Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) V.L. a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge, en droits et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos du 30 septembre 2007 au 30 septembre 2014, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er octobre 2008 au 30 septembre 2014 et de la retenue à la source mise à sa charge au titre des années 2007 à 2014.
Par un jugement n° 2005758 du 8 avril 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 8 juin 2022, la société V.L., représentée par Me Roustouil, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2005758 du 8 avril 2022 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de prononcer la décharge demandée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'administration n'a pas régulièrement exercé son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire ;
- le délai spécial de reprise prévu à l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales ne pouvait être appliqué, dès lors que les omissions ou insuffisances d'imposition n'ont pas été révélées par la procédure judiciaire et n'en procèdent pas ;
- les impositions procédant de la reconstitution de ses recettes ne sont pas fondées ;
- les sommes qui ont fait l'objet d'une extorsion doivent être déduites du bénéfice imposable et de l'assiette de la retenue à la source ;
- la retenue à la source n'était pas applicable en l'absence de preuve de la qualité de maître d'affaires du gérant, qui peut par ailleurs se prévaloir du statut de " non-résident Schumacker " et de l'instruction BOI-IR-DOMIC-40 du 6 avril 2017 ;
- les pénalités sont infondées.
Par des mémoires en défense enregistrés le 3 novembre 2022 et le 6 février 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au non-lieu à statuer à concurrence du dégrèvement prononcé et au rejet du surplus des conclusions de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par la société V.L. ne sont pas fondés.
Par un mémoire distinct, enregistré le 14 juin 2023, la société V.L. a demandé à la Cour, à l'appui de sa requête, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales, dans leur rédaction issue de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012, modifiée par la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 juin 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a demandé à la Cour de ne pas faire droit à la transmission demandée.
Par une ordonnance du 27 septembre 2023, la présidente de la 3ème chambre de la Cour administrative d'appel de Marseille a rejeté la demande de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité.
Par une ordonnance du 4 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention entre la République française et le Royaume d'Espagne en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, signée le 10 octobre 1995 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Platillero,
- les conclusions de M. Ury, rapporteur public,
- et les observations de Me Roustouil, pour la société V.L.
Considérant ce qui suit :
1. La société V.L., qui exploite un débit de boissons dans le 8ème arrondissement de Marseille sous l'enseigne " A...", a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre des exercices clos les 30 septembre 2013 et 2014, à l'issue de laquelle deux propositions de rectification des 21 décembre 2016 et 11 août 2017 lui ont été notifiées. Elle a également fait l'objet d'un contrôle sur pièces portant sur les exercices clos des 30 septembre 2007 au 30 septembre 2012, à l'issue duquel une proposition de rectification du 11 août 2017 lui a été notifiée. Au terme de ces procédures, elle a été assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos du 30 septembre 2007 au 30 septembre 2014, à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er octobre 2008 au 30 septembre 2014 et à la retenue à la source au titre des années 2007 à 2014, assortis des intérêts de retard, de la majoration prévue à l'article 1728 du code général des impôts pour défaut de déclaration et des majorations pour manquement délibéré et manœuvres frauduleuses prévues au a. et c. de l'article 1729 du même code. La société V.L. relève appel du jugement du 8 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et majorations, de ces impositions.
Sur l'étendue du litige :
2. Postérieurement à l'introduction de la requête, l'administration a prononcé la remise des intérêts de retard mis à la charge de la société V.L., pour un montant de 208 812 euros, en application de l'article 1756 du code général des impôts. Il n'y a ainsi pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête dans cette mesure.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
3. Aux termes de l'article L. 81 du livre des procédures fiscales : " Le droit de communication permet aux agents de l'administration, pour l'établissement de l'assiette, le contrôle et le recouvrement des impôts, d'avoir connaissance des documents et des renseignements mentionnés aux articles du présent chapitre dans les conditions qui y sont précisées (...) ". Aux termes de l'article L. 82 C du même livre : " A l'occasion de toute procédure judiciaire, le ministère public peut communiquer les dossiers à l'administration des finances. Cette dernière porte à la connaissance du ministère public, spontanément dans un délai de six mois après leur transmission ou à sa demande, l'état d'avancement des recherches de nature fiscale auxquelles elle a procédé à la suite de la communication de ces dossiers (...) ". Aux termes de l'article L. 101 de ce livre : " L'autorité judiciaire doit communiquer à l'administration des finances toute indication qu'elle recueille, à l'occasion de toute procédure judiciaire, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manœuvre quelconque ayant eu pour objet ou pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'autorité judiciaire peut régulièrement transmettre à l'administration fiscale, spontanément ou sur demande adressée au ministère public, tous éléments révélés par une instance civile ou pénale ou recueillis par elle dans le cadre d'une procédure judiciaire.
