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03/10/2024 | FRANCE | N°22MA01897

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 3ème chambre, 03 octobre 2024, 22MA01897


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société par actions simplifiée VH Antibes a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge de la taxe sur les logements vacants à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2018 et 2019 et d'ordonner le versement des intérêts prévus à l'article L. 208 du livre des procédures fiscales.



Par un jugement n° 1903340, 2005137 du 25 avril 2022, le tribunal administratif de Nice a déchargé la société VH Antibes de la tax

e sur les logements vacants à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2018 et 2019, mis à la c...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée VH Antibes a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge de la taxe sur les logements vacants à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2018 et 2019 et d'ordonner le versement des intérêts prévus à l'article L. 208 du livre des procédures fiscales.

Par un jugement n° 1903340, 2005137 du 25 avril 2022, le tribunal administratif de Nice a déchargé la société VH Antibes de la taxe sur les logements vacants à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2018 et 2019, mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions des demandes.

Procédure devant la Cour :

Par un recours et un mémoire, enregistrés les 5 juillet 2022 et 27 mars 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1903340, 2005137 du 25 avril 2022 du tribunal administratif de Nice ;

2°) de remettre à la charge de la société VH Antibes la taxe sur les logements vacants à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2018 et 2019.

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, le bien dont la société VH Antibes est propriétaire était habitable au 1er janvier des années 2018 et 2019 ;

- à le supposer inhabitable, la société ne justifie pas que d'importants travaux devaient être réalisés pour rendre le bien habitable, notamment en établissant que le montant de ces travaux excèderait 25 % de la valeur vénale.

Par des mémoires en défense enregistrés les 23 février 2023 et 13 mars 2024, la société VH Antibes, représentée par Me Moreas, conclut au rejet du recours et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 5 000 euros, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- ainsi que l'a jugé le tribunal, le bien dont elle est propriétaire était inhabitable au 1er janvier des années 2018 et 2019 ;

- elle justifie que d'importants travaux, excédant 25 % de la valeur vénale, devaient être réalisés pour rendre le bien habitable ;

- l'administration a dégrevé la taxe sur les logements vacants à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2022.

Par une ordonnance du 4 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 mars 2024.

Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a produit un mémoire enregistré le 9 avril 2024, postérieurement à la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Platillero,

- et les conclusions de M. Ury, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société VH Antibes est propriétaire d'un bien immobilier dénommé " A...", située au 374 avenue Mrs L. D. Beaumont au Cap d'Antibes dans les Alpes-Maritimes, composé d'une maison de maître de 1 567 m² et deux bâtiments annexes de 190 m² et 50 m² dotés d'un jardin d'agrément attenant de 11 615 m² et d'une piscine de 140 m². Elle a été assujettie à raison de ce bien à la taxe sur les logements vacants au titre des années 2018 et 2019. Le ministre relève appel du jugement du 25 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Nice a déchargé la société VH Antibes de cette taxe.

Sur le bien-fondé des impositions :

2. Aux termes de l'article 232 du code général des impôts : " I. La taxe annuelle sur les logements vacants est applicable dans les communes appartenant à une zone d'urbanisation continue de plus de cinquante mille habitants où existe un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements (...) II. La taxe est due pour chaque logement vacant depuis au moins une année, au 1er janvier de l'année d'imposition (...) VI. La taxe n'est pas due en cas de vacance indépendante de la volonté du contribuable (...) ". Le Conseil constitutionnel, dans ses décisions n° 98-403 DC du 29 juillet 1998 et n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, n'a admis la conformité à la Constitution des dispositions instituant la taxe sur les logements vacants que sous certaines réserves : " (...) ne sauraient être assujettis des logements qui ne pourraient être rendus habitables qu'au prix de travaux importants et dont la charge incomberait nécessairement à leur détenteur ; (...) / ne sauraient être assujettis des logements dont la vacance est imputable à une cause étrangère à la volonté du bailleur, faisant obstacle à leur occupation durable, à titre onéreux ou gratuit, dans des conditions normales d'habitation, ou s'opposant à leur occupation, à titre onéreux, dans des conditions normales de rémunération du bailleur ; qu'ainsi, doivent être notamment exonérés les logements ayant vocation, dans un délai proche, à disparaître ou à faire l'objet de travaux dans le cadre d'opérations d'urbanisme, de réhabilitation ou de démolition, ou les logements mis en location ou en vente au prix du marché et ne trouvant pas preneur ".

