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16/09/2024 | FRANCE | N°23MA02046

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 6ème chambre, 16 septembre 2024, 23MA02046


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 6 juillet 2020, par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est a pris acte de la nomination d'un nouvel aumônier régional, la décision du 3 novembre 2020, par laquelle le directeur a retiré son agrément ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux.



Par un jugement n° 2103334 du 30 mai 2023, le tribunal administratif de

Marseille a rejeté sa demande.





Procédure devant la Cour :



Par une requête,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 6 juillet 2020, par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est a pris acte de la nomination d'un nouvel aumônier régional, la décision du 3 novembre 2020, par laquelle le directeur a retiré son agrément ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux.

Par un jugement n° 2103334 du 30 mai 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 2 août 2023, M. C..., représenté par Me Pezet, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 30 mai 2023 ;

2°) d'enjoindre au directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est de lui restituer son agrément d'aumônier régional des prisons, à compter du 6 juillet 2020, dans le délai d'un mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les premiers juges ont omis de répondre au moyen qu'il avait soulevé, tiré du vice de forme en l'absence de saisine pour avis du préfet ;

- c'est à tort que les premiers juges ont retenu que l'administration était en situation de compétence liée et ont ainsi considéré l'ensemble de ces moyens comme inopérants ;

- constituant une sanction déguisée, les décisions litigieuses sont illégales en l'absence de motivation suffisante contrairement aux prescriptions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration et en l'absence de communication de son dossier en méconnaissance des dispositions de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 et en l'absence du respect du principe du contradictoire prévu par les dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- les décisions du 6 juillet 2020 et du 3 novembre 2020 sont entachées d'erreur de fait, et plus généralement, les décisions en litige reposent sur des faits matériellement inexacts ;

- ces décisions sont également entachées d'erreur de droit dès lors qu'elles sont fondées sur les dispositions de l'article 6.4 de la circulaire du garde des sceaux, ministre de la justice, du 20 septembre 2012, relative à l'agrément des aumôniers rémunérés ou bénévoles, des auxiliaires bénévoles d'aumônerie des établissements pénitentiaires et des accompagnants occasionnels d'aumônerie ;

- la décision du 3 novembre 2020 est illégale du fait de l'illégalité de la décision du 8 octobre 2020, reposant sur des faits inexacts ou qui ne sont nullement établis.

Une mise en demeure a été adressée le 23 avril 2024 au garde des sceaux, ministre de la justice.

Un courrier du 18 juin 2024 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.

Par ordonnance du 5 juillet 2024, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;

- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire ;

- la circulaire du 20 septembre 2012 relative à l'agrément des aumôniers ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure,

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,

- et les observations de Me Kameni, substituant Me Pezet, pour M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C... exerçait l'office d'aumônier musulman pour l'ensemble des établissements de la direction régionale des services pénitentiaires de Marseille depuis le 8 mai 1995, date à laquelle il a obtenu l'agrément qui lui avait été délivré par arrêté du même jour du garde des sceaux, ministre de la justice. Après l'avoir informé, par courrier en date du 6 juillet 2020, de ce qu'il prenait acte de la demande de l'aumônier national de procéder au retrait des missions de M. C... en tant qu'aumônier musulman, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille a, par une décision du 3 novembre 2020, procédé au retrait de cet agrément, au visa de la lettre de l'aumônier national datée du 8 octobre 2020. M. C... a présenté un recours gracieux, implicitement rejeté. M. C... a alors saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande tendant à l'annulation de ces trois décisions. Par le jugement du 30 mai 2023, le tribunal administratif a rejeté cette demande. M. C... relève appel de ce jugement.

Sur le cadre et l'étendue du litige :

2. D'une part, l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des églises et de l'Etat dispose, dans son alinéa premier, que " la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ". L'article 26 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire réaffirme le droit à la liberté d'opinion, de conscience et de religion de chaque personne détenue et rappelle que chacune d'entre elles peut exercer le culte de son choix selon les conditions adaptées à l'organisation des lieux, sans autres limites que celles imposées par la sécurité et le bon ordre de l'établissement. L'article R. 57-9-3 du code de procédure pénale dispose pour sa part que " chaque personne détenue doit pouvoir satisfaire aux exigences de sa vie religieuse, morale ou spirituelle ".

3. Aux termes de l'article D. 439 du code de procédure pénale dans sa version applicable au présent litige : " L'agrément des aumôniers est délivré par le directeur interrégional des services pénitentiaires après avis du préfet du département dans lequel se trouve l'établissement visité, sur proposition de l'aumônier national du culte concerné ".

4. Lorsqu'une décision de retrait de l'agrément à un aumônier intervenant au sein des établissements pénitentiaires n'est pas prise à l'initiative de l'administration pénitentiaire mais est provoquée par l'examen du ministère de l'aumônier auquel procède l'autorité religieuse et au terme duquel l'accord initialement donné est retiré, cette décision mettant un terme à la mission de l'aumônier et émanant d'une autorité religieuse a pour conséquence nécessaire la rupture de ses liens avec le service pénitentiaire. Dans ce cas, le directeur interrégional des services pénitentiaires est tenu de mettre fin aux fonctions de l'aumônier. Il appartient au juge seulement de vérifier la réalité du retrait par les autorités religieuses des missions qu'elle a pu confier à un individu en tant qu'aumônier.

