Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) du Haut de Lauris a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 5 novembre 2013 par laquelle le préfet des Alpes-de-Haute-Provence a autorisé le GAEC La Draïo di Pati à exploiter les parcelles 215, 321, 353 et la parcelle 531 à l'ouest de la parcelle 218 pour environ 50 hectares sur le territoire de la commune d'Allemagne-en-Provence, ainsi que la décision implicite de rejet née du silence gardé par cette même autorité sur son recours gracieux formé contre cette décision.
Par un jugement n° 1403239 du 21 avril 2016, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision du préfet des Alpes-de-Haute-Provence du 5 novembre 2013 et la décision implicite de rejet du recours gracieux contre cette décision.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 juin 2016 et 19 décembre 2017, le GAEC La Draïo di Pati, représenté par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 21 avril 2016 ;
2°) d'annuler la décision d'exploiter octroyée au GAEC du Haut de Lauris du 7 novembre 2013 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la demande du GAEC du Haut de Lauris est forclose ;
- il disposait d'une autorisation tacite d'exploiter l'ensemble parcellaire demandé, à compter du 6 septembre 2013 ;
- la décision en litige du 5 novembre 2013 ne fait pas grief ;
- le GAEC du Haut de Lauris n'a pas d'intérêt à agir ;
- il est dépourvu de mandataire ;
- l'auteur de la décision du 5 novembre 2013 était compétent ;
- l'ordre des priorités et les critères d'éviction des terres et de superficie comparable ont été respectés ;
- l'annulation de l'autorisation d'exploiter dont il est bénéficiaire porte atteinte à son intérêt et, plus généralement, au principe de proportionnalité ;
- la décision du 7 novembre 2013 n'est pas motivée ;
- elle ne respecte pas le schéma directeur des structures agricoles du département des Alpes-de-Haute-Provence fixé par l'arrêté préfectoral n° 2013-1537.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 décembre 2017, le GAEC du Haut de Lauris, représenté par Me D..., conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à l'annulation de la décision du 5 novembre 2013 et de celle implicite du 6 mars 2014 et, en tout état de cause, à ce qu'il soit mis à la charge du GAEC La Draïo di Pati la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les conclusions d'annulation de l'autorisation d'exploiter du 7 novembre 2013 sont irrecevables ;
- il justifie d'un intérêt à agir ;
- il est régulièrement représenté par ses gérants ;
- les autres moyens soulevés par le GAEC La Draïo di Pati ne sont pas fondés.
Par un mémoire en observations, enregistré le 12 décembre 2017, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation demande d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 21 avril 2016 et de rejeter le surplus des conclusions dirigées contre la décision du 7 novembre 2013.
Il soutient que :
- il s'associe aux conclusions et aux écritures du GAEC La Draïo di Pati ;
- les conclusions d'annulation de l'autorisation d'exploiter du 7 novembre 2013, nouvelles en appel, sont irrecevables.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- l'arrêté préfectoral du 15 juillet 2013 établissant le schéma directeur des structures agricoles du département des Alpes-de-Haute-Provence ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pecchioli,
- les conclusions de M. Revert, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., substituant Me D..., représentant le GAEC du Haut de Lauris.
1. Considérant que, par jugement du 21 avril 2016, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision du préfet des Alpes-de-Haute-Provence du 5 novembre 2013 ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux contre cette décision ; que le GAEC La Draïo di Pati relève appel de ce jugement ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
2. Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ses allégations, le GAEC La Draïo di Pati n'établit pas être bénéficiaire d'une autorisation d'exploitation tacite depuis le 6 septembre 2013 ; que, par suite, le recours gracieux formé à l'encontre de la décision du 5 novembre 2013 du préfet des Alpes-de-Haute-Provence ainsi que la demande déposée devant le tribunal administratif de Marseille n'étaient pas tardifs ;
3. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article R. 431-2 du code de justice administrative : " Les requêtes et les mémoires doivent, à peine d'irrecevabilité, être présentés soit par un avocat, soit par un avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, lorsque les conclusions de la demande tendent au paiement d'une somme d'argent, à la décharge ou à la réduction de sommes dont le paiement est réclamé au requérant ou à la solution d'un litige né d'un contrat " ; qu'aux termes de l'article R. 431-4 de ce code : " Dans les affaires où ne s'appliquent pas les dispositions de l'article R. 431-2, les requêtes et les mémoires doivent être signés par leur auteur et, dans le cas d'une personne morale, par une personne justifiant de sa qualité pour agir " ; qu'enfin, aux termes des deux premiers alinéas de l'article R. 431-5 du même code : " Les parties peuvent également se faire représenter : 1° Par l'un des mandataires mentionnés