Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société civile immobilière (SCI) Zelon a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune de Saint-Rémy-de-Provence à lui verser la somme totale de 365 556,41 euros au titre des préjudices qu'elle a subis du fait de l'illégalité de la décision de non opposition à déclaration préalable prise le 22 octobre 2013.
Par un jugement n° 1705345 du 14 décembre 2020, le tribunal administratif de Marseille a condamné la commune de Saint-Rémy-de-Provence à verser à la SCI Zelon la somme de 199 972 euros avec intérêts à compter du 27 mars 2017 et capitalisation à compter du 28 mars 2018, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 15 février 2021 et le 15 mars 2022, la commune de Saint-Rémy-de-Provence, représentée par Me Petit, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 14 décembre 2020 ;
2°) de rejeter la demande de la SCI Zelon devant le tribunal administratif de Marseille et son appel incident devant la Cour ;
3°) de mettre à la charge de la SCI Zelon la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier car il est insuffisamment motivé ;
- la SCI Zelon a commis une faute en exécutant la majorité des travaux litigieux sans autorisation alors qu'elle était informée de la sensibilité du site par la ligue de défense des Alpilles ;
- le préjudice allégué par la SCI Zelon ne présente pas de lien direct avec l'illégalité de la décision de non opposition du 22 octobre 2013 ;
- les frais liés à la construction et à l'aménagement du court de tennis ont été exposés avant la décision de non opposition du 22 octobre 2013 ;
- le préjudice lié au coût de la démolition n'est pas établi ;
- les frais de justice liés aux instances introduites par la ligue de défense des Alpilles sont sans relation avec l'illégalité de la décision de non opposition du 22 octobre 2013 ;
- les moyens soulevés par la SCI Zelon à l'appui de son appel incident ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 mai 2021, la SCI Zelon, représentée par Me Leregle, demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête de la commune de Saint-Rémy-de-Provence ;
2°) par la voie de l'appel incident :
- de réformer le jugement attaqué du 14 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Marseille a limité à la somme de 199 972 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné la commune de Saint-Rémy-de-Provence en réparation du préjudice qu'elle a subi ;
- de porter cette somme à 260 955 euros avec intérêts à compter du 27 mars 2017 et capitalisation à compter du 28 mars 2018, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Rémy-de-Provence la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête n'est pas recevable car elle est insuffisamment motivée ;
- les moyens soulevés par la commune de Saint-Rémy-de-Provence ne sont pas fondés ;
- les démarches administratives ou contentieuses engagées justifient l'allocation d'une somme de 15 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral ;
- elle justifie d'un préjudice évalué à la somme totale de 40 565 euros au titre des frais de conseil exposés dans le cadre des instances judiciaires en démolition, en liquidation d'astreinte devant le juge de l'exécution et d'indemnisation des préjudices subis devant la juridiction administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. d'Izarn de Villefort,
- les conclusions de M. Roux, rapporteur public,
- et les observations de Me Marquet, représentant la commune de Saint-Rémy-de-Provence, et de Me Rose-Dulcina, représentant la SCI Zelon.
Une note en délibéré, présentée par la SCI Zelon, a été enregistrée le 17 mai 2023.
Considérant ce qui suit :
1. Par courrier du 17 mai 2013, le maire de Saint-Rémy-de-Provence a mis en demeure la SCI Zelon d'arrêter les travaux d'affouillement et de construction de murs effectués en vue de la création d'un court de tennis sur les parcelles situées chemin de Mussargues, cadastrées section IN 380 et 577, et de déposer une demande d'autorisation dans un délai de trente jours. Le 2 septembre 2013, la SCI Zelon a déposé un dossier de déclaration préalable portant sur ces travaux d'affouillement d'une superficie de 700 mètres carrés sur une profondeur de 3 mètres maximum, liés à la réalisation du court de tennis et de son aménagement paysager sur un terrain de 1 500 mètres carrés. Par un arrêté du 22 octobre 2013, le maire de Saint-Rémy-de-Provence a décidé de ne pas s'opposer à cette déclaration. Statuant sur l'action engagée par l'association " ligue de défense des Alpilles " sur le fondement de l'article 1382 du code civil et de l'article L. 160-1 du code de l'urbanisme, devenu l'article L. 610-1, le tribunal de grande instance de Tarascon a, par un jugement du 10 avril 2015, constaté que les travaux engagés par la SCI Zelon méconnaissaient les dispositions du plan d'occupation des sols communal et condamné en conséquence celle-ci à remettre les lieux dans leur état d'origine, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, en rejetant cependant les conclusions de cette association tendant au versement d'une indemnité pour préjudice moral. Par un arrêt du 26 janvier 2017 la cour d'appel d'Aix-en-Provence a rejeté l'appel de la SCI Zelon formé à l'encontre de ce jugement et a condamné en outre la SCI Zelon à verser à la ligue de défense des Alpilles une somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts. Par un arrêt du 12 avril 2018 la Cour de cassation a confirmé cet arrêt. Par un jugement du 14 décembre 2020, le tribunal administratif de Marseille a, sur le fondement de la faute commise par le maire de Saint-Rémy-de-Provence en délivrant une autorisation d'urbanisme illégale, condamné la commune à verser à la SCI Zelon la somme de 199 972 euros. La commune de Saint-Rémy-de-Provence relève appel de ce jugement, dont la SCI Zelon demande la réformation par la voie de l'appel incident en ce que l'indemnité allouée par le tribunal est selon elle insuffisante.