5. D'autre part, le courrier du 6 juillet 2020 dans lequel le directeur interrégional des services pénitentiaires a pris acte de la décision de l'aumônier national de procéder au retrait des missions confiées à M. C... en tant qu'aumônier musulman régional et de les confier à M. B... constitue un simple courrier informatif, insusceptible de recours.

Sur la régularité du jugement :

6. L'article L. 9 du code de justice administrative dispose que : " Les jugements sont motivés. ". Aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision (...) contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application ".

7. Compte tenu de la décision du 8 octobre 2020, par laquelle l'aumônier national du culte musulman a mis fin aux missions de M. C... en tant qu'aumônier musulman et ainsi qu'il a été exposé au point 3, le directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est était tenu, ainsi qu'il l'a fait par la décision en litige du 3 novembre 2020, de procéder au retrait de l'agrément de M. C... qui lui avait délivré le 8 mai 1995. Dès lors que le directeur interrégional des services pénitentiaires était en situation de compétence liée pour procéder à ce retrait, les moyens autres que ceux visant à contester la situation de compétence liée sont inopérants.

8. Dans ces conditions, il ne saurait être reproché aux premiers juges d'avoir écarté les moyens tirés de l'insuffisante motivation, des vices de procédure et de l'illégalité de la circulaire du 20 septembre 2012, lesquels ne tendent pas à remettre en cause la situation de compétence liée. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance motivation du jugement en litige manque en fait et ne peut qu'être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne l'exception d'illégalité :

9. M. C... ne saurait exciper de l'illégalité de la décision du 8 octobre 2020, par laquelle l'aumônier national du culte musulman a mis fin à ses missions en tant qu'aumônier musulman pour contester la légalité de la décision du 3 novembre 2020 du directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est, dès lors qu'il n'appartient pas au juge administratif d'examiner la légalité de la décision d'une autorité religieuse qui ne constitue pas une décision administrative et qui échappe à son contrôle ni de s'immiscer dans les choix opérés par cette même autorité. L'appelant ne saurait ainsi remettre en cause devant le juge administratif ni la réalité ni la matérialité des faits que lui reproche l'aumônier musulman national. Par suite, le moyen tiré de l'exception d'illégalité ainsi soulevé par M. C... ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne les moyens inopérants :

10. Ainsi qu'il a été dit au point 7, ne peuvent qu'être écartés en raison de leur caractère inopérant les moyens tirés de l'absence de motivation suffisante en méconnaissance des prescriptions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, de l'absence de communication du dossier de l'intéressé en méconnaissance des dispositions de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, de l'existence d'une sanction déguisée ainsi que de l'absence du respect du principe du contradictoire prévu par les dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration.

En ce qui concerne les erreurs de fait :

11. Aux termes de l'article R. 612-6 du code de justice administrative : " Si, malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n'a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant ". Si lorsque le défendeur n'a produit aucun mémoire, le juge administratif n'est pas tenu de procéder à une telle mise en demeure avant de statuer, il doit, s'il y procède, en tirer toutes les conséquences de droit et qu'il lui appartient seulement, lorsque les dispositions précitées sont applicables, de vérifier que l'inexactitude des faits exposés dans les mémoires du requérant ne ressort d'aucune pièce du dossier.

12. Alors qu'il appartient au juge saisi en ce sens de vérifier seulement l'existence de la décision émanant de l'autorité religieuse mettant fin à ses missions d'aumônier et M. C... ne contestant pas l'existence de cette décision, les moyens tirés de ce que les faits reprochés par l'autorité religieuse ne seraient ni exacts ni étayés par aucune pièce ne peuvent qu'être écartés sans qu'y fasse obstacle le mécanisme de l'acquiescement aux faits.

En ce qui concerne l'erreur de droit :

13. A supposer qu'en soutenant que la décision portant retrait de l'agrément en tant qu'aumônier au sein des établissements pénitentiaires était fondée sur la circulaire du 20 septembre 2012 qui serait illégale et que cette décision est entachée d'une erreur de droit, M. C... ait entendu contester la situation de compétence liée dans laquelle se trouvait l'administration pénitentiaire, il ne ressort ni de la décision du 3 novembre 2020 ni de la décision portant rejet du recours gracieux contre ce retrait que l'administration se soit fondée sur cette circulaire. Au demeurant, la situation de compétence liée dans laquelle se trouve l'administration pénitentiaire dans le cas où l'autorité religieuse met fin aux missions d'un aumônier résulte non pas de cette circulaire mais d'un principe dégagé par la jurisprudence administrative.

14. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

15. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation n'appelle aucune mesure d'exécution au sens des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative. Dès lors, les conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de M. C... dirigées contre l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 2 septembre 2024, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président de chambre,

- M. Renaud Thielé, président assesseur,

- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 septembre 2024.

N° 23MA02046 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA02046
Date de la décision : 16/09/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

37-05-02-01 Juridictions administratives et judiciaires. - Exécution des jugements. - Exécution des peines. - Service public pénitentiaire.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: Mme Isabelle RUIZ
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : SELARL PEZET ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 19/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-09-16;23ma02046 ?
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