Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F... A...a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner la commune de Limoux à lui verser la somme de 20 500 euros à raison des préjudices subis du fait du décès de son fils, C...E..., survenu le 4 juin 2012.
Par un jugement n° 1504211 du 28 mars 2017, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de Mme A.dans la limite du montant total des indemnités demandées en première instance, augmenté le cas échéant, pour tenir compte des éléments de préjudice apparus postérieurement au jugement, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 29 mai 2017, 22 et 30 mars 2018, sous le n° 17MA02147, Mme F...A..., représentée par Me D..., demande à la Cour :
1°) avant dire droit d'ordonner une expertise sur pièces ;
2°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 28 mars 2017 ;
3°) d'annuler la décision implicite de rejet du maire de la commune de Limoux de sa demande indemnitaire ;
4°) de condamner la commune de Limoux à lui verser la somme de 25 500 euros au titre des préjudices qu'elle a subis à la suite du décès de son fils C...E...;
5°) de mettre à la charge de la commune de Limoux la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens comprenant les mesures d'expertises ;
Elle soutient que :
- la requête de première instance est recevable ;
- les conclusions d'appel tendant au paiement des frais d'expertise et les conclusions indemnitaires dont le montant a été augmenté sont également recevables ;
- la commune doit être déclarée responsable d'une faute de service et d'une faute dans l'organisation du service constitutive d'un défaut de surveillance et d'un retard de prise en charge d'C... E...;
- la surveillance n'a pas été constante, méconnaissant ainsi les dispositions de l'article L. 322-7 du code du sport ;
- il était notable, eu égard à la configuration des lieux en forme de " L ", que la présence d'un seul maître nageur était insuffisante pour surveiller les deux bassins ;
- la perte de chance de survie du jeune C...trouve sa cause dans le retard de prise en charge due à un défaut de surveillance et à une immersion prolongée comme en atteste la présence d'eau dans les poumons ;
- elle a réévalué son préjudice eu égard à la difficulté de faire son deuil ;
- son préjudice d'affection et d'accompagnement devront être réparés ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 mars 2018, la commune de Limoux conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- la requête de première instance est irrecevable ;
- les conclusions en déclarations de droit, celles tendant à la condamnation de la commune de Limoux à prendre en charge les frais d'expertise et celles, indemnitaires, portant sur un nouveau chef de préjudice sont irrecevables ;
- elle n'a pas commis de faute ;
- le décès d'C... E...est dû à un arrêt cardiaque ;
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions, soulevés pour la première fois en appel, tendant à l'annulation du courrier du 28 janvier 2015 de la commune de Limoux ;
Par un mémoire enregistré le 6 juin 2018, Mme A... a répondu au moyen d'ordre public.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du sport ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pecchioli,
- les conclusions de M. Revert, rapporteur public ;
- et les observations de Me G..., substituant Me D..., représentant Mme A..., et celles de Me B..., représentant la commune de Limoux.
1. Considérant que Mme F...A..., mère d'C...E..., demande à la Cour d'annuler le jugement du 28 mars 2017 du tribunal administratif de Montpellier, qui a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commune de Limoux a rejeté sa demande tendant à obtenir réparation du préjudice subi suite au décès de son fils, C...E..., survenu le 4 juin 2012 et, d'autre part, à la condamnation de la commune à lui verser la somme de 25 500 euros au titre de la réparation de ce préjudice ;
Sur les fins de non-recevoir soulevés en défense :
2. Considérant, en premier lieu et d'une part qu'aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée.(...) " ; qu'aux termes de l'article R. 421-2 du même code : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, le silence gardé pendant plus de deux mois sur une réclamation par l'autorité compétente vaut décision de rejet (...) " ; que, d'autre part, tout litige indemnitaire a pour fondement la reconnaissance d'un principe de responsabilité ; que, par ailleurs, si la liaison du contentieux impose l'existence d'une demande préalable indemnitaire, aucun disposition légale, ni aucun principe ne fait obligation au justiciable de demander devant le juge administratif l'annulation d'une décision explicite ou implicite de rejet d'indemnisation en plus de la demande de condamnation à voir réparer son préjudice ; que le présent litige, mettant en cause la responsabilité de la commune de Limoux suite au décès d'un usager de la piscine municipale, ressort par nature du plein contentieux indemnitaire ; que par suite Mme A... n'avait pas l'obligation, sous peine d'irrecevabilité, de demander au juge de première instance l'annulation de la décision de rejet de sa demande d'indemnisation en date du 24 novembre 2014 ; que cette fin de non-recevoir doit être écartée ;
