Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée Eiffage Energie Thermie Méditerranée et sa sous-traitante, la société à responsabilité limitée Isolis, ont demandé au tribunal administratif de Nice de condamner solidairement la société par actions simplifiée Ingérop Conseil et Ingénierie, la société par actions simplifiée Dumez Côte d'Azur et la société par actions simplifiée unipersonnelle Fayat Bâtiment à leur payer les sommes de 91 671,89 et de 232 945,84 euros en réparation du préjudice résultant des dommages causés aux ouvrages qu'elles ont construits par des infiltrations survenues sous étanchéité provisoire.
Par un jugement n° 1704735 en date du 11 juin 2021, le tribunal administratif de Nice a, en premier lieu, condamné la société Ingérop Conseil et Ingénierie à payer une somme de 55 003,14 euros à la société Eiffage Energie Thermie Méditerranée, en deuxième lieu, condamné cette même société à payer une somme de 139 767,50 euros à la société Isolis, en troisième lieu, mis les frais d'expertise taxés et liquidés à sa charge définitive à hauteur de 3 000,08 euros et, en quatrième lieu, rejeté ses demandes présentées à titre reconventionnel et tendant à la condamnation solidaire des sociétés Eiffage, Egis et Dumez à lui payer la somme de 35 065,57 euros au titre des frais de main d'œuvre supplémentaire occasionnés par la réalisation des travaux de reprise.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête, enregistrée le 13 juillet 2021 sous le n° 21MA02717, un mémoire enregistré le 27 février 2022 et un mémoire récapitulatif enregistré le 15 septembre 2022, la société Ingérop Conseil et Ingénierie, représentée par Me Jeambon, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la société Eiffage Energie Thermie Méditerranée et la société par actions simplifiée Dumez Côte d'Azur à lui payer la somme de 35 065,57 euros hors taxes ;
3°) de condamner la société Eiffage Energie Thermie Méditerranée et la société Isolis à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
4°) à titre subsidiaire, de condamner la société Dumez Côte d'Azur, la société par actions simplifiée Egis Bâtiment Management, la société par actions simplifiée Reichen et Robert et Associés Architectes Urbanistes et la société par actions simplifiée Carta Associés à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre.
Dans le dernier état de ses écritures, la société soutient que :
- l'action de la société Isolis est prescrite ;
- les demandes de première instance d'Eiffage Energie Thermie Méditerranée (EETM) et d'Isolis sont irrecevables, dès lors qu'elles font double emploi avec les réclamations adressées au maître de l'ouvrage ;
- le montant du préjudice n'est pas incontestablement déterminé ;
- la société EETM a déjà été indemnisée de son préjudice par le protocole d'accord conclu avec le maître de l'ouvrage ;
- elle n'a pas commis de faute ;
- la part de responsabilité qui lui a été attribuée est excessive ;
- l'expert n'a pas rempli la mission qui lui avait été confiée ;
- les intérêts moratoires couraient seulement à compter de la date du jugement et leur capitalisation à compter du jour anniversaire de cette date ;
- le cas échéant, elle est fondée à appeler en garantie les sociétés Egis, Dumez, Reichen et Robert et Carta Associés à raison de leurs fautes respectives ;
- ayant été contrainte d'assumer la maîtrise d'œuvre des travaux de reprise des gaines de désenfumage endommagées, elle est en conséquence fondée à demander le remboursement de la somme de 35 065,57 euros hors taxes à la société EETM, responsable des travaux jusqu'à la réception.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2022, et deux mémoires récapitulatifs enregistrés le 13 septembre 2022 et le 28 octobre 2022, la société Isolis, M. B... A..., en qualité de mandataire judiciaire de cette société, et le cabinet de Saint-Rapt et Bertholet, administrateurs judiciaires, tous représentés par la SELARL Maillot Avocats et Associés, concluent à la confirmation du jugement, au rejet de la requête d'appel, au rejet des conclusions présentées à titre principal par les sociétés Dumez Côte d'Azur et Fayat Bâtiment, et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Ingérop Conseil et Ingénierie en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que les moyens de l'appel sont infondés.