ont été mises en place ; la réglementation n'exige pas que les mesures de réduction doivent permettre d'atteindre un niveau d'impact nul voire positif sur la biodiversité ; les caractéristiques du dispositif de détection et d'arrêt des pâles de manière automatisée ainsi que son efficacité sont clairement présentées dans l'étude d'impact ;
- les effets cumulés ont bien été analysés dans l'étude d'impact ; celle-ci contient une analyse approfondie des effets cumulés du projet sur l'avifaune et les chiroptères ;
- elle a satisfait le 17 mars 2022 à la demande de complément de la DREAL du 16 juillet 2020 concernant l'étude d'impact ; aucune demande de compléments supplémentaires n'a ensuite été formulée ;
- il n'y a pas eu sous-estimation des impacts du projet ; l'étude d'impact analyse bien les impacts permanents du projet sur l'habitat des espèces faunistiques, notamment l'Aigle Royal et la Chouette de Tengmalm ; l'étude d'impact analyse bien les enjeux relatifs à la fragmentation des habitats ;
- aucun effet d'entonnoir n'est avéré ;
- la demande en tant qu'elle vaut demande d'autorisation de défrichement est complète ; la superficie à défricher et la localisation précise des surfaces concernées sont indiquées ; le dossier comprend les attestations de cette maitrise foncière dont elle justifie ; le préfet n'indique pas en quoi la " production de pièces par l'Office national des forêts pour la forêt communale relevant du régime forestier " et l'explication de " l'évolution des surfaces à défricher ou déboiser en fonction de l'évolution du projet " feraient défaut ; l'article R. 341-2 du code forestier a été respecté et aucune demande de complément à cet égard n'a été formulée par les services instructeurs ; il n'y a pas violation de l'article L. 341-5 du code forestier ;
- l'évaluation des incidences Natura 2000 est suffisante ; les landes acidiphiles et hêtraie sapinière ont été prises en compte ; l'Orthotric de Roger et la Buxbaumie Verte ont été envisagés ; les chiroptères comme l'avifaune ont fait l'objet d'une attention particulière ; il en est de même de l'Azuré de la Croisette et du Damier de la Succise ; le projet n'affecte pas significativement la zone Natura 2000 FR8201670 des Cévennes ardéchoises, même étendue ;
- l'éolienne E10 se situe à plusieurs centaines de mètres de la première zone de captage effective ; une implantation alternative, qui suppose le déplacement de l'éolienne E10 d'environ 40 mètres à l'ouest afin d'être située en dehors du périmètre initial du PPR, est envisagée dans l'étude d'impact si celle-ci s'avérait, le cas échéant, nécessaire ; avant ou après déplacement, l'éolienne E10 serait située dans un même habitat ne présentant pas d'enjeu particulier ; elle n'entrainerait qu'un défrichement supplémentaire limité ; l'éolienne E10 serait déplacée sur la parcelle AB 23 pour laquelle la société exposante bénéficie d'une autorisation du propriétaire ;
- la séquence ERC a été respectée ; elle a évité les secteurs les plus sensibles ; plusieurs mesures de réduction sont prévues pour les oiseaux migrateurs et les passereaux ; les oiseaux migrateurs, notamment les passereaux de haut-vol volent bien au-dessus des éoliennes la nuit ; il ne ressort ni des textes ni de la jurisprudence que l'étude d'impact doive indiquer le modèle du dispositif qui sera mis en place ; la distance de détection de 500 mètres du dispositif n'est pas insuffisante compte tenu des progrès effectués dans les systèmes ; les cas de mortalité d'Aigle Royal sont rares ; elle mettra en place la meilleure technique disponible au moment de la mise en service du parc ;
- les conditions de délivrance de la dérogation " espèces protégées " sont satisfaites ; aucune dérogation ni mesure de compensation n'est nécessaire dès lors que le projet ne portera pas atteinte aux espèces protégées ; un suivi de la mortalité de l'avifaune notamment sera mis en place selon un protocole renforcé (cinquante visites par an) et un suivi de l'efficacité des outils automatisés de réduction de risque de collision des rapaces sera également assuré afin d'adapter cette mesure le cas échéant ;
- aucune atteinte à la biodiversité ne peut être relevée ; les impacts résiduels sont faibles ; une sensibilité forte n'entraine pas forcément un impact résiduel fort ;
- il n'y a pas d'atteintes caractérisées au paysage ; le site d'implantation du projet est sans intérêt particulier ; le projet n'est situé dans aucune zone d'exclusion du PNR ; dans son avis, la MRAE ne relève aucune atteinte au paysage ; le projet s'implante en dehors des crètes majeures du département de l'Ardèche, notamment la crête de la Croix de la Femme Morte ; plusieurs mesures d'évitement et de réduction ont été prises.
