Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 11 juillet 2022 par laquelle le préfet de Rhône lui a retiré sa carte de résident.
Par un jugement n° 2208094 du 2 avril 2024, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée 6 juin 2024, M. C... A..., représenté par Me Couderc, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cette décision ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Rhône de lui délivrer une carte de résident de dix ans dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt, ou à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans le même délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, à verser à son conseil, une somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'insuffisance de motivation concernant son moyen tiré de la disproportion de la sanction de retrait de la carte de résident ;
- la décision attaquée est entachée d'un vice de procédure tiré de la méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure devant la commission du titre de séjour ;
- elle est entachée d'erreurs de droit pour défaut d'examen particulier de sa situation personnelle et dès lors que le préfet du Rhône s'est cru à tort en situation de compétence liée ;
- elle est entachée d'une erreur de fait ;
- elle méconnaît les articles L. 423-19 et L. 432-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la sanction du retrait de la carte de résident est disproportionnée.
La préfète du Rhône, qui a reçu communication de la requête, n'a pas présenté d'observations.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 juin 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code du travail ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Porée, premier conseiller,
- les conclusions de M. Laval, rapporteur public,
- et les observations de Me Leroy, représentant M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant turc né le 20 avril 1990, est entré sur le territoire français le 1er juin 2009. Il s'est vu délivrer, après son mariage le 13 novembre 2010 avec une ressortissante française, une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " valable du 16 mai 2011 au 15 mai 2012, régulièrement renouvelée, puis une carte de résident valable du 26 mai 2014 au 25 mai 2024. M. A... a divorcé de son épouse française le 2 juillet 2015 et s'est remarié avec une compatriote, le 15 décembre 2016, à Lyon. La demande de regroupement familial qu'il a présentée au bénéfice de son épouse de nationalité turque le 28 septembre 2017 a donné lieu à une décision de refus du 17 mai 2019 justifiée par le fait que l'intéressée séjournait irrégulièrement sur le territoire français. Le 8 septembre 2021, M. A... a présenté une nouvelle demande de regroupement familial. A la suite d'un avis favorable de la commission du titre de séjour du 30 juin 2022, le préfet du Rhône a, par une décision du 11 juillet 2022, procédé au retrait de la carte de résident et a délivré à M. A... une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " valable un an. M. A... relève appel du jugement du 2 avril 2024 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision en tant seulement qu'elle procède au retrait de la carte de résident dont il était titulaire.
Sur la légalité du retrait de la carte de résident :
2. Aux termes de l'article L. 432-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout employeur titulaire d'une carte de résident peut se la voir retirer s'il a occupé un travailleur étranger en violation des dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail. ".
3. Aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou par personne interposée, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. Il est également interdit à toute personne d'engager ou de conserver à son service un étranger dans une catégorie professionnelle, une profession ou une zone géographique autres que celles qui sont mentionnées, le cas échéant, sur le titre prévu au premier alinéa. ".
4. Aux termes enfin de l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, tout citoyen de l'Union européenne, tout ressortissant d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse a le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'il satisfait à l'une des conditions suivantes : 1° S'il exerce une activité professionnelle en France (...) ". Aux termes de l'article L. 121-2 de ce code, dans sa version alors en vigueur : " Les ressortissants visés à l'article L. 121-1 (...) ne sont pas tenus de détenir un titre de séjour. S'ils en font la demande, il leur est délivré un titre de séjour. Toutefois, demeurent soumis à la détention d'un titre de séjour durant le temps de validité des mesures transitoires éventuellement prévues en la matière par le traité d'adhésion du pays dont ils sont ressortissants, et sauf si ce traité en stipule autrement, les citoyens de l'Union européenne qui souhaitent exercer en France une activité professionnelle. (...) ". Aux termes de l'article R. 121-1 du même code, dans sa version alors en vigueur : " Tout ressortissant mentionné au premier alinéa de l'article L. 121-1 muni d'une carte d'identité ou d'un passeport en cours de validité est admis sur le territoire français, à condition que sa présence ne constitue pas une menace pour l'ordre public. (...) ".
5. Pour retirer la carte de résident délivrée à M. A..., le préfet du Rhône s'est fondé sur la circonstance qu'il avait pris, le 25 juillet 2019, un arrêté de fermeture administrative temporaire, pour une durée de quinze jours, du restaurant l'Arc en Ciel exploité par la société CD63 dont celui-ci était le gérant justifié par l'emploi d'un étranger en situation irrégulière. Le préfet a, par ailleurs, relevé dans sa décision, que le couple n'avait pas tiré les conséquences du refus de regroupement familial, l'épouse de M. A... s'étant maintenue sur le territoire français après le refus de regroupement familial et celui-ci ayant présenté une nouvelle demande de regroupement familial.
