Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille le 28 février 2008, sous le n° 08MA00996, présentée pour Me Marie-Pierre A, demeurant au 11 rue Saint Lazare à Paris (75009), par Me Letessier, avocat ;
Me A demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0625831 du 20 décembre 2007 par lequel le Tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision par laquelle la commune d'Orange a rejeté son offre en vue de l'attribution du marché de consultations juridiques et d'assistance aux procédures contentieuses et, d'autre part, à la condamnation de la commune à lui verser la somme de 10 700 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de cette éviction irrégulière ;
2°) d'annuler les décisions de rejet de son offre et d'attribution du marché en cause ;
3°) d'ordonner à la commune d'Orange de produire l'ensemble des éléments relatifs à l'attributaire du marché ;
4°) de condamner la commune à lui verser la somme de 10 700 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de cette éviction irrégulière, augmentée des intérêts légaux ;
..........................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l'audience devant ces juridictions ;
Vu l'arrêté du vice-président du Conseil d'Etat en date du 27 janvier 2009 fixant la liste des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel autorisés à appliquer, à titre expérimental, les dispositions de l'article 2 du décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 14 avril 2011 :
- le rapport de Mme E. Felmy, conseiller,
- les conclusions de M. Marcovici, rapporteur public,
- et les observations de Me Capdefosse, avocat, représentant la commune d'Orange ;
Après avoir pris connaissance de la note en délibéré, enregistrée le 15 avril 2011, présentée pour la commune d'Orange ;
Considérant que le 6 avril 2006, la commune d'Orange a, sur les fondements des articles 28 et 71-I du code des marchés publics, lancé une procédure de passation d'un marché ayant pour objet des prestations de conseil et d'assistance juridique devant les juridictions administratives, la date de dépôt des candidatures étant fixée au 18 avril 2006 ; que Me A a présenté sa candidature ; que, par courrier en date du 17 mai 2006, la commune d'Orange a rejeté sa candidature ; que Me A a demandé réparation de son préjudice né de l'éviction de ce marché qu'elle estimait irrégulière, et devant l'absence de réponse de la commune, a formé un recours devant le Tribunal administratif de Nîmes tendant au versement de la somme de 10 700 euros en réparation de son préjudice, ensemble l'annulation dudit rejet ; qu'elle interjette appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Nîmes a rejeté comme irrecevable sa demande en annulation et rejeté sa demande indemnitaire ;
Sur la recevabilité de la requête et de la demande de première instance :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 431-2 du code de justice administrative : Les requêtes et les mémoires doivent, à peine d'irrecevabilité, être présentés soit par un avocat, soit par un avocat au Conseil d'Etat ou à la Cour de Cassation, soit par un avoué en exercice dans le ressort du tribunal administratif intéressé, lorsque les conclusions de la demande tendent au paiement d'une somme d'argent, à la décharge ou à la réduction de sommes dont le paiement est réclamé au requérant ou à la solution d'un litige né d'un contrat (...) ;
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article R. 431-3 dudit code : Toutefois, les dispositions du 1er alinéa de l'article R. 431-2 ne sont pas applicables : (...) 5° Aux litiges dans lesquels le défendeur est une collectivité territoriale ou un établissement public relevant ; que, par suite, la demande présentée par Me A devant le tribunal administratif de Nîmes, tendant notamment à la condamnation de la commune d'Orange au paiement d'une somme en réparation de son préjudice, était dispensée du ministère d'avocat ;
Considérant, d'autre, part, qu'aux termes de l'article R. 612-1 du code de justice administrative : Lorsque des conclusions sont entachées d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte après l'expiration du délai de recours, la juridiction ne peut les rejeter en relevant d'office cette irrecevabilité qu'après avoir invité leur auteur à les régulariser ; qu'aux termes de l'article R. 811-7 du même code : Les appels ainsi que les mémoires déposés devant la cour administrative d'appel doivent être présentés, à peine d'irrecevabilité, par l'un des mandataires mentionnés à l'article R. 431-2. Lorsque la notification de la décision soumise à la cour administrative d'appel ne comporte pas la mention prévue au troisième alinéa de l'article R.751-5, le requérant est invité par la cour à régulariser sa requête dans les conditions fixées aux articles R.612-1 et R.612-2.