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 24 février 2022 et le 28 septembre 2022, la société Reichen et Robert et Associés Architectes Urbanistes et la société Carta Associés, représentées par Me Broglin, concluent au rejet des conclusions d'appel en garantie dirigées contre elles et à ce qu'une somme de 3 000 euros, outre les dépens, soit mise à la charge de la société Ingérop en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que les moyens présentés à l'appui de l'appel en garantie dirigé contre eux sont infondés, et que cet appel en garantie est prescrit.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 octobre 2022, la société Egis Bâtiments Management, représentée par la SELARL Dechelette Avocat, conclut à la confirmation du jugement et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Ingérop Conseil et Ingénierie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société soutient que les moyens de l'appel présentés à son encontre sont infondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 octobre 2022, la société Dumez Côte d'Azur et la société Fayat Bâtiment, toutes deux représentées par la SELARL LLC et Associés, demandent à la Cour :
1°) de joindre les instances nos 21MA03316 et 21MA02717 ;
2°) d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il leur fait grief ;
3°) de rejeter les demandes présentées par les sociétés Isolis et EETM ;
4°) de rejeter l'appel en garantie présenté par la société Ingérop Conseil et Ingénierie ;
5°) de mettre à la charge des sociétés EETM et Isolis la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
6°) à titre subsidiaire, de confirmer le jugement en tant qu'il attribue une part de responsabilité de 60 % à la société Ingérop Conseil et Ingénierie ;
7°) de mettre à la charge de cette dernière la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Les sociétés soutiennent que :
- les moyens d'appel présentés à leur encontre sont infondés ;
- l'action de la société Isolis à leur encontre est prescrite ;
- les demandes des sociétés EETM et Isolis sont irrecevables ;
- les critiques faites par l'appelante à l'encontre du rapport d'expertise sont fondées.
Par une lettre en date du 24 août 2022, la Cour a informé les parties qu'il était envisagé d'inscrire l'affaire à une audience qui pourrait avoir lieu entre le 1er novembre 2022 et le 31 décembre 2022, et que l'instruction était susceptible d'être close par l'émission d'une ordonnance à compter du 15 septembre 2022.
Par ordonnance en date du 7 novembre 2022, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.
II. Par une requête, enregistrée le 13 juillet 2021 sous le n° 21MA02801, et un mémoire enregistré le 27 février 2022, la société Ingérop Conseil et Ingénierie, représentée par Me Jeambon, demande à la Cour de décider le sursis à exécution du jugement attaqué en ce qu'il la condamne au bénéfice de la société Isolis.
Elle soutient que l'exécution du jugement attaqué risquant de l'exposer à la perte définitive d'une somme qui ne devrait pas rester à sa charge dans le cas où ses conclusions d'appel seraient accueillies, elle est fondée à en demander le sursis à exécution en application de l'article R. 811-16 du code de justice administrative.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2022, la société Isolis, M. B... A..., en qualité de mandataire judiciaire de cette société, et le cabinet de Saint-Rapt et Bertholet, administrateurs judiciaires, tous représentés par la SELARL Maillot Avocats et Associés, concluent au rejet de cette requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société Ingérop Conseil et Ingénierie en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que les moyens de la requête sont infondés.
Par un mémoire, enregistré le 24 février 2022, la société Reichen et Robert et Associés Architectes Urbanistes et la société Carta Associés, représentées par Me Broglin, déclarent s'en remettre à la Cour sur les mérites de la demande de sursis à exécution.
Par ordonnance en date du 15 février 2022, la clôture de l'instruction dans cette affaire a été fixée au 15 mars 2022 à midi.