Par un mémoire enregistré le 14 septembre 2023, le préfet de l'Ardèche conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- l'arrêté est motivé ;
- le site est sensible ; il comporte des sapinières et chênaies anciennes et de grande valeur écologique ; sa faune est riche ; le projet se trouve dans les limites du nouveau périmètre de la zone Natura 2000 des Cévennes en discussion ;
- l'étude d'impact présente des insuffisances et lacunes malgré des demandes de compléments ;
- rien de détaillé n'a été fourni sur le raccordement du projet au réseau électrique ; les travaux nécessaires au raccordement du projet au réseau électrique public actuel font pourtant nécessairement partie du projet au sens de l'article L. 122-1 du code de l'environnement ;
- l'impact des travaux d'élargissement et d'aménagement des chemins forestiers d'accès au projet, et de création d'une base de vie, tels qu'ils sont prévus dans la dernière version du dossier de demande, n'ont pas été évalués dans l'étude d'impact ; il s'agissait de comparer la solution utilisant la voirie publique, le cas échéant avec un aménagement du virage du pont de Bournet, avec celle du réseau de routes et pistes forestières ; une part significative de la surface à défricher résulte du besoin de transformer les routes forestières conçues pour le passage des camions grumiers et les rendre compatibles avec le passage des convois exceptionnels, qui ne sont pas de même gabarit ; le premier tronçon d'accès - la route forestière de la Croix de Triousse - a été placé hors des zonages d'inventaires, notamment celui portant sur la botanique ; à défaut d'étude, rien ne permet de dire que les travaux envisagés n'auraient qu'un très faible impact ; l'établissement de la base de vie nécessite un déboisement important, avec un impact dont l'appréciation fait défaut au dossier alors qu'il y a des enjeux ;
- le projet comporte neuf aérogénérateurs sur des secteurs cartographiés comme constitués de sapinière-hêtraie ; les défrichements et déboisements ne sont pas intégralement décrits ni situés ; l'éolienne E10 ne peut pas être érigée dans le périmètre de protection rapprochée du captage d'eau potable de Veyssouse, non modifié à ce jour et les conditions de sa nouvelle localisation éventuelle, avec ouverture d'une nouvelle piste d'accès, ne sont pas connues ; les défrichements et déboisements envisagés autour des aérogénérateurs ne permettent pas de garantir un niveau acceptable de sauvegarde des chauves-souris forestières ; la distance entre le pied de l'éolienne et la lisière forestière conservée est limité à environ 15 mètres et cette distance apparaît insuffisante pour garantir un niveau raisonnable de sauvegarde des chiroptères ; cette distance devra être portée à 53 mètres avec des surfaces à défricher qui deviendront considérablement plus importantes entraînant des incidences environnementales nettement plus intenses qui, bien qu'envisagées, n'ont pas été examinées ;
- dans un département classé comme présentant un risque particulier de feux de forêt, le projet justifiait une analyse fine du risque incendie et des moyens de le prévenir ; l'incidence environnementale du débroussaillement n'a pas fait l'objet d'une analyse proportionnée dans la demande ;