4. Si la société V.L. soutient que l'administration n'établit pas la régularité de l'exercice de son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire, alors que les documents obtenus ont fondé les rectifications qui lui ont été notifiées au titre des exercices clos des 30 septembre 2007 à 2012, il résulte de l'instruction que la société V.L. a produit elle-même la lettre du 16 novembre 2016 par laquelle l'administration, qui n'était tenue par aucune disposition ni aucun principe d'exercer son droit de communication par courrier recommandé avec accusé de réception sous peine d'irrégularité de la procédure, a sollicité l'autorisation de consulter et de prendre copie des pièces et procès-verbaux d'audition, y compris les scellés, du dossier concernant la société devant le juge pénal. Cette lettre est revêtue de la mention manuscrite " autorisation accordée 16.11.2016 " et signée du vice-procureur près le tribunal de grande instance de Marseille et l'autorisation ne peut avoir été accordée avant que ne soit formulée la demande. Enfin, la proposition de rectification du 11 août 2017 précise que le droit de communication a été effectivement exercé le 18 novembre 2016. Par suite, la société V.L. n'est pas fondée à soutenir que l'accès aux informations de la procédure judiciaire n'aurait pas été autorisé dans des conditions régulières.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés et la taxe sur la valeur ajoutée au titre des exercices clos du 30 septembre 2007 au 30 septembre 2012 :
5. Il résulte de l'instruction que, pour établir les insuffisances d'imposition au titre de ces exercices, l'administration s'est fondée sur les déclarations d'employés et du gérant de la société V.L. transcrites dans des procès-verbaux d'audition, obtenus dans l'exercice du droit de communication auprès de l'autorité judiciaire. Elle a ainsi estimé que la société V.L. avait omis de déclarer ses résultats à hauteur de 30 % du chiffre d'affaires déclaré et a ainsi procédé à la rectification des bénéfices éludés pour le calcul de l'impôt sur les sociétés sur cette base, ainsi qu'au rappel de taxe sur la valeur ajoutée correspondant. Au stade du recours hiérarchique, par un courrier du 16 novembre 2018, l'administration a limité le montant des rectifications en matière d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée, en retenant un montant mensuel de 15 000 euros, résultant des déclarations du gérant transcrites dans un procès-verbal d'audition, soit une rectification par exercice de 152 155 euros en matière d'impôt sur les sociétés et de 27 845 euros en matière de taxe sur la valeur ajoutée.
6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales : " Même si les délais de reprise sont écoulés, les omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une procédure judiciaire, par une procédure devant les juridictions administratives ou par une réclamation contentieuse peuvent être réparées par l'administration des impôts jusqu'à la fin de l'année suivant celle de la décision qui a clos la procédure et, au plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due ".
7. Des insuffisances ou omissions d'imposition ne peuvent pas être regardées comme révélées par une procédure judiciaire au sens de cet article lorsque l'administration dispose d'éléments suffisants lui permettant, par la mise en œuvre des procédures d'investigation dont elle dispose, d'établir ces insuffisances ou omissions d'imposition dans le délai normal de reprise prévu à l'article L. 169 du livre des procédures fiscales.
8. La société V.L. fait valoir d'une part que, dès lors qu'elle avait déclaré son chiffre d'affaires et ses résultats des exercices clos de septembre 2007 à 2012, l'administration aurait pu engager une vérification de comptabilité dans le délai de reprise, et, d'autre part, que l'administration a exercé son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire postérieurement à l'engagement de la vérification de comptabilité au titre des exercices clos en 2013 et 2014, qui a débuté le 26 octobre 2016. Il ne résulte toutefois pas de ces seules circonstances que l'administration fiscale avait en sa possession, avant la communication des éléments issus de la procédure judiciaire et même après l'expiration du délai normal de reprise, des éléments suffisamment précis pour établir, au besoin par la mise en œuvre des procédures d'investigations dont elle dispose, les insuffisances d'imposition en cause. A cet égard, si la société V.L. se prévaut des mentions du préambule de la proposition de rectification du 11 août 2017, qui fait état de constatations réalisées à l'occasion de la vérification de sa comptabilité au titre des exercices clos en 2013 et 2014, il résulte toutefois clairement de la proposition de rectification que ce sont les seuls éléments obtenus auprès de l'autorité judiciaire qui ont mis en évidence les insuffisances d'imposition. Dans ces conditions, la société V.L. n'est pas fondée à soutenir que l'administration ne pouvait faire application de l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales.