3. S'il est constant que l'habitation dont est propriétaire la société VH Antibes était inoccupée depuis au moins une année au 1er janvier de chacune des années d'imposition, le ministre fait valoir que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, elle était habitable et que, à la supposer inhabitable, elle pourrait être rendue habitable au prix de travaux qui ne remplissent pas la condition d'importance dont la charge incomberait à leur détenteur.

4. Il résulte de l'instruction que, pour justifier du caractère inhabitable du bien, la société VH Antibes a produit un procès-verbal établi par un huissier le 18 décembre 2018, qui indique que la propriété est en chantier et inhabitable, compte tenu de l'absence d'aménagements intérieurs et d'alimentation en eau et électricité, et que les travaux précédemment entrepris ont cessé, ces constats étant corroborés par des photographies, qui montrent des sols, escaliers et murs bruts, ainsi que des installations électriques et sanitaires qui ne sont pas terminées. Ce constat est corroboré au 1er janvier 2018 par un procès-verbal établi par le même huissier le 17 janvier 2017 produit en première instance, qui ne montre pas d'évolution de l'état du bien entre les deux dates. La société VH Antibes a également produit un procès-verbal du 21 janvier 2020 établi par cet huissier, dont les constats sont corroborés par les 94 photographies jointes qui donnent une vue d'ensemble de l'état de la propriété et qui mentionne qu'après s'être rendu à tous les étages dans chaque pièce, il a constaté que les lieux restent en chantier, les travaux étant interrompus, que les pièces sont vides et non aménagées, que les salles de bain et cuisine sont à créer, que les murs et sols sont en béton brut, que les câbles électriques sont " à tuer " afin d'assurer l'éclairage et que les évacuations et les alimentations en eau, ainsi que les prises et interrupteurs électriques sont manquants. Ces constats sont ainsi suffisants pour établir l'état du bien au 1er janvier de chacune des années en litige, dont il résulte que, si le bien est clos et couvert, il n'est pas habitable en l'état, dès lors notamment qu'il est dépourvu d'installations électriques, d'eau courante et d'équipements sanitaires permettant son usage à fin d'habitation.

5. Toutefois, pour justifier que la propriété ne pourrait être rendue habitable qu'au prix de travaux importants lui incombant nécessairement, la société VH Antibes s'est bornée à produire un document intitulé " budget de base des travaux TCE " établi par un architecte en 2015, qui fait état d'un montant de travaux à réaliser de 23 300 232 euros et d'un document intitulé " actualisation de la valeur vénale " établi par un expert immobilier qui fixe la valeur vénale de la propriété à 53 200 000 euros au 1er janvier de chacune des années d'imposition et fait état de travaux restant à réaliser s'élevant à 17 583 600 euros. Or, ainsi que le fait valoir le ministre, alors que des travaux de gros-œuvre et plus généralement ayant pour objet d'assurer la stabilité des murs, charpentes et toitures, planchers ou circulations intérieures ont été réalisés, ce qu'attestent d'ailleurs les procès-verbaux d'huissier précités, la société VH Antibes n'apporte aucun élément permettant d'apprécier la nature et le prix de travaux de ce type qui resteraient à réaliser pour rendre le bien habitable. Par ailleurs, elle n'apporte pas plus d'élément permettant d'apprécier la nature et le coût des travaux nécessaires à l'installation ou à la réfection des équipements sanitaires, du chauffage, de l'électricité, de l'eau courante et des menuiseries extérieures permettant des conditions d'habitabilité normales, alors que, selon les énonciations même de l'architecte qui a établi le budget de travaux, ce budget devait permettre de réaliser une villa de luxe et non pas seulement de la rendre habitable, le choix de retenir un budget de réalisation d'une villa de luxe étant de la seule responsabilité du propriétaire. Ainsi, la société VH Antibes ne produit aucun élément qu'elle seule est en mesure de produire, tel que devis, permettant d'apprécier la nature, l'importance et le prix des travaux nécessaires à la seule habitabilité du bien, à l'exclusion des postes tendant à sa rénovation en tant que propriété de luxe. En outre, ainsi que le fait valoir le ministre, il ne résulte pas de l'instruction, ce qui n'est d'ailleurs pas allégué, que l'interruption des travaux aurait été indépendante de la volonté de la société VH Antibes ni qu'elle aurait été empêchée de réaliser les travaux strictement nécessaires pour rendre le logement habitable, notamment en étant dans l'incapacité de les financer.

6. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que le bien en litige aurait été inhabitable au cours des années d'imposition, au sens des dispositions précitées de l'article 232 du code général des impôts telles qu'interprétées par le Conseil constitutionnel dans les décisions précédemment rappelées. Par suite, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, c'est à bon droit que la société VH Antibes a été assujettie à la taxe sur les logements vacants au titre des années 2018 et 2019.

7. Il résulte de ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a fait droit aux demandes de la société VH Antibes. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par la société VH Antibes devant le tribunal administratif de Nice et devant elle.

8. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration (...) Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente (...) ". Aux termes de l'article L. 80 B du même livre : " La garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A est applicable : 1° Lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal (...) ".

9. D'une part, la société VH Antibes se prévaut de l'interprétation administrative référencée BOI-IF-AUT-60 du 11 mars 2014, n° 60 selon laquelle " Par ailleurs, les travaux doivent être importants. La production de devis devrait permettre, la plupart du temps, d'apprécier l'importance des travaux. A titre de règle pratique, il peut être admis que cette condition est remplie lorsque le montant des travaux nécessaires pour rendre le logement habitable excède 25 % de la valeur vénale du logement au 1er janvier de l'année d'imposition ". Toutefois, en l'absence de tout élément précis permettant d'apprécier la nature, l'importance et le prix des travaux nécessaires à la seule habitabilité du bien, ainsi qu'il a été dit précédemment, la société VH Antibes n'est en tout état de cause pas fondée à se prévaloir de cette interprétation administrative, en soutenant que les travaux nécessaires auraient excédé le seuil précité.

10. D'autre part, à supposer que la société VH Antibes ait entendu se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, du dégrèvement par l'administration de la taxe sur les logements vacants à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2022, une telle décision qui n'est pas motivée ne constitue pas une prise de position formelle de l'administration qui lui est opposable, le dégrèvement ainsi prononcé étant sans conséquence sur le bien-fondé de la taxe en litige.

11. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a déchargé la société VH Antibes de la taxe sur les logements vacants à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2018 et 2019. Les articles 1er et 2 de ce jugement doivent dès lors être annulés et la taxe en litige doit être remise à la charge de la société VH Antibes.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société VH Antibes demande au titre des frais qu'elle a exposés.

D E C I D E :

Article 1 : Les articles 1er et 2 du jugement n° 1903340, 2005137 du 25 avril 2022 du tribunal administratif de Nice sont annulés.

Article 2 : La taxe sur les logements vacants à laquelle la société VH Antibes a été assujettie au titre des années 2018 et 2019 est remise à sa charge.

Article 3 : Les conclusions de la société VH Antibes tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre chargé du budget et des comptes publics et à la société par actions simplifiée VH Antibes.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.

Délibéré après l'audience du 19 septembre 2024, où siégeaient :

- Mme Paix, présidente,

- M. Platillero, président assesseur,

- Mme Mastrantuono, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 octobre 2024.

2

N° 22MA01897


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA01897
Date de la décision : 03/10/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-03-06 Contributions et taxes. - Impositions locales ainsi que taxes assimilées et redevances. - Taxes ou redevances locales diverses.


Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: M. Fabien PLATILLERO
Rapporteur public ?: M. URY
Avocat(s) : GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI.

Origine de la décision
Date de l'import : 13/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-03;22ma01897 ?
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