- les inventaires écologiques sont insuffisants ; est concernée une partie significative des chemins d'accès ; Buxbaumia viridis, espèce de mousse protégée, dont la présence est soupçonnée, n'a pas été recherchée ; l'absence d'inventaire de l'avifaune en période migratoire nocturne est problématique lorsque les effectifs migrants sont aux deux tiers nocturnes ; concernant les chiroptères, la présence d'un seul mat de mesure de l'activité en hauteur des chiroptères limite, compte tenu de l'étendue importante de la zone d'implantation potentielle (ZIP), la perception fidèle de son utilisation par le cortège des chiroptères évoluant en altitude ; l'utilisation du site par l'Aigle Royal n'a pas été correctement qualifiée ; la présence d'une population de mâles sédentaires ou d'une population de femelles en colonies de mise bas de Noctules de Leisler, très sensibles à l'éolien, à proximité du projet éolien n'a pas donné lieu à une étude supplémentaire ;
- du fait des insuffisances de l'étude, les impacts ont été sous évalués ; elle ne tient pas compte des impacts permanents qui résultent de la perturbation par " aversion " et de la perte ou de l'altération des habitats associées, d'autant plus importants dans des milieux naturels à forte "naturalité" caractérisés par l'ancienneté du couvert forestier ; l'étude sous-estime les impacts cumulés du projet avec ceux des parcs éoliens situés à proximité ; est aussi en cause l'absence d'évaluation de l'incidence de la forme de nasse du parc et des effets du bruit des aérogénérateurs sur des espèces sensibles ; la coexistence en un même lieu d'une placette de nourrissage des vautours et d'un parc éolien soulève l'hypothèse d'une hausse importante des mortalités de ces espèces, non prise en compte dans le dossier ;
- la sous-estimation des impacts a logiquement conduit la requérante à proposer des mesures d'évitement, de réduction ou de compensation insuffisantes ; notamment plusieurs éoliennes ont été positionnées dans des secteurs à enjeu modéré à fort et l'évitement de l'impact des aérogénérateurs sur les espèces de lisières par la réduction de la taille du rotor est évacué et renvoyé à des mesures de suivi ; les mesures de bridage sont insuffisantes ; le dispositif de détection-arrêt des pales pour l'avifaune n'est pas identifié, son adéquation aux enjeux du site ne pouvant être vérifiée ; la distance de détection de 500 mètres est vraisemblablement insuffisante pour garantir une bonne détectabilité des oiseaux, notamment des Aigles Royaux, et prévenir leur mortalité ou l'abandon de sites de reproduction historiques ; le site est fréquenté par des Aigles Royaux et des vautours ; des cas de mortalité pour des parcs équipés de dispositifs Safe Wind ou DT-Bird ont été relevés ; l'impact pressenti de perte d'attractivité du milieu, équivalent à une perte d'habitat favorable, n'est pas traité dans l'étude d'impact ; la mesure dite " d'accompagnement " visant à la création de quatre îlots de sénescence de 2 hectares chacun est imprécise ;
- l'emplacement de l'éolienne E10 est bien situé dans le périmètre de protection rapproché du captage AEP de Veyssouse ;
- le dossier, en tant qu'il vaut demande d'autorisation de défrichement, est incomplet ; il ne permet pas de connaître précisément les localisations et surfaces à défricher, qu'il s'agisse en particulier de l'éolienne E10 ou de la route forestière ; le dossier de demande ne comporte pas l'attestation indiquant que le pétitionnaire disposerait des autorisations foncières sur les nouvelles implantations de l'éolienne E10 et des accès qu'elle nécessite ; le pétitionnaire aurait dû solliciter l'Office national des forêts pour qu'il produise ces pièces, il n'avait pas qualité pour les produire lui-même ;
- le projet a un impact important sur les paysages ;
-il n'y a pas d'attestation du pétitionnaire indiquant qu'il serait propriétaire du terrain ou qu'il disposerait du droit d'y réaliser son projet ;
- aucun des moyens invoqués n'est fondé.
