La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/06/2020 | FRANCE | N°19MA03601

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 19 juin 2020, 19MA03601


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Nice, par deux recours distincts, d'une part, d'annuler la décision du 3 février 2017 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle Ouest des Alpes-Maritimes a autorisé la SARL Broadcom à la licencier pour motif économique ainsi que la décision implicite de rejet née du silence gardé par la ministre du travail sur le recours hiérarchique qu'elle a formé contre cette décision de l'inspecteur du travail, d'autre part, d'annuler la décis

ion du 10 novembre 2017 par laquelle la ministre du travail a confirmé sa déc...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Nice, par deux recours distincts, d'une part, d'annuler la décision du 3 février 2017 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle Ouest des Alpes-Maritimes a autorisé la SARL Broadcom à la licencier pour motif économique ainsi que la décision implicite de rejet née du silence gardé par la ministre du travail sur le recours hiérarchique qu'elle a formé contre cette décision de l'inspecteur du travail, d'autre part, d'annuler la décision du 10 novembre 2017 par laquelle la ministre du travail a confirmé sa décision implicite de rejet.

Par un jugement n° 1704064, 1800135 du 4 juin 2019, le tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 31 juillet 2019, Mme C..., représentée par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 4 juin 2019 ;

2°) d'annuler la décision du 3 février 2017 de l'inspecteur du travail ;

3°) d'annuler la décision implicite de rejet de la ministre du travail ainsi que la décision du 10 novembre 2017 par laquelle celle-ci a confirmé sa décision implicite de rejet ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'inspecteur du travail a méconnu le caractère contradictoire de la procédure ;

- la cessation d'activité de la SARL Broadcom n'est ni totale ni définitive ;

- l'employeur n'a pas satisfait à son obligation de reclassement ;

- son licenciement présente un caractère discriminatoire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 décembre 2019, la SARL Broadcom, représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de Mme C... la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coutier, premier conseiller,

- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., représentant Mme C..., et de Me E..., représentant la SARL Broadcom.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... relève appel du jugement du 4 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation, d'une part, de la décision du 3 février 2017 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la société Broadcom à la licencier pour motif économique ainsi que de la décision implicite par laquelle la ministre du travail a rejeté son recours hiérarchique contre la décision de l'inspecteur du travail, d'autre part, de la décision du 10 novembre 2017 par laquelle la ministre du travail a confirmé sa décision implicite de rejet.

2. En premier lieu, en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. A l'effet de concourir à la mise en oeuvre de la protection ainsi instituée, l'article R. 242111 du code du travail dispose que l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé " (...) procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat. (...) ". Si le caractère contradictoire de l'enquête administrative prévue par les dispositions précitées implique de mettre à même le salarié de prendre connaissance, en temps utile, de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement ainsi que des éléments déterminants qui ont pu être recueillis par l'inspecteur du travail au cours de l'instruction de cette demande, il n'impose pas à l'administration de lui communiquer, de sa propre initiative ou dans tous les cas, l'ensemble de ces pièces et éléments.

3. Il ressort des pièces du dossier que l'enquête contradictoire s'est déroulée le 17 janvier 2017 dans les locaux de l'inspection du travail. Il n'est pas allégué par Mme C... qu'elle n'aurait pas été mise à même de prendre connaissance, en temps utile, de l'ensemble des pièces produites par la SARL Broadcom à l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement, notamment des motifs économiques invoqués par son employeur et des recherches de reclassement auxquelles il a procédé. Il ressort également des pièces du dossier que l'inspecteur du travail lui a adressé le 27 janvier 2017, soit antérieurement à l'édiction de sa décision, la note par laquelle l'employeur a entendu apporter des réponses aux observations que Mme C... a été mise à même de formuler dans le cadre de l'enquête contradictoire. La circonstance selon laquelle l'inspecteur du travail, à qui il appartient d'organiser librement son enquête, a décidé, alors qu'il transmettait à Mme C... cette note complémentaire de l'employeur, de clore ladite enquête dès lors qu'il estimait disposer d'éléments suffisants pour se prononcer sur la demande d'autorisation qui lui était soumise, n'est pas de nature à faire regarder cette enquête comme étant entachée d'une violation du principe du contradictoire ou des droits de la défense.

4. En deuxième lieu, dans le cas où la demande d'autorisation de licenciement présentée par l'employeur est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié.

