Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Sabatier a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la restitution d'un crédit d'impôt recherche à hauteur d'un montant de 103 938 euros au titre de l'année 2013, assorti des intérêts moratoires.
Par un jugement n° 1906698 du 25 février 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 24 avril 2022, la SAS Sabatier, représentée par Me Malric, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 25 février 2022 ;
2°) de prononcer la restitution, assortie des intérêts moratoires, du crédit d'impôt recherche en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision rejetant la demande de restitution du crédit d'impôt recherche est dépourvue de motivation ;
- l'administration a méconnu les énonciations de la doctrine administrative référencée BOI-CTX-PREA-10-80, § 120, relatives à l'obligation de motivation de la décision rejetant la réclamation préalable ;
- les motifs du rejet de sa demande de restitution du crédit d'impôt recherche sont incohérents ;
- c'est à tort que l'administration a estimé que les dépenses correspondant aux projets menés en 2013 n'étaient pas éligibles au crédit d'impôt recherche ;
- le projet " B... " est en continuité avec un projet mené en 2012, au titre duquel l'administration avait admis l'éligibilité des dépenses au crédit d'impôt recherche ;
- en refusant d'admettre l'éligibilité au crédit d'impôt recherche des dépenses, l'administration a méconnu la doctrine administrative référencée BOI-BIC-RICI-10-10-10-20 § 250 ;
- la position de l'administration méconnaît la " garantie fiscale " instituée par l'article 11 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance ;
- les dépenses de prise et de maintenance de brevets étaient éligibles au crédit d'impôt recherche ;
- la décision de refus de remboursement méconnaît la doctrine administrative référencée BOI-BIC-RICI-10-10-20-40 § 30 et le guide du crédit d'impôt recherche selon lesquels les dépenses de prise et de maintenance de brevets sont éligibles au crédit d'impôt recherche indépendamment des opérations de recherche et développement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 octobre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la SAS Sabatier ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mastrantuono,
- et les conclusions de M. Ury, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Sabatier, spécialisée dans la fabrication d'équipements d'emballage métallique, de conditionnement et de pesage, a sollicité le 8 juin 2018 la restitution d'une créance de crédit d'impôt recherche au titre de l'année 2013, pour un montant de 103 938 euros, qui lui a été refusée. Elle relève appel du jugement du 25 février 2022 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la restitution de ce crédit d'impôt.
Sur la décision de rejet de la réclamation :
2. En premier lieu, la demande de remboursement d'un crédit d'impôt pour dépenses de recherche présentée sur le fondement des dispositions de l'article 199 ter B du code général des impôts constitue une réclamation au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales. Les irrégularités susceptibles d'avoir entaché la décision de rejet d'une telle réclamation sont sans incidence sur le bien-fondé de la demande de restitution de ce crédit d'impôt. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision de rejet du 3 juin 2019 serait insuffisamment motivée ne peut qu'être écarté comme inopérant.
3. En deuxième lieu, la circonstance, à la supposer établie, que les motifs retenus par l'administration pour rejeter la demande de remboursement du crédit d'impôt pour dépenses de recherche dans cette décision de rejet ne seraient pas cohérents serait également dépourvue d'incidence sur le bien-fondé de la demande de restitution de ce crédit d'impôt. Par conséquent, ce moyen doit être écarté comme inopérant.
4. En troisième lieu, la SAS Sabatier ne peut se prévaloir de la doctrine administrative référencée BOI-CTX-PREA-10-80, § 120 laquelle, traitant de questions relatives à la procédure d'imposition, ne peut être considérée comme comportant une interprétation de la loi fiscale au sens de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
Sur le bien-fondé de la demande de restitution du crédit d'impôt recherche :
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :
5. Aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts : " I. Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel (...) peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année. Le taux du crédit d'impôt est de 30 % pour la fraction des dépenses de recherche inférieure ou égale à 100 millions d'euros et de 5 % pour la fraction des dépenses de recherche supérieure à ce montant (...) / II. Les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt sont : / (...) b) Les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche directement et exclusivement affectés à ces opérations. (...) / c) les autres dépenses de fonctionnement exposées dans les mêmes opérations ; (...) / e) Les frais de prise et de maintenance de brevets (...) ". Aux termes de l'article 49 septies F de l'annexe III au code général des impôts : " Pour l'application des dispositions de l'article 244 quater B du code général des impôts, sont considérées comme opérations de recherche scientifique ou technique : / a. Les activités ayant un caractère de recherche fondamentale (...) ; / b. Les activités ayant le caractère de recherche appliquée (...) ; / c. Les activités ayant le caractère d'opérations de développement expérimental effectuées, au moyen de prototypes ou d'installations pilotes, dans le but de réunir toutes les informations nécessaires pour fournir les éléments techniques des décisions, en vue de la production de nouveaux matériaux, dispositifs, produits, procédés, systèmes, services ou en vue de leur amélioration substantielle. Par amélioration substantielle, on entend les modifications qui ne découlent pas d'une simple utilisation de l'état des techniques existantes et qui présentent un caractère de nouveauté ".