III. Par une requête, enregistrée le 4 août 2021 sous le n° 21MA03316, la société Dumez Côte d'Azur et la société Fayat Bâtiment, toutes deux représentées par la SELARL LLC et Associés, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il leur fait grief ;
2°) de rejeter les demandes présentées par les sociétés Isolis et EETM ;
3°) de rejeter l'appel en garantie présenté par la société Ingérop Conseil et Ingénierie ;
4°) de mettre à la charge des sociétés EETM et Isolis la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
5°) à titre subsidiaire, de confirmer le jugement en tant qu'il attribue une part de responsabilité de 60 % à la société Ingérop Conseil et Ingénierie ;
6°) de mettre à la charge de cette dernière la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Les sociétés soutiennent que :
- la demande de première instance de la société Isolis était irrecevable pour défaut de qualité pour agir de son représentant ;
- l'action de cette société à leur encontre est prescrite ;
- elles ne sont pas responsables, vis-à-vis des autres intervenants, des fautes commises par leurs sous-traitants ;
- les demandes indemnitaires présentées à leur encontre sont infondées ;
- les pluies intervenues le 15 novembre 2010 constituent un cas de force majeure ;
- à défaut, la responsabilité principale du maître d'œuvre sera confirmée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2022, et un mémoire récapitulatif enregistré le 9 décembre 2022, la société Isolis, M. B... A..., en qualité de mandataire judiciaire de cette société, et le cabinet de Saint-Rapt et Bertholet, administrateurs judiciaires, tous représentés par la SELARL Maillot Avocats et Associés, concluent à la confirmation du jugement, au rejet de la requête d'appel, au rejet des conclusions présentées à titre principal par la société Ingérop Conseil et Ingénierie et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge des sociétés Dumez Côte d'Azur et Fayat Bâtiment en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que les moyens de l'appel sont infondés.
Par un mémoire, enregistré le 27 février 2022, et un mémoire récapitulatif, enregistré le 15 décembre 2022, la société Ingérop Conseil et Ingénierie, représentée par Me Jeambon, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la société Eiffage Energie Thermie Méditerranée et la société par actions simplifiée Dumez Côte d'Azur à lui payer la somme de 35 065,57 euros hors taxes ;
3°) de condamner la société Eiffage Energie Thermie Méditerranée et la société Isolis à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
4°) à titre subsidiaire, de condamner la société Dumez Côte d'Azur, la société par actions simplifiée Egis Bâtiment Management, la société Reichen et Robert et Associés Architectes Urbanistes et la société Carta Associés à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre.
Elle présente les mêmes moyens que dans l'affaire susvisée au I°.
Par un mémoire, enregistré le 5 décembre 2022, la société Eiffage Energie Système - Clévia Méditerranée, anciennement dénommée Eiffage Energie Thermie Méditerranée, représentée par Me Aze, demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête d'appel ;
2°) de mettre à la charge solidaire des sociétés Ingérop Conseil et Ingénierie, Dumez Côte d'Azur et Fayat Bâtiment les dépens ainsi que la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société soutient que les moyens de l'appel sont infondés.
Par une lettre en date du 6 décembre 2022, la Cour a informé les parties qu'il était envisagé d'inscrire l'affaire à une audience qui pourrait avoir lieu entre le 1er février 2023 et le 31 mars 2023, et que l'instruction était susceptible d'être close par l'émission d'une ordonnance à compter du 1er janvier 2023.
Par ordonnance en date du 10 janvier 2023, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code civil ;
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- les observations de Me Castagnino, pour la société Isolis, pour Me Pierre A..., mandataire judiciaire de la société Isolis, et pour le cabinet Saint-Rapt et Bertholet, administrateur judiciaire de la société Isolis,
- les observations de Me Bernard pour la société Eiffage Energie Thermie Méditerranée,
- et les observations de Me Taillan pour les sociétés Dumez Côte d'Azur et Fayat Bâtiment.
Connaissance prise de la note en délibéré enregistrée le 13 février 2023, sous les n°s 21MA02717 et 21MA03316, présentée pour la société Isolis, pour Me Pierre A..., mandataire judiciaire de la société Isolis, et pour le cabinet Saint-Rapt et Bertholet, administrateur judiciaire de la société Isolis.
Considérant ce qui suit :
1. La société Eiffage Energie Thermie Méditerranée, à qui le centre hospitalier universitaire de Nice avait confié le lot n° 12 d'un marché public ayant pour objet l'extension de l'hôpital Pasteur à Nice, a sous-traité la pose des gaines de désenfumage à la société Isolis. Après avoir obtenu la désignation d'un expert pour se prononcer sur l'origine de désordres apparus lors des travaux, ces deux sociétés ont, au vu du rapport d'expertise rendu le 15 mars 2016, saisi le tribunal administratif de Nice d'une demande tendant à la condamnation de la société Ingérop Conseil et Ingénierie, membre du groupement de maîtrise d'œuvre, ainsi que des sociétés Dumez Côte d'Azur et Fayat Bâtiment, cotitulaires du lot " gros-œuvre ", à indemniser le préjudice subi. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif a, d'une part, condamné la société Ingérop Conseil et Ingénierie à payer une somme de 55 003,14 euros à la société Eiffage Energie Thermie Méditerranée et une somme de 139 767,50 euros à la société Isolis, et, d'autre part, condamné les sociétés Dumez Côte d'Azur et Fayat Bâtiment à payer 36 668,75 euros à la société Eiffage Energie Thermie Méditerranée (EETM) et 93 178,34 euros à la société Isolis. La société Ingérop Conseil et Ingénierie relève appel de ce jugement en tant qu'il la condamne et en tant qu'il rejette sa demande reconventionnelle. Les sociétés Dumez Côte d'Azur et Fayat Bâtiment relèvent également appel de ce jugement en tant qu'il leur fait grief.