5. A ce titre, lorsque la demande d'autorisation de licenciement pour motif économique est fondée sur la cessation d'activité de l'entreprise, il appartient à l'autorité administrative de contrôler que cette cessation d'activité est totale et définitive. Il ne lui appartient pas, en revanche, de contrôler si cette cessation d'activité est justifiée par l'existence de mutations technologiques, de difficultés économiques ou de menaces pesant sur la compétitivité de l'entreprise. Il incombe ainsi à l'autorité administrative de tenir compte, à la date à laquelle elle se prononce, de tous les éléments de droit ou de fait recueillis lors de son enquête qui sont susceptibles de remettre en cause le caractère total et définitif de la cessation d'activité. Il lui incombe également de tenir compte de toute autre circonstance qui serait de nature à faire obstacle au licenciement envisagé, notamment celle tenant à une reprise, même partielle, de l'activité de l'entreprise impliquant un transfert du contrat de travail du salarié à un nouvel employeur en application de l'article L. 1224-1 du code du travail. Lorsque l'entreprise appartient à un groupe, la seule circonstance que d'autres entreprises du groupe aient poursuivi une activité de même nature ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce que la cessation d'activité de l'entreprise soit regardée comme totale et définitive.

6. Il ressort des pièces du dossier que le groupe auquel appartenait la SARL Broadcom a engagé en février 2016 une restructuration d'ensemble au niveau mondial aboutissant à la fermeture définitive de l'entité juridique établie en France. Le groupe a en effet estimé que cette fermeture était rendue possible dans la mesure où il ne disposait pas de site industriel en France et que la satisfaction des besoins des clients pourrait être assurée par d'autres entités européennes. S'agissant toutefois du secteur d'activité de support technique des clients, le groupe a conclu avec la société Avnet, qui commercialise en France des semi-conducteurs et des composants électroniques de différentes marques dont des composants Broadcom, un contrat de prestations de services. Il est par ailleurs constant que, dans le cadre de la recherche de reclassement opérée par la SARL Broadcom suite à la décision de procéder à la cessation définitive de cette entité, plusieurs salariés ont été recrutés par la société Avnet. Pour autant, la société Avnet ne commercialise pas uniquement des composants Broadcom et il ne ressort pas des pièces du dossier que les anciens salariés de la SARL Broadcom reclassés au sein de la société Avnet exerceraient des fonctions identiques à celles qu'ils exerçaient précédemment au sein de leur ancienne entreprise. La circonstance selon laquelle un de ces salariés a indiqué, par un message électronique adressé le 29 novembre 2016 à l'ensemble des correspondants Europe du groupe Broadcom, qu'il conservait ses principales fonctions et qu'il serait désormais joignable sur sa nouvelle adresse électronique " Avnet " ne saurait caractériser à elle seule, alors que les fonctions en question ne sont pas précisées et qu'il s'agit d'un témoignage unique, l'existence d'un transfert d'activité impliquant un transfert des contrats de travail au sens de l'article L. 1224-1 du code du travail, ni ne saurait révéler une intention de la SARL Broadcom de contourner les règles et principes applicables aux licenciements pour motif économique.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient. / Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ".

8. Pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié, au sein de l'entreprise puis dans les entreprises du groupe auquel elle appartient, ce dernier étant entendu comme comportant les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel. L'employeur doit s'efforcer de proposer au salarié des offres de reclassement écrites, précises et personnalisées, portant, si possible, sur un emploi équivalent. Le contexte d'une cessation d'activité de l'entreprise ne dispense pas l'employeur de l'obligation qui lui incombe de rechercher des offres personnalisées de reclassement pour le salarié au sein du groupe.

9. Il ressort des pièces du dossier, et n'est pas contesté par Mme C..., que la SARL Broadcom lui a proposé neuf postes correspondant à ses qualifications au titre de l'effort de reclassement. La circonstance, à la supposée avérée, selon laquelle l'acceptation de ces propositions conduirait à une baisse sensible de sa rémunération et occasionnerait la prise en charge de frais importants n'est pas de nature à mettre en cause la réalité de cet effort de reclassement. Il en est de même du fait que certains postes disponibles au sein des entités du groupe ne lui auraient pas été proposés. Enfin, la société Avnet n'appartenant pas au groupe dont faisait partie la SARL Broadcom, cette dernière n'avait aucune obligation de proposer à l'intéressée un reclassement au sein de cette société. Il y a lieu, par suite, d'écarter le moyen tiré de la méconnaissance par l'employeur de son obligation de reclassement.

10. En dernier lieu, le moyen tiré de ce que la procédure de licenciement serait en lien avec l'exercice par Mme C... de son mandat et présenterait un caractère discriminatoire doit être écarté par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

12. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SARL Broadcom, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par Mme C..., au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de Mme C... la somme demandée par la SARL Broadcom, au même titre.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la SARL Broadcom présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C..., à la SARL Broadcom et à la ministre du travail.

Copie en sera adressée à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Délibéré après l'audience du 5 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- M. Guidal, président-assesseur,

- M. Coutier, premier conseiller.

Lu en audience publique le 19 juin 2020.

2

N° 19MA03601

bb


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA03601
Date de la décision : 19/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-03-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour motif économique. Obligation de reclassement.


Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: M. Bruno COUTIER
Rapporteur public ?: M. CHANON
Avocat(s) : CRAPART

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-06-19;19ma03601 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award