9. En deuxième lieu, la société V.L. fait valoir que les éléments issus de la procédure judiciaire ne permettaient pas d'établir les bases d'imposition au titre de chacun des exercices en litige. Toutefois, d'une part, le montant annuel des omissions finalement retenu par l'administration au stade du recours hiérarchique procède des propres déclarations du gérant consignées dans le procès-verbal de son audition, qui se réfère à une somme perçue à son profit entre 5 000 et 10 000 euros par mois et évoque une somme de 10 000 euros au titre d'une extorsion de fonds. Ces déclarations permettaient ainsi de déterminer le montant des bases d'imposition. D'autre part, si les déclarations du gérant ne mentionnent pas la période à laquelle se rattachent les omissions reconnues, il résulte des déclarations précises et concordantes d'employés de la société V.L., notamment d'une employée administrative ayant exercé des fonctions de septembre 2006 à avril 2010 et de la secrétaire personnelle du gérant à compter d'octobre 2010, que la pratique de manipulation des caisses en vue d'extourner une partie des recettes vers une " caisse virtuelle " a perduré tout au long de la période en litige. Dans ces conditions, les éléments précis, circonstanciés et concordants ressortant des procès-verbaux d'audition obtenus par l'exercice du droit de communication auprès de l'autorité judiciaire étaient suffisants pour justifier des insuffisances d'imposition, aussi bien dans leur montant que dans leur temporalité.
10. En troisième lieu, la société V.L. soutient que doivent être déduites du montant retenu par l'administration des charges d'exploitation correspondant au versement en espèces de compléments de rémunération des salariés. Toutefois, si les déclarations consignées dans les procès-verbaux d'audition font état de la circonstance qu'une partie de l'omission de déclaration à hauteur de 30 % du chiffre d'affaires servait à financer de tels compléments, ainsi qu'il a été dit au point 5, l'administration a limité le montant des rectifications aux sommes mentionnées par le gérant dans le procès-verbal de son audition, qui ne fait état d'aucune utilisation des sommes qu'il mentionne au profit de salariés, tenant ainsi compte de l'affectation au profit de salariés des sommes perçues des clients qui n'avaient pas été déclarées en produits. Et la société V.L. ne justifie d'aucune autre charge, notamment salariale, devant être déduite du montant ainsi finalement retenu.
11. En quatrième lieu, la société V.L. demande la déduction de la somme de 120 000 euros par exercice, dès lors qu'elle a été victime d'une extorsion de fonds à hauteur de 10 000 euros, ainsi qu'il ressort des déclarations de son gérant dans le procès-verbal de son audition. Toutefois, ainsi que le fait valoir en défense le ministre, les agissements invoqués ne sont pas établis et n'ont même pas été dénoncés par la société ou son gérant au titre de la période en litige. En effet, si la société V.L. se prévaut d'un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 10 mai 2017 confirmant un jugement du tribunal correctionnel de Marseille du 14 novembre 2016, cet arrêt, qui constate une situation d'extorsion de fonds commise au préjudice de la société V.L. à hauteur de 6 000 euros par mois, ne porte que sur la période de janvier 2013 à mars 2014 et aucun élément ne vient corroborer les déclarations du gérant dans le procès-verbal de son audition selon lesquelles une telle situation aurait antérieurement existé tout au long de la période du 1er octobre 2006 au 30 septembre 2012, au surplus pour un montant de 10 000 euros par mois. A cet égard, si, dans la décision prise dans le cadre du recours hiérarchique, l'administration a admis de procéder aux rectifications sur la base des déclarations du gérant de la société V.L. dans le procès-verbal de son audition, à hauteur de 15 000 euros, elle n'a aucunement admis l'existence effective d'une situation d'extorsion de fonds au titre de la période en litige en se bornant, d'une part, à rappeler les déclarations du gérant, et, d'autre part, à procéder à une réduction de la retenue à la source " par souci de cohérence avec les montants retenus pour recalculer les rappels d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée ". Par suite, la société V.L. n'est pas fondée à demander la déduction précitée.
