La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/10/2024 | FRANCE | N°24MA00798

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 1ère chambre, 24 octobre 2024, 24MA00798


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... A... B... C... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du 29 février 2024 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.



Par un jugement n° 2401123 du 5 mars 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de

Nice a annulé cet arrêté.



Procédure devant la Cour :



I. Par une requête enregis...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... B... C... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du 29 février 2024 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2401123 du 5 mars 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nice a annulé cet arrêté.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête enregistrée sous le n° 24MA0798, le 2 avril 2024, le préfet des Alpes-Maritimes demande à la Cour d'annuler le jugement du 5 mars 2024 du tribunal administratif de Nice.

Il soutient que l'arrêté du 29 février 2024 ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La requête a été transmise à M. A... B... C..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.

II. Par une requête enregistrée le 2 avril 2024 sous le n° 24MA00799, le préfet des Alpes-Maritimes demande à la Cour de suspendre l'exécution du jugement du 5 mars 2024 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nice a annulé l'arrêté obligeant M. A... B... C... de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Il soutient que M. A... B... C... représente une menace pour l'ordre public.

La requête a été transmise à M. A... B... C..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Dyèvre, rapporteure.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 29 février 2024, le préfet des Alpes-Maritimes a obligé M. A... B... C... à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans. Par un jugement n° 2401123 du 5 mars 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nice a annulé cet arrêté. Le préfet des Alpes-Maritimes relève appel de ce jugement et en demande la suspension.

2. Les requêtes n° 24MA00798 et 24MA00799, présentées par le préfet des Alpes-Maritimes, sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul et même arrêt.

Sur le bien-fondé du jugement

3. Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

4. Il ressort des pièces du dossier que si M. A... B... C... est entré régulièrement en France alors qu'il n'était âgé que de quatre ans, il ne justifie pas d'une intégration socio-professionnelle sur le territoire français par la production des cartes de séjour des membres de sa famille, de bulletins de salaire de février 2021 et mai 2019, d'une promesse d'embauche non datée ainsi que de quelques courriers épars sur sa scolarité. S'il ressort des pièces du dossier, ainsi que l'a retenu le tribunal, que sa concubine serait enceinte de trois mois à la date de l'arrêté contesté, M. A... B... C... ne justifie toutefois pas d'une relation de vie commune avec sa concubine par la seule production d'une attestation de prestation de la caisse d'allocations familiales de janvier 2024 et d'une simple attestation d'hébergement de sa concubine datant du 28 février 2024. Enfin, l'intéressé a été interpellé à deux reprises, en juin 2021 et juillet 2023 pour violences intrafamiliales et a fait l'objet de trois condamnations pour détention, acquisition, usage et cession de stupéfiants et pour détérioration de bien destiné à l'utilité ou la décoration publique. Dans ces conditions, le préfet des Alpes-Maritimes, en prononçant l'arrêté en litige, n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de M. A... B... C... au respect de sa vie privée et familiale par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Le préfet est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat délégué a annulé l'arrêté en litige en raison de la méconnaissance des dispositions de l'article 8 précité.

5. Il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... B... C... en première instance.

6. En premier lieu, Il ressort des termes de l'arrêté contesté qu'il comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Il ressort en outre de cette motivation que le préfet a procédé à un examen de la situation de l'intéressé. Par suite, le moyen tiré de son insuffisance de motivation ne peut qu'être écarté.

7. En deuxième lieu, lorsqu'il oblige un étranger à quitter le territoire français sur le fondement des dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet doit appliquer les principes généraux du droit de l'Union européenne, dont celui du droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle défavorable ne soit prise à son encontre, tel qu'il est énoncé notamment au 2 de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Ce droit n'implique pas systématiquement l'obligation pour l'administration d'organiser, de sa propre initiative, un entretien avec l'intéressé, ni même d'inviter ce dernier à produire ses observations, mais suppose seulement que, informé de ce qu'une décision lui faisant grief est susceptible d'être prise à son encontre, il soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou de demander un entretien pour faire valoir ses observations orales. Enfin, une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la décision faisant grief que si la procédure administrative aurait pu, en fonction des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, aboutir à un résultat différent du fait des observations et éléments que l'étranger a été privé de faire valoir.

