Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 5 décembre 2022 par lequel le Préfet des Bouches-du-Rhône l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et d'autre part, d'enjoindre au préfet de réexaminer sa situation et de lui délivrer un titre de séjour.
Par un jugement n° 2210783 du 2 février 2023, la magistrate désignée du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 2 mars 2023 sous le n° 2300530, M. B..., représenté par Me Gilbert, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2210783 du 2 février 2023 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler l'arrêté du 5 décembre 2022 du préfet des Bouches-du-Rhône ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour, et à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à verser à son conseil.
Il soutient que :
- le préfet des Bouches-du-Rhône n'a pas procédé à un examen complet de sa situation personnelle ;
- l'arrêté attaqué méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté attaqué méconnait l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté attaqué est entaché d'erreur manifeste d'appréciation en raison de ses conséquences sur la situation personnelle de M. B... ;
Par un mémoire enregistré le 24 janvier 2024, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par un arrêt avant dire droit du 11 juillet 2024, la cour administrative d'appel de Marseille a saisi le Conseil d'Etat d'une demande d'avis sur le fondement de l'article L. 113-1 du code de justice administrative.
Le Conseil d'Etat a rendu un avis n° 495898 le 28 octobre 2024.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 avril 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Portail a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., de nationalité kenyane, a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 5 décembre 2022 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement. M. B... relève appel du jugement du 2 février 2023 par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. En premier lieu, il ressort de l'arrêté attaqué que le préfet des Bouches-du-Rhône a procédé à un examen complet et circonstancié de la situation personnelle de M. B....
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. M. B... soutient que l'arrêté attaqué porterait une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale, dès lors qu'il ne dispose plus d'attaches dans son pays d'origine en raison des persécutions dont il fait l'objet en raison de son orientation sexuelle, qu'il présente des troubles psychiatriques pour lesquels il ne dispose pas de traitement adapté au Kenya, et qu'il est inséré en France par le biais de plusieurs associations d'aide aux migrants et aux personnes homosexuelles. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. B... soutient être entré en France en 2021, qu'il est célibataire et sans enfant, et qu'il ne justifie pas d'une insertion professionnelle particulière. Les seuls justificatifs produits par M. B..., relatifs à son accompagnement par des associations d'aide aux migrants et aux personnes homosexuelles ne sont pas suffisants pour établir une insertion sociale notable. Enfin, M. B... n'établit pas bénéficier en France d'un traitement qui ne serait pas accessible dans son pays d'origine. Dans ces conditions, en l'obligeant à quitter le territoire français, le préfet des Bouches-du-Rhône n'a pas porté au droit de l'intéressé au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels cette décision a été prise. Il n'a pas non plus commis d'erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences sur la situation personnelle du requérant d'une telle décision.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relatif à la désignation du pays de renvoi : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
7. L'autorité administrative ne saurait légalement désigner comme pays de renvoi d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement un pays dans lequel il risque d'être exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de la violation de ces stipulations conventionnelles peut être utilement invoqué par l'intéressé devant le juge de l'excès de pouvoir au soutien de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de renvoi. En revanche, il n'en va pas de même au soutien de conclusions dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français elle-même qui, en vertu de l'article L. 721-3 du même code, cité au point 2, est une décision distincte de celle fixant le pays de renvoi.
8. Il appartient au préfet chargé de fixer le pays de renvoi d'un étranger qui fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, en application de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que les mesures qu'il prend n'exposent pas l'étranger à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La personne à qui le statut de réfugié a été refusé ou retiré ne peut être éloignée que si, au terme d'un examen approfondi et complet de sa situation, et de la vérification qu'elle possède encore ou non la qualité de réfugié, il est conclu, en cas d'éloignement, à l'absence de risque au regard des stipulations précitées.
9. Il ressort des pièces du dossier que la demande d'asile de M. B... a été rejetée par une décision de l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 8 mars 2022, cette décision ayant été confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 12 octobre suivant. Il ressort, en revanche, des sources publiques, notamment du rapport du 28 septembre 2015 de l'association Human right watch que les personnes homosexuelles sont victimes au Kenya d'importantes discriminations dans les milieux professionnel et éducatif et subissent également l'ostracisme de la société environnante, tant par le biais des médias que par des personnalités publiques, notamment politiques et religieuses, qu'elles sont exposées à des actes de harcèlement, des humiliations, des menaces et des violences de la part d'individus isolés ou de groupes criminels, violences qui incluent des agressions physiques et des actions punitives collectives, qu'elles sont fréquemment confrontées à des arrestations et à des poursuites pénales abusives comme l'outrage à la pudeur, qu'elles demeurent, en outre, exposées à des risques de violences policières, de détentions arbitraires et que les services de police refusent généralement de donner suite aux plaintes déposées contre leurs agents. Si la seule pénalisation des actes homosexuels au Kenya ne constitue pas, en tant que telle, une persécution, l'ensemble de ces éléments établissent suffisamment que les personnes homosexuelles sont exposées au Kenya à un risque de persécutions en raison de leur orientation sexuelle.
10. M. B... produit une lettre datée du 15 décembre 2022, émanant de la coalition homosexuelle et lesbienne du Kenya (GALCK) selon laquelle il était membre au Kenya de cette association qui défend les personnes homosexuelles dans ce pays et a été persécuté en raison de son orientation sexuelle. Il est fondé dans ces conditions à soutenir qu'en fixant le Kenya comme pays de destination de la mesure d'éloignement dont il fait l'objet, le préfet des Bouches-du-Rhône a méconnu les dispositions de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
11. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate déléguée du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande en tant qu'elle tend à l'annulation de l'arrêté du 5 décembre 2022 en tant qu'il fixe le Kenya comme pays de destination de la mesure d'éloignement dont il fait l'objet et à demander l'annulation de ce jugement et de cet arrêté dans cette mesure.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
12. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution... ". L'article L. 911-2 du même code dispose : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé... ". Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 721-6, L. 721-7, L. 731-1, L. 731-3, L. 741-1 et L. 743-13, et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. ".
13. Le présent arrêt qui annule uniquement le pays de destination de la mesure d'éloignement n'appelle pas de mesure d'exécution. Les conclusions de M. B... aux fins d'injonction ne peuvent dès lors qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat à une somme de 1 500 euros à verser à Me Gilbert, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce au bénéfice de la contribution au titre de l'aide juridictionnelle.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 2 février 2023 de la magistrate déléguée du tribunal administratif de Marseille est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de M. B... tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 décembre 2022 en tant qu'il fixe le Kenya comme pays de destination de la mesure d'éloignement dont il fait l'objet.
Article 2 : L'arrêté du 5 décembre 2022 est annulé en tant qu'il fixe le Kenya comme pays de destination de la mesure d'éloignement dont fait l'objet M. B....
Article 3 : L'Etat versera à Me Gilbert la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la contribution au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., au ministre de l'intérieur et à Me Gilbert.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 12 décembre 2024, où siégeaient :
- M. Portail, président rapporteur,
- Mme Courbon, présidente assesseure,
- M. Claudé-Mougel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 janvier 2025.
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N° 23MA00530
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