(...) ; qu'aux termes de l'alinéa 3 de l'article R.751-5 du code de justice administrative, dans sa rédaction alors en vigueur : Lorsque la décision rendue relève de la cour administrative d'appel et, sauf lorsqu'une disposition particulière a prévu une dispense de ministère d'avocat en appel, la notification mentionne que l'appel ne peut être présenté que par l'un des mandataires mentionnés à l'article R.431-2. ; (...) ; qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que les cours administratives d'appel ne peuvent rejeter les requêtes entachées du défaut du ministère d'avocat, sans demande de régularisation préalable, que si le requérant a été averti dans la notification de la décision attaquée, en termes dépourvus d'ambiguïté, que l'obligation du ministère d'avocat s'imposait à lui en l'espèce ; qu'en revanche, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que la cour administrative d'appel invite la personne concernée à régulariser une requête ou un mémoire quant à l'obligation du ministère d'avocat et que cette régularisation peut intervenir après l'expiration du délai de recours contentieux ; qu'aux termes de l'article 1984 du code civil, qui définit la forme du mandat : Le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom (...) ; que ces dispositions relatives au mandat, ainsi que le principe d'indépendance de l'avocat, impliquent nécessairement que l'avocat soit une personne distincte du requérant, dont les intérêts personnels ne soient pas en cause dans l'affaire, et font obstacle à ce qu'un requérant exerçant la profession d'avocat puisse, dans une instance à laquelle il est personnellement partie, assurer sa propre représentation au titre de l'article R. 431-2 du code de justice administrative ; que Me A, avocate, invitée à régulariser la requête présentée par elle-même, en application de l'article R. 612-2 du code de justice administrative, a recouru, pour la poursuite de l'instance devant la Cour, au ministère d'un avocat ; qu'ainsi sa requête est recevable ;
Considérant, enfin, que contrairement à ce que soutient la défenderesse, il appartient au juge d'appel, saisi d'une demande d'annulation du jugement attaqué, d'examiner également les conclusions tendant à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de première instance ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les fins de non-recevoir, opposées par la commune d'Orange, tant à la demande de première instance qu'à la requête devant la Cour présentées par Me A, doivent être écartées ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier de première instance que par requête en date du 30 août 2006, puis par mémoire en date du 12 novembre 2007 Me CHANLAIR a demandé, outre le versement de la somme de 10 700 euros en réparation de son préjudice, l'annulation du rejet de sa candidature et de la décision d'attribuer le marché, en présentant des moyens à cette fin ; que par suite, ses conclusions à fin d'annulation n'étaient pas tardives ; que Me A est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont écarté ses conclusions à fin d'annulation comme irrecevables du fait de leur tardiveté, et à demander l'annulation du jugement attaqué ; qu'il y a lieu d'évoquer dans cette mesure et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par Me A devant le Tribunal administratif de Nîmes ;
Sur la légalité de la décision de rejet de la candidature de la requérante et d'attribution du marché, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens et sur la recevabilité des mémoires en défense de la Commune au regard du respect du principe de déontologie :
Considérant qu'aux termes de l'article 45 du code des marchés publics dans sa version alors en vigueur : A l'appui des candidatures, il ne peut être exigé que : 1°) Des renseignements permettant d'évaluer les capacités techniques et financières du candidat (...) ; qu'aux termes de l'article 52 du même code dans sa version alors en vigueur : (...) Les candidatures qui (...) ne présentent pas des garanties techniques et financières suffisantes ne sont pas admises (...) La personne responsable du marché indique dans l'avis d'appel public à la concurrence ou, s'il s'agit d'une procédure dispensée de l'envoi d'un tel avis, dans le règlement de la consultation, ceux de ces critères qu'elle privilégiera compte tenu de l'objet du marché. ; qu'aux termes du II de l'article 53 dudit code : Pour attribuer le marché au candidat qui a présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, la personne publique se fonde sur divers critères variables selon l'objet du marché, notamment (...) la valeur technique de l'offre, (...) le délai d'exécution (...) D'autres critères peuvent être pris en compte, s'ils sont justifiés par l'objet du marché. Si, compte tenu de l'objet du marché, la personne publique ne retient qu'un seul critère, ce critère doit être le prix. Les critères sont définis dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans le règlement de la consultation. Ces critères sont pondérés ou à défaut hiérarchisés. (...) ;
Considérant que la capacité des entreprises à réaliser le marché ne peut être appréciée, au stade de la sélection des candidatures telle qu'organisée par les articles 45 et 52 précités, en retenant des critères de sélection des offres fixés par les dispositions précitées du II de l'article 53 du code des marchés publics éventuellement complétés par des critères additionnels énoncés, selon le cas, par l'avis d'appel à candidatures, ou par le règlement de la consultation et justifiés par l'objet du marché ;
Considérant que l'avis d'appel public publié le 6 avril 2006 par la Ville d'Orange portait sur un marché à bons de commande pour des consultations juridiques et l'assistance dans les procédures contentieuses devant les juridictions administratives, pour lequel était demandée aux candidats intéressés, répondant au profil de juriste spécialisé en droit public avec une expérience pratique significative des juridictions administratives , la production, à la date limite de remise des candidatures le 18 avril 2006, d'un dossier de candidature comprenant diverses pièces ; que cet avis ne mentionnait aucun critère que la commune d'Orange entendait privilégier pour le choix des candidatures ; que l'article 3 du règlement de consultation du marché litigieux établi en avril 2006 pour la remise des offres intervenant le 31 mai 2006 exigeait notamment la production d'une proposition d'honoraires de la part des candidats et l'article 4 de ce règlement précisait que l'offre jugée la plus avantageuse économiquement serait retenue, sans davantage mentionner de critères de choix des offres ;