En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés et la taxe sur la valeur ajoutée au titre des exercices clos les 30 septembre 2013 et 30 septembre 2014 :
12. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " (...) la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. (...) ".
13. L'administration a procédé à une reconstitution du chiffre d'affaires de la société V.L. au titre des exercices clos en 2013 et 2014. La société V.L. ne conteste pas que sa comptabilité était irrégulière et dépourvue de valeur probante, dès lors notamment qu'elle enregistrait ses recettes à partir des éditions statistiques " RAZ " mensuelles provenant de son système informatisé d'encaissement, que les justificatifs de recettes présentés correspondaient aux éditions en papier des états récapitulatifs de fins de mois, ne concernant qu'une synthèse du chiffre d'affaires réalisé par famille de produit avec une identification du montant des recettes, la comptabilisation des recettes étant opérée à partir de ces états mensuels et d'un document en papier retraçant une centralisation journalière des recettes par modes de règlement, qu'aucun justificatif des recettes quotidiennes n'a été présenté et qu'elle ne tenait aucun inventaire des stocks. Par ailleurs, il est constant que les impositions ont été établies conformément à l'avis du 31 octobre 2019 de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. Ainsi, la charge de la preuve incombe à la société V.L., en application de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales.
14. Pour reconstituer les recettes de la société V.L. au titre de l'exercice clos le 30 septembre 2013, le vérificateur s'est fondé sur le montant des achats de bière " pression " qu'il a obtenu par l'exercice du droit de communication auprès d'un fournisseur, qui lui ont permis de déterminer le nombre de litres achetés, ainsi que sur l'exploitation des tickets mensuels en sélectionnant les ventes de bières " pression " et en déterminant un prix de vente moyen pondéré au litre et le pourcentage que représentait les ventes de ce produit par rapport au chiffre d'affaires total résultant de ces tickets, les bières " pression " en fûts constituant 80 % des achats et 50 % des ventes déclarées. A partir des achats comptabilisés et des fûts offerts, il a calculé un nombre total de litres de bière commercialisables, diminué d'un coefficient de perte de 10 % et d'un montant d'offerts équivalent au montant des fûts gratuits concédés par le fournisseur, auquel il a appliqué le prix moyen précédemment obtenu. Il a ainsi déterminé le chiffre d'affaires des bières et a appliqué les mêmes proportions pour les autres boissons. Au titre de l'exercice clos le 30 septembre 2014, le vérificateur a appliqué les mêmes méthode et paramètres, en les élargissant aux achats de bières en bouteille, de pastis et de whisky. A la suite de l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, l'administration a également pris en compte un pourcentage de consommation du personnel de 1 % sur les achats effectués.
15. En premier lieu, la société V.L. soutient que le taux de perte des bières en fût doit être porté à 15 % au titre de l'exercice clos en 2013, compte tenu des caractéristiques de son exploitation propre à cet exercice, tirées de l'éloignement de la réserve qui contenait les fûts avec le bac de tirage, qui était de 37,25 mètres, et de la surchauffe du moteur et du bloc de froid qui étaient situés à l'extérieur en façade de l'établissement, générant une perte plus importante. Toutefois, si elle se prévaut à cet effet de procès-verbaux de constats d'huissier des 9, 21 et 22 février et 6 et 7 mars 2019, ces constats, notamment les deux derniers, très postérieurs à l'exercice d'imposition, n'établissent pas les conditions d'exploitation alors effectives, reposent d'ailleurs sur ce point sur les propres déclarations du gérant et ne quantifient au demeurant pas précisément un taux de perte des bières en fût.