1. Sur la jonction :
2. Les trois requêtes susvisées sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
2. Sur l'appel de la société Ingérop Conseil et Ingénierie :
2.1. En ce qui concerne la condamnation de la société Ingérop Conseil et Ingénierie au bénéfice de la société Isolis :
3. Aux termes de l'article 2224 du code civil : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. ". Aux termes de l'article 2239 du même code : " La prescription est (...) suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès. / Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée ".
4. Les deux sinistres dont la société Isolis demande l'indemnisation sont survenus, respectivement, au cours du mois d'août 2010 et au cours du mois de juin 2011.
5. Par une ordonnance n° 1203170 en date du 22 novembre 2012, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a fait droit à une demande d'expertise présentée par les sociétés SMEI Etanchéité et Golfe Etanchéité. Toutefois, cette demande d'expertise concernait exclusivement les désordres affectant les ouvrages que ces sociétés avaient réalisés et qui étaient destinés à assurer l'étanchéité définitive du bâtiment. Par une demande enregistrée le 17 décembre 2012 sous le n° 1204414, la société EETM a demandé au même juge que la mission confiée à l'expert soit étendue à l'examen des dégradations portées aux ouvrages réalisés par elle. Toutefois, dans cette demande, la société EETM n'a pas sollicité l'extension de l'expertise aux dommages causés, antérieurement au début de la mise en œuvre de l'étanchéité définitive, par les défauts affectant les dispositifs d'étanchéité provisoire. Dès lors, le mémoire en intervention volontaire présenté par la société Isolis le 9 janvier 2013, au soutien de cette demande d'extension présentée par la société EETM, n'a pu interrompre le délai de prescription s'agissant de l'action en réparation des désordres imputés aux titulaires du lot de gros-œuvre, responsables de la mise en œuvre de l'étanchéité provisoire, puisque ces désordres sont distincts de ceux faisant l'objet de l'expertise, ainsi que l'a d'ailleurs relevé l'ordonnance n° 14MA00519 en date du 24 avril 2014 du juge des référés de la cour administrative d'appel de Marseille. Si la société EETM a ultérieurement, par une seconde requête enregistrée le 30 septembre 2013 sous le n° 1304153, sollicité l'extension des opérations d'expertise aux désordres causés par les défauts affectant l'étanchéité provisoire du bâtiment à la charge des sociétés Dumez Côte d'Azur et Fayat Bâtiment, la société Isolis ne s'est pas associée à cette seconde démarche.
6. En l'absence de suspension, le délai de cinq ans prévu par les dispositions précitées de l'article 2224 du code civil a expiré au plus tard au cours de l'année 2016. La demande de première instance présentée par la société Isolis le 19 octobre 2017 était donc prescrite.
7. Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens présentés par la société Ingérop Conseil et Ingénierie à ce titre, celle-ci est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif l'a condamnée à payer une somme de 139 767,50 euros, assorties des intérêts et de la capitalisation, à la société Isolis, et a mis à sa charge une somme de 1 050 euros à verser à cette société au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2.2. En ce qui concerne la condamnation de la société Ingerop Conseil et Ingénierie au bénéfice de la société EETM :
2.2.1. S'agissant de la recevabilité de la demande de la société EETM :
8. La circonstance que la société EETM a saisi le maître de l'ouvrage d'un mémoire de réclamation sollicitant l'indemnisation des préjudices subis ne fait pas en soi obstacle à la recevabilité de l'action quasi-délictuelle dirigée contre les auteurs supposés de ces préjudices.