Sur la fin de non-recevoir opposée par la SCI Zelon à la requête d'appel:
2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête ... Elle contient l'exposé des faits et moyens ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ".
3. La requête de la commune de Saint-Rémy-de-Provence, qui ne constitue pas la seule reproduction littérale de ses écritures de première instance, contient un exposé des faits et moyens. La circonstance qu'elle réitère les moyens qu'elle avait soulevé en défense devant le tribunal administratif ne permet pas de la regarder comme ne répondant pas aux exigences fixées par les dispositions précitées de l'article R. 411-1. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la SCI Zelon tirée de ce que la requête serait insuffisamment motivée doit être écartée.
Sur la responsabilité de la commune de Saint-Rémy-de-Provence :
4. Aux termes de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire : / a) Le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative. L'action en démolition doit être engagée au plus tard dans le délai de deux ans qui suit la décision devenue définitive de la juridiction administrative ; (...) ". Aux termes de l'article L. 160-1, actuellement l'article L. 610-1 du code de l'urbanisme : " En cas d'infraction aux dispositions des projets d'aménagement et des plans d'urbanisme maintenus en vigueur dans les conditions énoncées soit à l'article L. 124-1, soit à l'article L. 150-1 (2è alinéa), ou en cas d'infraction aux dispositions des plans d'occupation des sols, des plans locaux d'urbanisme, les articles L. 480-1 à L. 480-9 sont applicables, les obligations visées à l'article L. 480-4 s'entendant également de celles résultant des projets et plans mentionnés ci-dessus. (...) Toute association agréée de protection de l'environnement en application des dispositions de l'article L. 141-1 du code de l'environnement, peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits constituant une infraction aux alinéas premier et second du présent article et portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu'elle a pour objet de défendre. (...) ".
5. Ainsi qu'il a été exposé au point 1, le juge judiciaire a condamné la SCI Zelon à démolir le court de tennis qu'elle avait fait construire sur son terrain dans le cadre de l'action engagée par la ligue de défense des Alpilles sur le fondement de l'article 1382 du code civil et de l'article L. 160-1 du code de l'urbanisme. Il a constaté que ces travaux avaient été exécutés en infraction avec les dispositions de l'article ND2 du règlement du plan d'occupation des sols de Saint-Rémy-de-Provence, alors même que l'arrêté du 22 octobre 2013 n'a été ni annulé par le juge administratif ni même contesté devant lui et qu'aucune question préjudicielle portant sur la légalité de cet arrêté du 22 octobre 2013 ne lui a été posée, les dispositions du a) de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme ne s'appliquant qu'aux travaux ayant fait l'objet d'un permis de construire à l'exclusion de ceux qui sont soumis à déclaration préalable.
6. En premier lieu, aux termes de l'article R. 421-23 du code de l'urbanisme : " Doivent être précédés d'une déclaration préalable les travaux, installations et aménagements suivants : (...) f) A moins qu'ils ne soient nécessaires à l'exécution d'un permis de construire, les affouillements et exhaussements du sol dont la hauteur, s'il s'agit d'un exhaussement, ou la profondeur dans le cas d'un affouillement, excède deux mètres et qui portent sur une superficie supérieure ou égale à cent mètres carrés ; (...) ". Aux termes de l'article ND2 du règlement du plan d'occupation des sols de la commune de Saint-Rémy-de-Provence, en vigueur à la date du 22 octobre 2013 à laquelle le maire de Saint-Rémy-de-Provence a décidé de ne pas s'opposer à la déclaration préalable de travaux déposée par la SCI Zelon : " Sont autorisés, sous conditions : / 1. Les bâtiments et un logement strictement nécessaires à l'exploitation agricole de la zone (...) ; / 2. L'extension des habitations existantes (...) ; / 3. Les constructions annexes contiguës ou à proximité des logements existants (...) ces constructions devant être réalisées à une distance de moins de 30 m des logements existants ; / 4. Les ouvrages techniques à condition qu'ils soient d'intérêt public. ".