Par une ordonnance prise en dernier lieu le 1er décembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 8 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Picard, président ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Bergès, substituant Me Elfassi, pour la société Parc éolien de Prataubérat ;
Vu les notes en délibéré, enregistrées les 11 et 14 avril 2025, présentées pour la société Parc éolien de Prataubérat
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 26 décembre 2022, le préfet de l'Ardèche, sur le fondement de l'article R. 181-34 du code de l'environnement, a rejeté la demande d'autorisation environnementale de la société Parc éolien de Prataubérat, y compris en ce qu'elle tendait à la délivrance d'une dérogation " espèces protégées ", en vue de la construction et de l'exploitation d'un parc éolien composé de douze machines de 149,5 mètres de hauteur en bout de pales et de deux postes de livraison sur le territoire des communes de Saint-Laurent-les-Bains-Laval-d'Aurelle, de Montselgues et de Borne, au sud-ouest du col de Meyrand, sur les crêtes du massif de Prataubérat, à une altitude variant de 1 100 à 1 240 mètres, en limite sud du parc naturel régional (PNR) des Monts d'Ardèche. La société demande l'annulation de cet arrêté et que soit reprise l'instruction de sa demande d'autorisation.
2. L'arrêté contesté, qui mentionne longuement et dans le détail, l'ensemble des éléments de fait et de droit lui servant de fondement est, contrairement à ce que soutient la société requérante, motivé.
3. Parmi les différents motifs du refus opposés par le préfet dans l'arrêté ici contesté figure celui tiré de ce que l'un des critères énoncés par le 4° du II de l'article L. 181-3 du code de l'environnement pour la délivrance de la dérogation " espèces protégées ", qui tient au maintien de l'espèce protégée dans un état de conservation favorable, n'était pas démontré pour l'Aigle Royal.
4. Aux termes de l'article R. 181-34 du code de l'environnement, dans sa version applicable : " Le préfet est tenu de rejeter la demande d'autorisation environnementale dans les cas suivants : (...) 3° Lorsqu'il s'avère que l'autorisation ne peut être accordée dans le respect des dispositions de l'article L. 181-3 ou sans méconnaître les règles, mentionnées à l'article L. 181-4, qui lui sont applicables. (...) ". Aux termes de l'article L. 181-3 du même code : " (...) II.- L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent également : (...) 4° Le respect des conditions, fixées au 4° du I de l'article L. 411-2, de délivrance de la dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, des espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, lorsque l'autorisation environnementale tient lieu de cette dérogation ; (...) ".
5. L'article L. 411-1 du code de l'environnement prévoit, lorsque les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation d'espèces animales non domestiques, l'interdiction de " 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat / 2° La destruction, la coupe, la mutilation, l'arrachage, la cueillette ou l'enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ; / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...) ". Le I de l'article L. 411-2 du même code renvoie à un décret en Conseil d'État la détermination des conditions dans lesquelles sont fixées, notamment : " 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : (...) / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; (...) ".
6. Il résulte de ces dispositions que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.
7. Pour déterminer si une dérogation peut être accordée sur le fondement du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, de porter une appréciation qui prenne en compte l'ensemble des aspects mentionnés plus haut, parmi lesquels figurent les atteintes que le projet est susceptible de porter aux espèces protégées, compte tenu, notamment, des mesures d'évitement, de réduction et de compensation proposées par le pétitionnaire et de l'état de conservation des espèces concernées.
8. Pour apprécier si le projet ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, de déterminer, dans un premier temps, l'état de conservation des populations des espèces concernées et, dans un second temps, les impacts géographiques et démographiques que les dérogations envisagées sont susceptibles de produire sur celui-ci.