2.2.2. S'agissant du protocole d'accord signé le 30 novembre 2011 entre EETM et le maître de l'ouvrage :
9. Il n'est pas établi que ce protocole d'accord, par lequel le centre hospitalier universitaire et la société EETM ont mis fin au litige les opposant en contrepartie du versement d'une indemnité de 2 338 417 euros hors taxes, aurait spécifiquement dédommagé la société EETM des conséquences préjudiciables des fautes imputées à la société Ingérop Conseil et Ingénierie. L'action indemnitaire présentée à l'encontre de cette dernière conserve donc son objet.
2.2.3. S'agissant de la régularité de l'expertise :
10. Contrairement à ce que soutient la société Ingérop Conseil et Ingénierie, l'expert, n'étant pas en mesure de les constater par lui-même compte tenu de l'achèvement des travaux, pouvait renvoyer, pour la description des dommages, à l'annexe du rapport établi par l'expert mandaté par l'assureur " tous risques chantier " et s'approprier les conclusions du rapport établi le 23 février 2012, en cours de chantier, par le cabinet Avitech. Par ailleurs, dès lors que la société Isolis agissait en qualité de sous-traitant de la société EETM, l'expert n'a pas excédé sa mission en se prononçant sur les dommages causés aux ouvrages mis en œuvre par la société Isolis.
2.2.4. S'agissant de la faute imputée à la société Ingérop Conseil et Ingénierie :
11. Dans le cadre d'un litige né de l'exécution de travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n'est lié par aucun contrat, notamment s'ils ont commis des fautes qui ont contribué à l'inexécution de ses obligations contractuelles à l'égard du maître d'ouvrage, sans devoir se limiter à cet égard à la violation des règles de l'art ou à la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires.
12. La société Ingérop Conseil et Ingénierie fait valoir que le contrat conclu avec le maître de l'ouvrage ne mettait à sa charge exclusive ni la maîtrise d'œuvre du désenfumage et du gros-œuvre, ni la direction de l'exécution des travaux. Toutefois, ainsi que l'a relevé l'expert en page 35 de son rapport, l'annexe 2 de l'acte d'engagement du groupement de maîtrise d'œuvre précisait que " la direction et la gestion de chantier seront conduite par Ingérop avec l'appui de la direction de chantier architecte, pour le contrôle d'exécution architectural ". Il en résulte que, s'agissant des aspects non-architecturaux, la direction de l'exécution des travaux incombait bien exclusivement à la société Ingérop Conseil et Ingénierie. En outre, si l'annexe 3 du même acte d'engagement confie la maîtrise d'œuvre du lot " étanchéité - couverture " aux architectes, cette même annexe met à la charge de la société Ingérop Conseil et Ingénierie la maîtrise d'œuvre du lot " gros-œuvre ", qui inclut la mise en œuvre de l'étanchéité provisoire, ainsi que celle du lot " désenfumage ".
13. Par ailleurs, il ressort du rapport d'expertise que les désordres sont imputables, d'une part, au choix de la maîtrise d'œuvre de faire entreprendre la pose de gaines de désenfumage " Promat " sans que la mise hors d'eau définitive du bâtiment ait été réalisée, seule une étanchéité provisoire portant sur des points particuliers ayant été effectuée par les entreprises titulaires du lot " gros-œuvre " et, d'autre part, à un mauvais contrôle de l'étanchéité provisoire par le maître d'œuvre. En se bornant à faire valoir, en des termes généraux, que la mise en œuvre d'une étanchéité provisoire est habituelle, la société Ingérop Conseil et Ingénierie ne critique pas sérieusement les conclusions du rapport d'expertise.
14. La société Ingérop Conseil et Ingénierie n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont retenu qu'elle avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
2.2.5. S'agissant de la part de responsabilité de la société Ingérop Conseil et Ingénierie :
15. Il ressort du rapport d'expertise que les désordres résultent, principalement, de la faute commise par la société Ingérop Conseil et Ingénierie, qui avait prévu la réalisation des prestations sous étanchéité provisoire en dépit des risques inhérents à cette solution, et qui a mal contrôlé les dispositifs d'étanchéité provisoire mis en œuvre par le groupement titulaire du lot " gros-œuvre " ou leur sous-traitant, et, secondairement, de la faute de l'un de ces derniers, à raison des malfaçons dans la mise en œuvre de cette étanchéité provisoire. Compte tenu de ces fautes respectives, c'est à bon droit que les premiers juges ont laissé 60 % du préjudice à la charge de la société Ingérop Conseil et Ingénierie.
