Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour, sous le n° 12MA02492, le 19 juin 2012, présentée pour le service départemental d'incendie et de secours de Haute-Corse, dont le siège est au lieu-dit Casetta à Furiani (20660) par Me C...;
Le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de Haute-Corse demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1100419 du 19 avril 2012 du tribunal administratif de Bastia qui l'a condamné à verser à M. A...une indemnité de 63 755 euros en réparation du préjudice matériel subi par lui ;
2°) de mettre à la charge de M. A...la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que :
- la demande de M. A...est mal dirigée à son encontre ; il conteste devoir être considéré comme la personne publique intervenante qui est l'Etat s'agissant du largage de produit retardant par un avion de la sécurité civile ; il ne pouvait être tenu pour responsable du largage d'un tracker, n'étant pas propriétaire de l'engin et la décision d'opérer le largage lui échappant, contrairement à ce qui a été affirmé et conformément à la procédure applicable aux feux naissants ;
- la responsabilité du largage incombe, en totalité, au pilote de l'engin et seul l'ordre ou la confirmation de la nécessité de largage venue du terrain ou du commandant des opérations (COS) est de nature à opérer un transfert de responsabilité au SDIS ; en l'espèce, en vertu de la procédure observée et compte tenu du déroulement des faits, tel que résultant de la main courante versée aux débats, aucun ordre de largage venant du commandant des opérations ou du personnel au sol n'a été donné au pilote, celui-ci ayant décidé seul de l'opportunité du largage ; la responsabilité et la garde de la chose ne peuvent ici relever que du seul pilote, habilité à prendre l'initiative du largage et donc de son employeur, le ministre de l'intérieur ;
- le Tribunal ne pouvait retenir une responsabilité sans faute ; le juge a abandonné l'exigence d'une faute lourde des services incendie et la preuve par la victime d'une simple faute suffit ; en l'espèce, l'affirmation selon laquelle c'est sous les ordres du service départemental d'incendie et de secours de Haute-Corse que s'est opéré le largage litigieux ne saurait seule suffire à établir la preuve d'une faute, pas plus que l'attestation délivrée par le major Mateos ne saurait être retenue comme valant reconnaissance de responsabilité de l'établissement public ;
- à titre subsidiaire, il conviendra de relever que M. A...devait être considéré comme usager d'un service public et que la mise en cause du service départemental d'incendie et de secours ou de l'Etat, personne publique distincte, ne pouvait se faire, s'agissant de police administrative, sans mise en cause préalable de la commune du lieu où est subi le dommage ;
- aucune faute n'est démontrée dans la gestion des opérations de secours et la matérialité des faits n'étant pas davantage établie ;
- le préjudice allégué n'est pas davantage démontré ; le rapport d'expertise est non contradictoire et a procédé à une estimation théorique de l'étendue du préjudice ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré le 12 septembre 2012, présenté par le ministre de l'intérieur par lequel il conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que :
- selon l'article L. 2216-2 du code général des collectivités territoriales, la responsabilité en matière de lutte contre l'incendie relève exclusivement des communes ; cet article permet à la victime d'attaquer non seulement la commune, lieu du sinistre, mais également la personne publique intervenante ; le service départemental d'incendie et de secours de Haute-Corse conteste devoir être la personne intervenante ; cependant, la main courante produite fait apparaître qu'à 19h21, le centre opérationnel départemental (CODIS) avise les trackers qui sont en gué armé aérien (GAAR) après que soit signalé un départ de feu à 19h19 ; il est évident que, dans ces conditions, l'ordre du CODIS adressé aux trackers de se rendre sur les lieux du sinistre induit dans leur mission un éventuel largage ;
- alors que le juge exigeait traditionnellement une faute lourde pour engager la responsabilité publique, le Conseil d'Etat retient désormais qu'une faute simple peut engager cette responsabilité ;
