Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du 8 novembre 2023 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2305587 du 12 décembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 20 juin 2024, M. A..., représenté par Me Oloumi, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n°2305587 du 12 décembre 2023 du tribunal administratif de Nice ;
2°) d'annuler l'arrêté du 8 novembre 2023 du préfet des Alpes-Maritimes ;
3°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et dans l'attente, de lui délivrer un document provisoire de séjour l'autorisant à travailler, dans les huit jours suivant cette même notification, ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer, dans l'attente d'une nouvelle décision, un document provisoire de séjour l'autorisant à travailler dès la notification de l'arrêt à intervenir et pendant toute la durée de ce réexamen.
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, celui-ci s'engageant à renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat.
Il soutient que :
- l'arrêté contesté contrevient à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'homme ;
- la décision refusant de lui accorder un départ volontaire méconnaît les dispositions de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet a commis une erreur d'appréciation en prononçant une interdiction de retour sur le territoire français ;
- le préfet a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et commis une erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation personnelle.
La requête a été communiquée au préfet des Alpes-Maritimes qui n'a pas produit d'observations en défense.
M. A... a été admis à l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 avril 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Platillero a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 8 novembre 2023, le préfet des Alpes-Maritimes a obligé M. A..., de nationalité russe, à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. M. A... relève appel du jugement du 12 décembre 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Il ressort des pièces du dossier que si M. A... soutient qu'il est entré en France à l'âge de 37 ans en décembre 2019, après y être entré une première fois en 2011 pour y déposer une demande d'asile qui a été rejetée, il s'est maintenu après 2019 sur le territoire en dépit du rejet de la demande de réexamen de sa demande d'asile par une décision de l'Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) du 4 décembre 2020, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 27 janvier 2021, sa seconde demande de réexamen ayant été rejetée par l'OFPRA le 10 octobre 2023. Par ailleurs, M. A... se prévaut de la présence sur le territoire français de sa mère, de sa nièce et de son épouse, demandeuse d'asile. Il n'apporte toutefois aucun élément de nature à établir la réalité, l'ancienneté, la stabilité et l'intensité des liens familiaux qui l'attachent au territoire français, alors que sa fille de quatorze ans vit en Russie. A cet égard, si le requérant fait valoir que depuis le décès de sa sœur, il contribue à éduquer sa nièce, il ne démontre pas qu'il serait l'unique personne à pouvoir s'en occuper. En outre, M. A..., qui ne conteste pas être connu des services de police pour des faits d'usurpation de l'identité d'un tiers, de vol simple, de violation de domicile et de dégradation du bien d'autrui, ne justifie d'aucune insertion socio-professionnelle particulière en France. Dans ces conditions, eu égard à la durée et aux conditions de son séjour en France, le préfet des Alpes-Maritimes n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de M. A... une atteinte disproportionnée compte tenu des objectifs poursuivis par l'arrêté attaqué. Ainsi, le moyen tiré de ce que cet arrêté aurait été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur manifeste qu'aurait commise le préfet des Alpes-Maritimes dans l'appréciation des conséquences de cet arrêté sur la situation personnelle de M. A... doit être écarté.
4. En second lieu, M. A... ne peut utilement se prévaloir des stipulations de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales au soutien de ses conclusions dirigées contre l'obligation de quitter le territoire français sans délai, décisions distinctes de celle fixant le pays de renvoi.
En ce qui concerne la décision de refus de délai de départ volontaire :
5. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour (...) 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au 3° de l'article L. 142-1, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 721-6 à L. 721-8, L. 731-1, L. 731-3, L. 733-1 à L. 733-4, L. 733-6, L. 743-13 à L. 743-15 et L. 751-5 ".
6. Si M. A... soutient qu'il dispose de garanties de représentation en faisant valoir qu'il réside chez sa mère qui l'héberge à Nice, il n'en justifie pas en se bornant à produire une attestation de l'intéressée, alors qu'il a déclaré lors de son audition, ainsi que le mentionne le procès-verbal du 8 novembre 2023 produit en première instance, qu'il était hébergé avec son épouse dans un logement mis à sa disposition par une connaissance, à une adresse à Menton. Ainsi, en l'absence de garanties de représentation, le préfet des Alpes-Maritimes a pu légalement refuser un délai volontaire à M. A..., qui a au demeurant également déclaré son intention de ne pas retourner en Russie, en application des dispositions mentionnées au point 5.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
7. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. "
8. Si M. A..., qui se borne à produire un rapport de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés publié le 29 septembre 2022 relevant l'existence de procédures de recrutement forcées, soutient qu'il craint d'être mobilisé par le gouvernement russe en vue de participer à la guerre contre l'Ukraine, il est constant qu'il n'a pas été effectivement appelé à servir dans les forces armées dans le cadre de la mobilisation partielle des réservistes du décret présidentiel russe n° 647 du 21 septembre 2022 et n'a pas fait l'objet d'un recrutement forcé. Dans ces conditions, en l'absence de tout élément permettant d'établir qu'il serait insoumis à la mobilisation ou déserteur, M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'il serait exposé à des sanctions constitutives de traitements inhumains ou dégradants au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :
9. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. (...) ".
10. Compte-tenu de ce qui a été dit aux points 3 et 8, qui, contrairement à ce qui est soutenu, ne caractérise pas l'existence de circonstances humanitaires, M. A... n'est pas fondé à solliciter l'annulation de l'interdiction de retour sur le territoire français dont il a fait l'objet.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 novembre 2023 du préfet des Alpes-Maritimes. Ses conclusions aux fins d'annulation de ce jugement et de cet arrêté doivent dès lors être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation, n'appelle aucune mesure d'exécution. Les conclusions à fin d'injonction présentées par M. A... doivent dès lors être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A... demande au titre des frais qu'il a exposés.
DECIDE :
Article 1 : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Oloumi et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes.
Délibéré après l'audience du 18 décembre 2024, où siégeaient :
- Mme Paix, présidente,
- M. Platillero, président assesseur,
- M. Mérenne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 janvier 2025.
24MA01594 03