à l'article R. 431-2 " ; que l'article L. 323-1 du code rural et de la pêche maritime précise que " Les groupements agricoles d'exploitation en commun sont des sociétés civiles de personnes régies par les chapitres Ier et II du titre IX du livre III du code civil et par les dispositions du présent chapitre " ; qu'il résulte de ces dispositions et de l'ensemble des textes les régissant qu'un avocat a qualité pour représenter une partie et signer en son nom les requêtes et mémoires devant le tribunal administratif sans avoir à justifier du mandat par lequel il a été saisi par son client ; que lorsque la partie en cause est une personne morale la présentation d'une action par un tel mandataire ne dispense pas le tribunal de s'assurer, en présence d'élément de nature à faire naître un doute sur la qualité des gérants, que son représentant justifie de sa qualité pour engager cette action ;
4. Considérant que le GAEC La Draïo di Pati se borne à alléguer de l'irrecevabilité de la demande de première instance déposée par le GAEC du Haut de Lauris pour défaut de mention du nom de la personne physique gérante ; qu'il ne fait valoir aucune circonstance de nature à justifier cette demande d'irrecevabilité ; que par suite aucune disposition, ni aucun principe n'impose que le nom du représentant légal d'une personne morale, dûment habilité par les statuts de cette dernière, figure sur la requête ; qu'en l'espèce la requête a été introduite par le GAEC en cause, pris en la personne de son gérant ; qu'au surplus et contrairement à ce que soutient le GAEC appelant, le nom des gérants est mentionné dans les pièces versées aux débats ; qu'ainsi, la fin de non-recevoir opposée par la partie demanderesse doit être, en l'absence de circonstance particulière nécessitant de s'assurer de la qualité pour agir du représentant de cette personne morale, écartée ;
5. Considérant, en troisième lieu, que les circonstances soulevées en cause d'appel et venant à l'appui de la fin de non-recevoir sur le défaut d'intérêt pour agir, selon lesquelles, d'une part, le GAEC du Haut de Lauris a été autorisé à exploiter d'autres parcelles que celles effectivement accordées et objets du litige, d'autre part, que l'autorisation dont il bénéficie a été assortie d'une réserve ou d'une condition, et enfin que le demandeur de première instance n'a pas cherché à réclamer l'annulation des autres autorisations accordées par le préfet, notamment celle de Mme F..., de Mme E... et de Mme B..., à l'issue de la même réunion de la commission départementale, sont sans incidence sur le litige ; que le moyen selon lequel le GAEC ne peut se voir attribuer la qualité de candidat évincé dès lors qu'il a obtenu une autorisation d'exploiter sur les mêmes terres ne fait pas davantage obstacle à la reconnaissance de son intérêt à agir ; que, dès lors, il y a lieu d'écarter la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité donnant au GAEC du Haut de Lauris intérêt à agir, opposée par le GAEC La Draïo di Pati ;
6. Considérant, en quatrième et dernier lieu, que le dernier moyen, soulevé par le GAEC La Draïo di Pati et tiré de ce que la décision du 7 novembre 2013 en litige ne fait pas grief, doit être écarté pour les motifs retenus par les premiers juges, qu'il y a lieu d'adopter ;
Sur les conclusions d'annulation de la décision du 7 novembre 2013 :
7. Considérant que le GAEC La Draïo di Pati demande à la Cour, dans sa requête d'appel, l'annulation de la décision d'exploiter octroyée au GAEC du Haut de Lauris du 7 novembre 2013 ; que de telles conclusions, nouvelles en appel, sont, par suite, irrecevables et doivent être rejetées ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
8. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction alors applicable : " L'autorité administrative se prononce sur la demande d'autorisation en se conformant aux orientations définies par le schéma directeur départemental des structures agricoles applicable dans le département dans lequel se situe le fonds faisant l'objet de la demande. Elle doit notamment ; /1° Observer l'ordre des priorités établi par le schéma départemental entre l'installation des jeunes agriculteurs et l'agrandissement des exploitations agricoles, en tenant compte de l'intérêt économique et social du maintien de l'autonomie de l'exploitation faisant l'objet de la demande (...) " ; que cette disposition précise in fine que " l'autorisation peut n'être délivrée que pour une partie de la demande, notamment si certaines des parcelles sur lesquelles elle porte font l'objet d'autres candidatures prioritaires. Elle peut également être conditionnelle ou temporaire " ; que le schéma directeur des structures agricoles du département des Alpes-de-Haute-Provence, arrêté le 15 juillet 2013 par le préfet, qui détermine les orientations de la politique d'aménagement des structures des exploitations agricoles au sein de ce territoire et fixe l'ordre de priorité au regard duquel, en fonction de ces orientations, les autorisations d'exploiter sont accordées, mentionne en l'occurrence dans son article 1-b relatif à l'ordre des priorités au premier rang, la " réinstallation d'un agriculteur exproprié ou évincé sur une superficie comparable à celle qu'il mettait en valeur " ;
9. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions que le préfet, saisi de demandes concurrentes d'autorisation d'exploiter portant sur les mêmes terres, doit, pour statuer sur ces demandes, observer l'ordre des priorités établi par le schéma directeur départemental des structures agricoles ; qu'il peut être conduit à délivrer plusieurs autorisations lorsque plusieurs candidats à la reprise relèvent du même rang de priorité et qu'aucun autre candidat ne relève d'un rang supérieur ; que, dans cette hypothèse, la législation sur le contrôle des structures des exploitations agricoles est sans influence sur la liberté du propriétaire des terres de choisir la personne avec laquelle il conclura un bail ; que le préfet ne peut légalement accorder successivement à deux agriculteurs l'autorisation d'exploiter les mêmes parcelles qu'à la condition que sa seconde décision soit prise au bénéfice d'un agriculteur dont la demande, soit relève du même rang de priorité, soit doit être regardée comme plus prioritaire que la première demande en application des dispositions du schéma directeur des structures agricoles ;
10. Considérant, tout d'abord, que dès lors que la notion d'ordre de priorité et de rang dans cet ordre ne sont pas fonction de la chronologie de délivrance des autorisations sur des mêmes terres, le GAEC appelant ne peut soutenir qu'il devait nécessairement se voir attribuer le premier ordre de priorité au regard de son autorisation obtenue antérieurement à celle du GAEC du Haut de Lauris ;
11. Considérant, ensuite, qu'il ressort de la lecture de la décision en litige que l'autorité préfectorale, après avoir rappelé les différentes opérations de cession de terres réalisées par le GAEC La Draïo di Pati à la fin de l'année 2012, pour une surface globale d'environ 640 hectares, a indiqué que la demande d'exploiter les 54 hectares présentée par ce dernier relevait " d'une reconstitution partielle des cessions opérées depuis fin 2012 au bénéfice de plusieurs installations ou de la réinstallation d'un GAEC évincé, et ayant conduit le GAEC à la perte de plus du double de la surface demandée " ; que toutefois, il ressort de l'instruction que sur les quelques 640 hectares exploités antérieurement par ce GAEC, seules les parcelles sises au Petit Devançon d'une surface de 26 hectares ont été laissées, à la date du 1er janvier 2014, par véritable éviction au sens du schéma départemental, le reste ayant été cédé volontairement par le Groupement ; qu'ainsi, comme l'ont jugé à bon droit les premiers juges, la cession volontaire de terres par un agriculteur ne saurait être assimilée à une expropriation ou à une éviction ; que, dès lors, la circonstance selon laquelle le GAEC La Draïo di Pati a procédé à plusieurs opérations de cession volontaire de terres ne pouvait valablement être prise en compte pour le faire regarder comme relevant, dans cette mesure, du premier rang de priorité au sens de l'article 1-b de l'arrêté du 15 juillet 2013 précité ;
12. Considérant, enfin, que si le GAEC La Draïo di Pati justifiait néanmoins de la réalité d'une éviction, à hauteur de 26 hectares, susceptible de le rendre éligible au premier rang de priorité tel que fixé par le schéma directeur départemental des structures agricoles, le préfet était toutefois tenu d'appliquer les dispositions de l'article 1 b) du schéma départemental, et donc d'examiner si le GAEC La Draïo di Pati se " réinstallait sur une superficie comparable à celle qu'il mettait en valeur " ; que le préfet ne pouvait donc pas accorder l'autorisation sur la totalité des surfaces réclamées, lesquelles ne sont pas comparables aux seuls 26 hectares éligibles ; que, comme l'ont retenu à juste titre les premiers juges, en motivant l'autorisation accordée au GAEC La Draïo di Pati par la " reconstitution partielle des cessions opérées depuis fin 2012 au bénéfice de plusieurs installations (...) ayant conduit le GAEC à la perte de plus du double de la surface demandée ", le préfet, non seulement n'a pas appliqué le second terme de la condition posée par l'article 1 b) du schéma, mais a appliqué un critère ne figurant pas dans ledit schéma ;
13. Considérant, en second lieu, qu'il s'ensuit que le GAEC appelant ne peut soutenir, en tout état de cause, qu'une annulation totale de son autorisation contreviendrait au principe de proportionnalité ;
14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le GAEC La Draïo di Pati n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ;
16. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais qu'elles ont exposés en raison de la présente instance et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête du GAEC La Draïo di Pati est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le GAEC du Haut de Lauris au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) La Draïo di Pati et au groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) du Haut de Lauris.
Copie en sera adressée au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et au préfet des Alpes-de-Haute-Provence.
Délibéré après l'audience du 5 février 2018, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Marcovici, président assesseur,
- M. Pecchioli, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 février 2018.
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N° 16MA02426