6. L'arrêté du 25 juillet 2019 portant fermeture administrative temporaire de l'établissement produit au dossier de première instance mentionne qu'il a été constaté, lors du contrôle de l'établissement le 16 mai 2019, que deux employés avaient été découverts en situation de travail sans avoir fait l'objet de déclarations préalables à l'embauche et que ces faits étaient constitutifs de l'infraction d'emploi dissimulé par défaut de déclaration préalable à l'embauche prévue par les articles L. 8272-2, L. 8221-1 et L. 8221-5 du code du travail. M. A... produit, toutefois, pour la première fois à hauteur d'appel, un récépissé de demande de carte de séjour autorisant le travail, valable du 5 décembre 2018 au 4 juin 2019, établi au nom de l'un des deux intéressés trouvé en situation de travail ainsi qu'une carte d'identité délivrée par les autorités bulgares, valable de 2017 à 2027, établie au nom de l'autre personne. La préfète du Rhône n'a produit aucune observation en défense devant la cour et n'a versé aucune pièce autre que l'arrêté de fermeture administrative de l'établissement pour établir la réalité de l'embauche par la société CD63 d'un salarié étranger en situation irrégulière dépourvu d'autorisation de travail et s'est, notamment abstenue, de produire au dossier le rapport du commissariat de police du 7ème arrondissement de Lyon établi en mai 2019 dont l'autorité préfectorale avait invoqué l'existence dans le dossier de première instance sans toutefois le produire devant les premiers juges. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la décision de retrait de certificat de résidence en litige repose sur un motif inexact, la méconnaissance par l'intéressé de l'article L. 432-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'étant pas établie, est fondé et doit être accueilli.
7. En second lieu, aux termes de l'article L. 423-19 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le titre de séjour d'un étranger qui n'entre pas dans les catégories mentionnées aux articles L. 631-2, L. 631-3 et L. 631-4 peut faire l'objet d'un retrait lorsque son titulaire a fait venir son conjoint ou ses enfants en dehors de la procédure du regroupement familial. La décision de retrait du titre de séjour est prise après avis de la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14 ".
8. L'article L. 423-19 précité prévoit les conditions dans lesquelles le titre de séjour d'un étranger peut faire l'objet d'un retrait lorsque son titulaire a fait venir son conjoint ou ses enfants en dehors de la procédure du regroupement familial.
9. Si le préfet a fait valoir devant les premiers juges que la décision de retrait se justifie par d'autres manquements à la loi imputables à M. A... notamment au regard d'un " détournement de la procédure de regroupement familial en faveur de son épouse ", il n'assortit pas cette affirmation des précisons permettant d'en apprécier la portée alors que M. A... résidait régulièrement sur le territoire français depuis plus de dix ans à la date à laquelle la décision qu'il conteste a été prise.
10. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
11. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. (...) ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. (...) ".
12. L'annulation, par le présent arrêt, de la décision du 11 juillet 2022 par laquelle le préfet du Rhône a procédé au retrait de la carte de résident dont disposait M. A... a pour effet de remettre en vigueur cette carte de résident jusqu'au 25 mai 2024, date du terme de sa période de validité. En revanche, à la date du présent arrêt, cette annulation n'implique pas d'enjoindre à la préfète du Rhône de délivrer à M. A... une carte de résident en l'absence de tout élément sur sa situation à partir de l'expiration de sa carte de résident valable jusqu'au 25 mai 2024. Le présent arrêt impliquant seulement que la situation de M. A... soit réexaminée, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à la préfète du Rhône de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
13. M. A... étant bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, son avocat peut prétendre au bénéfice des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l'espèce, l'État versera, en application de ces dispositions, la somme qu'il demande de 1 200 euros à Me Couderc, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2208094 du tribunal administratif de Lyon du 2 avril 2024 et la décision du préfet du Rhône du 11 juillet 2022 en tant qu'elle retire la carte de résident à M. A..., sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète du Rhône de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à Me Couderc, avocat de M. A..., une somme de 1 200 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée à la préfète du Rhône et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Lyon en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.
Délibéré après l'audience du 15 mai 2025, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
M. Haïli, président-assesseur,
M. Porée, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 juin 2025.
Le rapporteur,
A. Porée
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
M. B...
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY01627