16. En deuxième lieu, la société V.L. soutient que l'administration n'a pas pris en compte au titre des deux exercices la contenance réelle des verres s'agissant des bières issues de fût, cette contenance s'élevant à 28 et 57 centilitres selon la taille des verres et non à 25 et 50 centilitres, et devrait être retenue à hauteur de 26,66 et 54,15 centilitres pour tenir compte des conditions du service au bar. Toutefois, si elle se prévaut à cet effet des procès-verbaux précités, ces constats, notamment ceux établis les 21 et 22 février 2019, sont très postérieurs aux exercices d'imposition et reposent exclusivement sur les éléments exposés par le gérant tirés de ce que l'usage serait de servir des verres à ras bord afin de satisfaire la clientèle, pratique dont il n'est pas établi qu'elle serait constante et généralisée.
17. En troisième lieu, si la société V.L. soutient que le taux d'offert devrait être fixé à 4 %, et non pas au montant des boissons gratuites accordées par les fournisseurs, elle n'apporte aucun élément précis à l'appui de ses allégations en se bornant à se prévaloir des caractéristiques de sa clientèle.
18. En quatrième lieu, la société V.L. ne peut utilement critiquer la méthode de reconstitution par les achats de bouteilles de gaz carbonique initialement exposée par le vérificateur dans la proposition de rectification, dès lors que les impositions n'ont pas été établies sur le fondement d'une telle méthode. Elle n'apporte par ailleurs pas la preuve de l'exagération des impositions en soutenant que l'application de cette méthode au moyen des paramètres précédemment exposés, dont elle ne justifie pas du bien-fondé, en appliquant au surplus une perte de 10 % de gaz qui n'est pas justifiée, aboutirait à des résultats plus conformes aux conditions de son exploitation.
19. En cinquième lieu, la société V.L. demande la déduction du montant des extorsions de fonds dont elle a été victime, qui sont établies dans leur principe et dans leur montant par l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 10 mai 2017 mentionné au point 11, qui constate une situation d'extorsion commise au préjudice de la société V.L. à hauteur de 6 000 euros par mois sur la période de janvier 2013 à mars 2014, soit un montant de 54 000 euros au titre de l'exercice clos le 30 septembre 2013 et de 36 000 euros au titre de l'exercice clos le 30 septembre 2014.
20. En cas de détournements de fonds commis au détriment d'une société, les pertes qui en résultent sont, en principe, déductibles des résultats de la société. Il en va ainsi, en particulier, lorsque ces détournements ont été commis par des tiers. En revanche, ne sont pas déductibles les détournements commis par les dirigeants, mandataires sociaux ou associés ainsi que ceux, commis par un salarié de la société, qui ont pour origine, directe ou indirecte, le comportement délibéré des dirigeants, mandataires sociaux ou associés ou leur carence manifeste dans l'organisation de la société et la mise en œuvre des dispositifs de contrôle, contraires à l'intérêt de la société.
21. S'il résulte de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 10 mai 2017 que les éléments de la procédure pénale, tels que surveillances, écoutes téléphoniques, témoignages et aveux, ont établi que c'est le gérant de la société V.L. qui a détourné les fonds au profit des malfaiteurs, cet arrêt rappelle également qu'il ne peut être reproché à la victime d'avoir accepté la situation, " dès lors qu'elle était l'objet d'extorsion de fonds et que les conséquences potentielles de son refus de s'exécuter étaient soit des atteintes gravissimes aux biens soit à la personne ". De tels détournements, commis sous la contrainte de tiers, doivent être assimilés à des détournements de fonds commis par des tiers, sans lien avec le comportement du gérant de la société V.L., alors même que cette société a par ailleurs omis de déclarer une partie de ses recettes qui n'ont pas été affectées à l'extorsion de fonds dont elle a été victime. Par suite, les pertes qui en résultent sont déductibles des résultats.
22. Il résulte de ce qui a été dit aux points 15 à 21 que la société V.L. est seulement fondée à demander la réduction des bases d'imposition qui lui ont été assignées au titre des exercices clos les 30 septembre 2013 et 2014, à concurrence respectivement de 54 000 euros et de 36 000 euros. Pour le surplus, la société V.L. n'apporte pas la preuve qui lui incombe que la reconstitution de son chiffre d'affaires reposerait sur une méthode radicalement viciée ou excessivement sommaire ni que les impositions qui procèdent de cette reconstitution seraient exagérées.
En ce qui concerne la retenue à la source :
23. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital (...) ". Aux termes de l'article 111 du même code : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : (...) c. Les rémunérations et avantages occultes (...) ". Aux termes de l'article 119 bis de ce code : " (...) 2. Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France (...) ".