9. D'une part, il résulte de l'instruction que l'Aigle Royal est classé en France sur la liste rouge des espèces menacées de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), dans la catégorie " vulnérable ", qui rassemble les espèces confrontées à un risque relativement élevé de disparition. Leurs effectifs qui, selon les pièces du dossier, sont constitués de trois-cent-quatre-vingt-dix à quatre-cent-cinquante couples sur le territoire, sont stabilisés dans les bastions alpins et pyrénéens, mais de nombreuses zones de moyenne montagne ne sont pas encore complètement recolonisées. Localement, l'Aigle Royal, dont le domaine vital recouvre une grande partie de l'aire d'étude éloignée de 30 kilomètres du projet, apparaît en danger. Au sein du parc national des Cévennes, situé principalement dans les départements de la Lozère, du Gard et de l'Ardèche et qui s'étend sur les régions d'Occitanie et d'Auvergne-Rhône-Alpes, et concerne plus particulièrement la partie ouest du parc éolien, les effectifs d'Aigles Royaux ont chuté de façon sensible ces dernières décennies, leur population étant réduite à ce jour à une vingtaine de couples, dont six en Ardèche. Le succès de leur reproduction reste très aléatoire d'année en année, l'Aigle Royal, comme espèce longévive, produisant très peu de poussins, avec un taux élevé de mortalité la première année. Dans le secteur même du projet de parc éolien de Prataubérat, deux couples reproducteurs d'aigles royaux ont été repérés, dont les nids sont situés respectivement, pour l'un, à environ 4 kilomètres sud, sur la falaise du rocher des Conchettes à Montselgues, et pour l'autre, à environ 5,8 kilomètres au nord-est, sur le rocher d'Abraham. Le domaine vital du couple de Montselgues serait, mais sans certitude, à la jonction avec celui présent sur le rocher d'Abraham, sur lequel aucune donnée précise n'est en revanche disponible. D'après les balises GPS dont ils ont été équipés, il apparaît que les deux jeunes aigles issus du couple de Montselgues en 2017 et 2019 ont, avant émancipation, voire même après, survolé ce site à plusieurs reprises malgré des boisements dénués d'intérêt particulier pour les adultes. Par ailleurs, rien au dossier ne permet de dire qu'aucun aigle adulte ne traverserait le site éolien, même occasionnellement, spécialement en phases de transit et de franchissement de relief, même si celui-ci, compte tenu de son couvert forestier, est peu propice à des activités de chasse, généralement exercées en milieux ouverts.
10. D'autre part, la demande de dérogation " espèces protégées " présentée par l'exploitant indique que, pris à l'état brut, les risques d'entrer en collision avec des éoliennes seraient modérés, avec des zones d'ascendance ponctuelle, pour les aigles royaux immatures, et faibles à modérés pour les adultes, et que les risques de pertes d'habitat seraient faibles à modérés mais que, compte tenu spécialement d'un éloignement des pales des éoliennes de la canopée mais aussi de l'évitement d'une fragmentation des habitats et du domaine vital du couple de Montselgues et du dispositif anticollision envisagé, les risques nets d'impact seraient finalement faibles en phase d'optimisation du parc éolien la première année et non significatifs à long terme. Il reste que l'étude ne comporte aucune information précise sur le domaine vital du couple présent sur le rocher d'Abraham. La situation du projet éolien en marge du domaine vital du couple de Montselgues et à plus de 200 mètres de la zone de chasse à l'ouest ne garantit par ailleurs pas, au vu des difficultés pour anticiper les réactions de l'Aigle Royal, très différentes selon les individus, leur statut de reproduction ou leur âge, et de la fonctionnalité écologique des milieux concernés, mais également de retours d'expérience contrastés sur cette question, l'absence de survol du site à hauteur de pâles, aussi bien par les adultes que par les immatures voire des individus erratiques et que, du fait d'une importante fragmentation de leur domaine vital, celui-ci ne perdrait pas en attractivité. Par ailleurs, les performances du système vidéo que l'exploitant envisage d'installer sur l'ensemble des éoliennes pour fonctionner toute la