- en l'espèce aucun des éléments portés à sa connaissance ne permet de relever une défaillance ou un dysfonctionnement de l'organisation par l'Etat des services de secours, qui aurait pu justifier de leur prise en charge par ses services ; en effet, le largage a été effectué à une cinquantaine de mètres du front du feu, sur les plantations de M.A..., ce qui ne peut constituer une faute de la part du pilote, étant donné la part inhérente d'imprécision à ce type d'intervention de secours ; les moyens de sécurité civile ont permis de circonscrire un incendie qui aurait pu avoir des conséquences encore plus dommageables pour M. A...si l'incendie s'était propagé sur sa parcelle ; aucune faute n'émane du pilote, fonctionnaire employé par son département ministériel ;
Vu le courrier du 30 juin 2014 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les informant de la date ou de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et précisant la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 22 juillet 2014, présenté pour M.A..., par Me Imperiali par lequel il conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge du SDIS de Haute-Corse la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens ;
Il soutient que :
- il justifie parfaitement de sa qualité à agir en qualité de bénéficiaire de baux à ferme relativement aux parcelles litigieuses ;
- son action n'est pas mal dirigée, contrairement à ce que soutient le SDIS de Haute-Corse dès lors qu'il est parfaitement établi que toute opération comme celle du largage litigieux sur les parcelles qu'il occupe, est effectuée sous le seul commandement dudit SDIS ;
- la responsabilité du SDIS de Haute-Corse est pleine et entière dans la survenance du préjudice subi par lui ; le ministre de l'intérieur confirme son argumentation en indiquant que les trackers de l'unité civile implantée en Haute-Corse n'ont été qu'un des moyens mis à la disposition du SDIS de Haute-Corse pour accomplir la mission en question ; ainsi, il est clairement établi que la main courante produit par le SDIS fait mention, qu'à 19h21, le centre opérationnel département ou CODIS avisait les trackers, après le départ du feu déclaré à 19h19 ; il est dès lors évident que le fait d'avertir lesdits trackers ne pouvait servir qu'à une opération visant à stopper le départ de feu, et ce avec un largage de produit retardant ; ce n'est dès lors pas le critère du rattachement organique des agents mais bien la mission accomplie par lesdits agents qui détermine avec sûreté la nature et l'attribution de la responsabilité publique ;
- la matérialité des dommages à la date des faits est parfaitement établie ;
- la réalité de son préjudice a fait l'objet d'un rapport d'expertise qui le justifie ;
Vu l'avis d'audience adressé le 22 août 2014 portant clôture d'instruction en application des dispositions de l'article R. 613-2 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 96-369 du 3 mai 1996, relative à l'organisation des services d'incendie et de secours ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 19 septembre 2014 :
- le rapport de Mme Marchessaux, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Revert, rapporteur public ;
- et les observations de Me Imperiali, avocat de M.A... ;
1. Considérant que le service départemental d'incendie et de secours de Haute-Corse relève appel du jugement du 19 avril 2012 par lequel le tribunal administratif de Bastia l'a condamné à verser à M. A...une indemnité de 63 755 euros en réparation du préjudice matériel subi par lui du fait du largage par un tracker de produit retardant sur ses cultures de persil, lors d'un incendie survenu sur la commune de Vescovato, le 17 août 2010 ;
Sur la recevabilité des conclusions indemnitaires de M. A...tendant à la condamnation de l'Etat :
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 421-2 du même code : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, le silence gardé pendant plus de deux mois sur une réclamation par l'autorité compétente vaut décision de rejet. / Les intéressés disposent, pour se pourvoir contre cette décision implicite, d'un délai de deux mois à compter du jour de l'expiration de la période mentionnée au premier alinéa. Néanmoins, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient dans ce délai de deux mois, elle fait à nouveau courir le délai du pourvoi. / La date du dépôt de la réclamation à l'administration, constatée par tous moyens, doit être établie à l'appui de la requête. " ;