2.2.6. S'agissant du montant du préjudice :
16. En se bornant à soutenir que le montant du préjudice est indéterminé, la société Ingérop Conseil et Ingénierie n'apporte pas de critique sérieuse des montants évalués par l'expert et retenus par les premiers juges.
17. Il résulte de ce qui précède que la société Ingérop Conseil et Ingénierie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice l'a condamnée à payer la somme de 55 003,14 euros à la société EETM.
2.2.7. S'agissant des intérêts moratoires et de la capitalisation :
18. Les intérêts au taux légal alors prévus par l'article 1153 du code civil courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine.
19. Contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, les intérêts ne couraient pas à compter de la date du 9 septembre 2011, date du rapport établi par le cabinet Lippis, mais à compter de la date d'enregistrement de la requête de première instance, soit le 19 octobre 2017.
20. La société Ingérop Conseil et Ingénierie est donc fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont fait courir les intérêts à compter du 9 septembre 2011. En revanche, comme l'a jugé le tribunal administratif dans son jugement tel que rectifié par l'ordonnance du 17 juin 2021, ces intérêts devaient bien être capitalisés, comme le prévoit l'article 1154 du code civil, à la date du 19 octobre 2018 et à chaque échéance annuelle ultérieure.
2.2.8. S'agissant des appels en garantie :
21. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la société Ingérop Conseil et Ingénierie n'a été déclarée responsable du préjudice subi par la société EETM qu'à hauteur de 60 % du montant du préjudice, sous déduction de la part de responsabilité, de 40 %, retenue à l'encontre des cotitulaires du lot " gros-œuvre " ou de leur sous-traitant. La part de la condamnation prononcée à l'encontre de la société Ingérop Conseil et Ingénierie correspondant à sa seule faute, celle-ci n'est donc pas fondée à appeler la société Dumez Côte d'Azur en garantie.
22. En deuxième lieu, la société Ingérop Conseil et Ingénierie, en se bornant à soutenir qu'" il appartenait à EGIS " " d'intégrer " le choix d'une étanchéité provisoire " et l'enchaînement des tâches en découlant dans les plannings successifs qu'elle a établis ", n'établit ni même ne caractérise aucune faute imputable à la société Egis, que l'expert n'a pas mise en cause.
23. En troisième lieu, l'expert n'a pas imputé les désordres, qui étaient relatifs à l'étanchéité provisoire à la charge des titulaires du lot " gros-œuvre ", à l'exécution du lot " Etanchéité - Couverture ", qui concernait l'étanchéité définitive. Dès lors, la société Ingérop Conseil et Ingénierie n'est pas fondée à appeler en garantie ses cotraitants, en charge de la maîtrise d'œuvre de ce dernier lot.
2.2.9. S'agissant de la demande reconventionnelle présentée en première instance :
24. Compte tenu de sa responsabilité dans les dommages ayant affecté les gaines de désenfumage, la société Ingérop Conseil et Ingénierie n'est pas fondée à demander le remboursement par la société EETM de la somme de 35 065,57 euros hors taxes correspondant aux travaux de reprise qu'elle affirme avoir réalisés pour le compte de cette dernière, sans d'ailleurs établir la réalité des prestations en cause, dont l'existence ne saurait se déduire de l'évaluation prospective effectuée par le rapport Lippis.
3. Sur la requête à fin de sursis à exécution présentée par la société Ingérop Conseil et Ingénierie :
25. Le présent arrêt statuant au fond sur la requête d'appel de la société Ingérop Conseil et Ingénierie, sa requête à fin de sursis à exécution est devenue sans objet. Il n'y a donc plus lieu d'y statuer.
4. Sur l'appel des sociétés Dumez Côte d'Azur et Fayat Bâtiment :
4.1. En ce qui concerne la prescription de l'action de la société Isolis :
26. Pour les motifs qui ont été énoncés aux points 3 à 7, les sociétés Dumez Côte d'Azur et Fayat Bâtiment sont fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nice a fait droit aux demandes présentées par la société Isolis à leur encontre.