24. Il résulte de l'instruction que l'administration a estimé que le montant des recettes omises toutes taxes comprises ainsi que d'autres rectifications dont le bien-fondé n'est pas contesté, notamment des avantages en nature, leur appréhension de ces derniers par le gérant n'étant pas plus contestée, constituaient des revenus distribués par la société V.L. à son gérant, maître de l'affaire, sur le fondement du 1° du 1 de l'article 109 et du c) de l'article 111 du code général des impôts. Celui-ci étant résident espagnol, elle a soumis ces revenus à la retenue à la source prévue à l'article 119 bis de ce code, en appliquant, au stade du recours hiérarchique le taux de 15 % prévu à l'article 10 de la convention du 10 octobre 1995 entre la France et l'Espagne.
25. En premier lieu, il n'est pas contesté que le gérant de la société V.L., détenue majoritairement par une société à responsabilité limitée elle-même détenue en totalité par l'intéressé, détenait le pouvoir de gestion de l'entreprise et la signature bancaire. Dans ces conditions, il était le seul maître de l'affaire, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que la société V.L. a par ailleurs été victime d'extorsion de fonds au titre des exercices clos en 2013 et 2014. Il doit dès lors être regardé comme le bénéficiaire des revenus réputés distribués par cette société au titre des omissions de recettes, dont il n'est pas allégué que le produit serait demeuré investi dans la société, sur le fondement du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, l'existence et le montant des revenus distribués étant établi par l'administration compte tenu de ce qui a été dit précédemment, déduction faite des sommes mentionnées au point 22. C'est dès lors à bon droit que, à l'exception de ces sommes, l'administration a fait application de la retenue à la source prévue au 2. de l'article 119 bis du code général des impôts au taux prévu par la convention du 10 octobre 1995 entre la France et l'Espagne.
26. En second lieu, la société V.L. se prévaut, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de l'interprétation administrative de la loi fiscale référencée BOI-IR-DOMIC-40 du 6 avril 2017, qui vise à tirer les conséquences de l'arrêt du 14 février 1995 (affaire C-279-93, Schumacker), par lequel la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que les États membres, qui sont fondés à traiter différemment les non-résidents de leurs résidents, doivent en revanche, sous réserve de certaines conditions, les traiter à l'identique lorsque les premiers se trouvent, du fait qu'ils tirent de l'État concerné la totalité ou la quasi-totalité de leurs revenus, dans une situation comparable à celle des seconds, notamment de son paragraphe 120 selon lequel " Les retenues et prélèvements à la source appliqués sur certains revenus ou profits de source française versés à des personnes fiscalement domiciliées hors de France (notamment les dispositions du 2 de l'article 119 bis du CGI, de l'article 125 A du CGI, de l'article 182 A du CGI, de l'article 182 A bis du CGI, de l'article 182 B du CGI, de l'article 244 bis du CGI et de l'article 244 bis A du CGI) ne s'appliquent pas aux revenus et profits perçus par des " non-résidents Schumacker " (BOI-IR-DOMIC-10-20-20) ".
27. Toutefois, il résulte des termes mêmes de cette instruction administrative que l'assimilation des non-résidents " Schumacker " aux contribuables domiciliés fiscalement en France en droit interne est soumise à des conditions prévues au paragraphe 30. Il doit ainsi notamment être justifié que les revenus de source française du non-résident concerné sont supérieurs ou égaux à 75 % de son revenu mondial imposable et que le non-résident " Schumacker " ne bénéficie pas de mécanismes suffisants de nature à minorer l'imposition dans l'État de résidence, en fonction de sa situation personnelle et familiale, en raison de la faiblesse des revenus imposables dans ce même État. Or, si la société V.L. fait valoir que son gérant ne dispose que de revenus de source française et que l'Espagne ne dispose d'aucun dispositif de quotient familial comparable à celui de la France, elle n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations, de nature à établir que son gérant aurait rempli les conditions précédemment mentionnées. Dans ces conditions, la société V.L. n'est en tout état de cause pas fondée à se prévaloir de l'interprétation administrative de la loi fiscale référencée BOI-IR-DOMIC-40 du 6 avril 2017.