3. Considérant, en deuxième lieu, que s'il n'appartient pas à la juridiction administrative d'accueillir des conclusions en déclaration de droits, les formules utilisées dans la requête de Mme A... visant à " dire et juger " recevable la requête de première instance et la requête d'appel et de " juger " que la commune de Limoux est responsable d'une faute de service et d'une faute dans l'organisation du service constitutive d'un défaut de surveillance et d'un retard de prise en charge du jeune homme décédé ne sauraient s'analyser en des conclusions, dès lors qu'il s'agit de moyens au soutien de conclusions indemnitaires de réparation du préjudice que la plaignante estime avoir subi ; que la fin de non recevoir tirée de l'irrecevabilité des conclusions en déclaration de droit doit donc être, dans cette mesure, écartée ;
4. Considérant, en troisième lieu et d'une part, qu'aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. " ; que, d'autre part, les conclusions nouvelles sont irrecevables en cause d'appel ; que la demande de paiement au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, même formulée pour la première fois en cause d'appel, n'est pas assimilable à des conclusions, dès lors qu'il appartient au juge de se prononcer d'office sur la charge des dépens ; que la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de la demande tendant à la condamnation de la commune de Limoux à prendre en charge les frais d'expertise doit être, par suite, écartée ;
5. Considérant, en quatrième et dernier lieu, que toute personne qui a demandé au tribunal administratif la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une collectivité publique est recevable à en détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors qu'ils se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent dans la limite du montant total des indemnités demandées en première instance, augmenté le cas échéant, pour tenir compte des éléments de préjudice apparus postérieurement au jugement, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle; que pour justifier la réévaluation du montant de ses prétentions indemnitaires en appel, Mme A... explique " éprouver des difficultés à faire le deuil de son fils qui venait d'être majeur, la veille de son décès " ; que toutefois, l'appelante ne fait ainsi pas état d'un dommage qui se serait aggravé ou qui se serait révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement qu'elle attaque, lesquelles constituent les deux seules hypothèses permettant à un justiciable de majorer de manière recevable des prétentions en cause d'appel ; que ces conclusions, non justifiées par une évolution du préjudice postérieure au jugement attaqué, sont dans cette mesure nouvelles et, par suite, irrecevables ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la responsabilité de la commune de Limoux :
6. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 322-7 du code du sport : " Toute baignade et piscine d'accès payant doit, pendant les heures d'ouverture au public, être surveillée d'une façon constante par du personnel qualifié titulaire d'un diplôme délivré par l'Etat et défini par voie réglementaire. " ; que, d'autre part, la responsabilité d'une commune peut être recherchée sur le fondement d'une faute née d'une surveillance défectueuse ou d'une méconnaissance des exigences relatives à la sécurité, de la part du personnel communal chargé d'assurer la surveillance de la piscine ;
7. Considérant que le mardi 29 mai 2012, C...E..., âgé de 18 ans, s'entraînait avec des camarades de classe, dans la piscine communale de Limoux , pour l'épreuve de natation du baccalauréat, qui devait avoir lieu le lendemain ; que peu de temps après le départ de ses condisciples, le jeune garçon, qui avait décidé de continuer de nager seul, a été repéré inanimé au fond du bassin par une nageuse qui a donné l'alerte auprès d'un autre nageur puis en lançant un appel " à l'aide " général ; qu'il a été alors secouru, tout d'abord par le nageur du public puis par la maître nageuse et enfin par un pompier volontaire présent sur place qui lui a administré les premiers secours ; que contactés téléphoniquement sont arrivés ensuite les sapeurs pompiers de Limoux et le SMUR ; que s'il a pu récupérer un rythme cardiaque après vingt-huit minutes de massage, C...E...est finalement décédé le 4 juin 2012 au centre hospitalier universitaire Purpan ;
8. Considérant que lorsque M. C... E...a été découvert par la nageuse du public il gisait, immergé au fond du bassin principal ; que la nageuse a déclaré aux enquêteurs de la gendarmerie qu'aux alentours de 20h05 - 20h10, alors qu'elle nageait dans la ligne des nageurs rapides, situé au milieu du bassin, elle a aperçu de l'autre côté du bassin le jeune garçon qui récupérait en bout de ligne ; qu'après avoir nagé quatre ou cinq longueurs, elle aperçut le jeune garçon au fond de l'eau pratiquant, selon elle, l'apnée ; qu'une fois sa longueur terminée, le voyant toujours au fond de l'eau elle avisa un nageur situé à proximité puis appela au secours ; que selon la maître nageuse, qui se trouvait à l'autre bout du bassin, et le procès-verbal d'enquête préliminaire, l'alerte fut donnée à 20h20 ;
9. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la difficulté de surveillance des deux bassins intérieurs par un seul maître nageur avait été notamment signalée quelques semaines auparavant auprès du maire de la commune de Limoux par une maître nageuse de la piscine qui estimait que la configuration et la surface du complexe aquatique intérieur étaient trop grandes pour un seul et unique surveillant ; que cette difficulté a été également soulignée par la maître nageuse présente aux moment des faits ; qu'alors C...E...n'avait pas pour habitude de pratiquer l'apnée, laquelle était d'ailleurs interdite par le règlement de la piscine de Limoux, la circonstance que la perte de connaissance d'C... E...n'ait été découverte qu'après plusieurs minutes et par une nageuse du public laquelle a alerté un autre nageur, relève une surveillance défectueuse et ce même s'il n'appartenait pas à la maître nageuse de surveiller spécialement le jeune garçon ;
10. Considérant toutefois que si la faute a retardé l'administration des secours et a ainsi pu compromettre les chances de sauver le nageur, l'état du dossier ne permet pas d'identifier de manière décisive les causes du décès dès lors que selon certains documents produits l'arrêt cardiaque a provoqué des lésions cérébrales importantes et la noyade n'est pas la cause directe du décès alors que d'autres concluent à la noyade, relevant que de l'eau a été retrouvée dans les poumons de la victime, que la mauvaise oxygénation tissulaire, due à une immersion prolongée de plusieurs minutes, est à l'origine d'une ischémie des différents organes et que l'impossibilité d'utiliser le défibrillateur trouve sa cause dans une absence prolongée d'alimentation du cerveau en oxygène ; qu'en l'état de l'instruction et des pièces du dossier médical, La Cour n'est pas à même de déterminer le rôle respectif de l'arrêt cardiaque et de l'immersion prolongée dans l'eau dans la survenance du décès et par voie de conséquence le pourcentage éventuel de perte de chance de survie liée au retard de prise en charge ; qu'ainsi, il y a lieu d'ordonner une expertise sur ce point aux fins précisées ci-après ;
D É C I D E :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur la requête de Mme A..., procédé à une expertise médicale sur pièces par un collège de deux experts en vue d'éclairer la Cour sur la nature et les causes exactes du décès, survenu le 4 juin 2012, d'C...E.dans la limite du montant total des indemnités demandées en première instance, augmenté le cas échéant, pour tenir compte des éléments de préjudice apparus postérieurement au jugement, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle
Article 2 : Le collège d'expert composé, d'une part, d'un médecin spécialisé en réanimation et, d'autre part, d'un cardiologue, seront désignés par la présidente de la Cour. Ils accompliront la mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-6-4 du code de justice administrative au contradictoire de Mme A... et de la commune de Limoux.
Article 3 : Les experts auront pour mission :
1°) de se faire communiquer et de prendre connaissance de l'entier dossier médical de la victime et de toutes pièces utiles, y compris de la note médicale du docteur Jimenez du 30 novembre 2017 ainsi que du dossier médical de la victime de l'hôpital Purpan de Toulouse. Les experts disposeront des pouvoirs d'investigations les plus étendus. Ils pourront entendre tous sachants, se faire communiquer tous documents et renseignements, faire toutes constatations ou vérifications propres à faciliter l'accomplissement de leur mission et éclairer la Cour.
2°) de rechercher, à l'aide de l'ensemble des pièces médicales, les causes du décès d'C...E.dans la limite du montant total des indemnités demandées en première instance, augmenté le cas échéant, pour tenir compte des éléments de préjudice apparus postérieurement au jugement, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle
3°) de déterminer le plus précisément possible les conséquences du délai de plusieurs minutes qui s'est écoulé entre le moment où l'arrêt cardiaque est survenu et la prise en charge du jeune garçon par le sapeur pompier volontaire présent sur les lieux, dont il conviendra de préciser un temps minimal et un temps maximal en fonction des données du dossier, en indiquant si le retard de prise en charge retenu, a fait perdre à C...E...une chance de survie ; si tel est le cas, répertorier les éléments permettant de chiffrer la perte de chance en pourcentage.
4°) Les experts pourront avec l'autorisation de la présidente de la Cour se faire assister par tout sapiteur de leur choix.
5°) Les experts établiront, en bonne pratique, un pré-rapport qu'ils notifieront aux parties en leur impartissant un délai pour présenter leurs dires.
Article 4 : Préalablement à toute opération, les experts prêteront serment dans les formes prévues à l'article R. 621-3 du code de justice administrative.
Article 5 : Les experts déposeront un rapport unique au greffe en deux exemplaires dans un délai de cinq mois à compter de la notification de l'ordonnance le désignant. Des copies seront notifiées par l'expert aux parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique. Les experts justifieront auprès de la Cour de la date de réception de son rapport par les parties.
Article 6 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statués en fin d'instance.
Article 7 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... A...et à la commune de Limoux.
Délibéré après l'audience du 11 juin 2018, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Marcovici, président assesseur,
- M. Pecchioli, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 25 juin 2018.
N° 17MA02147