3. Considérant qu'aucune fin de non-recevoir tirée du défaut de décision préalable ne peut être opposée à un requérant ayant introduit devant le juge administratif un contentieux indemnitaire à une date où il n'avait présenté aucune demande en ce sens devant l'administration lorsqu'il a formé, postérieurement à l'introduction de son recours juridictionnel, une demande auprès de l'administration sur laquelle le silence gardé par celle-ci a fait naître une décision implicite de rejet avant que le juge de première instance ne statue, et ce quelles que soient les conclusions du mémoire en défense de l'administration ; qu'en revanche, une telle fin de non-recevoir peut être opposée lorsque, à la date à laquelle le juge statue, le requérant s'est borné à l'informer qu'il avait saisi l'administration d'une demande mais qu'aucune décision de l'administration, ni explicite ni implicite, n'est encore née ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par sa requête introductive d'instance, enregistrée le 17 mai 2011 au greffe du tribunal administratif de Bastia, M. A...a sollicité la condamnation du SDIS de Haute-Corse à lui verser la somme de 63 755 euros ; que par, son mémoire complémentaire enregistré le 29 janvier 2012, il a demandé la mise en cause du ministre de l'intérieur et, à titre subsidiaire, " de condamner le ministre de l'intérieur à lui verser la même somme au titre de son préjudice matériel " ; que si le requérant a formé une demande préalable indemnitaire, en date du 25 janvier 2012, adressée audit ministre, il ne produit aucune pièce visant à justifier de la date du dépôt de sa réclamation auprès du ministre de l'intérieur et, par suite, de l'existence d'une décision implicite de rejet ; que, dès lors, aucune décision de l'administration n'était intervenue le 19 avril 2012, date à laquelle le tribunal a statué sur sa requête ; que, par ailleurs, le contentieux ne s'était pas non plus trouvé lié par les conclusions en défense du ministre de l'intérieur dans la mesure où ce dernier a conclu, à titre principal, à l'irrecevabilité des conclusions de M. A...mettant en cause sa responsabilité faute de décision préalable et, à titre subsidiaire seulement, au rejet au fond ; qu'ainsi, les conclusions susvisées de M. A...sont irrecevables et doivent, par suite, être rejetées ;
Sur le bien fondé du jugement :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement ;
Sur la responsabilité du SDIS de la Haute-Corse :
5. Considérant qu'en vertu du 5° de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, le soin de prévenir et de combattre les incendies incombe dans chaque commune, au maire ; qu'aux termes de l'article L. 2216-2 du même code : " Sans préjudice des dispositions de l'article L. 2216-1, les communes sont civilement responsables des dommages qui résultent de l'exercice des attributions de police municipale, quel que soit le statut des agents qui y concourent. Toutefois, au cas où le dommage résulte, en tout ou partie, de la faute d'un agent ou du mauvais fonctionnement d'un service ne relevant pas de la commune, la responsabilité de celle-ci est atténuée à due concurrence. / La responsabilité de la personne morale autre que la commune dont relève l'agent ou le service concerné ne peut être engagée que si cette personne morale a été mise en cause, soit par la commune, soit par la victime du dommage. S'il n'en a pas été ainsi, la commune demeure seule et définitivement responsable du dommage. " ; que l'article L. 1424-8 du même code dispose : " Sans préjudice des dispositions de l'article L. 2216-2, le transfert des compétences de gestion prévu par le présent chapitre au profit du service départemental d'incendie et de secours emporte transfert de la responsabilité civile des communes ou des établissements publics de coopération intercommunale au titre des dommages résultant de l'exercice de ces compétences. " ; qu'il résulte de ces dispositions que les services départementaux d'incendie et de secours, établissements publics départementaux, sont responsables des conséquences dommageables imputables à l'organisation ou au fonctionnement défectueux des services et matériels concourant à l'exercice de la mission de lutte contre les incendies, alors même que les autorités de police communales peuvent avoir recours, pour exercer leur compétence de police générale, à des moyens et des personnels relevant de ces établissements publics et que la responsabilité des communes demeure susceptible d'être engagée dès lors que les dommages en cause trouvent en tout ou partie leur origine dans une faute commise par les autorités de police communales dans l'exercice de leurs attributions ;