Sur les pénalités :
28. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration (...) entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses (...) ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et des autres taxes sur le chiffre d'affaires, des droits d'enregistrement, de la taxe de publicité foncière et du droit de timbre, la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses incombe à l'administration ".
29. En premier lieu, l'administration a appliqué la majoration pour manquement délibéré aux rectifications relatives aux dépenses personnelles du gérant et à l'utilisation privative par ce dernier d'un véhicule de société, notifiées au titre des exercices clos en 2013 et 2014. Si la société V.L. conteste cette majoration, elle ne présente aucun moyen opérant à l'appui de sa contestation en se bornant à se prévaloir de l'extorsion de fonds dont elle a été victime, faits qui sont sans rapport avec les faits à l'origine de l'application de cette pénalité.
30. En second lieu, s'agissant des rectifications relatives aux omissions de recettes au titre des exercices clos de septembre 2007 à septembre 2014, l'administration a appliqué la majoration pour manœuvres frauduleuses, qui a pour objet de sanctionner des agissements destinés à égarer ou à restreindre le pouvoir de contrôle de l'administration. Pour justifier l'application de cette majoration, elle s'est fondée au titre des exercices clos de 2007 à 2012 sur les procès-verbaux d'audition précédemment mentionnés, desquels il ressort des déclarations précises, concordantes et circonstanciées des personnes interrogées qu'était mis en place au sein de la société V.L., sous la supervision de son gérant, un système d'écrasement systématique d'une partie du chiffre d'affaires des caisses enregistreuses vers une " caisse virtuelle " au moyen d'une clé magnétique. Par ailleurs, au titre des exercices 2013 et 2014, le gérant a reconnu dès le début de la vérification de comptabilité, ainsi qu'il résulte des énonciations non contredites de la proposition de rectification du 21 décembre 2016, que la société V.L. n'était pas en mesure de présenter d'archives de ses caisses informatisées, dès lors qu'il procédait à l'écrasement des données à chaque fin de mois. Dans ces conditions, l'administration apporte la preuve de l'existence d'agissements commis par la société V.L. destinés à égarer ou à restreindre son pouvoir de contrôle, que la société ne conteste pas utilement en se bornant à se prévaloir des extorsions de fonds qu'elle a subies, qui ne sont au demeurant pas établies au titre des exercices 2007 à 2012 ainsi qu'il a été dit précédemment et dont le montant est par ailleurs très inférieur aux minorations de recettes mises en évidence au titre des exercices 2013 et 2014.
31. Il résulte de tout ce qui précède que la société V.L. est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté en totalité les conclusions de sa demande. Elle est dès lors fondée à demander la réduction des bases d'imposition qui lui ont été assignées à concurrence de 54 000 euros au titre de l'exercice clos le 30 septembre 2013 et de 36 000 euros au titre de l'exercice clos le 30 septembre 2014, la décharge, en droits et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos le 30 septembre 2013 et le 30 septembre 2014, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er octobre 2012 au 30 septembre 2014 et de la retenue à la source mise à sa charge au titre des années 2013 et 2014, à concurrence de cette réduction et la réformation du jugement dans cette mesure. Le surplus des conclusions de la requête de la société V.L. doit en revanche être rejeté.
Sur les frais liés au litige :
32. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des frais que la société V.L. a exposés, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la société V.L. à concurrence du dégrèvement prononcé en cours d'instance.
Article 2 : Les bases d'imposition assignées à la société V.L. sont réduites à concurrence de 54 000 euros au titre de l'exercice clos le 30 septembre 2013 et de 36 000 euros au titre de l'exercice clos le 30 septembre 2014.
Article 3 : La société V.L. est déchargée, en droits et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos le 30 septembre 2013 et le 30 septembre 2014, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er octobre 2012 au 30 septembre 2014 et de la retenue à la source mise à sa charge au titre des années 2013 et 2014, à concurrence de la réduction des bases d'imposition prononcée à l'article 2.
Article 4 : Le jugement n° 2005758 du 8 avril 2022 du tribunal administratif de Marseille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : L'Etat versera à la société V.L. la somme de 1 000 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de la société V.L. est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée (SARL) V.L. et au
ministre chargé du budget et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2024, où siégeaient :
- Mme Paix, présidente,
- M. Platillero, président assesseur,
- Mme Mastrantuono, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 octobre 2024.
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N° 22MA01609