7. Il ressort des mentions non contestées du courrier du 3 juin 2013 adressé par la direction départementale des territoires et de la mer des Bouches-du-Rhône au sous-préfet d'Arles que les travaux en litige comportent la réalisation d'affouillements d'une profondeur atteignant 4,50 mètres sur une superficie de 800 mètres carrés. Ainsi, en application de l'article R. 421-23 du code de l'urbanisme, ces travaux étaient soumis à déclaration préalable. En outre, il résulte de l'instruction que le terrain d'assiette de ces travaux, qui se situe à l'intérieur du site inscrit de la chaîne des Alpilles, a été classé en secteur ND 1 de protection stricte par le plan d'occupation des sols de Saint-Rémy-de-Provence. Ainsi d'ailleurs que l'a considéré le tribunal de grande instance de Tarascon par son jugement du 10 avril 2015, ces mêmes travaux ne sont pas de ceux que l'article ND2 du règlement du plan d'occupation des sols autorise dans cette zone et notamment pas une construction annexe au sens du 3° de cet article dès lors qu'ils sont localisés à une distance de 200 mètres environ du logement le plus proche. Par suite, l'arrêté du 22 octobre 2013 par lequel le maire de Saint-Rémy-de-Provence a décidé de ne pas s'opposer à la déclaration préalable déposée par la SCI Zelon est entaché d'illégalité, ce que la commune ne conteste pas. Cette illégalité est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de la commune.
8. En second lieu, d'une part, il résulte des photographies annexées au courrier du maire de Saint-Rémy-de-Provence du 17 mai 2013 et des factures de location de matériel de chantier produites, que, à cette date, les travaux d'affouillement et de construction de murs préalables à la création du court de tennis projeté étaient en grande partie, sinon en totalité, achevés. Il ressort notamment des correspondances qu'elle a adressées à la ligue de défense des Alpilles que la SCI Zelon, qui était parfaitement informée de la sensibilité du site d'implantation de son projet, dont elle s'est efforcée d'assurer la bonne insertion, s'est abstenue tant de vérifier si les importants travaux entrepris étaient soumis à une procédure d'autorisation ou de déclaration. Elle ne peut sur ce point utilement faire valoir qu'elle aurait été induite en erreur par les affirmations erronées de l'entreprise chargée de la construction du court de tennis. Si, d'autre part, l'arrêté de non-opposition à la déclaration préalable délivré le 22 octobre 2013 n'a pas été attaqué devant le tribunal administratif, il est constant que la ligue de défense des Alpilles a présenté à son encontre un recours gracieux devant le maire de Saint-Rémy-de-Provence avant d'assigner la SCI Zelon devant le tribunal de grande instance de Tarascon par exploit d'huissier le 13 août 2014. Si l'arrêté du 22 octobre 2013 a été pris après avis favorable de l'architecte des bâtiments de France, lequel a relevé seulement que le projet résolvait correctement les " difficultés d'intégration et d'environnement " en site inscrit, la SCI Zelon ne pouvait ignorer le caractère restrictif des possibilités de construire en site inscrit, d'autant qu'elle produit elle-même les factures portant sur des prestations de conseil et de constitution de dossiers administratifs ou contentieux délivrées par une société spécialisée. Elle a donc commis une imprudence fautive en sollicitant et en exécutant, y compris après l'assignation précitée, une autorisation d'urbanisme dont elle ne pouvait ignorer l'illégalité. Il résulte enfin de la facture datée du 6 avril 2016 que la SCI Zelon a fait procéder à l'ensemencement hydraulique des abords du terrain de tennis facturé postérieurement à la date du 20 avril 2015 à laquelle le jugement du tribunal de grande instance de Tarascon du 10 avril 2015 lui a été signifié. Dans ces conditions, les préjudices dont la SCI Zelon demande réparation et qui correspondent aux coûts de la réalisation des travaux et de leur démolition suivie de la remise en état des lieux, aux condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile prononcées à son encontre par les juridictions judiciaires et aux frais d'avocats exposés devant ces juridictions, et enfin au préjudice moral et aux troubles dans les conditions d'existence qu'elle soutient avoir subis du fait des actions civiles en démolition engagées à son encontre, sont exclusivement imputables à son comportement fautif et ne présentent donc pas de lien de causalité avec l'illégalité fautive de la décision du 22 octobre 2013.
9. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué, la commune de Saint-Rémy-de-Provence est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille l'a condamnée à verser à la SCI Zelon la somme de 199 972 euros et à demander l'annulation de ce jugement. Par voie de conséquence, l'appel incident de la SCI Zelon doit être rejeté.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Saint-Rémy-de-Provence qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la SCI Zelon demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la SCI Zelon une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la commune de Saint-Rémy-de-Provence et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 14 décembre 2020 est annulé.
Article 2 : La demande de la SCI Zelon devant le tribunal administratif de Marseille et ses conclusions devant la Cour sont rejetées.
Article 3 : La SCI Zelon versera à la commune de Saint-Rémy-de-Provence une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Saint-Rémy-de-Provence et à la société civile immobilière Zelon.
Délibéré après l'audience du 11 mai 2023, où siégeaient :
- M. Portail, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. Quenette, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mai 2023.
N° 21MA00635 2