Considérant que, pour rejeter la candidature de Me A le 30 mai 2006, la commune d'Orange s'est, ainsi qu'il ressort des termes de la lettre en date du 19 juillet 2006 adressée à la requérante, fondée sur le fait que l'éloignement géographique de cabinet était de nature à entraîner un surcoût de gestion des procédures, que seuls les candidats situés à moins de 300 km d'Orange avaient été retenus afin de faciliter les déplacements et limiter les frais et, enfin, que l'éloignement l'avait amenée à écarter cette candidature ; que, par suite, la commune d'Orange a privilégié le critère de proximité à la commune dans le choix des candidatures, critère de sélection qui ne figurait ni dans l'avis d'appel public à la concurrence, ni, au surplus, dans le règlement de consultation du marché pour l'appréciation des offres ; qu'en outre, un tel critère n'est pas au nombre de ceux susceptibles d'être pris en compte pour apprécier si les candidatures qui sont soumises à la commission d'appel d'offres présentent des garanties techniques et financières suffisantes au sens des dispositions précitées de l'article 52 du code des marchés publics ; qu'ainsi, en retenant le critère susanalysé pour écarter la candidature de Me CHANLAIR, la commune d'Orange a méconnu les dispositions précitées ; que, par suite, la décision du 30 mai 2006 écartant la candidature de Me CHANLAIR, ainsi que celle par laquelle la commune d'Orange a attribué le marché, laquelle a été dès lors également prise à la suite d'une procédure irrégulière, doivent être annulées ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Me A est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande ; qu'il y a lieu d'annuler ce jugement ;
Sur la responsabilité de la commune d'Orange :
Considérant que lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché ; que, dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité ; que, dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre ; qu'il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché ; que, dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique ;
Considérant que la candidature de Me A présentait des compétences et des qualités professionnelles suffisantes de nature à correspondre au profil recherché par la commune d'Orange pour exécuter le marché ; que, toutefois, en s'abstenant d'évaluer, devant le Tribunal administratif de Nîmes comme devant la Cour, les honoraires qu'elle aurait proposés dans le cas où sa candidature aurait été retenue, et en se référant au montant minimum prévu par ce marché à bons de commande, soit 8 000 euros, qui ne saurait valoir indication des tarifs, la requérante n'établit pas la chance sérieuse qu'elle aurait eue d'obtenir le marché si celui-ci avait été accordé dans des conditions régulières ; qu'ainsi, et sans qu'il soit besoin d'enjoindre à la commune d'Orange la production du rapport d'analyse des offres ou de l'offre de l'attributaire qui auraient permis d'apprécier la valeur des diverses candidatures en réponse à l'avis publié en avril 2006, la requérante peut seulement soutenir qu'elle n'était pas dépourvue de toute chance de remporter le marché ;
Considérant qu'eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par la requérante en lui allouant une indemnité de 600 euros pour le temps passé à la constitution de son dossier de candidature ; qu'il y a par suite lieu de condamner la commune d'Orange à lui verser cette somme au titre des frais exposés pour la présentation de la candidature, assortie des intérêts au taux légal à compter de la demande présentée devant le Tribunal administratif de Nîmes, soit le 30 août 2006, dès lors que la requérante ne prouve pas la date de réception par la commune d'Orange de sa demande préalable d'indemnisation en date du 12 juillet 2006 ; que la requérante ne peut arguer, dans le cadre de sa demande d'indemnisation de la perte de chance qu'elle a subie, des frais exposés pour présenter sa défense, et qui relèvent de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Me A, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune d'Orange demande au titre des frais exposés non compris dans les dépens ; qu'il y a en revanche lieu de mettre à la charge de cette commune la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Me A et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Nîmes du 20 décembre 2007, la décision de la commune d'Orange en date du 17 mai 2006 rejetant la candidature de Me A et la décision d'attribution du marché de prestations de conseil et d'assistance juridique devant les juridictions administratives sont annulés.
Article 2 : La commune d'Orange est condamnée à verser la somme de 600 euros à Me A, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 août 2006.
Article 3 : La commune d'Orange versera la somme de 1 500 euros à Me A au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête et des demandes de Me A présentées devant le Tribunal administratif de Nîmes est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de la commune d'Orange présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Me Marie-Pierre A, à la commune d'Orange et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.
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N° 08MA00996
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