8. M. A... B... C... soutient ne pas avoir pu bénéficier d'un " temps raisonnable " pour formuler des observations ou être assisté pour ce faire avant l'édiction de la décision contestée. Toutefois, il ne résulte pas de ce qui précède que l'intéressé devait être assisté d'un conseil pour formuler ses observations. En outre, il ressort des pièces du dossier, notamment d'un formulaire qu'il a rempli à la maison d'arrêt, qu'il a effectivement émis des observations datées du 27 février 2024, indiquant " je veux rester ici, ma femme est enceinte et je suis beau-père de deux autres filles ". M. A... B... C..., qui par ailleurs ne précise pas quelles sont les observations qu'il n'aurait pas eu le temps de formuler et qui auraient pu influencer sur le sens de la décision en litige, n'est ainsi pas fondé à soutenir que son droit d'être entendu aurait été méconnu.

9. En troisième lieu, pour refuser d'octroyer à M. A... B... C... un délai de départ volontaire, le préfet des Alpes-Maritimes s'est fondé sur la circonstance qu'il existait un risque qu'il se soustrait à la mesure d'éloignement dont il fait l'objet en l'absence de garanties de représentation dès lors qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il se maintient en situation irrégulière sur le territoire, qu'il a communiqué des renseignement inexacts sur son identité, qu'il n'a pas justifié d'un domicile fixe et qu'il a déclaré refuser de quitter le territoire français. L'intéressé, qui n'a pas sollicité l'octroi d'un délai de départ volontaire, n'apporte aucune précision ou circonstance particulière nécessitant l'octroi d'un délai de départ volontaire et n'est pas fondé à soutenir que cette décision serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

10. En quatrième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale et de " l'article 17-1 de la loi du 21 janvier 1995 " n'est pas assorti de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

11. En cinquième lieu, en l'absence d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, le moyen tiré de l'illégalité par voie de conséquence de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français ne peut qu'être écarté.

12. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable à la date de la décision attaquée : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Selon l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11 ".

13. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les motifs qu'invoque l'autorité compétente sont de nature à justifier légalement dans son principe et sa durée la décision d'interdiction de retour et si la décision ne porte pas au droit de l'étranger au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. En revanche, lorsqu'il est saisi d'un moyen le conduisant à apprécier les conséquences de la mesure d'interdiction de retour sur la situation personnelle de l'étranger et que sont invoquées des circonstances étrangères aux quatre critères posés par les dispositions précitées de l'article L. 612-10, il incombe seulement au juge de l'excès de pouvoir de s'assurer que l'autorité compétente n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.

14. M. A... B... C... soutient que la décision attaquée méconnaît ces dispositions. Toutefois, alors que le requérant n'apporte aucun élément au soutien de son allégation, il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été précédemment exposé au point 4, que le requérant ne justifie pas de la nature et de l'intensité de ses liens personnels en France, ni de son intégration sur le territoire français. Par suite, en faisant interdiction à M. A... B... C... de retourner sur le territoire français pendant une durée de trois ans, la décision attaquée ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales les dispositions précitées. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette décision serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur la situation personnelle de M. A... B... C....

15. Il résulte de ce qui précède que le préfet des Alpes-Maritimes est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal administratif de Nice a annulé l'arrêté du 29 février 2024 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a fait obligation à M. A... B... C... de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans, et donc à demander l'annulation de ce jugement et le rejet de la demande de première instance.

Sur les conclusions de la requête 24MA00799 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement attaqué :

16. Le présent arrêt statue sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du 5 mars 2024 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nice a annulé l'arrêté faisant obligation à M. A... B... C... de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans. Il n'y a, par suite, plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête, enregistrée sous le n° 24MA00799, présentée par le préfet des Alpes-Maritimes tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.

D É C I D E :

Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions aux fins de suspension du jugement du tribunal administratif de Nice du 5 mars 2024 de la requête 24MA00799.

Article 2 : Le jugement n° 2401123 du 5 mars 2024 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nice a annulé l'arrêté B... C... de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans est annulé.

Article 3 : La demande présentée par M. A... B... devant le tribunal administratif de Nice est rejetée.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D... A... B... C....

Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes.

Délibéré après l'audience du 10 octobre 2024, où siégeaient :

M. Portail, président de chambre,

Mme Courbon, présidente assesseure,

Mme Dyèvre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 octobre 2024.

2

N° 24MA00798 24MA00799


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24MA00798
Date de la décision : 24/10/2024

Analyses

335-03-02 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière. - Légalité interne.


Composition du Tribunal
Président : M. PORTAIL
Rapporteur ?: Mme Constance DYEVRE
Rapporteur public ?: M. QUENETTE

Origine de la décision
Date de l'import : 27/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-24;24ma00798 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award