Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 3 octobre 2022 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône lui a enjoint de quitter le territoire français sans délai et a édicté à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2208321 du 10 octobre 2022, la magistrate désignée du tribunal administratif de Marseille a annulé l'arrêté en tant qu'il portait interdiction de retour sur le territoire national pour une durée de deux ans et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 10 novembre 2022, M. A... B..., représenté par Me Paccard, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 10 octobre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté attaqué en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire sans délai et fixe le pays de destination de la mesure d'éloignement ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône sur le fondement des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et dans l'attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à verser à son conseil qui renonce dans ce cas à percevoir la part contributive de l'Etat due au titre de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- sa requête d'appel est recevable ;
- la décision attaquée méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- elle méconnaît l'article L. 611-3 5° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Le préfet des Bouches-du-Rhône n'a pas produit d'observations en défense.
Un courrier du 17 janvier 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
Un avis d'audience portant clôture immédiate de l'instruction a été émis le 26 mai 2023.
Par une décision du 27 janvier 2023, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille a constaté la caducité de la demande d'aide juridictionnelle présentée par M. A... B....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Isabelle Gougot, rapporteure.
Considérant ce qui suit :
1. Par arrêté du 3 octobre 2022, le préfet des Bouches-du-Rhône a enjoint à M. A... B..., ressortissant tunisien, de quitter le territoire français sans délai et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire national d'une durée de deux ans. M. A... B... relève appel du jugement n° 2208321 du 10 octobre 2022 par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Marseille a annulé la décision portant interdiction de retour sur le territoire pendant deux ans mais a rejeté le surplus de sa demande en annulation de l'arrêté attaqué.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
3. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. A... B... justifie être marié avec une ressortissante franco-tunisienne depuis le 19 novembre 2016, le mariage ayant été transcrit sur les registres de l'état civil français le 11 avril 2022. Si le couple a vécu séparé, M. A... B... étant demeuré en Tunisie, tandis que Mme A... B... résidait en France, cette dernière justifie avoir réalisé de 2019 à 2022 plusieurs allers-retours en Tunisie pour rendre visite à son conjoint avec les enfants que le couple a eu ensemble et qui sont nés à Marseille en 2018, 2019 et 2022, et sont de nationalité française, les deux ainés étant de plus scolarisés en classe de maternelle. M. A... B... se prévaut en outre de la présence en France de ses grands-parents, de nationalité française. Il justifie par ailleurs avoir tissé des liens avec ses enfants par la production d'attestations de la directrice de l'école maternelle, du pédiatre, et de leurs proches ainsi que de plusieurs photographies avec ses enfants à différents âges et son épouse. Le préfet ne peut utilement soutenir que l'intéressé ne contribuerait pas à l'entretien ou à l'éducation des enfants, un tel motif étant seulement opposable à une demande de séjour fondée sur la qualité de parent d'enfant français. Dès lors, compte tenu de l'ancienneté et de la stabilité des liens avec son épouse et ses enfants, et alors même que le couple a vécu éloigné plusieurs années, le requérant est fondé à soutenir que l'arrêté attaqué a porté une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'ensemble des moyens de la requête, M. A... B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal a rejeté le surplus de ses conclusions en annulation.
5. Eu égard aux motifs du présent arrêt, son exécution implique qu'il soit enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais de l'instance :
6. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement de la magistrate désignée du tribunal administratif de Marseille n° 2208321 du 10 octobre 2022 en tant qu'il rejette le surplus des conclusions en annulation de M. A... B... et l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 3 octobre 2022 portant obligation de quitter le territoire français sans délai sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de réexaminer la situation de M. A... B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et suivant les modalités précisées dans les motifs sus indiqués.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... B... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille.
Délibéré après l'audience du 19 juin 2023, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président de chambre,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 juillet 2023.
N° 22MA0277102