6. Considérant que M. A...demande la condamnation du SDIS de Haute-Corse à réparer son préjudice matériel résultant de la destruction de ses cultures de persil du fait du largage par erreur, sur sa parcelle, d'un produit retardant par un tracker lors de l'incendie survenu sur le territoire de la commune de Vescovato le 17 août 2010 ; qu'il fait valoir qu'il est clairement établi que toute opération, comme celle du largage litigieux est effectuée sous le seul commandement du SDIS de Haute-Corse ; que, ce faisant, la demande de M. A...doit être regardée comme tendant à la mise en jeu de la responsabilité du SDIS sur le fondement d'une organisation et d'un fonctionnement défectueux de ses services ;
7. Considérant qu'à supposer même que la faute du SDIS de Haute-Corse soit établie, M. A...ne démontre pas la réalité du préjudice qu'il estime avoir subi ; qu'en effet, si le requérant se prévaut d'une attestation établie le 15 septembre 2010, soit près d'un mois après le prétendu sinistre, au demeurant imprécise en particulier sur la réalité du préjudice, par le lieutenant Matéos, signant pour ordre du directeur du SDIS de Haute Corse et certifiant que, le 17 août 2010, à 19h16, les sapeurs pompiers du corps départemental de la Haute-Corse sont intervenus à la suite d'une demande de secours précisant " feu de maquis " au lieu dit Padulone situé à Vescovato (20215), mentionnant M. A...comme victime et en observation " largage de trackers effectués détruisant une partie de la culture (persils) ", le SDIS fait valoir sans être contredit que le lieutenant Matéos n'était pas au nombre des effectifs en poste le jour de l'incendie et qu'il n'a donc pu constater les dégâts lui-même ; que les dommages allégués ne résultent pas davantage de la main courante en date du 17 août 2010 décrivant le déroulement des opérations de secours ; qu'en outre, le rapport d'expertise produit par M.A..., en date du 4 novembre 2010 et établi après une première visite du 29 octobre 2010, soit deux mois après l'incendie, n'a pas porté sur la réalité et l'étendue des dommages mais s'est borné, sur les déclarations de M.A..., à évaluer les pertes infligées ; que, dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à rechercher la responsabilité du SDIS de Haute-Corse ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par le SDIS de Haute-Corse que la demande indemnitaire présentée par M. A... ne peut qu'être rejetée ; qu'il s'ensuit que le SDIS de Haute Corse est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Bastia l'a condamné à verser une indemnité ;
Sur les conclusions tendant à l'octroi de dépens :
9. Considérant que le présent litige n'a donné lieu à aucun dépens ; que les conclusions de M. A...tendant à ce que le SDIS de Haute-Corse soit condamné aux entiers frais et dépens de la présente instance, ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ;
11. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que le service départemental d'incendie et de secours de Haute-Corse, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, verse à M. A...quelque somme que ce soit au titre des frais que celui-ci a exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de M. A...une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par le service départemental d'incendie et de secours de Haute-Corse et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement en date du 19 avril 2012 du tribunal administratif de Bastia est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par M. A...devant le tribunal administratif de Bastia et ses conclusions incidentes d'appel tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : M. A...versera au service départemental d'incendie et de secours de Haute-Corse une somme de 1 000 (mille) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au service départemental d'incendie et de secours de Haute-Corse, à M. A...et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2014, où siégeaient :
- M. Bocquet, président de chambre,
- M. Pocheron, président assesseur,
- Mme Marchessaux, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 10 octobre 2014.
Le rapporteur,
J. MARCHESSAUX
Le président,
Ph. BOCQUET
Le greffier,
C. FERRY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
''
''
''
''
5
No 12MA02492