4.2. En ce qui concerne la faute des sociétés Dumez Côte d'Azur et Fayat Bâtiment :
27. Si l'article 113 du code des marchés publics, alors en vigueur, disposait qu'" en cas de sous-traitance, le titulaire demeure personnellement responsable de l'exécution de toutes les obligations résultant du marché ", cette disposition régit seulement la responsabilité des constructeurs vis-à-vis du maître d'ouvrage. Les actions tendant à l'engagement de la responsabilité quasi-délictuelle d'un intervenant supposent, quant à elles, que soit démontrée l'existence d'une faute commise par la personne physique ou morale dont la responsabilité est recherchée. Il en résulte que les sociétés Dumez Côte d'Azur et Fayat Bâtiment sont fondées à soutenir que leur responsabilité ne peut être engagée du fait des malfaçons éventuelles imputables à l'entreprise à qui elles ont sous-traité la réalisation de l'étanchéité provisoire sur les trémies, édicules, et joints de dilatation.
28. Si l'expert relève, d'une part, que c'est la société Dumez Côte d'Azur qui a défini les surfaces sur lesquelles son sous-traitant, la société Golfe Etanchéité, devait intervenir, et, d'autre part, que cette société n'était pas chargée du raccordement des eaux pluviales aux réseaux provisoires, il est impossible d'affirmer, au vu du rapport d'expertise ou des autres pièces du dossier, que les désordres en cause seraient imputables non à une faute du sous-traitant, mais à une faute de la société Dumez Côte d'Azur ou de la société Fayat Bâtiment. Au demeurant, la nature individuelle de la responsabilité quasi-délictuelle s'opposait à ce que, comme l'a fait le tribunal administratif, les sociétés Dumez Côte d'Azur et Fayat Bâtiment fussent condamnées, ensemble, au paiement d'une somme, en l'absence de toute démonstration d'une faute personnelle de leur part.
29. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens présentés par les sociétés Dumez Côte d'Azur et Fayat Bâtiment à l'appui de leur appel, celles-ci sont fondées à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont fait droit aux demandes présentées à leur encontre.
5. Sur les frais liés au litige :
30. L'article L. 761-1 du code de justice administrative fait obstacle à ce qu'une somme quelconque soit laissée à la charge de la société Ingérop Conseil et Ingénierie, de la société Dumez Côte d'Azur, de la société Fayat Bâtiment, de la société Egis Bâtiments Management, de la société Reichen et Robert et Associés Architectes Urbanistes et de la société Carta Associés, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre une somme à la charge des autres parties à ce même titre.
D É C I D E :
Article 1er : Le point de départ des intérêts moratoires qui assortissent les condamnations prononcées à l'article 1er du jugement est fixé au 19 octobre 2017.
Article 2 : L'article 1er du jugement du 11 juin 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : Les articles 2, 3, 4, 6 et 8 du jugement n° 1704735 du 11 juin 2021 du tribunal administratif de Nice sont annulés.
Article 4 : Les demandes auxquelles ces dispositions font droit sont rejetées.
Article 5 : L'article 7 du jugement du 11 juin 2021 est annulé en tant qu'il met à la charge de la société Ingérop Conseil et Ingénierie une somme de 1 050 euros à verser à la société Isolis.
Article 6 : La demande à laquelle cette disposition fait droit est rejetée.
Article 7 : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution présentées dans la requête n° 21MA02801.
Article 8 : Le surplus des conclusions des différentes parties est rejeté.
Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ingérop Conseil et Ingénierie, à la société Dumez Côte d'Azur, à la société Fayat Bâtiment, à la société Eiffage Energie Système - Clévia Méditerranée, à la société Egis Bâtiments Management, à la société Reichen et Robert et Associés Architectes Urbanistes, à la société Isolis, à la société Carta Associés, à M. B... A..., en qualité de mandataire judiciaire de la société Isolis, et au cabinet de Saint-Rapt et Bertholet, administrateurs judiciaires de la société Isolis.
Copie en sera adressée à M. D... C..., expert.
Délibéré après l'audience du 13 février 2023, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 février 2023.
Nos 21MA02717 - 21MA02801 - 21MA03316 2