journée et toute l'année, dont le déclenchement entraînerait un arrêt automatique des machines environ 30 secondes après la détection dans un rayon de 500 mètres d'un Aigle Royal en approche directe des rotors à une vitesse de l'ordre de 60 kilomètres/heure, apparaissent incertaines, en particulier au regard des résultats obtenus à partir d'un outil dénommé EolDist, développé dans le cadre du projet " Réduction de la mortalité aviaire dans les parcs éoliens en exploitation " (MAPE), soutenu notamment par l'Etat et l'ensemble de la filière, dont il résulte que pour détecter 90 % des vols d'Aigle Royal, et sans prise en compte de paramètres spécifiques au projet tels que, notamment, les conditions météo, la luminosité ou le relief, une distance de détection de l'ordre de 1,02 kilomètres au minimum serait nécessaire. Si la société exploitante indique que les retours d'expérience dans le cadre du programme MAPE concernent des projets éoliens dans des secteurs où le niveau d'activité des rapaces, dont l'Aigle Royal, est largement supérieur à celui mesuré sur le projet de Prataubérat et que, depuis le lancement de ce programme, de nouveaux outils sont apparus sur le marché permettant un taux de détection vérifié d'un Milan Royal à 400 mètres de l'ordre de 80 %, et donc a fortiori d'un Aigle Royal dont la silhouette est deux fois supérieure, elle ne fournit cependant aucun élément, notamment d'ordre technique, qui permettrait d'en justifier et de remettre sérieusement en question les conclusions du programme MAPE. L'affirmation de la société exploitante selon laquelle, au moment de la mise en service du parc, elle mettra de toutes les façons en place la meilleure technique disponible, mais sans apporter d'autres précisions que celles déjà fournies sur le dispositif décrit dans son dossier, ne saurait suffire à pallier les sérieux doutes sur l'efficacité du dispositif anticollision finalement envisagé.
11. Au vu de ces développements, et compte tenu en particulier de la faiblesse des effectifs d'Aigles Royaux sur le territoire et plus spécialement en Ardèche, de leurs conditions de reproduction aléatoires, de la présence de deux couples d'Aigle Royal à proximité du site éolien de Prataubérat et de la fréquentation du site par ces rapaces, leur progéniture et aussi des individus erratiques, de la sensibilité de ces animaux, non sérieusement démentie, aux éoliennes, de l'absence de mise en place par l'exploitant d'un dispositif anticollision dont les performances seraient avérées et des incertitudes en découlant sur le degré d'exposition de ces oiseaux aux risques d'impact, les éléments du dossier n'apparaissent pas suffisants pour s'assurer que la société Parc éolien de Prataubérat pourrait mettre en œuvre son projet sans nuire au maintien de cette espèce dans un état de conservation favorable, à l'échelon aussi bien national que local.
12. L'une des trois conditions cumulatives fixées par l'article L. 411-2 du code de l'environnement pour bénéficier de la dérogation " espèces protégées " n'étant ainsi pas remplie, le II de l'article L. 181-3 du même code faisait obstacle à la délivrance de l'autorisation environnementale demandée par la société Parc éolien de Prataubérat. Par suite, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres motifs de refus opposés à cette dernière, le préfet de l'Ardèche a pu légalement, sans commettre d'erreur d'appréciation, prendre, sur le fondement du 3° de l'article R. 181-34 de ce code, l'arrêté contesté.
13. Il en résulte que la requête de la société Parc éolien de Prataubérat doit, dans l'ensemble de ses conclusions, être rejetée.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Parc éolien de Pratauberat est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Parc éolien de Prataubérat et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Copie en sera adressée à la préfète de l'Ardèche.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2025 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 avril 2025.
Le président, rapporteur,
V-M. Picard
La présidente assesseure,
A. Duguit-Larcher
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 23LY00732
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