6. Il appartient au juge de l'impôt de constater, au vu de l'instruction dont le litige qui lui est soumis a fait l'objet, qu'une entreprise remplit ou non les conditions lui permettant de se prévaloir de l'avantage fiscal institué par l'article 244 quater B du code général des impôts.
7. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la SAS Sabatier a demandé le bénéfice du crédit d'impôt prévu à l'article 244 quater B du code général des impôts à raison d'un projet dénommé " B... ", ayant pour objet d'améliorer la résistance mécanique des emballages carrés pour des volumes compris entre 18 et 20 litres, en développant un procédé de panneautage associé à une diminution de l'épaisseur des pièces, d'un projet dénommé " Bodypack20 ", ayant pour objet de développer un procédé de fabrication de seaux de 20 à 30 litres, sécurisés et normalisés, afin de réduire la quantité de fer blanc nécessaire tout en maintenant la qualité et la robustesse, et d'un projet dénommé " Réduction d'épaisseur par écrasement des joncs internes ", ayant pour objet de mettre en œuvre des épaisseurs de fer blanc réduites. La société requérante fait valoir que le premier projet lui a permis de parvenir à fabriquer un emballage en réduisant l'épaisseur de fer blanc et que les tests réalisés ont permis de découvrir que la réalisation du panneautage se traduisait par un voilage important des viroles engendrant des difficultés de transfert vers les postes de sertissage, que le deuxième projet lui a permis d'acquérir des connaissance sur les conditions d'applicabilité de la technique brevetée du " crushtool " et d'observer l'absence de relation évidente entre épaisseur et résistance verticale, et que le troisième projet lui a permis de développer une technologie permettant d'écraser les joncs sans endommager le corps de la boite tout en garantissant la concentricité des différentes éléments cylindriques. Toutefois, l'expert du ministère chargé de la recherche et de la technologie, saisi par l'administration dans le cadre de l'instance devant le tribunal administratif, qui a remis son rapport le 20 juillet 2021, a notamment estimé que les travaux menés dans le cadre du projet " B... " sont des travaux d'ingénierie industrielle, menés avec les moyens classiques du génie industriel, que ceux menés dans le cadre du projet " A... " mettent en œuvre le savoir-faire de l'entreprise et utilisent des technologies existantes, et que ceux menés dans le cadre du troisième projet mettent en œuvre les compétences internes de la société associées aux moyens d'études et d'ingénierie classique de la mécanique. Il résulte de l'instruction que les travaux correspondant à ces projets, qui n'ont généré aucune connaissance nouvelle, et ont seulement permis à l'entreprise d'améliorer la qualité des récipients ou de mettre au point des produits, sans amélioration substantielle des procédés, ne sont pas éligibles au crédit d'impôt recherche. La seule circonstance que le projet " B... " a été mené dans la continuité d'un premier projet regardé comme éligible au titre du crédit d'impôt recherche de l'année 2012 ne fait pas obstacle à ce que les travaux menés au cours de l'année 2013 ne soient pas regardés comme éligibles.
8. En deuxième lieu, l'administration fiscale a également refusé à la SAS Sabatier le bénéfice du crédit d'impôt pour dépenses de recherche au titre des projets dénommés " Ourlage et jointage à grande vitesse ", " Séchage flash par induction pour la réparation des vernis " et " Développement d'un nouveau procédé de jointage ". Il résulte de l'instruction que ces projets avaient pour objet de développer une technologie permettant d'élever la vitesse de production des fonds de boite tout en maintenant le niveau de qualité nécessaire à la sécurisation sanitaire pour le premier, une solution de séchage par induction du vernis de réparation des points de soudure des picots des cabochons à l'intérieur des seaux pour l'assemblage des anses pour le deuxième, et un procédé de jointage au pistolet afin de conserver la formulation standard ainsi qu'un procédé assurant une vitesse élevée de jointage pour le troisième. La société requérante fait valoir que le premier projet lui a permis de définir un procédé plus performant en développant une nouvelle technique de jointage utilisant deux pistolets, que le deuxième projet lui a permis de déterminer une stratégie de séchage des vernis et de développer un four permettant de garantir un positionnement adéquat des seaux, et que le troisième projet lui a permis l'utilisation de joints homologués aux Etats-Unis grâce au développement de l'outil de dépose et à une évolution de la formulation du joint. Toutefois, l'expert du ministère chargé de la recherche et de la technologie, dans son rapport du 20 juillet 2021, a notamment estimé que les travaux réalisés dans le cadre de ces projets sont des travaux d'ingénierie industrielle, menés avec les moyens classiques de l'ingénierie ou mettant en œuvre le savoir-faire interne de l'entreprise. Il résulte de l'instruction que les travaux correspondant à ces projets, qui n'ont généré aucune connaissance nouvelle, et ont seulement permis à l'entreprise de mettre au point une machine répondant à un cahier des charges et de nouveaux équipements, et de qualifier un procédé de jointage, sans amélioration substantielle des procédés, ne sont pas éligibles au crédit d'impôt recherche.
9. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que le projet " Procédé de fabrication de corps soudé " est relatif au développement d'un procédé de fabrication d'une boite d'épices compatible avec les techniques modernes utilisées en ferblanterie, en limitant les modifications visibles de l'emballage et en réduisant les épaisseurs de métal. La société requérante fait valoir que les travaux menés ont conduit à la mise au point d'un procédé de fabrication adapté à la forme des boîtes d'emballage de son client en utilisant la technologie des corps soudés et ont permis d'élargir son savoir-faire en réalisant un rétreint sur une forme rectangulaire. Toutefois, l'expert du ministère chargé de la recherche et de la technologie, dans son rapport du 20 juillet 2021, a notamment estimé que les travaux menés dans le cadre de ce projet, consacré à la mise au point d'un procédé destiné à répondre à la demande spécifique d'un client, s'appuient sur le savoir-faire et les compétences internes de l'entreprise. Il résulte de l'instruction que les travaux en cause, reposant sur une démarche empirique et n'ayant généré aucune connaissance scientifique, ne sont pas éligibles au crédit d'impôt recherche.
10. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction que le projet dénommé " Nouvelle méthodologie pour le calcul des cames électriques " a pour objet l'amélioration de la programmation des moteurs électriques par le développement d'un outil informatique adapté. La SAS Sabatier fait valoir que ces travaux lui ont permis de mettre en place un référentiel des cas déjà traités et de créer des graphiques afin de visualiser les cinématiques pour chaque poste de la machine. Toutefois, dans son rapport rédigé le 20 juillet 2021, l'expert mandaté par le ministère de la recherche a considéré que le développement d'un tel logiciel d'aide à la conception de systèmes mécaniques multiaxes ne correspondait pas aux critères d'éligibilité du crédit impôt recherche. Si la société requérante indique que le développement de cet outil a permis de résoudre les difficultés techniques liées à la synchronisation automatique de tous les axes présents sur une machine, il ne résulte pas de l'instruction que ces difficultés ne pouvaient être surmontées, eu égard à l'état des connaissances techniques à l'époque considérée, par un professionnel averti, par simple développement ou adaptation des techniques utilisées. Dès lors, les dépenses afférentes à ce projet ne revêtent pas le caractère de dépenses de développement expérimental au sens des dispositions de l'article 49 septies F de l'annexe III au code général des impôts.
11. En cinquième lieu, il résulte de ce qui vient d'être dit que la SAS Sabatier n'a pas exposé de dépenses de recherche au sens de l'article 244 quater B du code général des impôts au titre de l'année 2013. Par conséquent, elle n'est pas fondée à soutenir que les dépenses de prise et de maintenance de brevets qu'elle a exposées au cours de la même année seraient éligibles au crédit d'impôt recherche.
En ce qui concerne l'interprétation administrative de la loi fiscale :
12. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente (...) ".
13. En premier lieu, la SAS Sabatier se prévaut, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des doctrines administratives référencées BOI-BIC-RICI-10-10-10-20 § 250 et BOI-BIC-RICI-10-10-20-40 § 30. Toutefois, le litige porte sur le refus de remboursement d'un crédit d'impôt qui ne constitue ni un rehaussement ni une rectification pour l'application du second alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales. Dans ces conditions, la société requérante n'est, en tout état de cause, pas fondée à se prévaloir, sur le fondement de cet article, des énonciations de ces doctrines administratives.
14. En deuxième lieu, à supposer que la société requérante ait entendu invoquer les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales dans leur rédaction issue de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018, selon lesquelles la garantie prévue au premier alinéa est applicable lorsque, dans le cadre d'une vérification de comptabilité, et dès lors qu'elle a pu se prononcer en toute connaissance de cause, l'administration a pris position sur les points du contrôle, y compris tacitement par une absence de rectification, le moyen doit en tout état de cause être écarté pour le même motif que celui exposé au point précédent.
15. En troisième et dernier lieu, la société Sabatier ne peut pas se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des énonciations du " guide du crédit d'impôt recherche ", pour les mêmes raisons que celles exposées au point 13, et alors, de plus, que ce guide émane du ministère de l'enseignement et de la recherche, et non de l'administration fiscale, et ne peut, en conséquence, contenir d'interprétation d'un texte fiscal invocable sur le fondement de cet article.
16. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Sabatier n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Sur les conclusions tendant au versement d'intérêts moratoires :
17. En l'absence de litige né et actuel avec le comptable chargé du recouvrement, les conclusions tendant au versement d'intérêts moratoires en application des dispositions de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales sont irrecevables.
Sur les frais liés au litige :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la SAS Sabatier la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E
Article 1er : La requête de la SAS Sabatier est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Sabatier et ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 1er février 2024, où siégeaient :
- Mme Paix, présidente,
- M. Platillero, président assesseur,
- Mme Mastrantuono, première conseillère
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 février 2024.
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N° 22MA01153